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Bulletin n°27, décembre 2008

Activités de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) et de ses partenaires en France, à la fin de l’année du 400e anniversaire

Activités de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC)
et de ses partenaires en France, à la fin de l’année du 400e anniversaire

par Bernard Émont
CFQLMC, France


Tours et les fêtes du 400e anniversaire

Le quadricentenaire de la ville de Québec a été marqué à Tours par deux tendances fortes : une implication de la Ville et la participation unie des associations concernées (Touraine-Canada, Touraine-Québec, le Centre généalogique de Touraine, etc.). Les actions ont été conduites autour d’événements-phares :

Un Colloque sur les pionniers de Touraine en Nouvelle-France a été organisé le 26 avril 2008 auquel ont participé 150 personnes. Parmi les principaux pionniers « ressuscités » (sur près de 200 inventoriés) : Isaac de Razilly, Nicolas Denys, Charles de Menou d’Aulnay, le gouverneur d’Argenson, l’intendant du Chesneau, les administrateurs Simon Denys (et sa nombreuse, courageuse et prolifique famille), Denis Riverin, Louis Rouer de Villeray, Thomas-Jacques Taschereau. Sans oublier René Gauthier de Varennes, officier du régiment de Carignan, quatre Filles du Roi et une dizaine d’artisans de la « recrue » de 1653.

À l’issue du colloque a eu lieu le lancement officiel d’une souscription organisée par la Fondation du Patrimoine, le Crédit agricole et Touraine-Canada (www.fondation-patrimoine.com) pour réaménager et assainir l’intérieur de la Chapelle Saint-Michel, lieu de mémoire de Marie Guyard de l’Incarnation dont la vie aux multiples facettes, incontournable pour l’histoire de l’Amérique francophone, a donné lieu à quatre communications au colloque. Auparavant, une série de conférences culturelles avait préparé le public avec des exposés sur les plus notables pionniers et pionnières.

Dans le cadre de « TOURS SUR LOIRE » (7-8 juin 2008, sur les quais), ont eu lieu une série d’activités ludiques, canadiennes et québécoises, avec la journaliste Denyse Perreault et ses contes et légendes de l’Atlantique aux Rocheuses : démonstration de patchwork, danses et produits québécois ; spectacle « Les cailloux du Saint-Laurent » avec Christine Authier et sa troupe qui a honoré pionnières et pionniers en chansons. Toute l’année, Touraine-Québec a organisé des spectacles, mettant notamment en vedette Hélène Maurice, les tambours de Nouvelle-France, et d’autres artistes connus, tandis que Touraine-Canada a proposé des concerts et une initiation pédagogique à la musique médiévale et à celle contemporaine de Marie de l’Incarnation.

Les Journées européennes du patrimoine des samedi 20 et dimanche 21 septembre 2008 ont mis un accent tout spécial sur le 400e de Québec et sur le thème « Marie Guyard, Tours et le Canada ». Des visites, organisées par l’Office du tourisme et la Direction du patrimoine, demeureront.

Les 23-24 octobre 2008, pour l’anniversaire de naissance de Marie Guyard de l’Incarnation (28 octobre 1599) se sont tenues les Journées inaugurales de la première tranche des restaurations des tableaux de notre lieu de mémoire commun franco-canadien et franco-québécois (chapelle Saint-Michel) en présence des partenaires institutionnels, des élus et des représentants des autorités canadiennes et québécoises (voir photos).

Légendes des photos

miados
De gauche à droite :
Lydie Leblanc, doreuse sur bois (restauration des cadres)
Patrick Bourdy, vice-président chargé de la culture, Conseil général d’Indre-et-Loire
Françoise Deroy- Pineau, présidente de Touraine- Canada
Le tableau Adoration du Sacré-Cœur avec représentation de Marie de l’Incarnation (Auteur français inconnu du XVIIIe siècle, restauration 2008 (DRAC, Conseil régional 37,
Touraine-Canada, Ursulines de l’Union canadienne)
Gilles Durand, rédacteur en chef du Bulletin Mémoires vives de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs
Faddoul Khallouf, restaurateur de tableaux
Colette Girard, adjointe au maire, chargée des affaires culturelles, conseillère régionale
La vision d'Angèle à Tours

Ce tableau représente une religieuse ursuline. À sa droite, personnification de l’Europe (petite fille). À sa gauche, personnification du Canada (Améridien imaginaire). Dans le lointain, la mer, une embarcation. Dessous, une inscription, ajoutée au XIXe siècle. Ce tableau donne lieu à un débat de spécialistes : Angèle de Merici n’est jamais allée en Amérique, elle n’a jamais porté le costume de religieuse et son nom a été ajouté postérieurement. Ne s’agirait-il pas de Marie de l’Incarnation qui avait été oubliée au XVIIIe et surtout au XIXe siècle, au moment du rajout de l’inscription ?

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Un Colloque à Châlons-en-Champagne, les 24 et 25 octobre 2008 :
L’intendance, aux sources de l’administration locale.

L’association châlonnaise des Amis de Jean Talon dont la mission est de promouvoir le nom et l’œuvre du premier intendant de la Nouvelle-France et d’organiser des liens d’amitié entre Châlons, le Québec et le Canada, a souhaité s’associer à l’année du 400e anniversaire, en organisant les 24 et 25 octobre 2008 plusieurs manifestations, auxquelles la ville de Châlons-en-Champagne s’est associée, ainsi que l’ambassadeur du Canada, Marc Lortie, et son épouse, qui les ont honorées de leur présence.

Le colloque « L’intendance, aux sources de l’administration locale », organisé les 24 et 25 octobre 2008 au lycée Pierre Bayen, situé au cœur de la ville de Châlons-en-Champagne, a offert aux élus territoriaux, historiens et administrateurs l’occasion d’un portrait croisé entre la France et le Québec dans ses aspects historiques et contemporains dont l’intendance du premier intendant de la Nouvelle-France devait servir de fil d’Ariane.

Pour rappeler le point de départ commun tant en France qu’en Nouvelle-France, les Amis de Jean Talon avaient choisi comme premier atelier « L’intendance, un mode d’administration territoriale ». Il était présidé par Bruno Bourg-Broc, entouré de plusieurs invités comme Jean-François Pernot, maître de conférences au Collège de France (qui évoqua l’origine de l’institution à travers l’exemple – Champagne oblige –- de la généralité de Châlons) et Eric Leroy, professeur agrégé d’histoire (qui pour sa part retraça l’évolution de ce mode d’administration, en dressant le portrait du célèbre intendant Charles-Alexandre de Calonne). Raymonde Litalien, conservateur honoraire des Archives du Canada, évoqua la situation de la colonie de l’époque de Champlain, à la veille de la création de l’intendance en 1663, tandis que John A Dickinson, professeur à l’Université de Montréal, montra comment les intendants avaient, en Nouvelle-France, contribué à la modernisation de l’État.

Le deuxième atelier « L’intendance aux sources de la gouvernance territoriale » était consacré à l’évolution au Québec et en France, depuis lors, à partir de structures communes. Animé par Hervé Chabaud, journaliste et éditorialiste au journal l’Union, appuyé de Michel Biard, professeur d’histoire du monde moderne et de la Révolution française à l’Université de Rouen (pour la transition des intendants aux préfets) et Guy Chiasson, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec en Outaouais (pour l’introduction au gouvernement local du Québec), il fut couronné par une table ronde à laquelle participaient des élus locaux comme Jacques Chagnon, vice-président de l’Assemblée nationale du Québec, Alain Lambert, président du Conseil général de l’Orne, et Jean-Paul Bachy, président du Conseil régional de Champagne-Ardenne- ainsi que des universitaires – Anne Mévellec, professeur à l’École des hautes études politiques de l’Université d’Ottawa, et Jean-Claude Némery, professeur de droit public à l’Université de Reims Champagne-Ardenne– et plusieurs administrateurs (Roger Scott-Douglas, Bertrand Landrieu et Paul-Henri Watine). À partir de leurs expériences respectives, ils ont analysé la problématique de la gouvernance locale, s’interrogeant sur la pertinence des échelons territoriaux, sur leur devenir, sur la nécessité de la réforme et de la simplification de l’organisation territoriale, sur les modalités des liens entre les institutions et la population, apportant ainsi leur pierre au débat sur la gouvernance territoriale, sujet de première actualité tant au Québec qu’en France.

Le troisième atelier animé par Louis Duvernois, sénateur représentant les Français établis hors de France, a été consacré à l’œuvre que nous ont laissé les intendants. Sous le thème commun de l’intendant bâtisseur, Jacques Mathieu, professeur à l’Université Laval à Québec, a dressé le portrait de Jean Talon, bâtisseur de pays tandis qu’Isabelle Balsamo, conservatrice générale du patrimoine, notamment à travers l’exemple de Rouillé d’Orfeuil, dernier intendant de la généralité de Champagne, a évoqué l’importance de l’architecture et de l’urbanisme dans la fonction de l’intendant de Champagne au XVIIIe siècle.

Du thème de l’intendant bâtisseur, on passait aisément aux lieux de l’intendance qui constituaient le thème du quatrième atelier. La ville de Québec, à l’occasion de son 400e anniversaire, a redécouvert les vestiges du Palais de l’intendant, comme l’a rappelé Réginald Auger, directeur du Centre d’études sur la langue, les arts et les traditions populaires (CELAT) de l’Université de Laval. L’hôtel de l’intendance de Châlons, voulu par Rouillé d’Orfeuil, fit, quant à lui, l’objet d’une présentation et d’une visite par son restaurateur, Pierre-Antoine Gattier, Architecte en chef des monuments historiques.

Manifestations publiques :
Une exposition sur Jean Talon et l’inauguration de la place de Québec

En marge du colloque, la ville de Châlons a présenté du 22 au 31 octobre 2008, dans le péristyle de l’hôtel de ville, une exposition qui retrace la vie et l’œuvre de Jean Talon, ce châlonnais pionnier du nouveau monde (exposition conçue à l’initiative des Amis de Jean Talon qui réédite celle créée en 2004 pour marquer la création du portail numérique par les Archives nationales du Canada et les Archives de France www.archivescandafrance.org). Et le vendredi 24 octobre 2008, à la mi-journée, Robert Trudel, premier conseiller à la Délégation du Québec devait présider avec Bruno Bourg-Broc, maire de Châlons-en-Champagne, en présence de Marc Lortie, ambassadeur du Canada, de Jacques Chagnon, vice-président de l’Assemblée nationale du Québec, d’Alain Lambert, président de l’Association nationale France-Canada, à l’inauguration de la place de Québec. Un symbole pour la ville qui s’est ainsi associée à l’initiative lancée par le comité du 400e pour baptiser un lieu célébrant l’intensité des liens entre la ville et la capitale de la Belle Province. La place –ce n’est pas un hasard–, s’adosse à la maison natale de Jean Talon et est dotée d’un square pourvu en la circonstance d’un éclairage bleu et blanc, aux couleurs de la ville. C’est au son des « tambours de la Nouvelle-France » et sous un ciel sans nuages que les autorités ont dévoilé la plaque, et libéré les centaines de ballons aux couleurs de Châlons et du 400e.

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Vie interne de la Commission
 

Le 20 novembre dernier, la section française de la Commission a franchi un pas de plus dans sa structuration, en installant son Conseil scientifique, qui vise à concentrer son effort sur quatre secteurs particuliers – Archives, Animation de la recherche, Généalogie et Musées–, qui font chacun l’objet du travail de comités spécialisés, dont la présidence a été confiée à de grands spécialistes des domaines concernés : à savoir, respectivement, Geneviève Étienne, Philippe Joutard , Mireille Pailleux et Dominique Ferriot.

 

 

Crédits
photo 1 : NR/Christophe Gendry du 24/10/08 (manifestation du 23/10/08)
photo 2 : Maryonne Bohu : Tableau La vision d’Angèle Merici à Tours (37) , 1744, origine italienne. Restauration 2008 (DRAC, Conseil régional 37, Touraine-Canada, Ursulines de l’Union canadienne)

Contribution de BAnQ à l’occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec et du XIIe Sommet de la Francophonie

Contribution de BAnQ à l’occasion du
400e anniversaire de la ville de Québec
et du XIIe Sommet de la Francophonie

 

par Gilles Durand

 

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) apporte à la Francophonie une contribution marquée, riche et diversifiée à l’occasion du 400e anniversaire de la fondation de Québec et de la tenue du XIIe Sommet de la Francophonie.

Une Grande Bibliothèque numérique francophone

Depuis la création, en février 2006, du Réseau francophone des bibliothèques nationales numériques, BAnQ se préparait à jouer un rôle important. Le Réseau regroupait au point de départ le Québec, le Canada, la France, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, avant d’être étendu subséquemment à plusieurs grandes institutions documentaires des pays francophones du Sud. Les membres avaient alors convenu de placer au rang de leurs grandes priorités le renforcement de la présence du français sur Internet, tout en préservant et diffusant le patrimoine documentaire de la Francophonie, un patrimoine souvent peu accessible, parfois menacé et à l’occasion dispersé entre le Nord et le Sud.

