Bulletin n°28, mai 2009
L’intendance en Nouvelle-France
L’intendance en Nouvelle-France
John A. Dickinson
Université de Montréal – Université de Paris III/Sorbonne Nouvelle
Les intendants de la Nouvelle-France, hormis Jean Talon, ont fait l’objet de moins d’études poussées que les gouverneurs et pourtant leur importance pour le développement colonial est égale sinon supérieure. Serait-il qu’ils sont moins hauts en couleur que les gouverneurs et que, à l’exception de Talon, leurs administrations ont été perçues comme des échecs ou sans relief ? Quoi qu’il en soit, ils ont joué un rôle capital dans la structuration de l’administration coloniale française.
Les premiers intendants
Lors du début du règne personnel de Louis XIV (1661), les intendants sont une création relativement récente. C’est le cardinal de Richelieu qui en généralise l’usage pour mieux faire rentrer les impôts au cours de la Guerre de Trente Ans. Sur les frontières du royaume, ce sont les intendants des armées : « intendant de justice, police, vivres et finances, en une armée » – qui voient à l’approvisionnement des troupes et à l’administration régionale. Puisque des compagnies privées gèrent les colonies aucune administration royale n’existe. La réorganisation impériale voulue par le roi et son Contrôleur général des finances, Jean-Baptiste Colbert, entraîne la création du ministère de la Marine en 1669, qui dote l’administration royale d’un organisme avec des bureaux spécialisés dans les affaires coloniales. Colbert met en place les nouvelles structures en recrutant des hommes de sa clientèle ayant une certaine compétence, mais cette nouvelle administration est toujours trop jeune pour qu’il puisse s’y fier pour le recrutement des cadres.
Le premier intendant qui arrive en Nouvelle-France en 1665, Jean Talon, fit ses preuves comme intendant des armées du Hainaut. L’organisation de la campagne du régiment Carignan-Salières contre les Iroquois constituait la première tâche urgente et il fallait un homme d’expérience. La paix de 1667 rendit cette exigence moins incontournable et les intendants qui succèdent à Talon (Claude de Bouteroue, 1668-1670 ; Jacques Duchesneau, 1675-1682 ; Jacques Demeulles, 1682-1686) sont des magistrats. Ni Colbert (1619-1693) ni son fils le marquis de Seignelay (1651-1690) ne cherchent dans les bureaux de la Marine des sujets avec des connaissances coloniales pour administrer la jeune colonie et aucun des quatre premiers intendants n’occupe une fonction dans les services de la Marine après leur mandat canadien. À cette époque, il n’est pas nécessaire d’être maître des requêtes comme c’est le cas pour les intendants de province en France.
Jean Bochart de Champigny
L’intendant qui fait le « pont », est Jean Bochart de Champigny (1686-1702), nommé par Seignelay mais qui termine son mandat sous Pontchartrain et qui poursuivra sa carrière au sein des services de la Marine comme intendant du Havre. En effet, le nouveau ministre, Jérôme de Phélypeaux de Pontchartrain, modernise le service. Désormais, les intendants sont toujours tirés de familles liées de près au Ministre mais recrutés parmi des hommes ayant une expérience dans la Marine et qui poursuivront leur carrière dans un arsenal métropolitain après leur séjour canadien.
François de la Boische de Beauharnois
Ce profil devient la norme par la suite. Le successeur de Bochart de Champigny, François de la Boische de Beauharnois (1702-1705), s’insère dans une vieille famille de robe alliée avec les Pontchartrain et une autre grande famille de la Marine, les Bégon. Toute sa carrière se passe dans la Marine. Il est commissaire dans les ports de Toulon, Rochefort, Le Havre et Brest avant d’occuper la fonction d’intendant au Canada. En rentrant en France en 1705, il occupa le poste d’intendant des forces navales avant d’être nommé intendant de Rochefort (1710). Preuve que les chicanes entre vieille noblesse d’épée et noblesse de robe sont bien révolues, son frère cadet, Charles de Beauharnois, devient gouverneur de la Nouvelle-France en 1726.
Raudot père et fils
Pour succéder à Beauharnois, Pontchartrain désigne un couple père-fils Jacques Raudot et son fils Antoine Denis Raudot (1705-1711) que le ministre destinait sans doute à des charges plus relevées. C’est une famille qui se consacre au service naval ; outre le couple père et fils, deux autres fils de Jacques sont officiers de « la royale ». Si le père a connu une carrière dans la justice et la finance avant d’être nommé au Canada, le fils fait ses classes dans la Marine d’abord comme écrivain (1699-1702), puis commissaire (1702-1704) avant d’occuper brièvement le poste d’inspecteur général à Dunkerque. Les deux resteront au service de la Marine après leur séjour laurentien. Jacques sera successivement commis principal de la Marine et conseiller de la Marine. Antoine Denis est nommé intendant des classes avant d’être chargé des gardes-côtes, des invalides et des colonies. À la mort de Jacques, il succède à son père comme conseiller de la Marine.
François Clairambault d’Aigremont
Autre personnage qui sert la Marine, François Clairambault d’Aigremont, agit comme intendant intérimaire à deux reprises (1711-1712 et 1728). Il débute sa carrière comme inspecteur à Dunkerque avant de devenir le secrétaire de Jean-Baptiste Patoulet, ancien secrétaire de Talon et contrôleur de la Marine à Rochefort, et, ensuite, secrétaire de l’intendant du Havre en 1690. Promu commissaire de la Marine à Québec en 1701, il doit renoncer à son poste l’année suivante quant il devient vénal. La protection de l’intendant Bochart de Champigny et de Pontchartrain lui permet de rester au Canada où il occupe des fonctions dans l’administration. Après son premier intérim, il est nommé contrôleur, sans salaire, pour la récupération des épaves de la flotte d’invasion anglaise de l’amiral Walker échouées dans le golfe du Saint-Laurent en 1711. Enfin, il recouvre sa charge de commissaire de la Marine en 1716 lors de l’abolition de la vénalité. Il mourut pendant son second intérim en décembre 1728.
Michel Bégon
Le véritable successeur des Raudot est Michel Bégon (intendant de 1712 à 1726) issu d’une des plus illustres familles de la Marine. Le père de l’intendant, était intendant de Saint-Domingue et inspirateur du Code Noir avant d’occuper des fonctions d’intendant à Marseille et ensuite à Rochefort. Écrivain principal à Toulon, il devient commissaire en 1690. Après une brève incursion dans la judicature comme conseiller au Parlement de Metz (1697-1704), il retourne à la Marine comme inspecteur général pour la province de Saintonge-Aunis. Il arrive à Québec accompagné de son épouse, Jeanne-Élisabeth de la Boische de Beauharnois, alliée à Pontchartrain et sœur d’un intendant et d’un gouverneur de la Nouvelle-France. Nommé en 1723 intendant du Havre, il attend 1726 avant de pouvoir occuper cette fonction. Il devient ensuite intendant de l’amirauté de Normandie et, enfin, termine comme intendant de la Marine.
Claude-Thomas Dupuis et Gilles Hocquart
Les deux successeurs de Bégon meurent avant d’arriver à Québec et c’est Claude-Thomas Dupuy, 1726-1728, un juriste maître des requêtes qui succède, « faute de trouver un candidat adéquat dans la Marine ». Son mandat est catastrophique. Il se brouille avec les puissances du pays et rentre en disgrâce. Le choix d’un intendant en dehors du corps des officiers de plume de la Marine s’étant avéré calamiteux, le Ministre choisit Gilles Hocquart qui débute sa carrière comme écrivain de la Marine à Rochefort. Il suit son père à Brest avant d’être promu commissaire à Toulon en 1716, où il reste jusqu’en 1722, alors qu’il retourne à Rochefort. En 1729, il part pour le Canada muni d’une nomination comme commissaire ordonnateur et intendant intérimaire (confirmé en 1731). Souvent comparé désavantageusement à Talon, la carrière de Hocquart dépendait de résultats concrets ce qui incite à la prudence. Après avoir passé près de vingt ans au Canada, Hocquart rentre en France et assume les fonctions d’intendant de Brest. A ce titre, il supervise l’armement de tous les navires du roi et l’embarquement des régiments qui partent défendre la Nouvelle-France pendant la Guerre de Sept Ans. Il quitte Brest en 1764 pour occuper la fonction d’intendant des conscriptions maritimes à Paris.
François Bigot
Comme son prédécesseur, le dernier intendant de la Nouvelle-France, François Bigot (1748-1760) commence son apprentissage comme écrivain de la Marine en 1723, avant de devenir commissaire en 1728 et écrivain principal en 1729. Sa carrière coloniale débute comme commissaire ordonnateur de l’Île Royale en 1739. Rentré en France après la capitulation de Louisbourg en 1745, Bigot s’affaire à approvisionner la flotte du duc d’Anville qui devait reprendre l’Acadie. L’échec de cette expédition est redevable à un mauvais concours de circonstances. De retour en France, il ferme les comptes de Louisbourg avant de retourner à Québec comme intendant. Il fut désigné comme bouc émissaire et subit un procès retentissant qui entraîna son bannissement de la France.
