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vendredi 29 mars 2024

Commission de la mémoire franco-québécoise

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Molière

memoires vives

L’intendance en Nouvelle-France

 

John A. Dickinson
Université de Montréal – Université de Paris III/Sorbonne Nouvelle

 

Les intendants de la Nouvelle-France, hormis Jean Talon, ont fait l’objet de moins d’études poussées que les gouverneurs et pourtant leur importance pour le développement colonial est égale sinon supérieure. Serait-il qu’ils sont moins hauts en couleur que les gouverneurs et que, à l’exception de Talon, leurs administrations ont été perçues comme des échecs ou sans relief ? Quoi qu’il en soit, ils ont joué un rôle capital dans la structuration de l’administration coloniale française.

 

Les premiers intendants

Lors du début du règne personnel de Louis XIV (1661), les intendants sont une création relativement récente. C’est le cardinal de Richelieu qui en généralise l’usage pour mieux faire rentrer les impôts au cours de la Guerre de Trente Ans. Sur les frontières du royaume, ce sont les intendants des armées : « intendant de justice, police, vivres et finances, en une armée » – qui voient à l’approvisionnement des troupes et à l’administration régionale. Puisque des compagnies privées gèrent les colonies aucune administration royale n’existe. La réorganisation impériale voulue par le roi et son Contrôleur général des finances, Jean-Baptiste Colbert, entraîne la création du ministère de la Marine en 1669, qui dote l’administration royale d’un organisme avec des bureaux spécialisés dans les affaires coloniales. Colbert met en place les nouvelles structures en recrutant des hommes de sa clientèle ayant une certaine compétence, mais cette nouvelle administration est toujours trop jeune pour qu’il puisse s’y fier pour le recrutement des cadres.

 

Le premier intendant qui arrive en Nouvelle-France en 1665, Jean Talon, fit ses preuves comme intendant des armées du Hainaut. L’organisation de la campagne du régiment Carignan-Salières contre les Iroquois constituait la première tâche urgente et il fallait un homme d’expérience. La paix de 1667 rendit cette exigence moins incontournable et les intendants qui succèdent à Talon (Claude de Bouteroue, 1668-1670 ; Jacques Duchesneau, 1675-1682 ; Jacques Demeulles, 1682-1686) sont des magistrats. Ni Colbert (1619-1693) ni son fils le marquis de Seignelay (1651-1690) ne cherchent dans les bureaux de la Marine des sujets avec des connaissances coloniales pour administrer la jeune colonie et aucun des quatre premiers intendants n’occupe une fonction dans les services de la Marine après leur mandat canadien. À cette époque, il n’est pas nécessaire d’être maître des requêtes comme c’est le cas pour les intendants de province en France.

 

Jean Bochart de Champigny

L’intendant qui fait le « pont », est Jean Bochart de Champigny (1686-1702), nommé par Seignelay mais qui termine son mandat sous Pontchartrain et qui poursuivra sa carrière au sein des services de la Marine comme intendant du Havre. En effet, le nouveau ministre, Jérôme de Phélypeaux de Pontchartrain, modernise le service. Désormais, les intendants sont toujours tirés de familles liées de près au Ministre mais recrutés parmi des hommes ayant une expérience dans la Marine et qui poursuivront leur carrière dans un arsenal métropolitain après leur séjour canadien.

 

François de la Boische de Beauharnois

Ce profil devient la norme par la suite. Le successeur de Bochart de Champigny, François de la Boische de Beauharnois (1702-1705), s’insère dans une vieille famille de robe alliée avec les Pontchartrain et une autre grande famille de la Marine, les Bégon. Toute sa carrière se passe dans la Marine. Il est commissaire dans les ports de Toulon, Rochefort, Le Havre et Brest avant d’occuper la fonction d’intendant au Canada. En rentrant en France en 1705, il occupa le poste d’intendant des forces navales avant d’être nommé intendant de Rochefort (1710). Preuve que les chicanes entre vieille noblesse d’épée et noblesse de robe sont bien révolues, son frère cadet, Charles de Beauharnois, devient gouverneur de la Nouvelle-France en 1726.

 

Raudot père et fils

Pour succéder à Beauharnois, Pontchartrain désigne un couple père-fils Jacques Raudot et son fils Antoine Denis Raudot (1705-1711) que le ministre destinait sans doute à des charges plus relevées. C’est une famille qui se consacre au service naval ; outre le couple père et fils, deux autres fils de Jacques sont officiers de « la royale ». Si le père a connu une carrière dans la justice et la finance avant d’être nommé au Canada, le fils fait ses classes dans la Marine d’abord comme écrivain (1699-1702), puis commissaire (1702-1704) avant d’occuper brièvement le poste d’inspecteur général à Dunkerque. Les deux resteront au service de la Marine après leur séjour laurentien. Jacques sera successivement commis principal de la Marine et conseiller de la Marine. Antoine Denis est nommé intendant des classes avant d’être chargé des gardes-côtes, des invalides et des colonies. À la mort de Jacques, il succède à son père comme conseiller de la Marine.