Le Réseau peut profiter ( http://www.rfbnn.org/ ) d’un engagement généreux de BAnQ qui a accepté de concevoir et de réaliser le portail Internet commun à tous les participants de la Francophonie, de même que du soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui est intervenue pour élargir le Réseau aux pays du Sud et qui collabore à la formation à la numérisation..
Ce projet unique de préservation et de diffusion a été lancé à Québec le 18 octobre 2008, lors du XIIe Sommet de la Francophonie. Au fur et à mesure des ressources investies par les bibliothèques membres, le grand public, les professeurs, les chercheurs et les étudiants auront accès à une quantité croissante de matériel documentaire en format numérique (journaux, revues, livres, cartes et plans, archives, etc.).

AU SUJET DE L’OIF ( HTTP://WWW.FRANCOPHONIE.ORG/ ) ET DU SOMMET : Prenant naissance en 1970 sous le nom d’Agence de coopération culturelle et technique, devenue en 1995 l’Agence de la Francophonie 1970, l’OIF réunit actuellement 56 États et gouvernements membres, 14 observateurs ayant une langue commune en partage, le français. Elle est chapeautée par le Sommet, conférence biennale des chefs d’État et de gouvernement, par la Conférence ministérielle annuelle des ministres des Affaires étrangères ou responsables de la Francophonie, de même que par le Conseil permanent de la Francophonie, présidé par le Secrétaire général de la Francophonie et composé des chefs d’État et de gouvernement.

 

Un site Web enrichi : Les Relations France-Québec depuis 1760

Les Relations France-Québec depuis 1760 forment un site Internet (http://services.banq.qc.ca/sdx/rfq/static.xsp?page=accueil ) revu et enrichi à l’occasion du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Le site comprend une base de données de nature bibliographique sur la poursuite des échanges entre l’Hexagone et le Québec après la conquête anglaise de 1760, accompagnée d’informations contextuelles.

Le projet avait été lancé en 1993 par le Centre de recherche Lionel-Groulx auquel se sont jointes à compter de 1995 BAnQ et la Bibliothèque nationale de France (BNF), de même que 13 scientifiques québécois et français. À partir de 2006, BAnQ et la BNF poursuivent seules la mission d’inventaire d’origine.

Les internautes sont invités à redécouvrir des échanges, entre le Québec et sa mère patrie, de nature, politique, économique, sociale, culturelle et intellectuelle, qui atteignent leur maturité au cours des années 1960 et qui servent de fondement à une histoire qui continue de s’écrire. Ils trouveront :

  • une chronique des principaux événements, accompagnée de commentaires pour les faits les plus marquants ou typiques de ceux qui se reproduisent périodiquement, telles les expositions universelles,
  • de même qu’un inventaire, sous forme de base de données, donnant accès à des dizaines de milliers de documents de toute catégorie, tels des livres, articles de périodiques, mémoires et thèses, cartes géographiques, documents d’archives, etc.

 

Exposition La traversée des manuscrits

Fruit de la collaboration entre les Archives départementales de la Charente-Maritime, France et BAnQ, l’exposition forme un projet inédit mettant en valeur des contrats d’engagement des 17e et 18e siècles conservés aux Archives départementales. Parfois seuls témoignages des pionniers français qui ont quitté les rivages français pour l’Amérique, les contrats, pour la plupart notariés, sont accompagnés de notices descriptives, de transcriptions et de repères chronologiques.

Visiter l’exposition, c’est se familiariser avec un système retenu pour le peuplement de la Nouvelle-France, les engagements par contrat. Des artisans, domestiques et paysans s’engageaient envers des seigneurs, marchands, congrégations religieuses à se rendre au Nouveau Monde et à y travailler durant trois ans, moyennant transport par bateau, nourriture, salaire et possibilité, en bout de piste, de s’établir sur une terre ou de revenir dans la mère patrie. Même si la grande majorité a choisi la dernière option au terme du contrat, le système n’en demeure pas moins important, plus de 15 000 engagés ayant traversé l’Atlantique avant 1690, représentant entre 15% et 20% de l’émigration française.

L’exposition (http://www.banq.qc.ca/portal/dt/activites/expositions/expositions.jsp ) est en montre jusqu’au 15 février 2009 au Centre d’archives de Québec de BAnQ (http://www.banq.qc.ca/portal/dt/a_propos_banq/renseignements_generaux/centres_archives/centres_archives.jsp ).

 

Exposition L’État et le citoyen : du Régime français à la Révolution tranquille

Réalisée par BAnQ, l’exposition retrace, au moyen de documents d’archives, l’évolution de l’administration publique québécoise. Elle permet aux Québécois de revivre leur histoire, depuis l’époque où la colonie était structurée sur le modèle d’une province française avec gouverneur, intendant et Conseil souverain, jusqu’à la période actuelle, caractérisée par un personnel nombreux dans les différents ministères et organismes gouvernementaux. Les visiteurs pourront y voir les manifestations des décisions du pouvoir politique et de l’administration publique québécoise dans la vie des citoyens.

L’exposition (http://www.banq.qc.ca/portal/dt/activites/expositions/expositions.jsp ) est en montre jusqu’au 15 février 2009 au Centre d’archives de Québec de BAnQ (http://www.banq.qc.ca/portal/dt/a_propos_banq/renseignements_generaux/centres_archives/centres_archives.jsp ).

Le Conseil supérieur de la langue française procède à une troisième édition du Français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie

Le Conseil supérieur de la langue française
procède à une troisième édition
du Français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie

 

par Gilles Durand

 

conseil_supérieure

Crédit: Les Éditions Fides

En cette année du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec, le Conseil supérieur de la langue française a préparé, aux éditions Fides (http://www.fides.qc.ca/livre.php?id=280 ), une troisième édition du Français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie. Cette publication est la réédition intégrale du texte original, auquel on a ajouté une cinquième section pour tenir compte de la situation et des orientations depuis le début du 21e siècle, mais qu’on a dépouillé de son iconographie pour permettre un prix de vente accessible à tous.

Faisant appel à plus de 80 spécialistes, le présent ouvrage renferme 62 études – sans compter les 105 encadrés –, réparties dans 15 chapitres regroupés sous cinq sections – la cinquième section étant un ajout comme indiqué ci-dessus –, au total 680 pages. Chacune des cinq sections correspond à une période du parcours de la langue française considérée comme entité linguistique, milieu de vie et fondement de l’identité collective.

La première section est consacrée à la Nouvelle-France. C’est l’époque des conquêtes faites par la langue. Au cours de ce siècle et demi, le français est véhiculé par une population de même origine. Il s’impose à tous sous l’autorité du roi. Il est à la fois langue de l’administration royale, langue des affaires, langue commune à tous. Peu à peu, il se libère des parlers régionaux qui ont encore cours dans l’Hexagone pour se calquer sur celui de Paris. Les voyageurs constatent la qualité de la langue des Canadiens au milieu du 18e siècle.

La deuxième section dresse le tableau des 100 années qui suivent la conquête britannique de 1760. Le français est remplacé par l’anglais comme langue du pouvoir politique, de l’administration et des affaires. Il est banni de la chambre d’assemblée en 1840, mais les parlementaires continuent la lutte pour pouvoir s’exprimer en français. Par contre, dans la vie réelle, les Canadiens – ainsi appelés par opposition aux Français et aux Britanniques – sont majoritaires au pays et l’usage de la langue l’emporte sur son statut. Le pouvoir colonial n’a d’autre choix que de communiquer avec ses nouveaux sujets, les Canadiens, dans leur langue pour éviter qu’ils se joignent à leurs voisins américains ou qu’ils se rallient aux idées révolutionnaires de la mère patrie, la France. Progressivement, le français intègre un nouveau vocabulaire pour désigner des réalités nord-américaines, non sans subir cependant l’influence de l’anglais. Des linguistes commencent à se lever pour déprécier la langue, les anglicismes comme les mots de bon aloi qui y sont entrés pour désigner des réalités nord-américaines; pour eux, les Canadiens doivent s’aligner sur le français de Paris. Le mouvement se poursuit dans la deuxième moitié du 19e siècle.

La troisième section aborde principalement la période de la Confédération, soit les années 1850-1960. Le français acquiert un statut, mais il est placé sur le même pied que l’anglais dans l’ensemble canadien. Au fur et à mesure de l’accroissement de la population de langue anglaise, le français devient langue minoritaire dans l’ensemble canadien. Les Canadiens deviennent alors des Canadiens français, par opposition aux Canadiens anglais. Ils prennent graduellement conscience de leur infériorité. Les différents gouvernements québécois s’intéressent peu à la langue. Cependant, du côté des linguistes, de nouvelles voix s’élèvent pour ne plus souligner seulement la dégradation de la langue, mais aussi le côté positif de certains particularismes canadiens. La langue refait progressivement ses forces à travers les oeuvres littéraires, les maisons d’édition et les grands journaux.

La reconquête de la langue au cours des années 1960-2000 fait l’objet de la 4e section. Poètes et écrivains contribuent à faire apprécier davantage le français. Les Québécois deviennent de plus en plus convaincus que l’avenir de la langue s’inscrit à l’intérieur des frontières du Québec. Une attention est portée à la fois au statut et à la qualité de la langue. L’État réalise sa responsabilité en matière de langage : il ne peut s’en remettre au seul choix et à la seule initiative des citoyens. Il adopte en 1977 la Charte de la langue française ou Loi 101. Celle-ci donne au français le statut de langue officielle du Québec, elle en fait la langue de l’administration publique, la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Le français est la langue de tous les Québécois, les immigrants doivent inscrire leurs enfants à l’école française; par contre, la Loi concilie la primauté au français avec le respect des droits acquis de la minorité anglophone du Québec. C’est l’époque d’un retournement; la langue française sort de son état de dépréciation et s’affirme par la production d’œuvres littéraires, de lexiques, de dictionnaires, etc.

La cinquième section, un ajout pour la période 2000-2007, traite du nouveau défi qui se pose face à la mondialisation et à la venue d’une immigration nombreuse : l’unité de langue dans la diversité des cultures. Le français ne doit pas pouvoir compter uniquement sur les locuteurs nés dans cette langue et être réduit à une dimension ethnique. Il doit devenir la langue de tous les Québécois, ceux de souche comme les nouveaux venus. Il doit être non seulement langue d’usage public, mais aussi langue parlée à la maison, les deux usages étant de nature à se renforcer mutuellement et à assurer l’épanouissement du français. Par contre, au niveau de l’individu, le plurilinguisme est encouragé.

En vente aux éditions Fides (http://www.fides.qc.ca/livre.php?id=280 ), le présent ouvrage célèbre à sa manière un aspect de la merveilleuse histoire de Québec et du Québec. À travers ses articles et ses encadrés inspirants, le lecteur fera sûrement de nouvelles découvertes sur cette langue qu’il croit déjà bien connaître.

Origine du nom de la ville de Montréal – le regard du géographe

Origine du nom de la ville de Montréal
Le regard du géographe

 

Francis Bernier
Société Historique du Périgord
Société géographique de Paris

RÉSUMÉ
La toponymie semble démontrer que le nom de Montréal fut, en réalité, une variante de Mont Royal. Mais l’examen minutieux des premières cartes, notamment celles de Champlain, renforce l’hypothèse selon laquelle la métropole du Canada doit son nom à Claude de Pontbriant, seigneur de Montréal en Périgord.

Montréal vu du cielLe château de Montréal en Périgord a-t-il réellement donné son nom à la grande métropole du Canada ? Deux faits contradictoires entretiennent le doute encore aujourd’hui.

En juillet 1968, le maire de Montréal au Canada envoie une lettre au propriétaire du château périgordin, monsieur Henry de Montferrand, lui reconnaissant la très probable paternité patronymique de sa ville1. Mais dans un article publié dans la Revue d’histoire de l’Amérique française en 19922, monsieur Jean Poirier s’appuie sur la linguistique pour remettre en question cette paternité jusqu’alors soutenue par les historiens les plus autorisés tels que Gerald E. Hart (XIXe siècle) et Emmanuel de Cathelineau (1927). Le maire de Montréal a-t il eu tort de les écouter ?

Le 400e anniversaire de Québec donne l’occasion de rappeler que Samuel de Champlain fut un géographe citoyen au sens où il a mis ses compétences au service de la fondation de villes nouvelles. Comme Québec, Montréal est né du cerveau d’un géographe envoyé par le roi de France Henri IV, héritier par sa famille du comté du Périgord. Cet article a pour but de revisiter le débat sous l’éclairage qui fut le sien, celui de la géographie.

Notre méthode sera celle des géographes. Reprenons l’argumentation qui fonde la paternité périgordine du château de Montréal et la réponse que lui donne Jean Poirier. Comme toute enquête bien menée, nous les confronterons aux réalités du terrain.

I- HOCHELAGA ET MONT ROYAL (1545 – 1575)

Cartier nommant Pontbriant

 

Montréal au Canada

Le fait fondateur est la présence de Claude de Pontbriant, fils de Pierre de Pontbriant, seigneur de Montréal en Périgord aux cotés de Jacques Cartier lorsqu’ils débarquent sur une île du Saint-Laurent habitée par une bourgade Iroquoise3. Jacques Cartier désigne ce lieu sous le nom de Mont Royal. Comme linguiste, Jean Poirier remonte vers la forme la plus ancienne du mot Montréal au site de la ville. Ne la trouvant pas chez Jacques Cartier, il en conclut que son compagnon seigneur de Montréal n’a pas donné le nom de son château. Ce fait, en soit incontestable, relève en fait de la seule linguistique.

