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Conquête et lendemains de conquête : encore des découvertes

Conquête et lendemains de conquête : encore des découvertes

par Gilles Durand

 

Guy Vadeboncoeur, directeur, Musée Stewart

Guy Vadeboncoeur, directeur, Musée Stewart
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

 

Nicole Vallières, directrice, Musée McCord

Nicole Vallières, directrice, Musée McCord
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Dans le cadre de la commémoration de la bataille de Sainte-Foy du 28 avril 2010 et de la capitulation de la Nouvelle-France à Montréal, le 8 septembre de la même année, le directeur du Musée Stewart, Guy Vadeboncoeur, [PHOTO I] et la directrice du Musée McCord, Nicole Vallières,[PHOTO 2] mettent en commun leur préoccupation pour la période de la Nouvelle-France et celle qui lui fait suite immédiatement. Ils se concertent pour organiser, les 27 et 28 septembre 2010, un colloque de deux jours qui se démarque par rapport aux activités commémoratives de 2009 et du début de 2010. Cette fois, ce n’est plus seulement les années de la guerre de Sept Ans qui sont retenues, mais aussi celles qui ont suivi la Conquête jusqu’en 1776. Plus de quatorze conférenciers se succèdent pour témoigner de leurs recherches et de leurs connaissances sur ces années marquantes au cours desquelles les Français implantés dans la vallée du Saint-Laurent sont en passe de devenir des Canadiens.

 

On croyait tout savoir ou presque…
Jusqu’à la Conquête, la colonie est gouvernée par un pouvoir royal absolu et une administration coloniale, le gouverneur et l’intendant, qui font peu de place à la participation populaire. Lors de la guerre de Sept Ans, la mère patrie investit dans la mesure de ses ressources pour sauver sa colonie, un effort d’autant plus remarquable qu’elle doit affronter une concurrente redoutable du côté européen et que les îles à sucre lui sont grandement profitables : elle envoie des navires, des soldats, des munitions, des provisions. Malheureusement les militaires occasionnels que sont les miliciens, maîtrisant mal les techniques de combat en ligne, ne peuvent faire pencher la balance du côté français lors de la bataille du 13 septembre 1759. En septembre 1760, c’est la reddition complète de la Nouvelle-France; la France perd ses alliés amérindiens qui entrent dans la neutralité, une partie de l’élite quitte, le clergé et les religieux demeurent, mais sans pouvoir se recruter. Les nouveaux maîtres consolident leur pouvoir dans la vallée du Saint-Laurent : ils permettent l’usage du droit français et se rallient le pouvoir religieux en accordant le libre exercice de la religion catholique. En 1791, ils octroieront une Chambre d’assemblée élue, donnant naissance à une démocratie, encore imparfaite il est vrai. L’imprimerie fait son apparition. Les imprimés en circulation ne proviennent plus seulement de l’extérieur, mais sortent aussi des presses locales.

 

Pourtant, les conférenciers qui se succèdent démontrent qu’il y a encore quelque chose à découvrir, sinon à redécouvrir : au niveau des sources telles les copies du journal de Wolfe, au niveau des peintures quant aux objectifs qu’elles poursuivent, au niveau des connaissances, par exemple sur le caractère absolu ou consultatif de la gouvernance au temps de la Nouvelle-France. Pour chacune des six thématiques balisant le programme du colloque, la liste des nouveautés peut être allongée. Pour les fins de cette présentation, nous en retenons trois, soit le rôle des miliciens canadiens, les bénéficiaires de la préservation du droit civil français et la naissance des lettres dans la vallée du Saint-Laurent.

 

La bataille des Plaines d’Abraham : rôle des miliciens canadiens
Le matin du 13 septembre 1759, les troupes françaises et britanniques s’affrontent dans une bataille en ligne, pour laquelle les miliciens canadiens sont dits peu préparés. C’est la défaite après quelques minutes de combat, mais les bataillons de l’armée régulière française réussissent quand même à échapper à la poursuite des vainqueurs et à retourner vers Beauport, là où sont leurs quartiers généraux. Comment expliquer? Les recherches et les activités commémoratives récentes tendent à démontrer la résistance opportune des miliciens canadiens : ils s’échappent des rangs des réguliers, font feu sur les troupes ennemies et réussissent à les arrêter. Leur contribution n’assure pas la victoire, mais elle n’en demeure pas moins marquante. Dans cette lutte à finir entre Français et Britanniques, les miliciens font preuve d’un grand courage, même au péril de leur vie. Il y a encore à dire et à écrire sur leur implication dans la guerre de Sept Ans.

