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Bulletin n°36, juin 2013

La francophonie nord-américaine sous la direction d’Yves Frenette, Étienne Rivard et Marc St-Hilaire : un nouvel atlas de la collection Atlas historique du Québec publié aux Presses de l’Université Laval

La francophonie nord-américaine sous la direction
d’Yves Frenette, Étienne Rivard et Marc St-Hilaire :
un nouvel atlas de la collection Atlas historique du Québec
publié aux Presses de l’Université Laval

Par Gilles Durand

 

La francophonie nord-américaine.

La francophonie nord-américaine

Une publication marquante et d’envergure
L’atlas historique de la francophonie, dont trois spécialistes, Yves Frenette, Étienne Rivard et Marc St-Hilaire, ont assumé la direction, est récemment paru, fin 2012, aux Presses de l’Université Laval. L’ouvrage de plus de 300 pages, format 23 cm x 31 cm, fait le point sur les fondements historiques et géographiques de la francophonie nord-américaine sur une période de plus de 400 ans, depuis l’établissement des premiers foyers de peuplement au tournant du 17e siècle jusqu’à l’aube du 21e siècle. C’est une œuvre de collaboration, 33 spécialistes des sciences humaines et sociales ayant mis en commun leur expertise et les résultats de leur recherche pour rendre compte d’une expérience quatre fois séculaire en Amérique du Nord.

Vue d’ensemble et contenu
La publication rend compte des faits de migration, de peuplement et d’occupation du territoire et les explique par les facteurs géographiques, socioéconomiques et sociopolitiques. Elle s’adresse autant au spécialiste qui désire faire le point sur une communauté francophone particulière qu’au lecteur grand public désirant en savoir un peu plus sur une région particulière en vue d’un éventuel voyage. Tout est mis en œuvre pour faciliter la lecture et suivre les parcours des francophones. Les notes, réduites au minimum, donnent l’essentiel, soit les écrits de l’auteur de chacun des textes et ceux d’autres spécialistes sur le même sujet. La trame textuelle s’appuie largement sur l’iconographie : celle-ci regorge de reproductions de photographies, cartes anciennes, gravures, tableaux chiffrés, encarts, autant d’informations qui permettent une récapitulation et invitent à revoir certains sujets traités dans le texte. L’ouvrage est divisé en cinq chapitres correspondant à autant de points forts qui encadrent l’évolution de la francophonie : 1604-1763, 1763-1860, 1860-1920, 1920-1960, 1960 à nos jours. Les textes de chaque chapitre sont présentés selon une logique spatiale, de la façade atlantique vers l’intérieur.

La mise en place des premiers foyers de peuplement, 1604-1763
Le premier chapitre couvre la période par excellence de l’expansion des Français depuis la façade atlantique jusqu’à la baie d’Hudson et, de là, au golfe du Mexique en passant par la région des Grands Lacs, de même que des relations avec la mère patrie : concentrations de populations le long des cours d’eau sur des bandes étroites et allongées, alliance et métissage avec les Amérindiens dans le cadre du commerce des fourrures, espoir non encore évanoui de trouver un passage pour le Pacifique, assurance d’une place bien à soi dans le concert des nations colonisatrices. Ces 150 premières années se terminent par une amère déception pour la France : celle-ci doit remettre la majorité de ses colonies à la Couronne britannique à la suite de la guerre de la Conquête et du traité de Paris de 1763. En même temps, ces événements s’accompagnent d’une grande épreuve pour une partie de ses ressortissants, la déportation des Acadiens – des 12 618 qu’ils étaient avant 1763, il n’en reste en cette année que 1 250 sur le territoire de la Nouvelle-Écosse, 300 à l’Île-du-Prince-Édouard et 700 sur le pourtour de la baie des Chaleurs. N’importe, la population canadienne, au nombre d’environ 75 000, est fortement concentrée dans la vallée du Saint-Laurent, qui devient le pivot pour l’expansion du fait français en Amérique du Nord.

La marche de la frontière agricole et commerciale, 1763-1860
Le deuxième chapitre ouvre une nouvelle ère, les années 1763-1860, celles des relations entre les différentes régions de l’Amérique du Nord. À la suite du traité de Paris de 1763, les descendants de Champlain continuent de se répandre sur l’espace nord-américain à la mesure de l’avancée de la frontière agricole et commerciale. Quelques événements sont particulièrement à signaler pour cette période. L’ancienne Acadie se reconstitue, entre autres par des retours de ses premiers occupants, mais cette fois surtout sur le territoire qui devient le Nouveau-Brunswick en 1784, plutôt qu’en Nouvelle-Écosse. En raison de leur vitalité démographique, les habitants de la vallée du Saint-Laurent sont amenés à repousser la frontière du Québec au sud de la zone seigneuriale, dans l’aire découpée en cantons par l’administration britannique; en même temps, ils étendent leur participation au commerce des fourrures toujours plus à l’Ouest, favorisant le développement des communautés métisses. Quant aux Louisianais, à la suite de la vente de leur territoire aux États-Unis en 1803, ils conservent leur héritage francophone, mais doivent le vivre de plus en plus en anglais.