Si on adopte un regard de géographe, reprenons le texte de Jacques Cartier et suivonsle sur le terrain de sa découverte comme l’a fait Claude de Pontbriant4. « Nous marchâmes plus oultre et commençâmes à trouver les terres labourées (…) et parmi icelles champaignes est située la ville de Hochelaga ; près et y joignant une montagne qui est alentour d’icelle ».

Nous traversons d’abord une plaine cultivée où se trouve la « ville » que ses habitants appellent Hochelaga. Puis nous avons plus loin une montagne « dessus de laquelle on voit fort loin ». Pour Jacques Cartier, il y a deux espaces distincts : la plaine qui a pour nom Hochelaga et la montagne qui a pour nom Mont Royal. Le toponyme Mont Royal relevé par Jean Poirier ne concerne en réalité que la montagne et non pas la plaine peuplée5. C’est pourtant dès l’origine le site idéal pour l’habitation, puisque c’est celui déjà choisi par les indigènes. Si la montagne avait déjà son nom, restait encore à donner un nom à la ville que les premiers colons n’allaient pas manquer de construire à l’exemple des indigènes.

Jean Poirier affirme que le mot Montréal n’apparaît pas non plus dans les écrits et cartes postérieurs à Jacques Cartier. Mais tous les auteurs qu’il énumère (Fonteneau dit Alphonse et Cabot en 1554, Descelier en 1550, Mercator en 1569) se fondaient sur le seul récit de Jacques Cartier : la plaine insulaire conserve le nom d’Hochelaga6 et poursuit une destinée toponymique séparée de celle de la montagne nommée Mont Royal.

II- DE HOCHELAGA À MONTE-REAL ( 1575 – 1604 )

La plaine insulaire prend pour la première fois le nom de Montréal sous la plume de François de Belleforest en 1575. Dans le tome II concernant la Nouvelle France de « la cosmographie universelle de tout le monde » de Sebastien Munter7, il écrit : « Approchant de la plaine de Hochelaga, ils virent les champs labourés et au milieu de la campagne est le village ou cité royale laquelle ville les chrestiens appelerent Mont-real.

Pourquoi ce changement dans le toponyme de la plaine insulaire ? Jean Poirier donne une réponse toujours d’ordre linguistique. Selon Walter von Wartburg, spécialiste de la linguistique historique, les auteurs du XVIe siècle remplaçaient indifféremment real et royal. Montréal serait une variante du toponyme initial Mont Royal. Mais ce dernier toponyme désigne la montagne et non pas la plaine insulaire concernée par ce nouveau nom qui remplace Hochelaga à la différence de l’exemple qu’il donne : le cap Royal désigné ainsi par Jacques Cartier à Terre Neuve devient sur la carte de Descelier cap Real. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un seul et même lieu. Dans l’île découverte conjointement par Jacques Cartier et le seigneur de Montréal, il y a désormais la montagne qui s’appelle Mont Royal et la plaine qui s’appelle Mont-real8.

Mais alors pourquoi Hochelaga laisse la place à Mont-real ? En excellent historien qu’il est, Jean Poirier donne la bonne réponse. Belleforest rend fréquemment hommage au vénitien géographe Giovani Battista Ramusio. Celui ci dans son troisième volume des « navigazione viaggi » publié en 1556 représente la plaine insulaire avec son village entouré de palissades et ses champs de blé non par le nom Hochelaga mais par celui de Monte-Real9. Nous sommes encore à une époque où les géographes recopient Jacques Cartier. Mais si le vénitien Ramusio avait voulu écrire Mont Royal, il aurait écrit en italien Monte Regale ou Monte reale.

Jetons, là encore, un regard de géographe politique. La grande puissance coloniale de l’époque est l’Espagne qui a supplanté le Portugal. En Sicile par exemple, terre longtemps occupée par les Espagnols, le cardinal de Médicis possédait l’évêché de Monreale. Ce Médicis avait obtenu de son oncle le pape Clément VII que le partage des colonies entre l’Espagne et le Portugal ne concernât que les terres connues et non les terres à découvrir, ce qui ouvrait la voie aux explorations du Canada. Après l’échec du florentin Verrazano (1524), François 1er choisit le malouin Jacques Cartier pour une nouvelle expédition (1534). Il est vraisemblable qu’il ait choisi parmi ses courtisans un homme à la fois proche par sa souche malouine de Jacques Cartier et proche par le nom de son château de ce Médicis de Monreale. Ce sera Claude de Pontbriant, fils du seigneur de Montréal. Il convenait de l’honorer par sa position à la cour, mais aussi par le nom de son château. Monreale, montreal, ces deux mots circulaient depuis longtemps lorsque Belleforest s’en saisit pour désigner cette plaine insulaire. Les « chrestiens », entendons les hommes d’église10, commencent à rêver de s’y installer. Hochelaga étant le nom de la « cité royale » indigène, il fallait trouver un nouveau nom acceptable par l’entourage royal. Ce fut Monte-Real à mi-chemin entre des influences où domine alors le projet religieux.

Mais quelle religion : la catholique à dominante missionnaire ou la protestante à dominante marchande? La toponymie reflète cette incertitude : la carte publiée par Lescarbot en 1609 continue d’utiliser le mot indigène Hochelaga pour désigner la plaine insulaire. Avec l’avènement sur le trône du prince protestant Henri de Navarre comme roi de France catholique, le compromis permet une relance du projet colonisateur. Désormais il ne s’agit pas seulement d’explorer, mais d’informer des colons s’installant sur les terres découvertes ayant à la fois un projet missionnaire et un projet marchand. Dans ce but le roi Henri IV désigne un géographe pour suivre ses expéditions au Canada : un homme du Saintonge protestant, Samuel de Champlain.

III- ENTRE MONTE-REAL ET MONTRÉAL (1604 – 1632)
Avec Champlain, la carte n’est plus simplement table de navigation ou cartulaire décoratif. Les noms de lieux (toponymie) sont associés à d’autres informations : faune, flore, activités des habitants par une nomenclature renvoyant à un texte. À la suite de ses trois voyages au Canada (1604,1606,1608), Samuel de Champlain établit ainsi les premières cartes réellement géographiques du Canada français. Qu’y voyons-nous sur le site découvert conjointement par Jacques Cartier et Claude de Pontbriant ?11

La première carte est éditée en 1612 sous la régence de Marie de Médicis , parente éloignée du cardinal propriétaire du fief sicilien Monreale. Le lieu découvert conjointement par Jacques Cartier et Claude de Pontbriant est indiqué par une colline surmontée d’un mot mal calligraphié commençant par Mon et finissant par real sans que le T apparaisse clairement, permettant d’identifier soit Montereal soit Montréal. S’agit-il d’une simple négligence ou d’une intention de satisfaire toutes les lectures possibles ? Des influences concurrentes, nous l’avons vu, poussaient à remplacer le nom indigène Hochelaga par le nom plus « chrestien » de Mont-real. Depuis la « combinazione » de Machiavel importée en France par les Médicis, on sait que le flou et l’ambiguité sont les matrices du politique12.

Avec la seconde carte de 1632, le contexte politique change. Le jeune roi Louis XIII a pris le pouvoir. Il prend pour premier ministre Richelieu qui encourage la colonisation du Canada en favorisant la création d’un consortium de nobles fortunes, d’armateurs et d’hommes d’affaires, la Compagnie des Cent Associés. Elle dispose d’une protection par le monopole à la fois économique (la colonie doit commercer uniquement avec ses investisseurs métropolitains) et religieux (catholicisme obligatoire). Nous retrouvons le double projet à la fois missionnaire et marchand avec désormais une dominante économique. Cette nouvelle carte est pour la première fois conçue comme un guide destiné à convaincre les investisseurs et candidats à la colonisation. La nomenclature est plus précise et les mots écrits en lettres romaines imprimées.

À l’emplacement qui nous intéresse, la carte nous indique deux chiffres 74 et 76 mais pas 75. Or, sur la nomenclature imprimée, c’est au 75 que nous lisons « Isle de Mont-real ». Néanmoins au 76 la nomenclature indique « deux isles dont celle de Mont-real, où on fait la traite depuis plusieurs années avec les sauvages ». C’est en effet le principal argument dont dispose le roi pour attirer les entrepreneurs dans cette partie de la colonie. Champlain a donc choisi le terme utilisé dès 1575 par François de Belleforest pour désigner l’espace où la couronne de France souhaite installer la base commerciale la plus ouverte aux routes fluviales de l’intérieur : le Saint-Laurent et l’Outaouais vers l’ouest et vers l’est la rivière qui va prendre le nom du ministre colonisateur Richelieu. En dépit de cette nouvelle imprécision, volontaire ou non, observons que le terme utilisé n’est ni Monreal (Sicile) ni Monte-real (Venise). Mais ce n’est pas non plus tout à fait le Montréal en un seul mot du château périgordin. Ce dernier terme n’apparaîtra dans sa forme définitive qu’un siècle plus tard.

IV- DE MONT-REAL À MONTRÉAL (1632 – 1720)
L’une des premières cartes donnant à la plaine insulaire le nom de Montréal date de 1720.Nous sommes alors sous la Régence qui a suivi la mort du roi Louis XIV. Pendant le règne du Roi-Soleil, le toponyme de la carte de Champlain n’est pas encore totalement adopté par les élites coloniales. Jean Poirier signale dans son article p.402 que le gouverneur de Trois Rivières, Pierre Boucher, écrit à Louis XIV : « Mont Royal qui est la dernière de nos habitations est située dans une grande isle nommée Isle de Mont Royal »
13. Le gouverneur de Trois-Rivières ignorait-il les cartes du territoire voisin ou voulait-il flatter le Grand Roi qui l’avait reçu à Versailles ? Le projet colonial de Louis XIV sous l’influence des Jésuites était redevenu plus missionnaire que marchand. La compagnie du Saint Sacrement sous l’impulsion du marquis de Villeneuve donne à la plaine insulaire le nom de « Ville Marie » appuyé par tous les ordres religieux engagés dans la reconquête catholique : Récollets, Jésuites, Sulpiciens. La révocation de l’édit de Nantes en1685 a consacré la rupture entre le projet protestant de colonisation à dominante marchande et le projet catholique à dominante missionnaire qui prend alors le dessus. Selon les propres termes d’une lettre envoyée par un Jésuite à cette époque : « toute l’ile est devenue un immense couvent » où indiens et sujets du roi ne forment qu’une seule communauté14.

Avec la Régence et l’expérience de la banque Law, l’économie revient au premier plan des préoccupations royales : le faible peuplement de la colonie en comparaison avec celui de la NouvelleAngleterre commence à inquiéter. La « grosse aventure » vers l’ouest est de nouveau autorisée comme au temps de Champlain. La ville bâtie depuis Champlain au pied du Mont Royal commence à redevenir un entrepôt de fourrures où les fabricants de chapeaux sont autorisés. Le projet initié dès l’époque de Belleforest et repris par Champlain missionné par le roi Henri IV reprend vie sur le territoire découvert par Jacques Cartier et le «fils du seigneur de Montreal ». Le terme « Ville Marie » n’apparaît plus dans les cartes pour laisser la place à Montréal, toponyme du château périgordin. On peut y voir une simple commodité d’écriture : un mot est plus simple et plus courant pour désigner une ville que deux mots séparés. Mais donnons la parole aux géographes. Dans un ouvrage collectivement rédigé par des géographes français et québécois15, nous lisons dans le chapitre consacré à Montréal intitulé « La cle de l’ouest » : « C’est à Samuel de Champlain que doit revenir le crédit d’avoir choisi le site de la future ville de Montréal ». Quel est ce site ?

Nous savons déjà que dès sa découverte, on distingue la montagne qui prend le nom de Mont Royal et la plaine insulaire qui va changer de nom parce qu’elle va changer de propriétaire. Lorsque Samuel de Champlain lui donna le nom de Monte-Real, l’espace qu’il baptise ainsi est déjà une ville nouvelle construite sur la plaine initialement parcourue par Jacques Cartier et Claude de Pontbriant : entre le fleuve en amont des rapides de Lachine et la montagne au nord. Entre les deux, une haute terrasse limitée par l’actuelle rue Sherbrooke. Immédiatement en contrebas de cette haute terrasse, c’est la basse terrasse s’étendant jusqu’au fleuve. Cet espace est raviné par un système de vallées au fond desquelles coulent des petites rivières. Le premier ruisseau, la rivière Saint-Martin prend en écharpe cette terrasse jusqu’à la hauteur de l’actuel Chaboillez pour se jeter dans l’autre rivière appelée rivière Saint-Pierre. Venant du sud-ouest, cette dernière débouche sur le fleuve Saint Laurent où est construit le port. C’est ce site qui porte désormais le nom de Montréal et non la montagne. L’affirmation selon laquelle Montréal ne serait qu’une variante de Mont Royal ne résiste pas à cette visite sur le terrain. Deux espaces géographiquement différents ont eu naturellement deux noms différents.

