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Louis-Joseph Papineau, le républicain

Louis-Joseph Papineau, le républicain

 

Par Jonathan Livernois
Coauteur (avec Yvan Lamonde) de
Papineau. Erreur sur la personne,
Éditions du Boréal, 2012.

 

Papineau. Erreur sur la personne

Crédit : Éditions du Boréal 

Qu’est-ce qui différencie, dans le Bas-Canada d’après 1840, un tenant du républicanisme et un défenseur du concept britannique de gouvernement responsable? Au premier abord, on pourrait croire que la réponse à la question est technique et qu’elle n’intéresse que les spécialistes des sciences politiques et de l’histoire. Pourtant, s’attacher à l’écart entre ces deux revendications, toutes deux légitimes, permet de révéler une erreur historique qui s’est insinuée dans nos livres d’histoire. Une erreur qui empêche de prendre la pleine mesure du parcours de Louis-Joseph Papineau (1786-1871), l’homme politique le plus important du 19e siècle bas-canadien.

On peut définir ainsi le gouvernement responsable : « gouvernement dans lequel les ministres du Cabinet doivent jouir de la confiance de la Chambre des communes [au Québec, on parlera de l’Assemblée nationale] pour se maintenir au pouvoir. Si la Chambre lui retire cette confiance, il doit démissionner ou demander le déclenchement d’élections générales1 ». On peut illustrer ce concept par la situation politique actuelle au Québec : le Cabinet, dont les membres sont issus du parti – le Parti québécois – qui a obtenu le plus de voix le 4 septembre 2012, doit obtenir l’appui de la majorité des députés sans quoi il sera défait et devra démissionner. Cette forme de gouvernement a été adoptée de manière définitive au Canada-Uni en 1848. Pour plusieurs historiens, politiciens et commentateurs, ce fut là une victoire différée pour les Patriotes de 1837 et de 1838. Grâce à l’esprit de collaboration et de conciliation du Haut-Canadien Robert Baldwin et du Bas-Canadien Louis-Hippolyte LaFontaine, les Canadiens auraient finalement obtenu ce que Papineau et les Patriotes n’avaient pas réussi à gagner par la violence et la rébellion.

Cette impression d’achèvement – de 1837 à 1848, la boucle serait bouclée – est fausse. Pendant la décennie 1830, les Patriotes et Papineau ne cherchèrent pas à obtenir le gouvernement responsable. Ils souhaitaient bien plutôt que le Conseil législatif (semblable à l’actuel Sénat), lequel bloquait systématiquement les initiatives de l’Assemblée, devienne électif. Plus encore, Louis-Joseph Papineau dénonça avec véhémence le gouvernement responsable tout au long de la décennie 1840, y voyant une trahison des idées républicaines, seules capables d’assurer la souveraineté du peuple : « Je suis bien persuadé que c’est dans un esprit faux et de supercherie que l’Angleterre a dit qu’elle donnait un gouvernement responsable, avec la distinction que ce ne pouvait pas être dans une colonie celui d’une métropole. Qu’est-ce donc qu’un gouvernement responsable qui ne l’est pas toujours, qui ne l’est pas souvent2 ? » On comprendra ici que l’enjeu principal, pour Papineau, est la rupture du lien colonial. Tant qu’il y aura un gouverneur et que les décisions seront prises par le Colonial Office de Londres, le gouvernement ne sera pas responsable et le peuple ne sera pas souverain. En ce sens, les institutions républicaines des États-Unis inspirent Papineau, qui adhère dès 1849 à l’idée d’annexion à l’Union américaine. L’homme envisagera même, quelques années plus tard, la création d’une fédération continentale qui unirait tous les pays d’Amérique. Ces prises de position, longtemps inédites parce qu’énoncées privément, ont été révélées grâce au travail pionnier de trois citoyens – Georges Aubin, Renée Blanchet et François Labonté – qui ont colligé et publié la correspondance complète de Louis-Joseph Papineau. Voilà un engagement civique exemplaire. C’est grâce à leur travail qu’Yvan Lamonde et moi-même avons pu écrire Papineau. Erreur sur la personne (Éditions du Boréal, 2012), essai dans lequel nous revenons notamment sur la fortune mémorielle de l’homme politique.

Papineau sera donc un républicain qui ne peut se satisfaire de l’obtention d’une liberté coloniale. Peut-on dire qu’il est un fils de la Révolution française? Il faut être circonspect. Même si Papineau est un grand lecteur de Voltaire et qu’il est d’accord avec l’esprit des Lumières, même s’il connaît bien Félicité de La Mennais et même s’il passe une bonne partie de son exil (1839-1845) en France, on ne saurait considérer l’homme politique bas-canadien comme un successeur de La Fayette. Comme l’a bien montré Yvan Lamonde dans Signé Papineau (Presses de l’Université de Montréal, 2009), les références françaises pendant la décennie 1830 sont rares chez les Patriotes. Leurs regards ainsi que celui de leur chef se tournèrent surtout vers le Sud. Pour Papineau, il n’était pas possible de régler le problème bas-canadien en important des solutions européennes, lesquelles émanaient d’un monde ancien, voire vermoulu. Seules les institutions américaines, celles du Nouveau Monde, pouvaient assurer le printemps de l’Amérique française, pour reprendre le beau titre de Louis-Georges Harvey. L’aiguille de la boussole n’oscilla guère jusqu’à la mort de Papineau, en 1871.
 

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(1) Réjean Pelletier et Manon Tremblay (dir.), Le parlementarisme canadien, 3e édition revue et augmentée, Québec, PUL, 2005, p. 526.
(2) L.-J. Papineau à Denis-Benjamin Papineau, 15 octobre 1844, dans Lettres à sa famille (1803-1871), texte établi et annoté par Georges Aubin et Renée Blanchet, introduction d’Yvan Lamonde, Québec, Septentrion, 2011, p. 307.
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