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Séduction, amour et mariages en Nouvelle-France

Séduction, amour et mariages en Nouvelle-France

 

Page couverture de l’ouvrage publié en 2007
Crédit : Éditions Libre Expression

L’auteur de cette publication (Montréal, Éditions Libre Expression, 2007, 187 p.), André Lachance, présente les fréquentations amoureuses et les relations conjugales au temps de la Nouvelle-France. Les premières, les fréquentations, peuvent se dénouer fort différemment. Simples occasions de se procurer du divertissement et du plaisir, elles peuvent aussi conduire à la décision de se marier, à un moment où la femme détient encore un pouvoir réel sur l’homme (il n’en sera plus de même après le mariage). Elles peuvent encore mener à une naissance précipitée avec ses trois possibilités : les deux amants acceptent le mariage, qui peut avoir lieu après la naissance de l’enfant ou quelques mois avant celle-ci. Si le conjoint refuse de se marier, le jugement du tribunal peut l’amener à revoir sa décision, compte tenu que son exécution peut s’avérer plus onéreuse que le mariage. À moins qu’il ne décide de déserter, la femme devant subir alors la réprobation de son entourage et assurer tant bien que mal le soin de sa progéniture jusqu’au jour où elle trouvera peut-être un nouveau partenaire… Quant aux secondes, les relations conjugales, elles pourront connaître des hauts et des bas, sujet au droit de correction modérée que le mari possède sur sa femme dans la société d’Ancien Régime…

Il y aurait beaucoup à dire de cet ouvrage, présenté dans un style coulant et dépouillé le plus possible de références pour en rendre la lecture moins ardue. Dans cette présentation, nous nous en tiendrons aux sources utilisées et à l’apport de l’ouvrage à l’enrichissement de la mémoire franco-québécoise.

Les sources utilisées

L’auteur fait le tour de la question et dévoile le plus possible les différents volets de son sujet : comportements, même les plus déviants, coutumes, croyances et systèmes de valeurs que nos ancêtres ont apportés dans leurs bagages du vieux continent. Pour y parvenir, il fait appel à toutes les sources disponibles : dossiers et registres du Conseil souverain ou supérieur, de la prévôté de Québec et des juridictions royales de Trois-Rivières et de Montréal (dépositions des témoins, interrogatoires des accusés décrivant les circonstances dans lesquelles les délits sexuels ont été commis, jugements rendus, etc.), édits et ordonnances du roi et des intendants, commissions des gouverneurs et des intendants, actes d’état civil, contrats notariés, publications relatives à la Nouvelle-France des 17e et 18e siècles ( journaux de voyage tel celui du botaniste Pehr Kalm, Relations et correspondance des jésuites qui renseignent à l’occasion sur les comportements, telle la liberté prise en matière de mœurs sexuels dans les Pays-d’en-Haut), mandatements et prescriptions des autorités religieuses (catéchisme, Rituel du diocèse de Québec de Mgr de Saint-Vallier datant de 1703, etc.).

L’autorité des parents et les « sommations respectueuses »

Comme dans la mère patrie, plusieurs interdits pèsent sur les amants en Nouvelle-France. Quand vient le moment du choix du conjoint, les parents ont priorité sur le penchant de leurs enfants, ceux âgés de 30 ans et moins dans le cas des garçons et de 25 ans et moins dans le cas des filles. Cette pratique, appliquée tout particulièrement dans les classes noble, bourgeoise et marchande et sanctionnée par les autorités civiles et religieuses, a pour but d’unir des familles plutôt que des individus. Elle fait primer les intérêts sociaux et économiques de la famille sur les sentiments que les futurs peuvent avoir l’un envers l’autre. Elle assure l’alliance de conjoints issus de familles de même rang et constitue une garantie que le patrimoine familial des parents passera, à leur décès, « entre des mains dignes et à la hauteur du legs ». Il est vrai qu’au cours du 18e siècle, cette pratique évolue vers une plus grande marge de manœuvre des enfants, en particulier chez les gens du commun, mais encore là nous devons y voir une liberté toute relative lorsque le contrat de mariage stipule une donation des parents avec obligation pour l’enfant de prendre soin d’eux jusqu’à leur décès. Ce n’est seulement que passé l’âge de 30 ans pour le garçon ou de 25 ans pour la fille, que les amants peuvent passer outre au refus de leurs parents d’entériner leur union; mais, encore là, doivent-ils leur présenter au préalable une « sommation respectueuse », c’est-à-dire qu’ils doivent demander leurs avis et conseils verbalement et par écrit, au besoin jusqu’à trois fois de suite (édit d’Henri II de 1556). Dans de telles circonstances, nous ne devons pas nous surprendre que des conjoints, ne ressentant pas ou plus d’attirance pour leur partenaire, se laissent aller à l’infidélité, au point de se mettre dans l’obligation de se justifier devant le tribunal…