Beaumont en Përigord

Mais pourquoi Montréal s’est substitué définitivement à Ville Marie ? Si on examine le plan de la ville nouvelle sur les bords du Saint-Laurent au XVIIIe siècle, on constate qu’elle a d’évidentes ressemblances avec la bastide de Beaumont en Périgord. Une voie centrale en hauteur conduit à l’église et à la place du marché. En contrebas au sud une voie dessert la vallée de la Couze avec ses moulins et ses forges débouchant sur l’axe marchand de la Dordogne. Champlain connaissait-il le plan de cette bastide en Périgord avant de s’en inspirer sur les bords du Saint Laurent ? On sait que par ailleurs il a donné à sa première installation en Acadie(1604) le nom de Sainte-Croix, toponyme que l’on trouve également dans le voisinage immédiat de Beaumont. Champlain connaissait-il le Périgord ou a-t-il eu connaissance du plan de cette bastide ? Ces observations permettent d’énoncer une hypothèse. Le roi Henri IV comte du Périgord connaissait le château de Montréal et la bastide de Beaumont. Il a pu recommander ces modèles à son émissaire au Canada. L’examen de la correspondance d’Henri IV permettrait de prouver cette connexion16.

CONCLUSION
L’observation du terrain où est né la ville de Montréal en la recoupant constamment avec le contexte historique de son développement nous a permis de revenir à la paternité du château périgordin de Montréal .Ce sont les cartes de Champlain qui ont joué un rôle décisif dans cette genèse en donnant la priorité au commerce seul capable d’attirer dans la cité en formation une population croissante. L’expérience passée des bastides franco-anglaises de Guyenne où se trouvait aussi le château du compagnon de Jacques Cartier a pu inspirer le premier bâtisseur de la ville. Cette conclusion ne contredit pas celle de Jean Poirier. Ce collègue écrit en effet : « Finalement la colline conservera son nom originel de Mont Royal tandis que l’appellation Montréal servira à dénommer l’île où est située cette colline et plus tard la ville ».
Il fonde cette affirmation sur la carte de Champlain de 1632.

Mr Jean Poirier invitait à une étude plus poussée de cette carte .Cet article a entamé ce travail qui reste à poursuivre notamment en ce qui concerne la correspondance d’Henri IV. Mais le contenu de cet article renforce une certitude. Le château de Montréal en Périgord est le seul toponyme en France qui, parmi les autres lieux dits Montréal, ajoute le plus d’arguments historiques et géographiques au seul argument d’avoir un nom équivalent à celui de la grande métropole du Canada.

NOTES

 (1) « De fait, les historiens sont généralement d’accord pour attribuer la paternité du nom de la ville de Montréal à monsieur Claude de Pontbriant dont votre famille possède le château ancestral en France », cabinet du maire, Ville de Montréal.
 (2) Revue d’histoire de l’Amérique française (RHAF), Vol. 46, No 1, été 1992, p. 36 à 44.
 (3) Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord (BSHAP), Tome CXXXII, 2005, article « Les Pontbriant en Périgord », p. 338.
 (4) Le texte original se trouve au British Museum de Londres, mais le premier texte imprimé se trouve à la Bibliothèque nationale François Mitterrand à Paris en microfilm au service des documents rares.
 (5) RHAF, 1992, même article, p. 38.
 (6) Par exemple la carte de Lescarbot de 1609 représente les deux lieux et les deux noms séparés. Bibliothèque nationale de France (BNF), Richelieu département, cartes et plans.
 (7) BNF, Richelieu, Paris, département cartes et plans, chapitre « de la Floride », p 2191, consulter www.bnf.fr BN. Opale plus, recherche avancée, auteur Belleforest, collection Documents numérisés, 5e notice, visualiser 3.
 (8) Contrairement à l’affirmation de Jean Poirier : « c’est la forme Montréal qui devait par la suite s’imposer au lieu de Mont Royal pour désigner l’île et la ville », RHAF, 1992, même article.
 (9) Ce plan, le plus connu, a été réalisé par l’Italien Gastaldi. Il est intitulé : « La terra de Hochelaga nella Nova Francia ».
 (10) En 1575, Philippe de Neri fonde l’Oratoire. Les catholiques et les protestants entrent à nouveau en négociation après la Saint-Bartélémy. La paix sera signée à Bergerac en 1577. Le pays respire à nouveau et les ambitions extérieures renaissent. Le moine Thévet fait un voyage en Amérique. Il publie une « cosmographie universelle » et expérimente à Angoulesme la culture du tabac.
 (11) La carte de 1612 est reproduite dans un ouvrage sur les premières cartes de l’Amérique en consultation libre au département cartes et plans de la BNF Richelieu à Paris.
 (12) La carte de 1632 est intitulée « Carte de la Nouvelle France augmentée depuis la dernière servant à la navigation faite par le sieur Champlain lequel a découvert plusieurs costes, lacs, rivières et nations sauvages », BNF, Richelieu, Paris, département cartes et plans, cote magasin GAC – 6108 (RES), support cartes imprimées.
 (13) Pierre Boucher, « Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle France, vulgairement dit le Canada ».
 (14) Extrait de la « relation des Jésuites » publiée par Charlevoix, « Histoire de la Nouvelle France », Livre IX.
 (15) Cet ouvrage publié au Québec avant 1992 étudie la géographie de Montréal avec la collaboration de Mr Blanchard, (http://catalogue.banq.qc.ca/cgi-bin/bestn?id=%5FZjow%2F%E2%7Dt%2DJQNFwwdX&act=2&data=1 ), géographe français, spécialiste du relief alpin et son environnement naturel, urbain, économique. Le groupe universitaire d’études canadiennes poursuit actuellement cette tradition, relayée par d’autres sociétés de géographie de part et d’autre de l’Atlantique parmi lesquelles la Société de géographie à Paris.
(16) Consulter notamment le « recueil des lettres missives de Henri IV », Tome III, publié par Berger de Xivrey, BNF à Paris. Les archives publiques de la Dordogne possèdent les tomes I et II, mais réunissent les lettres antérieures à la période concernée.

4ème Séminaire sur les lieux de mémoire communs à Aix-en-Provence

4e Séminaire sur les lieux de mémoire franco-québécois
à Aix-en-Provence, 24 et 25 octobre 2008

 

par Gilles Durand

 

Un séminaire de deux jours consacré aux
lieux de mémoire franco-québécois

 

Associations Aix-en-provence séminaire 2

Crédit : revue France Québec Magazine
Les 24 et 25 octobre 2008, un séminaire de deux jours, le quatrième de la série , a été tenu à la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme de l’Université d’Aix-en-Provence pour souligner le lancement du premier d’une série de douze guides sur les villes et les villages des régions de France qui conservent des liens avec le Québec. La programmation (http://www.francequebec.fr/index.php ) avait été élaborée par la Régionale Terres-de-Provence-Québec du réseau France-Québec et par la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC), section France.

 

 

Un projet qui se veut un rappel à tous les Français et Québécois
du legs de la France au Québec et à l’Amérique française

Le coordonnateur et la coordonnatrice des guides pour l’ensemble des régions de France, Gilbert Pilleul, secrétaire général de la CFQLMC, section France, et Janine Giraud-Héraud, présidente de Terres-de-Provence-Québec et administratrice du réseau France-Québec, ont présenté l’origine et la signification du projet et sa mise en œuvre. Les résultats obtenus témoignent de la générosité des gens qui ont travaillé d’arrache-pied pendant des années et de la qualité du travail effectué : des informations de nature textuelle, cartographique et photographique rassemblées sur tout le territoire de l’Hexagone, un premier guide tout frais sorti des presses sous le titre « Ces villes et villages de France, …berceau de l’Amérique française – Provence-Alpes-Côte d’Azur – Languedoc-Roussillon », onze autres à paraître en cours d’année – un pour chacune des grandes régions françaises. Les guides visent à rappeler le legs de la France – une population, le catholicisme et le droit civil comme l’a souligné, dans ce dernier cas, Armelle Le Bras-Chopard, professeure à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines – au Québec et, plus largement à l’Amérique française, de même que les origines françaises de cet héritage. Ils constituent une invitation à tous les Français et à tous les Québécois, particulièrement ceux présents au séminaire, à en faire l’acquisition pour mieux célébrer cet héritage commun, l’enrichir et le transmettre aux générations futures par tous les moyens possibles, système d’enseignement, itinéraires touristiques, etc.

 

L’expérience vécue dans la région

« Provence-Alpes-Côte d’Azur – Languedoc-Roussillon »

et dans d’autres régions de France

Janine Giraud-Héraud, assumant la responsabilité pour tout le territoire français en même temps que celle de sa propre région, a entretenu l’auditoire des démarches associées à la production du guide pour la région « Provence-Alpes-Côte d’Azur – Languedoc-Roussillon » : relever sur le terrain, pour chaque localité, les repères – plaque, résidence ancienne, château – témoignant de la naissance ou du passage d’un émigrant avant son départ pour la Nouvelle-France, vérifier les renseignements recueillis dans des ouvrages à caractère biographique, consulter au besoin les archives, prendre des photographies, localiser les lieux de mémoire sur des cartes, mettre en forme, à l’aide de l’ordinateur, l’ensemble des informations recueillies pour la publication, faciliter la recherche des pionniers, autant ceux qui ont quitté dans le cadre d’une fonction officielle que ceux qui ont fait la traversée pour mieux vivre de leur métier – au moyen d’index onomastiques. D’autres conférenciers ont également pris la relève de la coordonnatrice pour témoigner du dynamisme et de l’implication soutenue de leur région dans le projet, permettant à l’occasion de constater l’état d’avancement des travaux par un exemple – c’est le cas de Jean-Paul Pizelle qui a fait distribuer une brochure sur Ces pionniers haut-marnais en Amérique française.

 

Toute mémoire sans histoire peut devenir dangereuse

La mémoire franco-québécoise ne se nourrit pas seulement d’inventaires sur le terrain. Des conférenciers spécialistes ont traité des pièges à éviter dans la reconstitution du passé, de l’apport incontournable de l’histoire et des sciences humaines de même que des différentes formes que peut revêtir le patrimoine. Patrice Groulx, professeur associé à l’Université Laval, rappela la pertinence de ne pas hésiter à remettre en question notre connaissance du passé, car la mémoire, laissée à elle-même, peut trop facilement s’en remettre à des mythes et laisser place à l’imaginaire. Voir le texte intégral de la conférence. Philippe Joutard, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales, a insisté sur le rôle de l’histoire comme fondement de la mémoire pour établir et au besoin rétablir les faits du passé. Alain Roy, archiviste-historien de Bibliothèque et Archives Canada, et Jean François de Raymond, professeur associé à l’Université Laval, ont abordé, entre autres questions, les différents visages que peut prendre le patrimoine, traces physiques dans le paysage, courants d’idée, telle la pénétration des idées de Descartes en Nouvelle-France. Face à une mémoire sélective, simplificatrice, déformante, la collaboration entre historiens, chercheurs et experts de terrain s’impose.

 

Les archives, sources premières de la mémoire

Les recherches scientifiques, les publications savantes qui les font connaître, sont des outils auxquels les collaborateurs au projet de guide sur les lieux de mémoire doivent recourir, mais elles n’en demeurent pas moins des sources secondes. Rien d’étonnant à ce que les organisateurs du séminaire aient prévu une visite aux Archives nationales d’outre-mer, gardiennes des documents du premier empire colonial français. Martine Cornède, directrice du Centre d’outre-mer, s’est employée à démystifier les anciens documents témoignant de la période de la Nouvelle-France – du 17e siècle au début du 19e siècle. Elle a insisté sur les instruments de recherche (http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/caom/fr/) qui en facilitent l’accès, tels l’État général des fonds et la base Ulysse pour les images numérisées de l’iconothèque et de la cartothèque. Son exposé a été accompagné d’une présentation de documents originaux. Les participants n’ont pu manquer de quitter avec un avant-goût des découvertes enrichissantes que peut faire celui qui ose s’aventurer au service.

 

La collaboration s’impose entre chercheurs,
associations de volontaires et d’experts sur le terrain

 

Association Aix-en-provence séminaire

Crédit : revue France Québec Magazine

 

La lumière ne doit pas rester sous le boisseau. Des archives bien organisées et à la portée de tous, les publications en histoire qui font état des recherches, ne suffisent pas à maintenir vivante la mémoire collective. Par nature, celle-ci à tendance à oublier. Les rappels doivent être multipliés auprès du grand public : cérémonies, pose de plaques, tracés d’itinéraires touristiques, voyages de découverte, interventions auprès des responsables des programmes d’enseignement. Le moment ne pouvait mieux convenir pour laisser la parole à ceux qui président aux destinées des associations qui constituent un maillon de la chaîne reliant la France au Québec. De telles associations, dont la mission est de rassembler, constituent des milieux favorisant la collaboration entre spécialistes, volontaires et experts sur le terrain pour diffuser la mémoire franco-québécoise. Pour l’occasion, ont pris la parole : André Dorval, coprésident de la CFQLMC, section Québec, Pierre Provost, président national du réseau Québec-France, Marie-Agnès Castillon, présidente nationale du réseau France-Québec, Denis Racine, président de la Fédération québécoise des sociétés de généalogie, et Éliane Béguoin, vice-présidente de la Fédération française de généalogie.

 

 

Le mot de la fin

 

Le mot de la fin a été confié à Didier Poton, professeur et doyen, Faculté des lettres, langues, arts et sciences humaines de l’Université de La Rochelle. Face aux résultats bénéfiques de la coopération entre spécialistes et volontaires engagés sur le terrain – le projet des douze guides en constitue un bel exemple –, le conférencier a encouragé la participation aux activités des associations mentionnées ci-dessus pour l’avenir de la mémoire franco-québécoise. Ces associations ont accumulé de l’expertise à travers leurs activités passées et ont su trouver des réponses à des problèmes rencontrés qui, souvent, s’apparentent à ceux d’aujourd’hui. L’adhésion à ces associations de même que la consultation de leurs archives, pour retracer leurs options retenues, peuvent constituer autant de balises pour orienter l’action présente et future.