Les grandes migrations, 1860-1920
Le troisième chapitre, le plus long, est consacré à 60 années de migrations massives sur le sous-continent nord-américain, de 1860 à 1920. Parmi les anciens foyers de peuplement, l’Acadie, la vallée du Saint-Laurent et la Louisiane, c’est le second qui vole la vedette comme point de départ des migrants. Plus de 900 000 Canadiens français traversent la frontière. Ils se dirigent surtout vers les industries textiles et de la chaussure de la Nouvelle-Angleterre. Ils poursuivent aussi leur avancée dans le Midwest américain, au nord de l’Ontario et jusqu’à la côte du Pacifique pour participer à l’industrie forestière et minière. À la recherche de mieux-être, ils ne boudent pas l’industrialisation, s’établissant tant dans les villes qu’à la campagne, là où le potentiel économique est le plus prometteur. Ils effectuent leur marche sans l’aide de l’État. Devenus minoritaires, ils comptent, pour réussir leur établissement, sur un regroupement à l’échelle locale, leur réseau familial et les institutions qu’ils se donnent, au premier chef la paroisse « nationale ». Les francophones européens, Français, Belges, Suisses, etc. prennent part à ces mouvements, pour des motifs économiques également, beaucoup appartenant au monde agricole, industriel et des services. Ils le font cependant dans une proportion beaucoup moindre : pour s’en tenir aux seuls Français établis aux États-Unis en 1920, les chiffres tournent aux alentours de 150 000 personnes.

Les années de transition, 1920-1960
Dans le quatrième chapitre, les migrations internes continuent sur leur lancée, mais perdent de leur intensité. Un des faits marquants est la reprise du vieux rêve de conquête du Nord à la suite du rattachement au Québec par Ottawa de la partie nord de son territoire en 1898. À compter des années 1920, les Canadiens français du Québec y pénètrent, attirés par son potentiel minier, forestier et, dans une moindre mesure, agricole. Des villes prennent naissance en Abitibi, Val d’Or, Amos, Rouyn-Noranda, Senneterre, La Sarre, de même qu’au Nouveau-Québec – dénommé maintenant la région Nord-du-Québec –, Chibougamau, Chapais. En même temps, la Côte-Nord s’urbanise avec des villes comme Baie-Comeau et Sept-Îles, liées à l’exploitation minière et forestière. Le coup d’envoi est donné pour les développements des années 1960 et suivantes liés au potentiel hydro-électrique.

Les reconfigurations, 1960 à nos jours
Le cinquième et dernier chapitre conclut l’ouvrage en questionnant et en suscitant la réflexion sur l’avenir des francophones en Amérique du Nord. Au tournant du 21e siècle, à l’exception du Québec où la majorité de locuteurs du français se concentre et où ils peuvent s’appuyer sur un État pour les supporter, les francophones sont partout minoritaires, menacés même dans leur survie. Ne pouvant compter d’une façon sûre sur l’immigration pour refaire leurs rangs, ils sont confrontés à la langue anglaise devenue véhicule des affaires. En même temps, ils deviennent moins revendicateurs de leur origine ethnique et tendent à s’identifier à leur nouvelle communauté majoritaire d’appartenance. La victoire n’est pas assurée d’avance même s’ils peuvent compter sur des appuis solides : d’abord le Québec comme pivot et principal pôle de développement de la francophonie nord-américaine, ensuite le militantisme et le dynamisme de certains de leurs chefs de file. Ceux-ci tentent de rassembler les leurs à partir des éléments les plus sensibles de la mémoire collective. Ils s’impliquent à fond pour l’éducation en français, mettent sur pied des associations, suscitent la tenue de congrès et d’activités de commémoration. Malgré tout, au dire des directeurs de l’ouvrage, le moment n’est-il pas venu de penser au réseautage de la francophonie à l’échelle des deux Amériques confondues y compris Haïti, les effectifs de langue française pour l’ensemble étant loin d’être négligeables.