 

François Clairambault d’Aigremont

Autre personnage qui sert la Marine, François Clairambault d’Aigremont, agit comme intendant intérimaire à deux reprises (1711-1712 et 1728). Il débute sa carrière comme inspecteur à Dunkerque avant de devenir le secrétaire de Jean-Baptiste Patoulet, ancien secrétaire de Talon et contrôleur de la Marine à Rochefort, et, ensuite, secrétaire de l’intendant du Havre en 1690. Promu commissaire de la Marine à Québec en 1701, il doit renoncer à son poste l’année suivante quant il devient vénal. La protection de l’intendant Bochart de Champigny et de Pontchartrain lui permet de rester au Canada où il occupe des fonctions dans l’administration. Après son premier intérim, il est nommé contrôleur, sans salaire, pour la récupération des épaves de la flotte d’invasion anglaise de l’amiral Walker échouées dans le golfe du Saint-Laurent en 1711. Enfin, il recouvre sa charge de commissaire de la Marine en 1716 lors de l’abolition de la vénalité. Il mourut pendant son second intérim en décembre 1728.

 

Michel Bégon

Le véritable successeur des Raudot est Michel Bégon (intendant de 1712 à 1726) issu d’une des plus illustres familles de la Marine. Le père de l’intendant, était intendant de Saint-Domingue et inspirateur du Code Noir avant d’occuper des fonctions d’intendant à Marseille et ensuite à Rochefort. Écrivain principal à Toulon, il devient commissaire en 1690. Après une brève incursion dans la judicature comme conseiller au Parlement de Metz (1697-1704), il retourne à la Marine comme inspecteur général pour la province de Saintonge-Aunis. Il arrive à Québec accompagné de son épouse, Jeanne-Élisabeth de la Boische de Beauharnois, alliée à Pontchartrain et sœur d’un intendant et d’un gouverneur de la Nouvelle-France. Nommé en 1723 intendant du Havre, il attend 1726 avant de pouvoir occuper cette fonction. Il devient ensuite intendant de l’amirauté de Normandie et, enfin, termine comme intendant de la Marine.

 

Claude-Thomas Dupuis et Gilles Hocquart

Les deux successeurs de Bégon meurent avant d’arriver à Québec et c’est Claude-Thomas Dupuy, 1726-1728, un juriste maître des requêtes qui succède, « faute de trouver un candidat adéquat dans la Marine ». Son mandat est catastrophique. Il se brouille avec les puissances du pays et rentre en disgrâce. Le choix d’un intendant en dehors du corps des officiers de plume de la Marine s’étant avéré calamiteux, le Ministre choisit Gilles Hocquart qui débute sa carrière comme écrivain de la Marine à Rochefort. Il suit son père à Brest avant d’être promu commissaire à Toulon en 1716, où il reste jusqu’en 1722, alors qu’il retourne à Rochefort. En 1729, il part pour le Canada muni d’une nomination comme commissaire ordonnateur et intendant intérimaire (confirmé en 1731). Souvent comparé désavantageusement à Talon, la carrière de Hocquart dépendait de résultats concrets ce qui incite à la prudence. Après avoir passé près de vingt ans au Canada, Hocquart rentre en France et assume les fonctions d’intendant de Brest. A ce titre, il supervise l’armement de tous les navires du roi et l’embarquement des régiments qui partent défendre la Nouvelle-France pendant la Guerre de Sept Ans. Il quitte Brest en 1764 pour occuper la fonction d’intendant des conscriptions maritimes à Paris.

 

François Bigot

Comme son prédécesseur, le dernier intendant de la Nouvelle-France, François Bigot (1748-1760) commence son apprentissage comme écrivain de la Marine en 1723, avant de devenir commissaire en 1728 et écrivain principal en 1729. Sa carrière coloniale débute comme commissaire ordonnateur de l’Île Royale en 1739. Rentré en France après la capitulation de Louisbourg en 1745, Bigot s’affaire à approvisionner la flotte du duc d’Anville qui devait reprendre l’Acadie. L’échec de cette expédition est redevable à un mauvais concours de circonstances. De retour en France, il ferme les comptes de Louisbourg avant de retourner à Québec comme intendant. Il fut désigné comme bouc émissaire et subit un procès retentissant qui entraîna son bannissement de la France.

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