 

Un mot d’appréciation pour les organisateurs du séminaire

 

Association Aix-en-provence séminaire

Crédit : revue France Québec Magazine

Le 4e séminaire a été vivement apprécié de tous les participants. L’activité a été clôturée par un dîner de gala avec présentation théâtrale et animation avec le groupe musical québécois CHÂKIDOR, une soirée à la hauteur du succès obtenu par ces deux jours d’échanges sur les lieux de mémoire franco-québécois. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, pourquoi ne pas prolonger le plaisir en souscrivant au projet des douze guides des lieux de mémoire franco-québécois (http://www.francequebec.fr/index.php ).

 

 

 

1. Trois autres séminaires (http://www.cfqlmc.org/index.php/documentation#actes_des_colloques ) avaient déjà eu lieu pour définir les balises du projet de guides et cartes des lieux de mémoire franco-québécois, le type de données à recueillir et leur mise en forme pour la publication.

Colloque sur les relations France – Canada – Québec depuis 1760

Colloque sur les relations France – Canada – Québec depuis 1760

par Gilles Durand

 

Le second volet d’un colloque sur les relations entre la France, le Canada et le Québec

Les 14 et 15 novembre 2008 un colloque sur les relations entre la France, le Québec et le Canada a eu lieu à Ottawa, au Sénat du Canada. En fait, l’événement constituait la seconde partie d’un colloque à deux volets, le premier ayant déjà eu lieu à Paris, au Palais du Luxembourg, en mars 2008. Les deux organisateurs du colloque, Serge Joyal, sénateur, comme coordonnateur, et Paul-André Linteau, professeur à l’Université du Québec à Montréal, comme conseiller scientifique, se sont beaucoup investis dans la tenue de l’événement, en particulier parce le programme des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec faisait peu de place à la connaissance de l’évolution du pays.

Les conférenciers au colloque

Colloque relation Québec-France

De g. à d. le professeur Paul-André Linteau,
le sénateur Serge Joyal et le maire
de Bordeaux Alain Juppé.
Crédit : Jin Chen
La conférence d’ouverture a été prononcée par Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada. Elle avait trait aux liens entre le droit pancanadien et le droit français. Sept conférenciers se sont par la suite succédés pour présenter les relations entre la France, le Canada et le Québec sous différents angles :

  • Paul-André Linteau a tracé le bilan de quatre siècles d’immigration française au Québec et en terre canadienne;
  • Fernand Harvey, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique – Urbanisation, culture et société, et Yannick Gasquy-Resch, professeure à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, se sont partagés l’évolution des échanges culturels, le premier pour la période 1760-1960, la seconde pour les rapports depuis 1960;
  • Didier Poton et François Souty, professeurs à l’Université de La Rochelle, ont présenté les relations commerciales entre le Québec, sa mère patrie et le Canada au cours des années 1763-2008;
  • Enfin Jacques Palard, professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, et Max Nemni, professeur retraité de l’Université Laval, ont abordé le domaine politique, ses aléas depuis 1960, de même que l’impact des liens tissés sur les champs de bataille de France au cours des deux guerres mondiales.

 

De nouvelles explications sur l’attitude de la France à l’égard du Québec et du Canada


Le colloque a été vivement apprécié des participants. Il a permis de mieux comprendre la complexité des relations entre la France, le Québec et le Canada. Parmi les principales idées énoncées, mentionnons :

  • Le legs de la France, ou plutôt la parenté de langue, de droit civil et de religion, transcende tous les motifs qui expliquent l’attitude de la France à l’égard du Québec et du Canada. Il constitue autant de maillons de la chaîne entre les deux territoires que les événements de l’histoire n’ont pu briser. Comme l’a bien souligné Jacques Palard, « on choisit ses amis, mais on ne choisit pas ses frères et sœurs »;
  • L’immigration française, comme l’a rappelé Paul-André Linteau et qualifié John A. Dickinson1 – pour ce dernier, le premier des legs de la France au Québec et à l’Amérique –, n’a pas cessé complètement après 1760. Elle ira s’accentuant jusqu’à aujourd’hui;
  • Du côté de l’économie, Didier Poton et François Souty ont souligné l’intérêt des entrepreneurs, financiers et exportateurs français pour les ressources naturelles et le marché québécois. Le Québec constitue, pour sa mère patrie, une porte d’entrée en Amérique du Nord vers le marché canadien et américain – tout comme la France constitue pour le Québec une porte d’entrée en direction du marché de l’Union européenne;
  • Sous l’angle politique, le Canada représente pour la France un contrepoids à la puissance états-unienne. Le contexte change au cours des années, le rapprochement de la France et du Québec dans les années 1960 doit tenir compte de la période antérieure, par exemple le refus du gouvernement canadien de vendre sans condition à la France de l’uranium enrichi – les négociations achoppent en 1957 au moment où la France cherchait à se doter de l’arme atomique. La bonne entente entre le Québec et la France profite également de la montée concomitante du régionalisme et de la mondialisation : la France entretient des relations avec le Québec, un pays fédéré non souverain, tout comme certaines régions françaises le font directement avec ce dernier;
  • Du point de vue culturel, les échanges n’ont pas attendu la venue de La Capricieuse en 1855. Depuis toujours, intellectuels québécois et français ont partagé, comme l’a bien rappelé Fernand Harvey : importation de livres, copies de documents originaux, voyages et rencontres, etc. Pour la période très contemporaine, Yannick Gasquy-Resch a mentionné, entre autres, le rôle important joué par la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs de même que par les réseaux France-Québec et Québec-France – à ce chapitre, le conférencier et la conférencière ont su faire une démonstration éloquente que les exemples ne manquent pas.

Une publication pour revenir sur le sujet

Le colloque a été clôturé par le lancement de la publication France – Canada – Québec. 400 ans de relations d’exception (Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2008 – http://www.pum.umontreal.ca/ca/nouveau.htm ), et par une conférence d’Alain Juppé, maire de Bordeaux, sur les impacts de la mondialisation et la protection de l’environnement, lors du déjeuner de clôture. La publication renferme les textes des conférences prononcées durant les deux jours du colloque de même qu’à l’occasion du premier volet du colloque qui s’est déroulé à Paris. Le lecteur y trouvera les contributions enrichissantes d’auteurs qui avaient prononcé des conférences à Paris, Alain Beaulieu, John A. Dickinson, Françoise Le Jeune, Guy Martinière et Yves Frenette.

Consultez également le site Web du Sénat pour un communiqué de presse http://sen.parl.gc.ca/nkinsella/PDF/NewsRelease12nov08-f.pdf , et celui de l’ambassade de France pour l’intervention de l’ambassadeur de France au Canada, François Delattre
http://www.ambafrance-ca.org/spip.php?article2488 .

 

 

1. Nous faisons allusion ici à l’article de l’auteur paru dans l’ouvrage France – Canada – Québec. 400 ans de relations d’exception (Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2008 – http://www.pum.umontreal.ca/ca/nouveau.htm )

La Société de développement des périodiques culturels québécois : le président, Yves Beauregard, tient solidement la barre

La Société de développement des périodiques culturels québécois :
le président, Yves Beauregard, tient solidement la barre

 

par Gilles Durand

 

La Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP) fête en cette année 2008 son 30e anniversaire. Elle regroupe 46 publications à caractère culturel, histoire, patrimoine, littérature, etc. La présidence est occupée par Yves Beauregard, directeur-fondateur de la revue Cap-aux-Diamants, une revue de haute tenue qui fêtera prochainement son 25e anniversaire. Cap-aux-Diamants est une revue historique qui contribue notamment à faire connaître les lieux de mémoire franco-québécois.

Pour le président et son équipe, le défi à relever est grand. Il ne consiste pas tant dans le manque d’argent que dans la nécessité d’augmenter le lectorat. Rempli d’idées et de projets, le président mène la barque avec beaucoup d’enthousiasme. Mentionnons deux exemples :

  • Rejoindre davantage de jeunes en faisant appel à l’édition électronique et à Internet;
  • Augmenter le nombre d’abonnés et les fidéliser en mettant en place des promotions par champ d’intérêt ou par public cible.

 

Yves Beauregard est également membre de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC).

Pour en savoir davantage, consultez le cahier G du Devoir des samedi et dimanche 23 novembre 2008 aux pages 2 et 3. Deux articles présentent la SODEP et les revues d’histoire et de patrimoine.

Mémoire et histoire : un questionnement à renouveler

Mémoire et histoire : un questionnement à renouveler

(Texte lu au 4e séminaire sur les lieux de mémoire communs franco-québécois qui a eu lieu
à Aix-en-Provence le 25 octobre 2008, sur le thème « La Mémoire au regard de l’Histoire »)

 

par Patrice Groulx
Département d’histoire, Université Laval, Québec

 

Je vous remercie d’abord pour cette invitation très flatteuse, d’autant plus bienvenue que je ne connaissais pas Aix sinon par plusieurs Québécois de ma connaissance qui sont venus y étudier et qui en ont chanté les vertus.

 

J’ai l’intention de vous parler de la mémoire en regard de l’histoire avec le but de réhabiliter l’histoire face à une mémoire dont on sait qu’à côté de ses avantages réels pour une juste connaissance du passé, elle est l’objet de détournements de sens. Mémoire et histoire s’épaulent et sont indissociables, mais nous connaissons la tendance à donner à la mémoire toute la place dans nos rapports collectifs avec le passé, à l’imposer comme un devoir, et si on n’y prend garde, à l’instrumentaliser au détriment de la vérité que l’histoire cherche à dégager des réalités passées. Oui, il existe un devoir de mémoire, c’est indéniable, mais il y a aussi un devoir d’histoire, et c’est à titre d’historien soucieux que je m’adresse à vous. J’amorcerai mon exposé par un cas type, les contresens et faux sens de la mémoire de Champlain dans les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec. Je poursuivrai avec le sens de la devise du Québec, « Je me souviens ». Je terminerai sur la pertinence du concept de lieu de mémoire.

 

 

Le fantasme de Champlain

 

Il y a quelques mois, on m’a demandé de donner mon avis, à une table ronde dans le cadre des Fêtes de la Nouvelle-France, sur la question suivante : Qui est Champlain ? C’est naturel, tous les projecteurs sont braqués sur le fondateur de Québec, et ressortent alors les mille et une questions qu’on se pose sur son compte : était-ce un aventurier, un découvreur, un missionnaire, un fondateur ? Était-il catholique ou protestant ? Sincère ou dissimulateur ? Était-il le seul vrai fondateur ? A-t-il orchestré sa mémoire ultérieure ?

 

Ces questions sont passionnantes lorsqu’elles surgissent. Pour ma part, qui m’intéresse surtout aux usages sociaux de l’histoire, j’ai été un peu provocateur en répondant que Champlain est, entre autres attributs, un fantasme. C’est un terme de psychologie. Le dictionnaire le décrit ainsi : « production de l’imaginaire par laquelle le moi cherche à échapper à l’emprise de la réalité » (Le Petit Robert 2008). J’ai poussé un cran plus loin : Champlain est un fantasme des gens de pouvoir. À quoi chacun aurait pu s’exclamer : « Mais voyons, premièrement Champlain ce n’est pas un produit de l’imagination. Deuxièmement, qu’est-ce que mon « moi » a à voir avec lui ? Et troisièmement, les gens de pouvoir, ce n’est pas de ma faute s’ils se prennent pour d’autres. » À quoi j’ai répondu ce qui suit.

 

Premièrement : en effet, Champlain n’est pas un produit de l’imagination, mais on ne peut pas faire autrement que d’imaginer beaucoup de choses à son sujet. On n’a pas son portrait, alors on l’invente. Il y a bien des points obscurs dans sa biographie, dont le mystère de sa naissance, alors on propose des hypothèses : par exemple, il aurait peut-être eu pour père le roi Henri IV… Et puis, après l’avoir singularisé au XIXe siècle comme le seul véritable fondateur de Québec, ce qui est effectivement un produit de l’imagination, on se plaît aujourd’hui à imaginer d’autres fondateurs, à mon avis guère moins fantasmés, depuis le chef innu (montagnais) Anadabijou jusqu’à son vis-à-vis Henri IV, en passant par Dugua de Monts et Pont-Gravé. Le problème ne réside pas dans la présence du fantasme, mais dans l’usage qu’on en fait et dans les déterminations qu’il impose à la recherche.

 

Deuxièmement, qu’est-ce que mon « moi » a à voir avec lui ? On touche ici à l’identité. Si je tire ma fierté d’être un Québécois, et que pour moi un authentique Québécois doit être de souche exclusivement française et catholique, je vais préférer le Champlain qui veut faire rayonner la France, fille aînée de l’Église, dans les terres sauvages de l’Amérique. C’est par ce désir d’identité avec un fondateur recommandable que Champlain est devenu le « père de la Nouvelle-France », le « père du Canada français », le « père du catholicisme en Amérique », et on peut en allonger toute une liste. Mais si je considère — comme la majorité, je crois bien — que le sentiment d’être québécois n’est pas réductible à une seule personne qui serait une sorte d’ancêtre commun, effectivement je suis prêt à inclure parmi les fondateurs d’autres personnages que Champlain, et avec qui je peux aussi m’identifier sans trop de difficulté : des protestants, des commerçants et des Autochtones, pourquoi en aurais-je peur ? Mais chaque fois que je succomberai à cette « hantise des origines », pour reprendre l’expression de Marc Bloch, je m’éloignerai quand même du réel, qu’il fût passé ou présent.