Influences et réciprocités entre féminisme français et féminisme québécois
Influences et réciprocités
entre féminisme français et féminisme québécois1
Chantal Maillé
Professeure agrégée
Institut Simone de Beauvoir
Université Concordia
cmaille@alcor.concordia.ca
Il est difficile d’aborder les échanges entre le féminisme français et le féminisme québécois sans les situer dans la perspective des rapports de pouvoir qui existent entre la France et le Québec, mais aussi sans parler de la mise en place, depuis environ 20 ans, de réseaux féministes dits « de la francophonie », lesquels permettent d’accéder à des échanges multilatéraux décentralisés où les liens d’influence ne sont plus seulement de la France vers les autres composantes. Récemment, l’événement Du dire au faire, l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’espace francophone, qui s’est tenu à Québec en préparation du XIIe Sommet de la Francophonie d’octobre 2008 a permis à des féministes en provenance de l’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique de formuler des revendications communes. D’autres exemples de coopération transnationale féministe à l’intérieur de la francophonie incluent la Marche mondiale des femmes, une initiative du mouvement des femmes québécois, ainsi que les cinq conférences sur la recherche féministe francophone qui se sont tenues entre 1993 et 2008 à Québec, Dakar, Toulouse, Ottawa et Rabat. Au-delà de ces projets sur le terrain qui ont concrétisé l’idée d’une dynamique d’échange véritablement transnationale, comment pourrait-on qualifier les rapports qui définissent la production théorique du féminisme qui s’écrit en français?
Le Deuxième Sexe et ses retombées au Québec
Pour mieux saisir les moments forts de ces échanges entre féminismes québécois et féminismes français, revenons à un moment fondateur, soit la publication du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir en 1949. Selon l’ouvrage du collectif CLIO, L’histoire des femmes au Québec, la publication de cet ouvrage est passée à peu près inaperçue (Coll. « Idéelles », Montréal, Quinze, 1992, 521 p.), alors que le mouvement des femmes québécois est entré dans une période de léthargie après la victoire dans la bataille pour l’obtention du droit de voter au provincial en 1940. Dans un ouvrage québécois paru dans le cadre des événements entourant la célébration du 50e anniversaire du Deuxième Sexe, Marie-Josée des Rivières et Geneviève Thibault écrivent :
En 1949, le fossé culturel qui sépare Le Deuxième Sexe de celles qui ne se disent pas encore Québécoises mais Canadiennes françaises paraît immense. L’ouvrage, mis à l’Index, est passé sous silence dans la province ultra-conservatrice du duplessisme. Pourtant, dès 1950, on fait mention dans la presse canadienne-française d’un essai traitant de la « question des femmes », comme on la désignait alors. L’article, unique en son genre, est signé Madeleine de Calan et paraît dans la revue Liaison (…) . De manière assez prévisible, la prose de la chroniqueuse tente de juguler la teneur révolutionnaire de l’ouvrage par le dénigrement et la banalisation de l’ironie. Toutefois, sous des dehors assurés, la rhétorique conservatrice laisse transparaître l’inquiétude. (…). C’est ainsi qu’en moins d’une décennie, Le Deuxième Sexe va devenir la « bible occulte » de nombreuses universitaires ou syndicalistes, sympathisantes du Refus global ou militantes d’action catholique, qui le lisent sans qu’elles l’avouent ouvertement. (…). Dès les débuts de la Révolution tranquille, Le Deuxième Sexe devient le livre de référence sur la condition féminine pour nombre de Québécoises (des Rivières et Thibault, p. 22-23) .
L’intersectionnalité contre la femme universelle
Un très large mouvement visant à intégrer des perspectives de race, de classe et de différences à l’analyse du genre apparaît au cours des années 1980, constituant en quelque sorte un mouvement de refondation des bases du féminisme. Mais cette analyse circule surtout auprès des auteures qui écrivent en anglais et ce n’est que vingt ans plus tard qu’elle émerge en France et au Québec. Ce décalage dans la prise en compte de l’intersectionnalité des oppressions est à mettre en lien avec la prégnance, dans le féminisme français, d’un discours construit sur la femme universelle et l’oppression de genre jusqu’aux débuts des années 2000, moment où commence à circuler en français une nouvelle littérature sur le postcolonial. Si une telle analyse des intersections entre genre, race et classe est rapidement la norme dans la production publiée en langue anglaise, il en va tout autrement pour le féminisme français qui s’est montré jusqu’à récemment relativement fermé aux débats sur l’intersectionnalité des oppressions (Maillé, 2002 : 2), bien que plusieurs travaux ont de fait porté sur l’articulation de la race ou de la classe avec le genre, comme les études de Nicole-Claude Mathieu sur racisme et sexisme. De fait, dans ces travaux le genre constitue l’oppression première et fondatrice de toutes les oppressions et l’idée d’une classe des femmes, de toutes les femmes, demeure prégnante, se situant toujours à l’intérieur du « nous les femmes ». Le féminisme français a récemment montré des signes d’ouverture à l’analyse postcoloniale, mais une telle analyse demeure toujours à faire dans le contexte québécois. D’une certaine façon, l’héritage de la question nationale a permis au féminisme québécois d’occulter le difficile exercice de détermination des rapports de pouvoir entre les femmes de la majorité et les autres femmes et de repousser le moment de vérité, malgré des amorces qui témoignent d’une volonté de s’engager dans cette voie (Maillé, 2007) . Néanmoins, on pourrait aussi voir dans cette distance des féministes québécoises à l’endroit du féminisme postcolonial un geste émancipateur à l’endroit de la mainmise du féminisme français. Mais au-delà de cette émancipation envers la France, le féminisme québécois a tout à gagner à revoir sa conceptualisation du « nous les femmes » pour faire émerger d’autres réalités, comme les inégalités de statut et de privilège qui existent parmi les femmes.
Bibliographie
Des Rivières, Marie-Josée, et Thibault, Geneviève, « La double postérité du Deuxième Sexe », dans Cécile Coderre et Marie-Blanche Tahon (s.d.), Le deuxième sexe. Une relecture en trois temps, 1949-1971-1999, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2001, p. 21-33.
Collectif Clio, L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour éditeur, 1992.
Maillé, Chantal, « Migrations », Recherches féministes, vol. 15, no 2, 2002, p. 1-8.
Maillé, Chantal, « Réception de la théorie postcoloniale dans le féminisme québécois », Recherches féministes, vol. 20, no. 2, 2007, p. 91-111.
1.Conférence prononcée à Québec au Congrès de l’American Council for Québec Studies (ACQS) le 14 novembre 2008
Mémoire et histoire : un questionnement à renouveler – texte de l’allocution prononcée à Aix-en-Provence en octobre 2008
Mémoire et histoire : un questionnement toujours fécond
Patrice Groulx
Département d’histoire
Université Laval
Il existe un indéniable « devoir de mémoire » qui nous permet, collectivement, de maintenir des liens féconds avec les générations antérieures. Mais la mémoire peut nous faire défaut ou exagérer tel ou tel trait du passé, et c’est à la science historique de corriger ses travers. Pour explorer ce thème, prenons ces trois réalités que sont les contresens de la mémoire de Champlain apparus dans les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec, la mémoire et l’oubli qui nichent dans la devise du Québec, et le concept même de « lieu de mémoire ».
Le fantasme de Champlain
Au 400e anniversaire de la fondation de Québec sont réapparus les vieux questionnements sur l’identité de Samuel de Champlain. Était-ce un aventurier, un découvreur, un missionnaire, un fondateur ? Était-il catholique ou protestant ? Était-il le seul fondateur ? Questionnements auxquels on devrait ajouter aujourd’hui : Champlain n’est-il pas aussi un fantasme des gens de pouvoir ?
Ce serait facile à démontrer. La gouverneure générale et le premier ministre du Canada ont déclaré que Champlain était le premier d’une lignée ininterrompue de gouverneurs menant jusqu’à eux. Il faudrait bien s’arrêter à ce que cela signifie : les gouverneurs sont les représentants de la souveraineté royale. Or, cette souveraineté a changé avec la Conquête, elle est devenue anglaise depuis 1763. Même si la constitution de 1982 a créé cette fiction qu’Élisabeth II est, selon la formule consacrée, « la reine du chef du Canada », nous avons une reine anglaise. En somme, si vous suivez ce raisonnement, le Français Champlain est le fondateur de la souveraineté anglaise au Canada… Un pur fantasme.
Comment en est-on arrivé là ? Le vrai Champlain a effectivement joué un rôle de gouverneur. Or, dans la constitution de l’histoire nationale au XIXe siècle, les interprètes du passé travaillaient tous dans l’orbite du pouvoir. C’étaient des érudits consciencieux faisant carrière dans l’appareil judiciaire, étatique et clérical. Ils produisirent une histoire tirée d’une mémoire qu’ils estimaient juste, celle des documents, mais qui collait aussi aux idéologies, aux projets et aux justifications des pouvoirs auxquels ils étaient liés. Pour ancrer la légitimité de ces pouvoirs dans le passé, ils choisirent les meilleurs modèles, et Champlain, naturellement, était de ceux-là. De fil en aiguille, le fondateur de Québec est devenu le fondateur des institutions politiques actuelles. L’absurdité de cette filiation imaginaire devrait sauter aux yeux, mais les fantasmes de la mémoire ont la vie dure lorsqu’ils sont acceptés comme une vérité historique.