Les militaires, de « fougueux séducteurs »

Un tel pouvoir des parents sur leurs enfants ne peut manquer d’exercer un certain impact étant donné qu’il s’applique à toute la société d’Ancien Régime. Il est aussi un autre pouvoir que l’auteur ne peut manquer de passer sous silence, c’est celui des autorités des troupes de la Marine d’autoriser le mariage des soldats, ces « fougueux séducteurs ». L’exercice de cette prérogative devient particulièrement importante quand les troupes manquent de recrues. Compte tenu de l’importance numérique des soldats dans la colonie par rapport à la population civile, elle pèse d’un certain poids et n’est pas sans provoquer à l’occasion du libertinage. En effet, selon une étude menée dans les régions de Montréal et de Québec, 10 % des couples formés d’un militaire et d’une Canadienne ont eu des rapports sexuels avant le mariage.

Les mariages entre conjoints de confession religieuse et de culture différentes

D’autres interdits ou obstacles peuvent encore peser. Héritière de la politique royale à l’égard des protestants dont la religion remet en cause les fondements du pouvoir, la société coloniale rend possibles les mariages entre confessions religieuses différentes qu’en autant que les protestants abjurent leur foi et se convertissent au catholicisme. De même, les mariages interculturels, d’abord encouragés au 17e siècle, ne sont plus que tolérés par la suite. En effet, compte tenu que les Blancs ont tendance de plus en plus à adopter le mode de vie des Amérindiens et que leur société est marquée par la répartition communautaire des biens et par des rapports égalitaires entre les membres, de tels mariages remettent en cause les bases de la société d’Ancien Régime fondée sur la hiérarchie et les privilèges économiques et sociaux. En fait, de 1644 à 1760, les unions interculturelles officielles furent peu nombreuses, 145 entre Blancs et Amérindiennes, 35 entre Blanches et Amérindiens, la majorité de ces derniers étant des esclaves de la tribu des Panis. Quant à l’Église, elle prend les mesures nécessaires avant de célébrer un mariage pour s’assurer que le futur conjoint n’est pas déjà marié dans son pays d’origine : elle exige un « témoignage de liberté au mariage » garantissant qu’il est libre de toute attache matrimoniale.
Le mariage « à la gaumine » et le charivari

Dans un tel contexte, les futurs peuvent être tentés de donner libre cours à leur désir en ne respectant pas les prescriptions établies. Par exemple, certains se jurent fidélité à l’improviste et à haute voix lors d’une célébration liturgique sans faire intervenir le prêtre pour sanctionner leur union. C’est ce qu’on appelle à l’époque le mariage « à la gaumine » (interdit par l’ordonnance royale de Blois de 1679) du nom d’un homme politique français qui se marie ainsi au début du 17e siècle. Quand ce n’est pas la justice qui finit par rattraper les délinquants, ce sont leurs voisins immédiats qui font appel au charivari. Pratique importée du vieux continent, le charivari consiste en un rassemblement de voisins devant la maison de celui qui prend un conjoint beaucoup plus jeune ou bien encore qui se remarie trop tôt sans laisser passer un délai raisonnable après le décès de son conjoint. Des gens du voisinage se rassemblent alors à la tombée de la nuit en faisant du tintamarre et toutes sortes de bruit pour exprimer leur désaccord. Une différence d’âge trop grande porte atteinte au droit que, selon la croyance, la jeune génération possède de ne pas être dépouillée des partenaires de même âge, et privée des biens que ceux-ci peuvent apporter en mariage. Quant au remariage trop rapide, il ne donne pas le temps nécessaire pour la séparation du survivant d’avec le défunt, et c’est ce vacarme nocturne qui y pallie. Malgré l’interdiction de l’Église, la coutume du charivari s’est poursuivie au 19e siècle et jusqu’au début du 20e siècle, 176 cas ayant été relevés au Québec entre 1800 et 1935.

Un pan de notre histoire mieux connu

Cette présentation fait ressortir quelques éléments démontrant ce que la mémoire québécoise partage avec la France. Elle est loin cependant d’épuiser la richesse du travail préparé par l’auteur. Celui-ci prend soin d’illustrer ses avancées par des cas individuels tirés des archives judiciaires, de même que par des documents des autorités civiles (incluant les notaires) et religieuses et d’observateurs de l’époque (commandant de navire, voyageur français, historien, naturaliste), qui replacent le lecteur dans le contexte de l’époque. Ce faisant, l’auteur lève le voile sur un des aspects de la société coloniale jusqu’ici peu abordé, les amours au temps de la Nouvelle-France considérés pour beaucoup à partir de leur côté déviant (compte tenu des sources disponibles). En même temps, il nous aide à saisir ce que pouvait être la normalité et à mesurer le chemin que les femmes ont dû parcourir à travers le temps pour atteindre l’égalité avec les hommes.

Gilles Durand

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