 

Ce qui m’amène à mon troisième terme : Champlain est un fantasme des gens de pouvoir. C’est facile à démontrer, ça l’est moins à comprendre comment et pourquoi. Facile à démontrer : on n’a qu’à prendre les déclarations de la gouverneure générale et du premier ministre du Canada, que vous avez peut-être entendus, et dont on s’est bien amusé ou indigné chez nous : Champlain serait le premier d’une longue lignée de gouverneurs du Canada. Il faudrait bien s’arrêter à ce que cela signifie : les gouverneurs sont les représentants de la souveraineté royale. Or, cette souveraineté a changé avec la Conquête, elle est devenue anglaise depuis 1763. Même si la constitution de 1982 a créé cette fiction qu’Élisabeth II est, selon la formule consacrée, « la reine du chef du Canada », c’est-à-dire par décision du Canada, nous avons une reine anglaise. En somme, si vous suivez ce raisonnement, le Français Champlain est le fondateur de la souveraineté anglaise au Canada. Un pur fantasme du pouvoir.

 

Comment en est-on arrivé là ? Le vrai Champlain, si on revient à la question « qui est Champlain », a joué effectivement un rôle de gouverneur. Au XIXe siècle, quand ils commencent à écrire l’histoire nationale, de quel point de vue partent les historiens ? Ils travaillent avec des archives, et celles-ci sont les archives du pouvoir. Ces documents positifs, ces traces mémorielles et substantielles sont la matière première de l’interprétation historienne. Qui sont leurs interprètes ? Ce sont des gens qui travaillent tous dans l’orbite du pouvoir : le greffier François-Xavier Garneau, le prêtre universitaire Jean-Baptiste Ferland, le bibliothécaire-archiviste du Parlement Narcisse-Eutrope Dionne, le fonctionnaire Benjamin Sulte, le conseiller législatif Thomas Chapais, et ainsi de suite. Ce ne sont pas les universitaires d’aujourd’hui, mais des érudits consciencieux qui font carrière dans l’appareil judiciaire, étatique et clérical. Que produisent-ils ? Bien sûr, une histoire qui est celle que leur dit la mémoire qu’ils estiment juste, celle des documents, mais aussi qui colle explicitement aux idéologies, aux justifications ou aux projets des pouvoirs auxquels ils sont liés. Les fantasmes du pouvoir sont contagieux, et ils contaminent l’histoire que ces historiens imaginent.

 

Une des hantises des gens de pouvoir est d’asseoir leur légitimité. C’est dans la mémoire du pouvoir qu’ils la trouvent. Et comme ils aimeraient bien que tout le monde partage leurs fantasmes, ils inventent les grandes commémorations de l’histoire. Mais on ne commémore pas n’importe quoi ou n’importe qui. On choisit les meilleurs modèles. Et Champlain, naturellement, était de ceux-là.

 

Il faut rappeler qu’il avait lui-même dressé la table, pour ainsi dire, en réécrivant constamment les souvenirs de ses explorations pour se donner le beau rôle auprès de ses commanditaires. L’historien Mathieu d’Avignon a bien montré comment les premiers historiens ont gobé et répété les affirmations de leur héros. Champlain a donc fait l’unanimité quelle que soit la langue ou la religion. Dans la culture et l’identité politique des franco-catholiques – je le dis globalement, sans relever les nuances qui s’imposent – son souvenir permet de rappeler leur préséance dans l’exploitation civilisée du territoire. Les Amérindiens ne peuvent pas compter, parce que ce sont des prédateurs de ressources, et non des planificateurs. Les franco-catholiques peuvent ainsi asseoir leur droit à l’existence par antériorité. Dans l’identité culturelle d’héritage anglais, Champlain sert à rappeler, en creux, qui est le maître de l’heure. Il n’est donc pas le fantasme des mêmes pouvoirs, mais de pouvoirs concurrents qui tout de même sont appelés à cohabiter.

 

Au moment du tricentenaire des explorations de Champlain, à partir de 1904, il y a beaucoup de réponses à la question « qui est Champlain ». On lui érige des statues un peu partout. Heureusement, Québec avait pris la tête du mouvement en 1898, parce qu’entre 1907 et 1925, on voit apparaître un autre monument au Nouveau-Brunswick, deux en Ontario et trois aux États-Unis. Chacun de ces monuments décrit « qui est Champlain ». À Québec, on lui a donné une tête et des vêtements à la Henri IV, et tenant un document roulé qui établit ses titres sur le territoire ; c’est vraiment un fantasme de gratte-papier. Ailleurs au Canada, on le présente comme un explorateur avec une carte ou un astrolabe, et aux États-Unis, dans un costume évoquant les conquistadors espagnols.

 

Aux fêtes du tricentenaire de Québec, en 1908, Champlain est évidemment le personnage « historique » au centre des célébrations, mais les vraies vedettes, ce sont le prince de Galles — futur roi George V —, les gouverneurs, les premiers ministres, les grands prélats et leurs invités. Et on ne manque pas de souligner cette continuité entre Champlain et ses successeurs. En voici un petit exemple. Durant les célébrations, le ministre fédéral des postes, Rodolphe Lemieux, prononce un discours où il promet, puisque d’autres villes ont donné des monuments aux bâtisseurs du Canada, que lorsque le chemin de fer transcontinental sera achevé, « nous érigerons une statue — celle [du premier ministre et député de Québec, Wilfrid] Laurier. Nous la taillerons dans le granit des Montagnes Rocheuses ; nous lui donnerons comme piédestal le pic le plus élevé, et tendant largement ses bras vers l’Occident, elle dira aux voyageurs de l’avenir : voilà l’Asie ». Cette évocation du chemin de fer transcontinental, la grande entreprise du temps, celle qui doit relier l’Atlantique au Pacifique, c’est l’écho du grand dessein de Champlain, relier l’Europe à la Chine. Alors, qui est Champlain ? Mais voyons, le Champlain de 1908, c’est Laurier ! Et celui de 1909 ? Eh bien c’est le président américain William Taft! Car le même Rodolphe Lemieux, représentant le Canada aux fêtes du tricentenaire du lac Champlain, lui attribue, à lui aussi, le mérite d’accomplir le grand projet de notre héros grâce au parachèvement du canal de Panama.

 

En 2008, les choses se présentent autrement. En prenant l’histoire comme simple toile de fond et en organisant une impressionnante série de spectacles. À la place du prince de Galles, on est allé chercher Sir Paul McCartney. Pour remplacer la reine, on a mis la main sur Céline Dion. On s’est félicité du succès du « Moulin à Images » de Robert Lepage, le seul spectacle « officiel » qui ait été axé sur une présentation de l’histoire, et non d’artistes vivants. Comparativement aux célébrations de 1908, la proportion historique du contenu officiel a été beaucoup plus mince. Par contre, les nombreux amateurs d’histoire auront quand même été bien servis par une foule d’activités, de colloques, d’expositions et de publications. Mais ces initiatives ont été essentiellement décidées et financées ailleurs que dans le comité d’organisation gouvernemental.

 

Au final, le contenu historique du 400e est quand même des plus acceptables. Mais la présence de ce contenu n’est pas le fruit d’une décision prise au sommet. Les organisateurs ont délibérément écarté les historiens de leurs projets, alors qu’en 1908, ces derniers faisaient massivement partie de l’organisation. Est-ce un mal ? Honnêtement, je pense que non. Entre 1908 et 2008, l’histoire universitaire est devenue une connaissance plus détachée du pouvoir ainsi que de sa mémoire. C’est pourquoi les savants passent auprès du pouvoir pour des grincheux ou des trouble-fête qu’on préfère tenir à l’écart et qu’on n’emploie que pour « valider » les contenus. Je ne suis pas nostalgique de l’époque où la connaissance historique était asservie à la construction de la nation.

 

Est-ce que pour autant, à la question « qui est Champlain », ou « quel a été le rôle de Champlain dans la fondation de Québec », est-ce que nous, historiens, avons échappé aux fantasmes du pouvoir, j’en suis beaucoup moins sûr. Pour des chercheurs, il est difficile de sortir de l’orbite d’une tradition qui met certains personnages sur un piédestal et leur trouve toutes sortes de qualités. Du point de vue de l’interprétation scientifique, il est utile de chercher à trouver d’autres personnages qui puissent contrebalancer Champlain dans la fondation de Québec, comme on le fait avec Dugua de Mons ou d’autres, mais tant qu’on reste dans la logique de la fondation d’un ordre déterminé, on reste prisonniers du discours de la légitimité. Comme contrepoids au fantasme, il n’y a que le principe de réalité, qu’il est moins attrayant de défendre, mais qui nous permet d’effectuer des choix collectifs plus éclairés et qui ne nous interdit quand même pas de rêver et de céder à l’occasion au principe de plaisir mémoriel.

 

 

Histoire, mémoire, identité et rhétorique

 

(Note : cette section et la suivante reprennent quelques idées développées dans l’introduction à mon livre La marche des morts illustres ainsi qu’à un article à paraître aux Presses de l’Université d’Ottawa, « Les lieux de mémoire peuvent-ils rendre les collectivités francophones plus capables ? ».)

 

Pourtant, la mémoire n’est pas toujours, elle non plus, un refuge plaisant. Champlain personnifie la mémoire d’une fondation que l’on considère comme heureuse et que l’on fête en conséquence. C’est une mémoire fondatrice d’identités collectives, qui rassemble toutes sortes de gens autour d’images plus ou moins justes de l’histoire. Cette mémoire est une construction. Ici entre en jeu le ciment des figures de rhétorique, dont la commémoration fait un usage souvent immodéré. Pour bien comprendre l’articulation de la mémoire et de l’histoire, et je le dis franchement, pour contribuer à une mise en ordre des notions, j’ai passé en revue plusieurs auteurs. Les définitions que je vous livre ici ne sont pas les miennes, mais elles me permettent de situer sur un terrain maîtrisable la solidarité entre la mémoire et l’histoire. Ces quatre termes — mémoire, histoire, identité et rhétorique — se définissent donc ainsi. Schématiquement, la mémoire et l’histoire sont, pour reprendre l’expression d’Henri Moniot, des « mots-fleuves, dont le contexte d’emploi doit toujours guider l’appréciation ». Les historiens opposent habituellement le sens des deux vocables, et les définitions qu’en donne Henri Moniot résument bien l’état le plus répandu des concepts :

 

« L’histoire passe pour une activité critique, une enquête fondée sur l’étude de traces sérieuses […], cumulative, analytique, distante, soucieuse d’intelligibilité explicitement construite, aujourd’hui instituée et légitimée donc publique, faite pour être socialement utile mais après le détour et le temps d’une parenthèse savante. La mémoire passe pour affective, sélective, complaisante, synthétique, immédiatement utile, plurielle (en ce sens qu’il en est autant que de groupes et d’individus) et donc limitée, et possiblement privée, du moins si quelque légitimité instituée ne vient pas la bénir elle aussi. » (Moniot, 1994 : 225)

 

L’identité est aussi un terme polysémique, qui désigne à la fois un état objectif, une représentation de soi et une notion dont la difficulté d’emploi s’accroît lorsqu’on la transpose, comme on le fait avec la mémoire, de l’individu au groupe, et qu’on parle alors d’identité collective. Avec l’anthropologue Joël Candau, j’opte pour l’idée, appuyée par l’observation, « que des membres d’une même société partagent en commun des manières d’être au monde qui contribuent à les définir et qu’ils ont mémorisées sans en avoir conscience, ce qui est d’ailleurs au principe même de leur efficacité. De ce point de vue […] il peut y avoir un noyau mémoriel, un fonds ou un substrat culturel […] partagé par une majorité des membres d’un groupe et qui donne à celui-ci une identité dotée d’une certaine essence. » (Candau, 1998 : 17-18)

 

L’identité serait donc fondée sur une réalité d’ordre culturel, une représentation commune qui, à l’aide d’un soutien rhétorique, confèrerait à cette représentation un caractère essentiel.

 

La rhétorique, cette « technologie de persuasion », cimente les identités. Elle est constitutive de la transmission de la connaissance, mais pas sur n’importe quel mode. Il y a, dans la construction des savoirs concernant la société, une forme « holiste » de rhétorique qui fonde l’homogénéité présumée de la société. Les « rhétoriques holistes » seraient, pour reprendre les termes de Joël Candau, ces « totalisations auxquelles nous procédons en employant des termes, des expressions, des figures visant à désigner des ensembles supposés à peu près stables, durables et homogènes, ensembles qui sont conceptualisés comme autre chose que la simple somme de leurs parties […]. Ces rhétoriques holistes font partie de l’héritage de nos disciplines » que sont la sociologie et l’anthropologie, dit Candau, mais j’ajouterais l’histoire, qui a précédé et entraîné les sciences sociales dans cet usage (Candau, 1998 : 21-22).