La devise « Je me souviens » : Québécois inquiets et Amérindiens refoulés
Soyons quand même un peu indulgents pour la mémoire en nous rappelant qu’elle a été longtemps imbriquée à l’histoire. La devise du Québec illustre bien cette confusion originelle. Dire « Je me souviens », c’est de la mémoire, et non de l’histoire. Dans le phénomène du souvenir, on ne se souvient pas de tout un récit national d’un seul coup, mais d’une ribambelle désordonnée d’événements singuliers ou de personnages qu’on raccorde les uns aux autres. Dans son contexte original, sur la façade de l’Hôtel du Parlement du Québec où elle est d’abord apparue, la formule « Je me souviens » exprime la mémoire de l’Amérique française sur le seul lieu de pouvoir un peu conséquent de la nation canadienne-française devenue québécoise. Elle rappelle l’honorabilité des origines de cette nation, ainsi que la lutte pour reprendre les pouvoirs perdus à la Conquête.
Au Québec, « Je me souviens » est devenu la devise nationale. Pourtant, il y a une autre mémoire que la majorité d’origine européenne a totalement occultée à l’aide de l’histoire officielle, celle de son expérience amérindienne. À l’échelle des tragédies mondiales, l’éradication des autochtones d’Amérique est une des plus graves. Mais parce qu’elle date de longtemps et qu’elle n’a pas toujours pris la forme d’un crime de masse, on pense qu’elle est l’effet d’une disparition « naturelle », l’expression de la dure loi de la lutte pour la vie. Cette opinion commune pouvait se comprendre avant que l’histoire ne s’établisse comme connaissance scientifique et juste du passé, vers le milieu du XIXe siècle. Mais écrite du seul point de vue des « civilisés », l’histoire a organisé l’oubli des autochtones et a contribué à perpétuer des injustices séculaires dont nous ne savons plus comment nous dépêtrer.
L’actualité du lieu de mémoire
Le projet des lieux de mémoire de Pierre Nora avait à l’origine pour ambition d’analyser dans quelles réalités tangibles ou immatérielles s’est formée, sédimentée et retransformée la mémoire nationale française afin de mieux saisir sa persistance et ses résonances contemporaines. « Le lieu de mémoire suppose, écrivait-il en 1992, l’enfourchement [d’une] réalité tangible et saisissable, parfois matérielle, parfois moins, inscrite dans l’espace, le temps, le langage, la tradition, et une réalité purement symbolique, porteuse d’une histoire. […] Ce qui compte pour [l’historien] n’est pas l’identification du lieu, mais le dépli de ce dont ce lieu est la mémoire. […] Lieu de mémoire, donc : toute unité significative, d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine mémoriel d’une quelconque communauté. »
Défini ainsi, le lieu de mémoire désacralise le passé. Or, c’est lorsqu’elle est mise à distance et objectivée par l’histoire, puis réappropriée par les collectivités, que la « mémoire libère ». Ériger des monuments écrits ou sculptés aux morts, rendre hommage aux disparus nous permet, soit de nous délier du regret de leur survivre, soit de nous encourager à dépasser leur œuvre sans leur porter ombrage. Une mise en mémoire raisonnée nous permet de nous tourner vers le futur sans renoncer à ce qui nous constitue.
Depuis plusieurs années, Pierre Nora s’inquiète, avec raison, de l’instrumentalisation de la notion de « lieu de mémoire » dans l’espace médiatique et politique. Cette heureuse trouvaille a ouvert aux historiens et historiennes de nouveaux territoires d’enquête. Plutôt que de l’abandonner, il faut en approfondir la portée. Cette notion est non seulement un outil d’analyse efficace sur les pleins et les vides de la mémoire, mais un moyen de contrecarrer les mauvais usages de la mémoire en offrant à la société le moyen de comprendre la complexité de ses origines pour mieux dessiner son avenir. Elle permet d’articuler la mémoire sociale, qui est son objet, au savoir méthodique, qui est son moyen, et à la société en projet, qui est sa visée. Elle suppose à la fois le maintien d’une ferme distinction entre la mémoire et l’histoire, la reconnaissance de leur solidarité, et la réaffirmation du devoir d’histoire. Elle permet aussi l’interdisciplinarité, car elle offre un terme commun à des branches et à des acteurs très divers du savoir. Deux exemples actuels montrent éloquemment sa pertinence : l’ouvrage Les traces de la Nouvelle-France au Québec et au Poitou-Charentes, et le projet Ces villes et villages de France, berceau de l’Amérique française lancé en collaboration avec l’association France-Québec. Tous deux ont permis de produire, en articulant le travail de dizaines de professionnels et de bénévoles, des monuments à la fois sensibles et savants aux ancêtres de France qui ont fondé le Québec.
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Le siège de Québec
Le siège de Québec
par Fabrice Mosseray
Forces armées canadiennes
Forts de leur victoire à Louisbourg (27 juillet 1758) et remis de leurs défaites subies sur les Grands Lacs, les Britanniques sont bien décidés en cette année 1759 à aller de l’avant dans leur projet de conquête du Canada. Alors que le général Amherst marche sur Montréal, l’amiral Saunders et le major-général Wolfe s’apprêtent à attaquer Québec, le cœur de la Nouvelle-France.
L’échec de la guerre de course
Sous la gouverne du premier ministre William Pitt, la Grande-Bretagne, au prix d’efforts colossaux, veut mettre fin à l’empire colonial français. Elle veut s’emparer coûte que coûte du Canada (82 000 habitants) qui représente un véritable obstacle au développement de ses colonies américaines (1 300 000 hab.). Quant à elle, la France ne devine en rien les visées de son ennemi, néglige sa marine de façon abjecte et s’imagine que le conflit se règlera sur le continent européen. Menacée à nouveau, la Nouvelle-France ne pèse pas lourd dans l’entourage du roi Louis XV puisque, loin d’être autosuffisante, elle coûte cher et rapporte peu à la France. Faute de puissantes escadres et d’une politique navale efficace, la Marine royale française n’est pas de taille à lutter contre la Royal Navy et ne peut ainsi protéger ses ports et les colonies. Depuis la fin de la guerre de la Succession d’Autriche (1748), la Grande-Bretagne a maintenu un état de guerre avec la France qui n’a fait aucun effort digne de ce nom pour renflouer sa marine durement malmenée. Privée de financement sérieux, délaissée au profit de l’Armée, minée par des conflits internes et affaiblies par des épidémies qui déciment les équipages mal nourris et mal payés, la marine de Louis XV n’est pas prête à entrer en guerre en 1756. À la centaine de vaisseaux de ligne (navires de guerre de 64 canons et plus) anglais, elle ne peut en opposer qu’une quarantaine. En plus d’avoir du mal à combler ses effectifs, elle prive nombre de ses navires de leur précieux armement et ravitaillement qu’elle refile aux navires corsaires sur qui la France fait reposer sa stratégie navale.
Malgré tout, le conflit avait bien commencé pour la France. De 1756 à 1758, avec leurs forces squelettiques, le gouverneur de la Nouvelle-France, Pierre Rigaud de Vaudreuil et le général Louis-Joseph de Saint-Véran, marquis de Montcalm, sont victorieux sur les Grands Lacs. En Méditerranée, le marquis de la Galissonière, un ancien gouverneur de la Nouvelle-France, s’empare de l’Île Minorque en mai 1756. En 1758, le vent tourne et la Nouvelle-France perd la forteresse de Louisbourg, le Fort Frontenac (Kingston) et le Fort Duquesne (Pittsburgh). La France étant incapable de lui envoyer suffisamment de convois de ravitaillement, la colonie est à bout de souffle et connaît la famine. La Royal Navy domine les mers puisque les corsaires français ploient sous le nombre et ne sont pas épaulés par une forte marine de guerre. Opérant depuis la France, de Louisbourg (jusqu’en août 1758) et de Québec, les corsaires, munis de lettres officielles confirmant qu’ils agissent au nom du Roi, s’attaquent aux navires de commerce et de pêche anglais et revendent leurs prises et les cargaisons capturées. L’administration coloniale a aussi recours à des corsaires canadiens à bord de ses ravitailleurs et de ses escorteurs. Les pêcheurs de la Nouvelle-France se muent également en corsaires et arment leurs goélettes de petits canons ou de pierriers. Ils traquent et capturent des navires anglais généralement de tonnage semblable à leurs petits navires et les revendent à Louisbourg et à Québec. Malgré le nombre de prises effectuées par les corsaires français, soit 1 358 navires capturés durant la guerre de Sept Ans (1756-1763), dont une quarantaine par les corsaires opérant en Nouvelle-France, ils sont trop peu nombreux pour porter de rudes coups à l’imposante flotte commerciale anglaise. Le système de convois adopté par les Britanniques les tient en respect. La décision de la France de recourir à la guerre de course se solde donc par un échec cuisant et son empire colonial en fait les frais.
Malgré le fait que la Marine royale soit coincée dans ses ports à cause du blocus exercé par la Royal Navy, les stratèges français envisagent tout de même d’envahir l’Angleterre! Au courant de leurs intentions, les Britanniques prennent les grands moyens. Alors que les amiraux Howe et Rodney ravagent respectivement Cherbourg et Le Havre en 1758, la Marine royale est pratiquement anéantie au cours de l’année suivante : la flotte de Toulon est anéantie par l’amiral Boscawen (qui s’est illustré à Louisbourg), celle de Brest par l’amiral Hawke et les deux escadres de l’Océan indien par l’amiral Pocok.
