Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec
1. Les antécédents
L’intérêt de Charles de Gaulle vis-à-vis le Canada français (le Québec, mais aussi l’Acadie et les autres parties du Canada où l’on parlait français) date de son enfance (son père était professeur d’histoire) et de ses années de collège. Le fils Philippe de Gaulle, alors vice-amiral d’escadre, confie en 1977 au sujet de son père Charles de Gaulle: « Mais il est juste de dire que les questions relatives au Canada français étaient depuis longtemps dans le contexte familial et scolaire : j’en avais donc évidemment entendu parler par mon Père (Charles), entre autres. »iii
Ce n’est pourtant que plusieurs années plus tard, il a alors 49 ans, que se manifeste publiquement cet intérêt marqué. En pleine débâcle de la France, il lance le 1er août 1940 un appel au Canada français avec des phrases fortes : « Si loin que vous soyez de moi, je n’éprouve aucun embarras à vous parler. Je veux vous parler de la France. Et personne au monde ne peut comprendre la chose française mieux que les Canadiens français. (…)
« L’âme de la France cherche et appelle votre secours, le vôtre, Canadiens français. Votre secours, elle le cherche et l’appelle, parce qu’elle vous connaît. Elle sait quelle part vous avez dans le passé, dans le peuple, dans l’État auxquels vous appartenez. Dans ce pays, dans ce peuple, dans cet État qui montent, elle connaît tout ce qu’il y a de puissance et d’espérance. (…)
« Enfin, l’âme de la France cherche et appelle votre secours, parce qu’elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l’avenir, puisque, par vous, un rameau de la vieille souche française est devenu un arbre magnifique; la France, après ses grandes douleurs, la France, après la grande victoire, saura vouloir et saura croire. (…) ».iv
Pour certains, et non des moindres, comme le professeur Maurice Vaïsse, cet appel « reste sans écho »v et donc sans portée significative. C’est pourtant très révélateur de l’état d’esprit de Charles de Gaulle. Chaque fois qu’il le peut, de Gaulle viendra au Québec. En juillet 1944, comme chef de la France libre, alors que la bataille de Normandie n’est même pas terminée, il prend la peine de consacrer quelques heures à Québec et à Montréal en plus d’Ottawa. Il y a là une constance qui dépasse le simple attachement sentimental à un rameau de la vieille souche française.
Il le note d’ailleurs dans ses Mémoires de guerre : « D’abord, rendant visite à la ville de Québec, je m’y sens comme submergé par une vague de fierté française, bientôt recouverte par celle d’une douleur inconsolée, toutes les deux venues du lointain de l’Histoire. »vi Poursuivant son périple à Ottawa, il poursuit : « Le Canada l’a suivi (le premier ministre Mackenzie King), avec d’autant plus de mérite qu’il est formé de deux peuples coexistants mais non confondus, que le conflit est, pour lui, lointain et qu’aucun de ses intérêts ne s’y trouve directement en cause. »vii Il louangera encore une fois la participation du Canada à la guerre de 1939-1945, lors de son voyage comme chef du gouvernement en août 1945, où il s’arrêtera uniquement à Ottawa. Pour résumer, il allie la reconnaissance envers le Canada et l’existence de deux peuples en son sein.
2. La situation politique intérieure en France, au Canada et au Québec
En France, de Gaulle est de retour au pouvoir depuis le 1er juin 1958. Chef de gouvernement, il lance un programme ambitieux de réformes : nouvelle constitution pour une Ve République, adaptation de l’industrie et de l’agriculture françaises au Marché commun européen, raffermissement monétaire par l’introduction du franc lourd, mise sur pied de l’armement nucléaire, pour ne nommer que celles-là, sans compter « la lancinante affaire algérienne ». La France est alors perçue comme un pays en plein essor.
Au Canada, après un long règne libéral de 22 ans, John George Diefenbaker, progressiste-conservateur, sera premier ministre du 21 juin 1957 au 22 avril 1963. Malgré sa défense de la citoyenneté canadienne universelle et des minorités ethniques, la hausse du chômage, une dévaluation du dollar et l’abandon du projet aéronautique Arrow finiront par miner sa popularité.
Au Québec, au cours de la période précédant la venue du président de la République française, Charles de Gaulle, la situation politique évolue rapidement. Le 7 septembre 1959, le premier ministre et chef de l’Union nationale, Maurice Duplessis, décède subitement. Lui succède un de ses ministres, Paul Sauvé, qui lui-même meurt le 2 janvier 1960. Un autre ministre, Antonio Barrette, devient alors premier ministre. Ainsi que les journaux le mentionnent, des élections générales étaient prévues au cours de 1960. De Gaulle viendrait donc dans une période pré-électorale.
3. La situation internationale
Avec de Gaulle, la France revient au premier plan sur la scène politique internationale. L’affaire algérienne s’internationalise, la France accélère la décolonisation de son empire, elle se dote d’un armement nucléaire, elle souhaite un plus grand rôle pour elle au sein de l’OTAN, alors sous la direction des États-Unis, elle entend, durant la guerre froide, faire valoir sa voix et influer sur les décisions lors des réunions au sommet réunissant les États-Unis, l’URSS, la France, le Royaume-Uni et la République fédérale d’Allemagne. Bien qu’opposé aux armes nucléaires, bien qu’appuyant toujours la France à l’ONU sur l’Algérie, mais avec réticence, bien que plutôt tiède vis-à-vis la volonté de la France de réformer l’OTAN, le Canada entretient néanmoins avec la France de très bonnes relations diplomatiques, même si celles-ci ont parfois tendance à se tendre, voire à se crisper à certaines occasions, comme par exemple « à la suite de la condamnation par Ottawa de l’intervention israélo-franco-britannique lors de la crise du canal de Suez de 1956 »viii .
Notes