 

Au final, la polarité mémoire-histoire permet de penser l’expérience du passé. À un pôle du spectre, la mémoire est la résurgence émouvante et émotive d’une expérience partagée. Elle est davantage dite qu’écrite. Grâce à la psychiatrie et à la psychogénéalogie — je pense aux travaux de Boris Cyrulnik ou d’Anne Ancelin Schützenberger — nous savons qu’elle peut même nous être transmise à notre insu par nos parents et nos ancêtres ; alors elle s’incorpore à nous et devient une seconde nature, nous prescrit des attitudes face au plus fort ou au plus faible, une expérience que les groupes dominés ou dominants pratiquent d’instinct. À l’autre extrémité du spectre, l’histoire est la rationalisation méthodique de la mémoire. Cette rationalisation passe par les traces écrites et la culture matérielle. Mémoire et histoire sont indissociables, ni totalement opposables, ni assimilables l’une à l’autre. La visée de la mémoire, a démontré Paul Ricoeur, est la fidélité à ce qui fut. Mais cette fidélité ne peut être qu’individuelle. Face aux témoignages contradictoires de mémoires présumées toutes fidèles, l’historien agit comme le juge. Car effectivement, il arrive que les témoignages ne concordent pas. L’ambition de l’histoire est d’établir une vérité, ou du moins une certitude, qui dépasse, ordonne et corrige la mémoire.

 

 

Quelques mots sur le devoir de mémoire

 

Le devoir de mémoire, à l’origine, lorsque cette expression est apparue, pour des auteurs comme Primo Levi, était un devoir de témoignage afin que le crime de la Shoah ne disparaisse pas avec les survivants. Nous savons qu’il est ensuite devenu l’argument de certains particularismes, qui par définition troublent l’ordre public, tel que compris par les majorités. On peut comprendre l’inquiétude de Pierre Nora devant la constatation que « L’histoire s’écrit désormais sous la pression des mémoires collectives » (Nora, 1978 : 400). En effet, si la mémoire, légère, virevoltante, évoluant sans contrainte, réussit à déséquilibrer l’histoire pondérée parce qu’elle a le bon droit pour elle, qu’est-ce que l’avenir réserve à la profession ? Mémoire et histoire, ces deux mots au sens symétrique et complémentaire vont-ils s’anéantir mutuellement, comme le craint encore Pierre Nora dans une récente entrevue (Nora, 2008 : 35) ?

 

Si l’expression « devoir de mémoire » est relativement nouvelle dans le vocabulaire social, ses fondements idéels remontent aux conceptions et aux rituels universels de la commémoration des morts. Elle s’est cristallisée au XIXe siècle sous la forme d’une historiographie commémorative accompagnée de dispositifs sociaux et savants tels que les célébrations de héros et d’événements fondateurs par la littérature, les beaux-arts et l’illustration, l’exhumation des vestiges par l’archéologie, la préservation de monuments historiques et la redécouverte ou l’invention de traditions. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il déborde dans le champ judiciaire et politique en prenant la forme des procès pour crimes contre l’humanité. Suite à ce débordement, le devoir de mémoire serait même devenu pour plusieurs chercheurs un «paradigme» nouveau d’envergure mondiale, du moins dans le contexte des politiques du pardon (Labelle et al., 2005 : 2).

 

Ce « devoir » foisonnant interpelle depuis une vingtaine d’années les historiens spécialisés dans l’étude des représentations collectives du passé. Plusieurs historiens s’élèvent contre le délitement de l’histoire par la mémoire. Pierre Nora, par exemple, estime que le danger réside dans le « fétichisme sacralisateur » de la mémoire (Nora, 1999 : 348), par la « boulimie commémorative » (en entrevue dans Le Devoir, Montréal, 27 septembre 2008, p. H-3) qui repousse l’enquête critique, tandis que Philippe Joutard dénonce les dérapages de la mémoire, le fait qu’elle devienne à l’occasion le « vecteur des intolérances » (Joutard, 1998 : 98).

 

Résumons les mésusages du « devoir de mémoire ». Il y a d’abord, écrit le philosophe Emmanuel Kattan, la « concurrence des victimes », qui découle du fait que dans notre société, le statut de victime « confère des avantages et des droits » (Kattan, 2002 : 70-71). Il y a ensuite, poursuit-il, une « préoccupation exagérée pour le passé [qui] nous détourne parfois des urgences du présent » (71) ; le devoir de mémoire peut alors avoir pour effet de « déplacer l’accent de l’action vers le souvenir » (72), la mémoire fonctionnant comme une « échappatoire ». « Cette exonération par le devoir de mémoire », enchaîne Kattan, « remplit une fonction analogue à celle du monument commémoratif » qui, « investi de tout le poids de la mémoire, nous libère de l’obligation de nous souvenir » (72).

 

Mais les débats que suscitent les appels au devoir de mémoire ne sont pas pour autant intrinsèquement problématiques. « Si nous «rejouons» parfois les conflits du passé, rappelle le philosophe, ce n’est peut-être pas tant parce que nous ne pouvons nous en libérer que parce que nous nous efforçons de prendre au sérieux et d’assumer les contradictions de l’histoire récente. Lorsque le passé continue de perturber l’espace du présent, cela signifie qu’il demeure pertinent pour la vie d’une société, que les enjeux qui animent cette dernière continuent d’être investis par la vie du passé. Peut-être alors l’absence de consensus sur la signification du passé est-elle un signe de santé pour une communauté qui, ayant perdu le fil narratif qui l’unissait à l’histoire et à ses ancêtres, met sans cesse en question la transmission de sa mémoire. » (Kattan, 2002 : 120)

 

C’est probablement ce rôle réparateur que Pierre Nora attribue à la mémoire lorsqu’il affirme, en conclusion d’une entrevue sur les lieux de mémoire, que « la mémoire n’est aucunement paralysante, mais au contraire profondément libératrice » (Nora, 1999 : 348). L’historien n’explicite pas son intuition, mais on peut inférer qu’elle découle de la conviction largement répandue que, comme le dit Kattan, « la liberté passe par la reconnaissance de ce qui nous détermine » (Kattan, 2002 : 118). La liberté résulterait donc de l’effort d’anamnèse, de la poursuite du souvenir dans ses retranchements.

 

Voici en somme deux possibilités : soit que la mémoire, dans son emploi tyrannique, conduise à l’intolérance, au repli, au communautarisme, soit que, dans son emploi sain, elle procure plus de liberté. C’est cette dernière fonction que préconise l’étude des lieux de mémoire. J’y reviens plus loin.

 

La mémoire collective, même tragique, donne donc du sens à l’espoir de l’humanité. Il est vrai qu’elle peut devenir obsessive et qu’elle contamine effectivement les mémoires individuelles, qu’elle emprunte parfois les accents déplaisants de la victimation, qu’elle encombre les délibérations de la société par un flux d’émotions. En fait, nous savons tous que rien ne la fera taire tant que l’expérience dont elle parle n’aura pas été reconnue, c’est-à-dire tant que la société au complet n’aura pas procédé à la réintégration des personnes ou des groupes dont elle émane. Elle pourrait ne jamais être heureuse, mais elle peut être apaisée. La reconnaissance du malheur imposé à une minorité devrait soulager l’ensemble de la société d’un lourd poids.

 

 

« Je me souviens » : Canadiens français inquiets et Amérindiens refoulés

 

Peut-être serions-nous plus indulgents pour la mémoire si nous nous rappelions, nous-mêmes, que l’histoire et la mémoire ont été longtemps confondues. Vous connaissez la devise du Québec, « Je me souviens ». Elle illustre bien la confusion originelle de l’histoire et de la mémoire. Dire « je me souviens », c’est de la mémoire, et non de l’histoire. Dans le phénomène du souvenir, on ne se souvient pas de tout un récit national d’un seul coup, mais d’une ribambelle désordonnée d’événements singuliers, de personnages, de mouvements qu’on raccorde les uns aux autres. Dans son contexte original, sur la façade de l’Hôtel du Parlement du Québec où elle est d’abord apparue dans les années 1880, cette formule, « Je me souviens », exprime la mémoire de l’Amérique française. Elle donne un titre à une décoration consistant en statues et en inscriptions, autant de souvenirs en pièces détachées des explorations, des fondations, de l’évangélisation, des combats, puis de la conquête anglaise et enfin l’obtention de la responsabilité politique. Elle exprime la mémoire de la nation canadienne-française, aujourd’hui québécoise, bien affichée sur le seul lieu de pouvoir un peu conséquent de cette nation. C’est une mémoire de survivance et une célébration de l’honorabilité des origines. C’est aussi celle des pouvoirs acquis par les Canadiens français avec la Confédération de 1867, en dépit d’une volonté d’effacement exprimée par Londres dans la répression du mouvement national et démocratique des patriotes. Sur la façade de l’Hôtel du Parlement, rien ne paraît manquer de nos « gloires nationales » — explorateurs, missionnaires, fondateurs et soldats —, ni même quelques Amérindiens primitifs et anonymes et deux « Anglais » au rôle contradictoire : Wolfe conquérant Québec, et Robert Baldwin, l’allié de Louis-Hippolyte LaFontaine dans la conquête de la responsabilité ministérielle. Pourtant, le mouvement patriote est significativement absent. C’est que justement, cette collection de souvenirs est un authentique souvenir-écran qui masque le traumatisme de la conquête, puis l’écrasement du mouvement national. Ici, la mémoire conjure et compense les revers de l’expérience historique.

 

Lire, dire ou affirmer « Je me souviens », au Québec, revêt un sens impératif, puisqu’il parle de la destinée d’une communauté tout à fait particulière : le Québécois existe par la mémoire de ses grands prédécesseurs. Implicitement, on lui recommande d’être fidèle à cette mémoire collective en agissant en conséquence de ce que le passé prescrit et dans le lieu tout désigné pour le faire : le Parlement, en effet, est un lieu de pouvoir. Cette devise a une portée promissive, en droite ligne avec la « mission providentielle » que le clergé catholique a formulée pour le Canada français : la terre promise est disponible pour quiconque saura se souvenir. Elle est de même portée, cette devise, je pense, que le « zakhor », le « souviens-toi » de la Bible adressé aux juifs, car elle réclame la même fidélité à un destin tout à fait singulier, celui d’une communauté minoritaire qui s’acharne à durer, même si l’expérience québécoise est très loin d’être marquée par les mêmes tragédies.

 

Nous disons « Je me souviens », mais il y a une autre mémoire que la majorité d’origine européenne a totalement occultée à l’aide de l’histoire officielle, c’est celle de son expérience amérindienne. Dans ce cas-ci, l’histoire a organisé l’oubli au point de contribuer à perpétuer des injustices séculaires dont nous ne savons plus comment nous dépêtrer. À l’échelle des tragédies mondiales, l’éradication des Autochtones d’Amérique est une des plus graves. Mais parce qu’elle date de longtemps et qu’elle n’a pas toujours pris la forme d’un crime de masse, on pense souvent qu’elle est l’effet d’une disparition « naturelle », l’expression de la dure loi de la lutte pour la vie. Des disciplines comme l’anthropologie se sont même constituées dans le creuset de cette croyance. Cette opinion commune pouvait se comprendre avant que l’histoire ne s’établisse comme connaissance scientifique et juste du passé, vers le milieu du XIXe siècle. Mais chez nous, l’histoire n’a pas fait autre chose, jusqu’à récemment, que contribuer à l’éradication des Autochtones. Nous avons bien produit au Québec, comme ailleurs dans le monde, quelques déplorations romantiques sur la chute malheureuse des « Peaux-Rouges », mais le plus souvent, notre science s’est acharnée à démontrer l’infériorité des peuples indigènes et leur inaptitude à se gouverner.

 

Comment expliquer cet aveuglement ? Bien sûr, il repose sur de très vieilles fondations d’origine européenne, notamment celle de « l’homme sauvage », ainsi que sur l’idée de l’inégalité des races. Il s’appuie aussi sur une pratique de spoliation insidieuse des territoires par l’usage d’alliances et de traités inégaux.

 

Pourtant, dans la foulée des Lumières et de la déclaration des droits de l’homme, ainsi que le déclin du commerce des fourrures, il aurait été naturel de considérer les Amérindiens comme les égaux des Blancs et de les sortir du statut de pupilles du Roi où ils ont été progressivement confinés. Or, lorsqu’on regarde les dates, une chose nous frappe : l’abolition de l’esclavage des Noirs a été décrétée dans l’empire britannique dans la même décennie 1830 que la création des réserves indiennes et que la consolidation du discours abolitionniste aux États-Unis. Il n’y a pas eu de mauvaise conscience à l’égard des Autochtones comme il y en a eu pour les esclaves. Pourtant, la création des réserves et du statut d’Indien relèvent d’une volonté explicite de faire disparaître les Amérindiens en les décourageant de rester d’éternels condamnés à mort. On a légalisé leur marginalisation sous le prétexte de les protéger des Blancs.

 

Les seuls à s’être élevés contre cette situation sont les Patriotes, ces républicains de souche française le plus souvent, mais aussi irlandaise, écossaise, anglaise ou américaine, qui ont pris les armes contre le pouvoir colonial et qui, dans leur déclaration d’indépendance du Bas-Canada, en 1838, voulaient rendre les Amérindiens égaux en droits. Les Patriotes voulaient donc relever la condition des Canadiens français et celle des Amérindiens conjointement. Ce désir était-il profond ? Masquait-il des intentions inavouées ? Si ce généreux projet d’émancipation avait réussi, quelle forme aurait-il pris et quelles en auraient été les conséquences ? On ne le saura jamais. Par contre on sait que l’État canadien, héritier du pouvoir colonial qui a écrasé le mouvement patriote, a poursuivi l’œuvre de destruction des Autochtones tout en sachant que, juridiquement, ces derniers conservaient des droits sur leurs territoires.