Les corsaires au secours de Québec
Entre temps, en mai 1759, les corsaires Vauquelain, Canon (ou Kanon) et Sauvage parviennent à franchir le blocus anglais et jettent l’ancre à Québec avec huit frégates et une quinzaine de navires de transport. Ils ramènent également le colonel de Bougainville qui revient avec de mauvaises nouvelles de Paris. Après avoir exposé la situation critique de la colonie, Bougainville s’est fait répondre par le ministre de la Marine Berryer : « Monsieur, quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas des écuries. » Bougainville se fait donner tout de même 326 soldats et 13 000 barils de poudre et de vivres. Des moyens nettement insuffisants! Il est par ailleurs demandé à Vaudreuil et à Montcalm de tout faire pour conserver Québec et Montréal. Lors de futures négociations, la France devra bien avoir quelques territoires en sa possession! Les ordres venus de France n’arrangent en rien les tensions orageuses entre le gouverneur Vaudreuil et le marquis de Montcalm qui ne s’entendent absolument pas sur la stratégie de défense à adopter. La colonie, qui manque de vivres, est la proie du marché noir et de la corruption. Alors que Montcalm fait creuser des retranchements de Québec jusqu’à la rivière Montmorency et installe son quartier général à Beauport, Vaudreuil veille à la défense de Québec. Aux 15 000 combattants (soldats de l’Armée, des troupes de la Marine, miliciens et Amérindiens) dont ils disposent s’ajoutent 2 000 marins dont les navires sont soit transformés en batteries flottantes soit en brûlots. Si 600 d’entre eux sont affectés à la manœuvre de ces derniers, les 1 400 autres se retrouvent canonniers. Ne pouvant stopper la flotte anglaise à elle seule, la poignée de frégates restantes est envoyée à Montréal.
Échec de Wolfe
La flotte de l’amiral Saunders, qui compte près de 150 navires, appareille de Louisbourg, cingle vers Québec et rallie l’île d’Orléans le 24 juin 1759. Pas un seul navire n’est perdu en raison des caprices du fleuve Saint-Laurent. Non seulement Saunders est un amiral des plus compétents, mais il compte parmi ses navigateurs les plus chevronnés un certain James Cook, futur grand explorateur du Pacifique. De plus, des prisonniers français menacés de mort sont forcés d’aider Saunders. Escortée entre autres par une vingtaine de vaisseaux de ligne, la flotte compte près de 130 navires de transport et de ravitaillement de divers tonnages. Plus de 30 000 marins britanniques sont à leur poste de combat et les 9 000 soldats du major général James Wolfe s’attendent à être débarqués d’un jour à l’autre.
Dans la nuit du 28 juin, les Français lancent sept navires transformés en brûlots contre la flotte ennemie, mais en vain puisque les équipages les incendient trop rapidement. À la vue de ces navires en flammes, les marins britanniques ont le temps d’éloigner leurs vaisseaux ou encore de déployer des équipes d’abordage qui parviennent à remorquer les brûlots et de les éloigner ainsi de la flotte.
Wolfe et le colonel Guy Carleton installent le 27 juin une tête de pont sur l’île d’Orléans d’où ils peuvent observer les défenses françaises. Le colonel Monckton déploie 3 000 hommes à la Pointe-Lévis, sur la rive sud du fleuve, en face de Québec, où Wolfe installe des canons et des mortiers. En attendant de trouver un moyen d’amener ses troupes sous les remparts de Québec qui bénéficie de défenses naturelles, il entame le bombardement de lai ville le 12 juillet. De concert avec les navires de la Royal Navy, les batteries anglaises crachent boulets et bombes des jours durant ravageant la capitale de la Nouvelle-France, notamment sa Basse-Ville. Non content d’avoir détruit les villages de pêche de la Gaspésie, Wolfe fait brûler en juillet et en août tous les villages et fermes le long du Saint-Laurent, depuis Kamouraska jusqu’à Deschambault. La population civile est victime des exactions des soldats britanniques. Cet acte de barbarie galvanise la résistance des Canadiens plutôt que de les dissuader de combattre.
Impatient d’en découdre avec l’ennemi, Wolfe fait débarquer des troupes sur la rivière Montmorency le 8 juillet et y installe un camp sur sa rive est. Le 31, il y fait à nouveau débarquer 4 000 hommes et lance une première attaque afin de percer les lignes françaises et de s’emparer des retranchements de la côte de Beauport. Mal planifiée et menée sur un terrain difficile, l’attaque est un désastre. Battus par le chevalier de Lévis, les Britanniques subissent de lourdes pertes. Lévis vient de donner une quatrième victoire au marquis de Montcalm (Fort Oswego-1756, Fort William Henry-1757, Fort Carillon-1758) qui est parvenu à éviter tout engagement direct, épargnant ainsi ses maigres forces, et à gagner du temps. À cette défaite de Wolfe s’ajoute l’échec du débarquement du brigadier général James Murray à Pointe-aux-Trembles, en amont de Québec. Son attaque du 8 août est repoussée par le colonel de Bougainville. Il prend sa revanche le 18 en incendiant à Deschambault un dépôt de l’armée française.
Le moral des assaillants bat de l’aile : le bombardement de Québec ne donne aucun résultat, les lignes de ravitaillement entre Québec et Trois-Rivières ne sont pas coupées, Wolfe est malade, son leadership affaibli, les troupes souffrent de dysenterie et l’amiral Saunders redoute l’arrivée de l’automne en raison des dangers que pourrait faire courir le fleuve à sa flotte. À Londres, le premier ministre Pitt apprend les revers de Wolfe et de Murray et désespère de ne pas voir Québec tomber avant la fin de l’été. Bien que ravagée par près de 16 000 boulets et bombes, la ville de Québec ne capitule toujours pas et le drapeau royal flotte toujours sur ses remparts!
L’implantation des filles de la Sagesse
L’implantation des filles de la Sagesse
par Jacqueline Colleu
Diplômée de l’EHESS
Introduction
Pierre angulaire de la civilisation européenne, les congrégations religieuses ont façonné le mode de vie et de pensée des Français. Après un arrêt brutal de leur exercice du fait de la Révolution française en 1789, leur action est à nouveau contrecarrée par les gouvernements anticléricaux de la IIIe République, à tel point que le choix de l’expatriation se présente comme une éventuelle issue à leur survie.
Le Canada devient alors un pays d’accueil favorable à la poursuite de l’apostolat congréganiste. Religieux et religieuses s’y réfugient par milliers dont les filles de la Sagesse; une congrégation vendéenne fondée par le Père de Montfort.
Au tournant du XXe siècle, la mutation forcée des filles du Père de Montfort devient alors le tremplin d’un nouvel élan religieux particulièrement expansionniste sur ces immenses territoires perçus comme lieux de refuge et souvent de mission.
Le fondateur
Louis-Marie Grignion naît en 1673 à Montfort-la-Cane, en Bretagne. Sa famille de petite noblesse est peu fortunée, mais soucieuse de donner une éducation chrétienne à sa nombreuse progéniture. À douze ans, il entre au collège des Jésuites de Rennes où il rencontre Louis-Bertrand Gérard, futur jésuite et missionnaire au Canada. À vingt ans, il fait l’apprentissage de la vie sacerdotale au séminaire de Saint-Sulpice. Dans cet établissement, alors au faîte de sa renommée, il acquiert une solide formation spirituelle et intellectuelle avant d’être ordonné prêtre en 1700.
Jeune prêtre, il choisit à l’exemple de ses condisciples « d’évangéliser les populations païennes ». Or, à cette époque, quelques communautés religieuses françaises sont implantées au Canada dont les Jésuites et les Sulpiciens1.Comme première mission, il demande Montréal. Demande rejetée de crainte, dit-on, « que l’abbé Grignion, se laissant emporter par l’impétuosité de son zèle, se perdit dans les vastes forêts de ce pays, en courant chercher les sauvages2» Il faut ajouter à cette boutade que Grignion manquait de fortune nécessaire à une expatriation en Nouvelle-France. Obstiné, il réitère sa demande auprès du pape. Clément XI lui répond qu’il a « un assez grand champ en France pour exercer son zèle » tout en lui donnant le titre envié de missionnaire apostolique. Probablement déçu d’avoir échoué par deux fois, mais obéissant, Louis-Marie Grignion missionne désormais Bretagne et Poitou où les effets de la réforme catholique, issue du Concile de Trente, s’étaient estompés. Il s’emploie également avec empressement à « fonder des familles religieuses pour continuer ses œuvres ».
La fondation de la congrégation
Dès lors, Louis-Marie Grignion, plus communément appelé Père de Montfort, nom de son village d’origine, crée rapidement les conditions favorables à la formation d’une famille spirituelle capable de relayer son action auprès des plus pauvres et de la pérenniser. Il fonde à Poitiers une association de femmes pieuses et laïques appelée « Sagesse », terme choisi en opposition à la folie du monde environnant. Cette petite communauté devient l’embryon de la congrégation des Filles de la Sagesse3. Sa première recrue, Marie-Louise Trichet, future Mère Marie-Louise de Jésus, y reçoit l’Habit et la Règle de l’ordre, en 1703. Intelligente et dévouée, elle est l’instigatrice de la Congrégation.