 

Mise en application des lois civiles françaises après 1760 : les notaires partenaires indispensables
Rien de nouveau que d’affirmer que le droit civil français est reconnu dans les faits et finalement, juridiquement, par l’Acte de Québec de 1774. Mais comment les juges et les jurés de langue anglaise réussissent-ils à le mettre en application, eux qui doivent ajouter à leur méconnaissance des lois françaises le défi de la langue. Ils font appel aux notaires.

 

Ceux-ci ne quittent pas la colonie après la Conquête, bien au contraire, ils se renforcent comme groupe, devenant un passage obligé pour la population et les administrateurs. Même si leur pratique n’est pas reconnue en common law, les notaires voient leur charge renouvelée et en reçoivent de nouvelles comme conseillers des juges ou greffiers des tribunaux. Compte tenu de leur connaissance des droits des justiciables canadiens et de leur langue, c’est à eux que les juges prennent l’habitude de transférer des questions litigieuses pour arbitrage. La porte leur est également ouverte pour exercer comme avocat, une profession dont la pratique est interdite en Nouvelle-France. Par là, le groupe des notaires est bien positionné pour acquérir des charges de juges à la Cour des plaids communs – tribunal inférieur établi au point de départ en attendant que les Canadiens se familiarisent avec les lois civiles anglaises – ou à la Cour du banc du roi de district.

 

La naissance des lettres : un espace public témoignant d’une identité canadienne en devenir
Au lendemain du Traité de Paris, le commerce des lettres débute. L’imprimerie, absente au cours du Régime français, fait son apparition. Elle entraîne la naissance de journaux. À Québec d’abord, en 1764, William Brown, d’origine écossaise et Thomas Gilmore, probablement d’origine irlandaise, lancent The Quebec Gazette/La Gazette de Québec, un périodique bilingue qui tire une partie de ses revenus de la publication de documents émanant du gouvernement colonial. Montréal doit attendre en 1778 : arrivé avec les troupes d’invasion américaine comme imprimeur du Congrès, Fleury Mesplet, un Français d’origine, lance la Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal avec la collaboration de l’avocat Valentin Jautard. En cette époque de révolte des Treize Colonies qui envahissent le Québec et qui invitent les Canadiens à rallier leur cause, la liberté d’expression est contrôlée par le gouverneur et ses conseillers : le gouvernement veut éviter que les Canadiens soient incités à la déloyauté et accordent leur support aux insurgés américains. Éditeurs et journalistes doivent faire preuve d’une grande prudence dans les jugements portés sur l’administration coloniale et s’en tenir plutôt au domaine du commerce, des arts et des lettres.

 

Les premiers imprimés jouent un rôle irremplaçable dans ce qui devient la société bas-canadienne : ils contribuent à faire éclore une vie littéraire et donnent naissance à une opinion publique. Ils renseignent sur l’actualité quotidienne et diffusent des textes littéraires, des chansons – parfois à tournure politique quand le pouvoir colonial est en cause –, des poèmes inspirés par le changement d’allégeance, etc. Ils incitent ceux qui sentent posséder du talent pour l’écriture à quitter les correspondances privées pour exprimer, dans un espace public, leur opinion sur des enjeux de l’époque telle l’éducation de même que leur vision de la réalité qui les entoure. Les premiers écrits témoignent d’une « canadianisation » des mentalités et influent sur le sentiment identitaire en gestation : goût des Canadiens pour les rencontres, les jeux de société, la bonne chère; leur attachement à la France, celle d’avant l’exécution de Louis XVI, leur espoir d’un retour des Français; leur croyance en la protection du pouvoir royal britannique pour obtenir justice contre l’arbitraire de l’administration coloniale. Les opinions sur cette dernière demeurent toujours surveillées. Les louanges au roi George III, représenté par le gouverneur Carleton, adressées par les étudiants du Séminaire de Québec sont permises, mais non les attaques contre l’Église et la magistrature. Fleury Mesplet et Valentin Jautard l’apprennent à leurs dépens : de 1779 à 1782, ils sont emprisonnés.

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