 

Ce qui est le plus odieux, c’est que des populations bien réelles, environ 80 000 personnes au Québec, et près d’un million à l’échelle du Canada, vivent aujourd’hui dans un état de sous-développement juridique, politique, économique et social que tout le monde tolère. Bien sûr, ils ne sont pas nombreux. Mais si les Autochtones pèsent sur la conscience québécoise, ce n’est pas en raison de leur poids démographique ou électoral, c’est à cause du poids moral de la dépossession de leur identité. Le statut d’Indien, il faut le rappeler, colle à une peau, la leur comme la nôtre, de la naissance à la mort. Il n’est pas nécessairement accompagné d’une surveillance tatillonne, tout comme le statut d’esclave n’entraînait pas celui de porter des chaînes en permanence. Mais c’est une catégorisation sociale indélébile et qui s’accompagne des pires misères. Si, paradoxalement, les Autochtones ne veulent pas perdre ce statut, c’est qu’il constitue une de leurs rares emprises juridiques sur le pouvoir de la majorité, en attendant mieux.

 

Bien sûr, il y a parfois des progrès marquants. Après des années de déni, l’État fédéral a offert des excuses, en juin 2008, pour le régime séculaire des pensionnats autochtones qui ont détruit des milliers de vies et qui visaient à saper les cultures ancestrales. Mais comme l’ont fait remarquer plusieurs leaders amérindiens, les Autochtones sont encore loin de détenir les outils de développement qui leur permettraient de s’épanouir dignement. Pire, le même gouvernement s’oppose à la Déclaration des droits des peuples autochtones, ratifiée par les Nations Unies en septembre 2007, au mépris de ses engagements antérieurs, et même si, concrètement, cette déclaration n’est ni exécutoire, ni contradictoire avec ses propres lois.

 

Cette position n’a presque pas été dénoncée au Québec, contrairement à la participation à la guerre en Afghanistan. Le « Je me souviens » de notre devise s’est arrêté à cet impensable de la condition québécoise qu’est la condition amérindienne. Et l’histoire enseignée s’est révélée inapte à surmonter cet obstacle. Dans la conscience des jeunes Québécois d’aujourd’hui, la condition amérindienne est littéralement dans un angle mort en dépit de grands efforts durant les dernières décennies pour la faire connaître avec moins de condescendance dans les programmes scolaires. J’ai donné un cours d’histoire du Québec à 70 étudiants l’hiver dernier, et j’ai insisté lourdement sur la présence amérindienne dans notre histoire et sur la quête de dignité des Autochtones. Seulement quatre d’entre eux ont mentionné la réalité autochtone dans le petit bilan de fin de session que je leur ai demandé à tous d’écrire.

 

L’histoire des historiens contribue même à anéantir les droits des Amérindiens devant les tribunaux, quand l’État le lui demande. Dans les procès qui ont cours sur les revendications territoriales, on demande aux historiens, par exemple, de contrecarrer la mémoire ancestrale de l’occupation du territoire par des faits documentés. C’est la mémoire fragile, le pot de terre indigène, contre le document solide, le pot de fer européen. J’ai moi-même brièvement participé à de telles recherches. Dans ces équipes, il y a des chercheurs bien intentionnés qui ne cherchent qu’à gagner honnêtement leur vie. On ne leur demande pas de presser sur la gâchette, car ce sont les avocats qui s’en chargent. Il faut s’interroger quand même : est-ce que les historiens ne fournissent pas les munitions des avocats ? Le seul alibi de ceux qui travaillent pour l’État est que les Amérindiens disposent maintenant des moyens de faire travailler des historiens pour eux. En somme, nous nous donnons l’illusion de nous battre à armes égales. C’est oublier qu’une longue mémoire de domination imbriquée dans la loi fausse continuellement les enjeux.

 

 

L’actualité du lieu de mémoire

 

Le projet des lieux de mémoire de Pierre Nora avait à l’origine pour ambition d’analyser dans quels lieux, quels « topoï » s’est formée, sédimentée et retransformée la mémoire nationale française afin de mieux saisir sa persistance et ses résonances contemporaines. À une étape assez avancée de son entreprise critique — car cette notion évolue —, il propose la définition suivante : « Le lieu de mémoire suppose, d’entrée de jeu, l’enfourchement de deux ordres de réalités : une réalité tangible et saisissable, parfois matérielle, parfois moins, inscrite dans l’espace, le temps, le langage, la tradition, et une réalité purement symbolique, porteuse d’une histoire. […] Ce qui compte pour [l’historien] n’est pas l’identification du lieu, mais le dépli de ce dont ce lieu est la mémoire. Considérer un monument comme un lieu de mémoire n’est nullement se contenter de faire son histoire. Lieu de mémoire, donc : toute unité significative, d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine mémoriel d’une quelconque communauté. » (Nora, 1992 : 20)

 

Défini ainsi, le lieu de mémoire est sûrement le lieu d’une désacralisation. Cette dernière opération est le préalable, pour les membres d’une collectivité, à une prise de décision, comme sujets politiques, de ce qu’ils veulent classer, ranger ou mettre en valeur dans leur héritage « d’ordre matériel ou idéel ». C’est en ce sens, lorsqu’elle est mise à distance, objectivée puis réappropriée, que la « mémoire libère ». Ériger des monuments écrits ou sculptés aux morts, rendre hommage aux disparus nous permet, soit de nous délier du regret de leur survivre, soit de nous encourager à dépasser leur œuvre sans leur porter ombrage. La mise en mémoire nous permet de nous tourner vers le futur sans renoncer à ce qui nous constitue.

 

On peut penser que les historiens sont les plus sûrs artisans de la désacralisation parce qu’ils abordent la mémoire comme des arpenteurs : ce territoire qui en impose et fascine par son ampleur, ils le quadrillent avec des instruments de mesure, le découpent et le rendent propre à une colonisation méthodique par la raison et dans un but de compréhension. Pourtant, ils ne sont pas au-dessus de tout soupçon lorsqu’ils opèrent. Leurs pratiques sont contradictoires. Ils alimentent les lieux de mémoire en leur donnant une caution scientifique, quand ils n’en sont pas carrément les inventeurs ; dans un mouvement contraire, ils peuvent en être les plus impitoyables critiques.

 

Cette ambivalence intrinsèque à l’opération historienne, qui se constitue à la fois à l’intérieur de la mémoire et prétend s’en détacher pour l’objectiver, est à la source du malaise exprimé par Pierre Nora. La notion de lieu de mémoire est un outil analytique efficace, puisqu’elle permet de « déplier » les mémoires et, le cas échéant, de désamorcer leur capacité de nuire. Mais à l’extérieur du champ historique, les entrepreneurs mémoriels — issus des champs politique et médiatique, en particulier — ont transformé la notion de « lieu de mémoire » en son contraire en proclamant l’obligation sociale d’un devoir de « mémoire » qui cristallise cette dernière dans bien des situations où s’impose d’abord un devoir de « compréhension ».

 

Entre l’apparition de la devise « je me souviens » et aujourd’hui, la sociologie et la méthodologie de l’histoire ont profondément changé. On peut parler d’une rupture mémorielle, pour reprendre l’expression de Krzysztof Pomian. L’histoire est devenue le mode d’accès dominant du public à son passé, en remplacement de la tradition. Le public se fait plus présent dans les affaires de l’État. Mais avec leur professionnalisation, les historiens ont pris leurs distances avec le pouvoir et avec la mémoire de ce pouvoir. Les sciences sociales ont établi de nouvelles normes dans la recherche sur le passé. L’histoire sociale est née d’une demande publique pour comprendre les phénomènes et les réalités que les sciences sociales ont mis au jour. L’histoire a aussi découvert la mémoire collective et elle s’est mise à l’étudier.

 

C’est dans ce contexte de transformations profondes qu’est apparue la notion de lieu de mémoire. Pierre Nora a bien expliqué le terreau dans lequel elle a germé en France : une perte d’influence sur le plan international, la fin des grandes utopies de gauche et de droite, une fragmentation sociopolitique, toutes conduisant un public inquiet et incertain sur l’avenir à se replier sur son passé et à se reconnaître dans une histoire en miettes. Ces bouleversements ne sont pas propres à la France, ils travaillent en fait tous les pays construits sur le paradigme de la nation, ce qui explique pourquoi la notion est devenue exportable.

 

La fortune du mot mémoire tient sans doute à d’autres facteurs encore. Le XXe siècle a aussi été celui d’une histoire marquée par les guerres, les totalitarismes et les génocides. La mémoire est nostalgique et cotonneuse, tandis que l’histoire, en plus d’être chirurgicale, est tragique.

 

À mon avis, le projet initial de Pierre Nora ne s’est pas retourné contre lui-même, et je ne peux comprendre l’amertume de son auteur à ce sujet que par le fait qu’on ait détourné cette notion analytique de son sens soit pour re-célébrer la nation, alors qu’il s’agissait de démonter les mécanismes de cette célébration, soit pour imposer aux historiens, à travers des lois mémorielles, des schémas interprétatifs, ou leur en interdire d’autres, et cadenasser ainsi les débats critiques.

 

L’expression « lieu de mémoire », c’est une heureuse trouvaille qui permet de donner à l’histoire sociale un nouveau territoire d’enquête. On devrait la tenir en haute estime et en approfondir la portée. En fait, la notion de lieu de mémoire est pour l’histoire non seulement un outil d’analyse efficace sur les pleins et les vides de la mémoire, mais un moyen de contrecarrer les mauvais usages de la mémoire en offrant à la société les moyens toujours renouvelés de comprendre la sinuosité de ses origines et ainsi, mieux discuter de son avenir. Elle permet d’effectuer l’articulation de la mémoire sociale, qui est son objet, du savoir méthodique, qui est son moyen, et de la société en projet, qui est sa visée. Elle suppose donc le maintien d’une ferme distinction entre la mémoire et l’histoire, mais aussi une reconnaissance de leur solidarité, et finalement la réaffirmation du devoir d’histoire. Elle permet aussi l’interdisciplinarité, car elle peut servir de langage commun entre toutes les disciplines parentes de l’histoire. Le lieu de mémoire, une sorte d’esperanto scientifique : pourquoi pas ?

 

Par exemple, elle nous aide à replacer en contexte les diverses mémoires québécoises, et ainsi à détecter les contresens et les anachronismes. Face au phénomène de l’oubli d’une partie de l’humanité qui vit au Québec, elle permet à l’histoire de soulever des questions dont la portée dépasse les calculs politiciens. Face aux rhétoriques mémorielles, elle permet de rétablir un débat raisonné sur l’expérience historique, qui n’exclut pas les passions, mais qui les ventile et libère les consciences. Ce n’est pas peu. Et c’est sur cette ambition d’une réconciliation de la mémoire avec l’histoire que je m’arrête.

 

 

Renvois bibliographiques
MONIOT, Henri. « L’histoire historienne analysée par la mémoire », dans Élise MARIENSTRAS et Marie-Jeanne ROSSIGNOL (dir.), Mémoire privée, mémoire collective dans l’Amérique pré-industrielle, Paris, Berg International, 1994.
CANDAU, Joël. Mémoire et identité, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
D’AVIGNON, Mathieu. Champlain et les fondateurs oubliés. Les figures du père et le mythe de la fondation, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008.
GROULX, Patrice. La marche des morts illustres. Benjamin Sulte, l’histoire et la commémoration, Gatineau, Vents d’Ouest, 2008.
JOUTARD, Philippe. «La tyrannie de la mémoire», L’Histoire, no 221, mai 1998, p. 98.
KATTAN, Emmanuel. Penser le devoir de mémoire, Paris, Presses universitaires de France, 2002
LABELLE, Micheline, Rachad ANTONIUS et Georges LEROUX. « Introduction », dans Micheline LABELLE, Rachad ANTONIUS et Georges LEROUX (dir.), Le devoir de mémoire et les politiques du pardon, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 1-22.
NORA, Pierre. « Comment écrire l’histoire de France ? », dans Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire, III, Les France, 1. Conflits et partages, Paris, Gallimard, 1992, p. 11-32.
NORA, Pierre. « Les lieux de mémoire », dans Jean-Claude RUANO-BORBALAN (dir.), L’histoire aujourd’hui, Auxerre, Sciences humaines Éditions, 1999, p. 343-348.
NORA, Pierre. « Les lieux de mémoire, ou comment ils m’ont échappé », L’Histoire, no 331, mai 2008, p. 32-35.
NORA, Pierre. « Mémoire collective », dans Jacques LE GOFF, Roger CHARTIER et Jacques REVEL (dir.), La nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978.
POMIAN, Krzysztof. Sur l’histoire, Paris, Gallimard, 1999.
RICOEUR, Paul. La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.

Bulletin n°27, décembre 2008

 

Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC)

 

1. Grands dossiers de la Commission

2. Québec 2008, Histoire et Mémoire communes

3. Expositions, colloques, conférences et activités publiques

4. Commémoration, généalogie et toponymie

5. Histoire

6. Suggestion de lectures


…et …pourquoi pas un beau livre en cadeau de Noël !

Consultez ces ouvrages parus dans nos bulletins antérieurs
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