À compter de 1703 jusqu’à sa mort en 1716, Montfort, accompagné de quelques fidèles, mène de front activité missionnaire et œuvres charitables. Initialement aumônier4 de l’hôpital général de Poitiers, il commence à soigner les malades et les indigents que le « grand enfermement », une série de disettes et le redoutable hiver 1709, avaient multipliés. En un second temps, il oriente son action vers l’instruction des pauvres dans les « petites écoles5 ». Mgr de Champflour, évêque de La Rochelle, lui offre l’opportunité de « pourvoir à l’éducation chrétienne » des filles de la ville, alors que l’école des garçons est proposée à une communauté religieuse récemment fondée au Canada par François Charron de la Barre. Sur son ordre, Mère Marie-Louise quitte l’hôpital de Poitiers et vient diriger l’école de La Rochelle. Un an plus tard, Montfort meurt au cours d’une mission à Saint-Laurent-sur-Sèvre en Vendée où il est enterré. Sa tombe devient un lieu de recueillement et de vénération.
Les premières années
Quelques années plus tard, Mère Marie-Louise élit ce village pour y construire la Maison-Mère. Une communauté prend forme. Les religieuses ne sont pas moins de quarante en 1734, lorsque Mgr Dosquet, sulpicien, nommé Évêque de Québec, propose d’« établir en Canada des filles de la Sagesse ». Puis, il se ravise, jugeant peu « prudent de faire partir des filles sans qu’elles fussent assurées d’un logement et d’un revenu pour subsister », même s’il donne comme exemple de réussite en Nouvelle-France « la sœur Bourgeoys… venue à bout d’y faire un établissement considérable, qui fait de grands fruits dans le diocèse ». On doit constater que des tentatives régulières de rencontre sont amorcées des deux côtés de l’Atlantique mais sans aucune concrétisation.
Signalons également, bien que ce soit une parenthèse sans suite, l’épopée de deux jeunes Acadiennes. En 1769, Anne-Marie Breau, née à Pisiguit en 1747, et Marguerite Maillet, née à Memramcook en 1752, franchissent le grand portail des Filles de la Sagesse à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Après avoir fui avec leurs familles6 le « Grand Dérangement » canadien, elles subirent les années noires de la Révolution française. Marguerite Maillet fut emprisonnée à Josselin en Bretagne pendant que sa cadette soigna les blessés de la guerre de Vendée qui s’ensuivit, à Niort. Années terribles, où massacrées, guillotinées, ruinées, les Filles de la Sagesse sortent fragilisées mais résistantes de leurs rudes épreuves. Aguerries et avisées, elles le sont encore un siècle plus tard, face à l’anticléricalisme de la IIIe République.
L’émigration en terre d’Amérique
Refusant de se plier à de nouvelles lois restreignant l’influence des religieux et entravant leurs activités, elles décident d’émigrer au Canada. Le rêve de Montfort prend enfin corps même si les sœurs partent démunies. Le 27 septembre 1884, sept pionnières débarquent, en habit7 de serge grise et cornette blanche, dans le sillage des Montfortains « pour mettre de l’ordre et un peu de confortable » dans l’orphelinat agricole qu’ils viennent de fonder à la demande de M. Rousselot8. Elles s’installent à Notre-Dame-de-Montfort (précédemment des lacs) dans une « chétive demeure accrochée à un vallon entre deux montagnes ». Héritières du zèle et de la vaillance de leur fondateur, les sœurs remplissent leur contrat et, dans la foulée, ouvrent plusieurs établissements avant 1900 dont ceux de Saint-Jovite, Cyrville et Eastview. Quatrième congrégation religieuse féminine française à s’installer en Ontario, elles crédibilisent la politique de colonisation de Mgr Duhamel qui les place dans l’archidiocèse d’Ottawa dont il est l’évêque. Cette situation ne fut que momentanée.
Côté français, l’intransigeance laïque de l’État met en place, de 1901 à 1904, une série de lois dites « anticongréganistes », interdisant aux religieux en habit et vivant en communauté, d’exercer dans les domaines de l’éducation puis de la santé. Confrontées à de nouvelles difficultés, les Filles de la Sagesse préfèrent l’exil plutôt que la compromission malgré les 4865 religieuses à gérer. En effet, elles viennent au second rang des congrégations féminines françaises en nombre d’effectifs, réparties en 412 établissements dont 369 en France. En tant que repli stratégique, la supérieure, Mère Marie-Patricie, accepte les fondations canadiennes, plus particulièrement en milieu rural ou peu urbanisé, excepté Ottawa. La congrégation est la sixième en nombre d’arrivées pour les années 1903-1904 qui sont celles de l’apogée de cette expatriation française. Sur les 251 sœurs ayant traversé l’océan entre 1900 et 1914, 214 sont arrivées au Canada dont 208 destinées au Québec sur un total général d’arrivées de religieuses françaises de 889 pour les mêmes dates.
L’implantation en terre d’Amérique
Les demandes canadiennes de la part du clergé et de la société civile affluent de toutes parts. Donnons quelques exemples : madame Justine Baubien, généreuse bienfaitrice montréalaise les choisit pour soigner les enfants malades dans le futur hôpital Sainte-Justine. Les Prêtres de Sainte-Marie de Tinchebray les réclament pour Red Deer et Castor en Alberta. Le curé Adrien Guillaume les sollicite pour sa paroisse de Chénéville. Le succès est tel qu’en trente ans, ces pionnières s’implantent dans cinq provinces canadiennes, d’Edmundston à Victoria, créant cinq orphelinats, huit internats et quatorze écoles dont un centre d’examens à Dorval.
Pour maintenir « l’unité et la conformité » de la congrégation à laquelle les supérieures ont toujours veillé, elles forment à la Règle de l’ordreles recrues canadiennes dans le noviciat d’Ottawa. Unies entre elles, Françaises et Canadiennes, en symbiose avec la Maison-Mère, les Filles de la Sagesse ne se contentent pas d’exporter les savoirs français auprès de leurs élèves ou des malades. Elles s’adaptent à toutes les situations nouvelles, auxquelles elles sont confrontées tout en veillant à maintenir l’esprit de la congrégation. Elles ont canalisé les flux de sœurs venues de France, recruté sur place et fondé une province canadienne, véritable démonstration d’intégration communautaire.
Mission réalisée : évangéliser et secourir
Au tournant du XXe siècle, les Filles de la Sagesse participèrent pleinement à l’organisation de la société canadienne dans laquelle la religion était un fondement essentiel. Elles y délivrent le message chrétien du Père de Montfort près de « ceux que le monde délaisse et qui doit les toucher le plus ». Il semble que le double vœu du fondateur, <<évangéliser et secourir selon la Règle fondatrice>>, soit en partie réalisé là où il rêvait d’aller et même au-delà.
Bibliographie
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Dervaux J.-F., fdls, Le Doigt de Dieu, Les Filles de la Sagesse après la mort des fondateurs, T I et II, Cholet , 1954-1955.
Deslandres Dominique, John A. Dickinson, Ollivier Hubert, Les Sulpiciens de Montréal, une histoire de pouvoir et de discrétion, Fides, Montréal, 2007. 670 p.
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Éthier-Blais Jean, Fragments d’une enfance, Lemeac, Montréal, 1989. 179 p.
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Laperrière Guy, Les congrégations religieuses, de la France au Québec, 1880-1914, T II, Les Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy, 1999.
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Lepers Simone, fdls, Dieu écrit droit, Les filles de la Sagesse au XXe siècle, T1, Lignes brisées 1900-1914, Rome, 1976, 459 p.
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Ré Simone, fdls, Filles de la Sagesse, Cent ans d’histoire au Canada, TI, 1884-1932, dactylogramme, 256 p.
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Dans les années 1660, à l’initiative de Mgr de Queylus, un séminaire et des établissements missionnaires avaient été construits à Montréal dont un sur les flancs du Mont-Royal.
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Réponse de M. Leschassier, alors supérieur du Séminaire de Saint-Sulpice, qui de plus était conscient du fait que seuls les prêtres, fils de famille utilisant leurs revenus personnels, pouvaient vivre au Canada en se soustrayant à la charité publique ou aux gains insuffisants des arpents de terre défrichés.
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La famille trinitaire montfortaine comprend deux autres communautés masculines : les missionnaires de la Compagnie de Marie dits Montfortains et les Frères de Saint-Gabriel.
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Nomination de Mgr Girard, évêque du diocèse, sur la recommandation de Madame de Montespan.
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Le principe de l’école communale gratuite est posé par Louis XIV en 1694 et entériné par l’Edit royal de 1698.
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Les deux familles se sont installées vers 1759 près de Trigavou en Bretagne non loin d’une communauté de la Sagesse créée par Mère Marie-Louise.
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Les filles de la Sagesse arrivent au Canada avec le costume datant du XVIIIème siècle. Voir la description donnée par un ancien élève : Jean Ethier-Blais.
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Né en 1823 dans la Vendée militaire, sulpicien, curé de Notre-Dame de Montréal où Il décède en 1889. Il introduit plusieurs congrégations religieuses au Canada dont la famille montfortaine et la Trappe de Belle-Fontaine.
