Le 17 mai 1992, un grand rêve se réalisait dans ma vie : l’inauguration de Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal. Aujourd’hui, en cette presque veille de Noël, permettez-moi de revivre avec vous quelques étapes du parcours qui m’a menée à ce grand bonheur : diriger une extraordinaire équipe et, avec chacune et chacun d’entre vous, bâtir un lieu de mémoire, de découverte, d’expérience – de transmission.
Je suis née en Gaspésie, près de la mer. C’est une vraie chance, car de l’eau et du ciel à perte de vue, ça donne envie de rêver – et le rêve, selon moi, c’est le début de tout. Mais si la mer est belle, elle peut être terrible aussi… En voyant les pêcheurs à l’œuvre, j’ai appris très jeune à faire beaucoup avec peu et à tenir bon quoi qu’il arrive! J’ai eu, surtout, l’immense privilège de recevoir de mes parents des valeurs qui m’ont accompagnée ma vie durant. Comme l’importance d’être soi-même et de s’accorder la liberté de tracer sa propre route. Ils m’ont encouragé à oser m’engager sur les chemins peu fréquentés.
La jeune Gaspésienne que j’étais est partie étudier à Montréal. Première fille du village à faire des études universitaires, je reviens diplômes en poche, et je débute ma carrière comme professeure d’histoire au cégep. Comme bénévole, je participe à la définition du concept du Musée régional de la Gaspésie et je découvre ainsi ce qui deviendra vite une double passion : la préservation du patrimoine et la gestion de projet. Fascinée par ces champs de développement, je quitte l’enseignement pour me joindre à Parcs Canada, où je suis intégrée à une équipe interdisciplinaire. C’est une révélation : je n’en reviens pas de voir que tous ces spécialistes réunis autour d’une même table – géologue, architecte, archéologue, urbaniste – ont chacun une vision différente des projets discutés! Quel monde de possibles! Me voici donc, dirigeant la mise en valeur de 26 lieux historiques et de 4 parcs nationaux. J’ai 40 ans, un emploi en or, et on me propose le poste de directrice des expositions pour participer à la création du Musée de la civilisation, à Québec.
À la suite de cette belle réalisation, je fonde mon entreprise-conseil en muséologie, travaillant dès lors sur des projets au Québec, au Canada et à l’étranger. Et en novembre 1989, on me confie un projet exceptionnel, pour lequel je devrai exploiter la totalité de mes expériences : inventer et bâtir un musée au-dessus des vestiges de la fondation de Montréal. Ce sera le 14e musée d’histoire de Montréal, un « petit dernier » qui… devra prendre sa place.
Dès l’ouverture de Pointe-à-Callière, dans le cadre du 350e anniversaire de Montréal, la réponse du public est enthousiaste – et un an plus tard, le Musée du Louvre reconnaît le nôtre parmi les grands sites archéologiques du monde en m’invitant à un débat avec les directeurs de Pompéi, Louxor, Xian et Templo Mayor, en présence de 1000 muséologues venus de tous les coins de la planète.
De quoi lancer le Musée sur la scène mondiale, mais… encore faut-il fidéliser et multiplier les visiteurs. Pour moi, c’est par la rencontre avec d’autres cultures qu’on peut découvrir le mieux sa propre identité. En plus des expositions permanentes sur l’histoire de Montréal, donc, misons sur la réalisation d’expositions internationales en faisant venir chez nous de précieux objets de tous les continents! Que de souvenirs, les miens et les vôtres! Il m’arrivera plusieurs fois d’engager le Musée dans des négociations avec des pays lointains et dans des situations qui présentent un haut degré de difficulté. Il fallait y croire et développer avec confiance des stratégies spécifiques pour obtenir la permission d’exposer en exclusivité mondiale à Montréal, entre autres exemples, les manuscrits de la Mer morte.
Oui, travailler avec l’international, c’est s’exposer au grand vent comme jamais! Mais la crédibilité du Musée s’est bâtie réalisation après réalisation… et, jour après jour, exposition après exposition, les plus grands musées du monde nous ont, à leur tour, accordé leur confiance. En 28 ans de défis, d’apprentissages, de questionnements, de ralliements, Pointe-à-Callière est devenu une Cité de l’archéologie et de l’histoire unique au monde, qui relie en souterrain de nombreux sites archéologiques et bâtiments patrimoniaux de Montréal.
Je crois que c’est parce que Pointe-à-Callière a mis de l’avant des valeurs d’audace, d’accueil, de souci de la qualité, d’excellence du service à la clientèle, que chaque année – avant que la pandémie ne vienne torpiller ces succès, mais, encore un peu de patience, nos portes rouvriront! –, 500 000 personnes, de Montréal et de partout sous le soleil, nous faisaient l’honneur de nous visiter. Ces valeurs, qu’on m’avait transmises toute petite, ont nourri l’âme du Musée, et je sais qu’elles m’ont permis d’accompagner les équipes tout au long de notre croissance, qu’elles nous ont permis de bâtir ensemble ce musée auquel nous tenons tant.
Aujourd’hui, j’avoue avoir un peu le vertige à l’idée de laisser aller ces lieux chargés d’histoire, qui ont meublé mon quotidien… et j’ai un immense pincement au cœur : devoir dire au revoir à toutes les équipes du Musée, à nos partenaires, nos donateurs ainsi qu’aux administrateurs qui ont veillé à la bonne gouvernance du Musée et de la Fondation pendant toutes ces années. À chacune et chacun d’entre vous, merci d’avoir mis tant de créativité et d’énergie à rendre possible cette si belle aventure. Je remercie aussi sincèrement la Ville de Montréal, tous ses maires depuis 1992, ainsi que les élus et les équipes de la Culture, qui nous ont permis de développer des liens privilégiés et durables avec les citoyens.
Une chose est sûre : si j’ai fait évoluer les projets du Musée autant avec mes « tripes » qu’avec ma raison, je sais que les milliers de personnes qui ont posé ces pierres avec moi, une à une, ont cru, elles aussi, à ce rêve qui s’est mué en projets, puis en réalisations. Et je quitte le Musée avec le sentiment d’avoir réussi avec vous à faire œuvre utile en redonnant aux Montréalais leur patrimoine et leur lieu de fondation.
Je quitte aussi en sachant que je confie le Musée à une merveilleuse équipe qui a fait ses preuves et qui saura le mener au-delà des embuches actuelles vers un avenir serein. Avec Anne Élisabeth Thibeault à la barre, je suis confiante que l’équipe saura trouver son propre chemin et que Pointe-àCallière continuera de se déployer avec passion et à s’affirmer à titre de plus grand musée d’histoire et d’archéologie de la métropole : le Musée de Montréal.
Merci de tout cœur pour votre contribution et longue vie à Pointe-à-Callière!
Francine Lelièvre, directrice générale