Les boursiers d’Europe : un projet d’étude sur la formation d’une élite au Québec
Les boursiers d’Europe : un projet d’étude
sur la formation d’une élite au Québec
par Robert Gagnon et Denis Goulet1
Les objectifs du projet de recherche
De 1920 à 1960, le gouvernement québécois a décerné 664 bourses à de jeunes diplômés et artistes québécois (francophones et anglophones, hommes et femmes) afin de leur permettre d’aller se perfectionner d’abord en Europe (c’est pourquoi ce programme est connu aussi sous le nom « bourses d’Europe ») et, à partir des années 1930, aux États-Unis et même ailleurs dans le monde. Il s’agit du premier programme québécois de bourses d’études supérieures. Notre projet de recherche veut rendre compte de son impact sur le développement scientifique, médical et intellectuel du Québec. En effet, plusieurs des personnalités qui ont façonné le Québec moderne au cours du XXe siècle ont été des récipiendaires de ces bourses. Bien que cette initiative du gouvernement québécois ait eu des répercussions importantes dans l’histoire du Québec, il n’existe encore aucune analyse exhaustive sur ce sujet. Notre principal objectif vise donc à combler cette lacune et comporte trois angles d’analyses.
Le premier veut rendre compte du processus de transferts de « modèles ». Plusieurs boursiers ont ainsi acquis une formation qui les a transformés socialement. D’étudiants ou professeurs-enseignants, ils sont devenus chercheurs ou, pour parler comme Pierre Bourdieu, ils ont acquis un habitus lié à un champ disciplinaire2. Dans les laboratoires de grandes universités ou dans le cadre de séminaires, ils ont été familiarisés à des pratiques intimement liées à la recherche (publication dans des revues spécialisées, techniques de pointe, connaissances des théories dominantes d’une discipline ou spécialité, etc.). De retour au Québec, ils ont, à leur tour, implanté ces pratiques dans des institutions qui en ont assuré la reproduction, notamment par la création de programmes d’études supérieures. Dans les sciences biomédicales, par exemple, la reconstitution d’un réseau de formation et d’échanges avec l’Europe et les États-Unis, nous permettra de mieux saisir les modèles médicaux qui façonnent le paysage particulier de la médecine et de la santé au Québec grâce aux médecins qui, de retour de l’étranger, implantent de nouvelles spécialisations ou techniques. En sciences humaines et sociales, plusieurs départements doivent leur élan à ce programme des bourses qui a permis aux universités de recruter un premier noyau de chercheurs. C’est le cas, notamment en histoire dont la plupart des membres de la première génération d’historiens universitaires sont des récipiendaires de ce programme de bourses (Frégault, Rothney, Dubuc, Johnston, Hamelin, Galarneau, Trudel, Morin, Faucher).
Un deuxième angle d’analyse est celui de la coopération internationale. Le programme de bourses découle, en effet, directement des relations, alors nouvelles, entre le gouvernement canadien et la France (bien que, par la suite, le programme sera étendu pour permettre aux boursiers d’étudier n’importe où dans le monde). La campagne pour la création d’un système de bourses de perfectionnement est le fruit des discussions entamées par le Commissaire général du Canada à Paris, Philippe Roy, avec la section France-Canada du Comité France-Amérique de Paris. C’est toutefois le gouvernement québécois qui met en place le programme de bourses, ce qui va d’ailleurs renforcer les relations franco-québécoises. La francophilie a le vent dans les voiles pendant l’entre-deux-guerres. Des organismes de coopération sont créés, tel l’Institut scientifique franco-canadien (1926), et des personnalités comme Édouard Montpetit et Athanase David ne cachent pas leur attachement à la patrie française.3 Pas étonnant que, pendant l’entre-deux-guerres, la majorité des boursiers se retrouve dans des établissements français. En 1925-1926, 33 des 45 boursiers résident à Paris. Six ans plus tard, sur les 44 boursiers du Québec, on en compte 35 sur le sol français. Le gouvernement québécois engage même le Dr Siméon Grondin pour s’occuper, à Paris, des boursiers ayant choisi de faire leurs études dans la ville Lumière. Grondin tissera alors des liens avec plusieurs institutions universitaires françaises. Bref, nous analyserons les impacts de ce système de bourse sur le développement de la coopération franco-québécoise qui, comme on le sait, culminera au cours de la Révolution tranquille.4 Il n’est pas interdit de penser que, parmi les boursiers ayant choisi une institution française pour se perfectionner, certains ont pavé la voie à ce rapprochement dans les années 1960; c’est du moins ce que nous tenterons de montrer.
Un troisième angle consistera à analyser l’impact socio-économique de ce programme de bourses. L’acquisition de connaissances scientifiques ou technologiques a permis à plusieurs boursiers de reconvertir ce capital scientifico-technique en argent sonnant et trébuchant. Leur expertise a souvent servi de fer de lance à une carrière dans le monde des affaires ou dans les milieux industriels. Lavalin et Cogeco, pour ne nommer que deux exemples bien connus, ont été fondées par des boursiers du programme de bourse québécois. D’autres ont mené une carrière administrative et ont fait avancer des dossiers qui ont marqué l’histoire du Québec. Certains ont fondé des institutions publiques et ont contribué ainsi à bâtir le Québec moderne. Pensons notamment à Adrien Pouliot (études à Paris) qui a participé à la fondation de la Faculté des sciences de l’Université Laval, Alphonse Riverin (études à New-York) qui a joué un rôle de premier plan dans la création de l’Université du Québec, François-Albert Angers (études à Paris) fondateur de l’Institut d’économie appliquée, L.-P. Beaudoin (études à Paris) instigateur de l’École des arts graphiques. D’anciens boursiers ont également connu des carrières politiques et ont contribué, à leur manière, à transformer la société. On pense à Maurice Lamontagne et Arthur Tremblay (études à Harvard), René Tremblay (études à Louvain), Maurice Sauvé (études à Paris et à Londres), Jean-Luc Pépin (études à Paris). L’analyse de la carrière de ces bâtisseurs révèlera sûrement l’impact d’un programme qui visait, notamment, à permettre à des Québécois francophones d’acquérir des compétences pour rivaliser avec leurs compatriotes anglo-québécois.
En plus de produire une monographie présentant de façon synthétique les résultats de notre analyse, notre programme de recherche a également pour objectif de réaliser un dictionnaire de tous les boursiers (au nombre de 664). Chacun d’eux aura une entrée qui permettra d’avoir un aperçu dde sa carrière et deviendra un outil de recherche précieux pour tous les chercheurs intéressés par l’histoire intellectuelle du Canada en général et du Québec en particulier. Plus spécifiquement, le dictionnaire fournira une base solide pour la réalisation de plusieurs entrées dans les prochains volumes du Dictionnaire biographique du Canada. Bref, notre programme de recherche offrira un point d’entrée unique vers un groupe d’individus qui a constitué l’élite québécoise dans toutes les disciplines entre 1930 et 1980.
Le programme des bourses d’Europe
Si la loi votée en 1920 par le gouvernement québécois, dirigé alors par Lomer Gouin, prévoit uniquement « l’octroi de bourses pour aider les élèves gradués à suivre des cours additionnels à Paris », des amendements en 1922 et en 1937 permettent aux récipiendaires de ces bourses d’aller se perfectionner dans à peu près n’importe quelle université ou école supérieure dans le monde (même au Canada).5 L’Europe, la France surtout, et les États-unis s’avéreront les endroits privilégiés par la plupart des boursiers.
Rappelons qu’en 1920, la création de la Faculté des sciences de l’Université de Montréal et celle de l’École supérieure de chimie à l’Université Laval représentent le point culminant d’un véritable mouvement scientifique au Canada français. La création du premier programme de bourses du gouvernement québécois s’inscrit à plein dans ce mouvement. Le relèvement scientifique de la formation des médecins fut d’ailleurs une des raisons invoquées pour créer la Faculté des sciences à Montréal, et il n’est pas étonnant que le programme de bourses, au départ, visait notamment à permettre à des médecins et à des diplômés en sciences d’aller se perfectionner à Paris. Au tout début, la loi prévoyait l’obtention de cinq bourses de 1200$, somme importante pour l’époque. Rapidement toutefois, leur nombre augmente et, à compter de 1922, quinze bourses sont décernées annuellement. Elles sont renouvelables et certains pourront en profiter pendant cinq ans. Au moment de son abolition en 1960, le programme aura permis à 664 jeunes Québécois de se spécialiser en médecine, en sciences et en arts. La majorité est formée de jeunes hommes francophones (79,6%), mais on y compte également des anglophones (10,9%) et des femmes (11,6%), pour la plupart dans des domaines artistiques. Les prêtres ne sont pas absents, mais représentent une infime partie des boursiers (3,5%).
C’est la médecine qui représente le domaine d’études le plus important avec 36,3% des récipiendaires des bourses d’Europe. Avec 6% des boursiers, le génie fait peut-être figure de parent pauvre, n’empêche que le programme a permis de former des spécialistes qui ont fait leur marque dans le champ universitaire et, plus largement, dans le développement d’une expertise en génie, notamment liée aux grands travaux publics; plusieurs travaux ont montré l’importance de l’engagement de chercheurs étrangers dans l’émergence de la recherche au Canada et à Polytechnique en particulier. En sciences, le pourcentage des boursiers est de 11,2%. Raymond Duchesne, dans un article sur l’institutionnalisation de l’enseignement et de la recherche scientifiques au Québec, consacre cinq pages au « Programme des bourses d’études du Secrétariat de la province » soulignant le « rôle actif [des boursiers] dans l’organisation de la recherche scientifique ».6 Il identifie une douzaine de scientifiques, formés grâce aux bourses d’Europe, qui représentent une génération d’universitaires ayant introduit des pratiques nouvelles au sein de leur département. Parmi eux, citons Cyrias Ouellet (études à Zurich et à Cambridge), Pierre Demers (études sà Cornell), Maurice l’Abbé, Basil White (études à Chicago) et René Pomerleau (La Sorbonne). L’analyse de Duchesne, bien que très succincte, montre la voie à suivre. Selon lui, les boursiers d’Europe « rapportent de leurs études et introduisent dans les facultés du Québec les habitus à la recherche et le modèle universel du professeur-chercheur, typique de la science moderne. »7 En sciences humaines et sociales tout comme en sciences économiques et en sciences de l’éducation, les boursiers sont également nombreux puisqu’ils représentent 22,3% de l’ensemble des boursiers. Les études sur la disciplinarisation de ces savoirs indiquent que le processus d’importation des modèles européen et américain a joué également un rôle non négligeable. Or, dans tous les domaines, nos données parcellaires révèlent que plusieurs pionniers dans ces champs d’études sont des boursiers de ce premier programme de bourses. C’est aussi vrai pour les sciences de la gestion. Les HEC, par exemple, ont régulièrement utilisé ce programme de bourses pour susciter de nouveaux programmes adaptés aux nouvelles réalités économiques, certains universitaires finissant d’ailleurs par occuper des postes dans la fonction publique. De façon peut-être assez inattendue, le domaine des arts se place au second rang, après la médecine, en ce qui a trait au nombre des boursiers. En effet, 24,2% des récipiendaires de bourses sont des artistes provenant des champs aussi différents que le design, la danse, la peinture, la reliure, le théâtre, la sculpture et la musique. Les boursiers comptent des noms extrêmement connus, tels Stanley Cosgrove, Jean-Philippe Dallaire, Hubert Aquin, Constance Beresford-Howe, André Mathieu, Alfred Pellan, André Turp, Hélène Loiselle ou Louis Quillicot. La majorité est allée étudier en France. Plusieurs de ces artistes ont participé au renouveau culturel du Québec à partir des années 1950 et ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’expression artistique.
Bref, la liste de ces boursiers, qui comporte des personnalités bien connues des historiens des sciences, de la médecine ou de l’art, nous indique que ce programme a exercé une influence importante sur le développement scientifique, intellectuel et artistique tant au Québec qu’au Canada.
1. Robert Gagnon est professeur au département d’histoire de l’UQAM. Il a écrit plusieurs ouvrages et articles sur l’histoire de l’éducation (Histoire de l’École Polytechnique de Montréal, Boréal, 1991; Histoire de la Commission des écoles catholiques de Montréal, Boréal, 1996) et sur l’histoire de la technologie (Questions d’égouts, Boréal, 2006). Denis Goulet est professeur affilié à l’Université de Sherbrooke. Il est un spécialiste de l’histoire de la médecine qui a écrit plus d’une dizaine d’ouvrages, notamment sur la profession médicale (Histoire du Collège des médecins, 1847-1997, CMQ, 1997), sur les spécialités médicales (Histoire de la gastro-entérologie au Québec, 1880-2005 et Histoire de la néphrologie, 1950-2007, Carte blanche, 2005, 2008), sur les institutions universitaires (Histoire de l’Université de Sherbrooke, 1954-2004, Éditions de l’Université de Sherbrooke et Histoire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, 1843-1993, VLB, 1993).
2. BOURDIEU, Pierre, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1983, chapitre 3.
3. DUCHESNE, Raymond, «La France et l’émergence des sciences modernes au Canada français (1900-1940)», dans P. PETITJEAN, C. JAMI et A.-M. MOULIN (dir.), Science and Empires : Historical Studies about Scientific Development and European Expansion, Dordrecht, 1992, p. 331-338.
4. ROUSSEL, Luc, Les relations culturelles du Québec avec la France, 1920-1965, Thèse de doctorat, Université Laval, 1983, p. 37-42.
5. Statuts de la Province de Québec, 10 George V, Chap. 9, 1920, p. 36; Statuts de la Province de Québec, 12 George V, Chap. 4, 1922, p. 27; Statuts de la Province de Québec, 2 George VI, Chap. 72, 1937, p. 257.
6. DUCHESNE, Raymond, «D’intérêt public et d’intérêt privé : l’institutionnalisation de l’enseignement et de la recherche scientifiques au Québec (1920-1940)» dans Y. LAMONDE et E. TRÉPANIER (dir.), L’avènement de la modernité culturelle au Québec, Québec, Institut québécois de la recherche sur la culture, 1986, p. 189-230.
7. Ibid, p. 208. D’autres chercheurs ont privilégié cette approche pour rendre compte de l’émergence et de l’institutionnalisation de la recherche scientifique, voir notamment : GINGRAS, Yves, Les origines de la recherche scientifique au Canada, Montréal, Boréal, 1991.
Les premiers Français au Québec
Les premiers Français au Québec
Sous la direction de Gilbert Pilleul. Paris, Archives & Culture, 2008. 205 p.
L’ouvrage, préparé sous la direction de l’historien français Gilbert Pilleul, fait appel à l’expertise d’une trentaine de spécialistes, historiens, ethnologues, généalogistes et conteurs des deux côtés de l’Atlantique, dont il a coordonné les travaux, pour présenter les grandes lignes de l’histoire de la Nouvelle-France et du Québec. Il renferme 84 textes, regroupés en cinq sections, qui développent chacun un sujet – par exemple, les civils, les militaires, les engagés, les Filles du roi, les missionnaires, les religieuses, etc. – en gardant le cap sur la réalité du Québec actuel. Tout en rappelant les grands événements, il porte une attention particulière à la composition de la population d’origine, la région dont elle provient, le milieu social et familial, la formation, métier ou profession exercés, les motifs de la traversée, de même que les caractéristiques, climat, ressources du territoire d’accueil et les activités, habitudes, coutumes développées pour s’y adapter.
de g. à d., Gilbert Pilleul, Jean-François Hébert |
La publication, une somme impressionnante1 de connaissances de plus de 200 pages, est de lecture agréable et accessible autant au grand public qu’à une clientèle plus spécialisée. Elle débute par un sommaire détaillé qui présente chacun des thèmes développés en les regroupant. Par exemple, le lecteur trouvera de l’information sur les activités journalières des ancêtres sous le titre « Travaux journaliers et saisonniers » coiffé de la grande rubrique « Vie quotidienne ». Bien illustrée, elle permet à l’occasion d’approfondir un sujet par la présentation de cas particuliers – par exemple la peine infligée à un paroissien à l’intérieur du texte « Les curés et la paroisse ». Caractéristique à signaler également, chaque texte renferme en encadré un point important que le lecteur doit garder à l’esprit en en effectuant la lecture – par exemple la phrase suivante dans le texte qui vient d’être mentionné : « Aucun domaine n’échappe au contrôle de l’Église : de l’habillement à l’alimentation, des divertissements à l’instruction ».
Les Premiers Français au Québec constitue un ouvrage de base pour comprendre le Québec actuel et la longévité du fait français en Amérique, un compagnon de tous les jours auquel le lecteur ne peut se dispenser de recourir pour mettre à jour ses connaissances de base sur l’évolution du Québec, depuis l’implantation des ancêtres en Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui.
http://www.decitre.fr/recherche/resultat.aspx?recherche=refine&collection=Vie+d’Autrefois
Monsieur Gilbert Pileul sera au Québec en septembre 2009 afin de présenter son ouvrage. Surveillez les informations à venir dans la section Quoi de neuf? de notre site Web.
1. Mentionner une correction à apporter à une édition ultérieure (p. 158), à savoir que le canal Rideau ne relie pas Montréal à Kingston, mais bien Ottawa à cette dernière ville, n’enlève rien à la qualité de cette publication.
Québec Capitale de la Nouvelle-France
Québec Capitale de la Nouvelle-France
par Gilles Durand
Ouvrage de Raymonde Litalien. Collection « Guide Belles Lettres des Civilisations », Paris, Société d’édition Les Belles Lettres, 2008. 236 p.
Raymonde Litalien, Salon du livre de Blois,
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Cet ouvrage a pour auteure Raymonde Litalien, une spécialiste de l’histoire de la Nouvelle-France. Celle-ci a consacré sa carrière à approfondir les sources archivistiques et à faire connaître les résultats de ses recherches dans de nombreuses publications d’excellente qualité. Il constitue une excellente présentation des grandes lignes de l’histoire de la Nouvelle-France, les événements importants, les caractéristiques physiques du territoire, l’organisation politique et sociale, les activités économiques et, fait à signaler, l’héritage culturel que les ancêtres ont apporté de France et fait fructifier sur leur territoire d’adoption, la littérature, les arts, les us et les coutumes.
Comme les autres publications de l’auteure, l’ouvrage est écrit dans un style limpide, coulant et facilement abordable par tout lecteur intéressé par le sujet, autant les spécialistes que le grand public. Caractéristique à signaler aussi, l’ouvrage peut être lu d’une couverture à l’autre, page après page, comme un ouvrage traditionnel, mais il se veut aussi un guide, c’est-à-dire que le lecteur peut y recourir pour avoir une information particulière sur un des nombreux aspects de l’histoire de la Nouvelle-France en faisant appel à l’index thématique à la fin de la publication – celle-ci renferme également un index des noms de personnes.
Visitez le site de la Société d’édition Les Belles Lettres: http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100277780
La Revue Cap-aux-Diamants édition No 96
La Revue Cap-aux-Diamants édition No 96. 58 p.
La Revue d’histoire du Québec Cap-aux-Diamants a fait paraître récemment son quatre-vingt-seizième numéro. Une livraison captivante consacrée au français québécois : ses manifestations historiques et géographiques (www.tlfq.ulaval.ca), ses points de ressemblance et de divergence avec le français de France de même que sa situation actuelle (http://franqus.usherbrooke.ca).
L’histoire du français au Quépbec se situe au cœur de la relation franco-québécoise. Les mots renseignent sur les régions de l’Hexagone d’où proviennent les ancêtres, le Nord-Ouest, l’Ouest et le Centre, de même que sur l’aventure périlleuse qu’ils n’ont pas hésité à entreprendre, la traversée de l’Atlantique. Ils témoignent des parlers provinciaux de Normandie, du Poitou, de l’Aunis, de la Saintonge et de la région parisienne. Ils nous permettent de connaître le moment de leur traversée au Québec – avant ou après que se sont imposés la norme de l’Académie et le bon usage de la cour du roi. Ils portent la marque des métiers de la mer : par exemple le mot bordée, employé par les marins français pour désigner l’ensemble des canons alignés de chaque côté d’un vaisseau, a pris dans la vallée laurentienne l’acception de chute de neige abondante et subite. Les mots portent aussi la couleur locale que les Québécois ont donnée au vieux tronc du français, cette « tige canadienne, pleine de sève, saine, vigoureuse » mentionnée par Adjutor Rivard en 1914. Ils reflètent la façon dont les linguistes québécois ont conçu leur rapport avec la France : jusqu’à la répression qui a fait suite aux rébellions de 1837-1838, ils ont entretenu une perception positive et teintée de fierté de leur identité et de la teinte particulière que le français avait prise en terre d’Amérique; par la suite, ils ont dénigré le parler canadien et ont recommandé un alignement prononcé sur l’usage de Paris.
Ce n’est qu’à compter de la Révolution tranquille qu’ils prendront leur distance face au français de France et à une norme linguistique définie unilatéralement par Paris. La préface de la revue est signée par le directeur du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ), Claude Poirier. Le TLFQ est un vaste projet mené par une équipe de participants et de collaborateurs extérieurs sur l’évolution de la forme et du sens des mots du français québécois depuis l’exploration des rives du Saint-Laurent par les navigateurs, pêcheurs et explorateurs du 16e siècle. Un premier ouvrage est paru en 1998 sous le titre Dictionnaire historique du français québécois, une deuxième édition plus complète est prévue prochainement (http://www.tlfq.ulaval.ca/dhfq2).
Sur un plan plus général, la revue Cap-aux-Diamants renferme également des comptes rendus d’ouvrage, des présentations d’exposition, d’œuvres d’art, d’activités à venir, etc.
Marie de l’Incarnation
Marie de l’Incarnation Femme d’affaires,
mystique et mère de la Nouvelle-France
par Gilles Durand
Un ouvrage de Françoise Deroy-Pineau. Montréal, Bibliothèque québécoise, 2008. 331 p. L’ouvrage a pour auteure Françoise Deroy-Pineau, montréalaise et tourangelle, sociologue et historienne, maîtrisant à fond l’histoire des pionnières de la Nouvelle-France. Il constitue une édition mise à jour d’un travail paru originellement chez Robert Laffont en 1989, par la suite chez Bellarmin en 19991.
L’auteure retrace le parcours exceptionnel d’une des grandes pionnières du système d’éducation québécois, Marie Guyart de l’Incarnation, née à Tours en 1599 et décédée à Québec en 1672, dans le contexte plus large de la société française et coloniale de l’époque. Femme d’affaires à ses débuts – elle assume la responsabilité de l’entreprise de transport de son beau-frère –, elle entre en 1631 chez les Ursulines. Huit ans plus tard, en 1639, elle se fait éducatrice missionnaire, quittant la chapelle Saint-Michel de Tours pour aller établir à Québec l’ordre dont elle fait partie. L’auteure entretient le lecteur de l’itinéraire de Marie de l’Incarnation à Québec, fondatrice du monastère des Ursulines à Québec, la première école de filles en langue française en Amérique du Nord, les difficultés rencontrées dans la mise à exécution de son projet d’éducation des Amérindiennes et son courage à toute épreuve. Le lecteur, qui se laissera tenter par l’aventure de cette religieuse dans le Nouveau Monde, aura l’occasion de découvrir toute la richesse de la correspondance soutenue qu’elle a entretenue avec son fils demeuré en France, dom Claude Martin, pour la connaissance des liens étroits entre le Québec et la mère patrie.
Visitez le site : BIBLIOTHÈQUE QUÉBÉCOISE
Cette nouvelle édition a été accompagnée du lancement d’un projet de valorisation de la Chapelle Saint-Michel de Tours d’où est partie Marie de l’Incarnation pour aller fonder une institution d’enseignement au Québec.
Histoire populaire du Québec. Tome V
Histoire populaire du Québec. Tome V
par Gilles Durand
de g. à d., Jacques Lacoursière
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Un ouvrage de Jacques Lacoursière. Québec, Septentrion, 2008. 458 p. L’historien bien connu, Jacques Lacoursière, a profité de la commémoration du 400e anniversaire de la fondation de Québec pour lancer le tome V de l’Histoire populaire du Québec. Dans cet ouvrage, il traite d’une période particulièrement importante aux yeux des Québécois, celle appelée la Révolution tranquille, période qui donne l’impression d’une coupure beaucoup plus radicale avec les années antérieures qu’elle n’a été en réalité, en raison de l’excès d’attention qui lui a été apportée. En conclusion, l’auteur précise le domaine qui, selon lui, a été l’objet du changement le plus important, l’éducation. Il nuance aussi : les années qui ont précédé 1960 avaient jeté à bien des égards les bases des changements que les Québécois allaient connaître. Traitant d’une période marquée par des échanges de beaucoup accrus entre le Québec et la France, l’auteur fait appel principalement aux sources journalistiques pour enrichir de façon marquée la mémoire récente que le Québec partage avec sa mère patrie. Les lecteurs ne pourront rester indifférents à un tel ouvrage. Les moins jeunes connaîtront probablement un moment de nostalgie, les plus jeunes découvriront des modifications substantielles au parcours des Québécois.
Septentrion : http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/livre.asp?id=2118
Entre poudrés et pouilleux Le jeu des apparences à Paris au XVIIe siècle. Récit historique
Entre poudrés et pouilleux.
Le jeu des apparences à Paris au XVIIe siècle. Récit historique
par Gilles Durand
Un ouvrage de Jacques Mathieu. Québec, Septentrion, 2008. 180 p.
Jacques Mathieu, Salon du livre de Blois,
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Le plus souvent, il est question de vie quotidienne, mais voilà que l’historien Jacques Mathieu, un spécialiste de l’histoire de la Nouvelle-France, innove. Il fait revivre la mémoire franco-québécoise par le biais de la vie intime d’un personnage moins connu, mais qui n’en conserve pas moins toute son importance. L’acteur principal du récit historique est le médecin et botaniste Jacques-Philippe Cornuty, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, dont la curiosité est stimulée par la découverte du Nouveau Monde. Il met à profit la collaboration toute particulière de l’apothicaire Louis Hébert qui lui envoie de Québec des plantes pour rédiger le premier livre des plantes de la Nouvelle-France. Cornuty est aussi un grand allié de la famille Sevestre. Les Sevestre forment une grande famille d’éditeurs, imprimeurs et libraires parisiens depuis trois générations. Ils ont à leur crédit le récit de Champlain publié en 1632. En 1639, ils doivent s’exiler en Nouvelle-France, pour avoir fait paraître des ouvrages d’alchimie remettant en cause les idées acceptées. Par bonheur, Catherine Sevestre demeure à Paris et entre au service de son oncle qui poursuit l’entreprise paternelle. Elle épouse Jacques-Philippe et le pousse à remédier à deux de ses handicaps comme médecin et auteur, sa faible clientèle professionnelle et son peu de lecteurs. Esprit curieux, avide de nouvelles connaissances, Jacques-Philippe s’éloigne de l’école de la Faculté de médecine de Paris qui prône la guérison par les plantes pour se laisser tenter par l’approche des hommes de science de Montpellier qui croient en la vertu des minéraux. Malheureusement, une telle réorientation cause sa perte : il administre une potion d’antimoine à une patiente qui provoque son décès.
L’auteur, Jacques Mathieu, imagine à l’occasion des épisodes de la vie intime de Cornuty, mais toujours il s’appuie sur des documents d’époque et s’inspire du contexte réel de la vie parisienne du 17e siècle, souvent partagée entre monde de courtisans et monde de gueux. Ce petit ouvrage, un volume de 180 pages, mérite d’être lu. Les lecteurs y découvriront des côtés cachés de la mémoire franco-québécoise du grand siècle.
Septentrion : http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/Livre.asp?id=2637