Un outil indispensable pour poursuivre l’étude et la recherche
La publication ne peut constituer meilleur point de départ pour localiser les francophones en Amérique du Nord et suivre leur évolution à partir des premiers foyers de peuplement. Elle présente en effet la liste des études les plus récentes de même que les statistiques, bases de données et fichiers géographiques sur lesquels les travaux s’appuient. La lecture de l’atlas aiguise la curiosité et donne un avant-goût de l’intérêt des bibliothèques et des archives pour aller plus loin.

Les Tribunaux et l’arbitrage en Nouvelle-France et au Québec de 1740 à 1784, Arnaud Decroix, David Gilles et Michel Morin, Les Éditions Thémis, 2012

Les Tribunaux et l’arbitrage en Nouvelle-France et au Québec de 1740 à 1784,
Arnaud Decroix, David Gilles et Michel Morin, Les Éditions Thémis, 2012, 472 p.

Par Evelyn Kolish, PhD

 

Les Tribunaux et l'arbitrage en Nouvelle-France et au Québec de 1740 à 1784.

Les Tribunaux et l’arbitrage en Nouvelle-France et au Québec de 1740 à 1784

Cet ouvrage, écrit en collaboration par Decroix, Gilles et Morin, se situe explicitement dans le contexte général du vieux débat historiographique sur l’impact de la Conquête. Plus spécifiquement, il se veut une réponse aux critiques formulées par Jean-Philippe Garneau 1 sur les hypothèses d’André Morel dans son article pionnier 2 sur la « résistance passive » des Canadiens à l’imposition du droit anglais dans la foulée de la Proclamation royale de 1763. Morel croyait trouver dans le petit nombre de litiges en matière familiale la preuve d’un boycottage systématique des tribunaux « anglais » par les Canadiens. Ce boycottage résulterait probablement, à son avis, d’un recours à l’arbitrage extrajudiciaire, afin d’éviter l’application du droit anglais dans un secteur si névralgique. Garneau voyait dans ses propres recherches plus de continuité que de rupture et regrettait que Morel n’ait pas pu étudier et contraster « le comportement des Canadiens avant et après la Conquête, particulièrement à l’égard des « affaires de famille », de l’arbitrage ou de règlement des différents devant notaires » (p. 7). Les recherches des trois auteurs visent justement cette problématique, en plus de s’inscrire dans un questionnement sur le rôle de l’arbitrage dans la justice ou l’infrajustice.

Alors, de manière très systématique, les auteurs regardent d’abord la doctrine et la pratique de l’arbitrage, dans la France de l’Ancien Régime et dans l’Angleterre et ses colonies nord-américaines à la même époque. Ensuite, ils analysent les résultats de leur dépouillement des fonds judiciaires et notariaux de la Nouvelle-France pour bien cerner le recours à l’arbitrage par les Canadiens avant la Conquête. Michel Morin enchaîne avec une analyse du contexte politique et juridique des décennies qui suivent immédiatement la Conquête. Cette mise en scène permet au lecteur d’apprécier ensuite les résultats plus techniques de leurs recherches sur la pratique de l’arbitrage devant les nouveaux tribunaux et devant notaire entre 1763 et 1784. On notera que les auteurs ont également étudié le recours au jury en matière civile, une possibilité juridique issue du droit anglais pouvant donner des résultats semblables à l’arbitrage.

Les résultats sont fort intéressants et témoignent d’une amélioration importante dans les possibilités de recherche dans les archives judiciaires et notariales de nos jours, comparées à l’époque où André Morel a formulé ses hypothèses. L’élaboration de bases de données descriptives des dossiers judiciaires et des actes notariés pour le Régime français et le début du Régime anglais a énormément facilité la tâche des chercheurs. On voit un signe de l’importance de cette plus grande ouverture des archives dans le choix de la date limite de l’ouvrage : 1784 représente la limite de la base de données notariales Parchemin. Facile de comprendre qu’une étude exhaustive des cas d’arbitrage notarial de 1740 à 1784 serait difficile sinon impossible sans Parchemin. Le foisonnement de références détaillées à des dossiers judiciaires spécifiques dans les notes infrapaginales de l’ouvrage illustre aussi comment l’ajout des descriptions de ces dossiers dans PISTARD 3 a pu contribuer à de telles recherches. Ces nombreuses références détaillées feront le délice des amateurs de cas concrets et de la petite histoire, en plus de démontrer la rigueur des recherches effectuées par les auteurs.

Que montrent enfin ces archives? D’abord, les auteurs ont pu établir qu’avant la Conquête comme après, la proportion de litiges touchant les affaires de famille reste stable et petite—généralement autour de 5% des litiges. En deuxième lieu, les documents d’archives confirment « de manière éclatante que, de 1764 à 1775, les juges, les notaires et les avocats continuent, de manière systématique, d’appliquer le droit privé de la Nouvelle-France » (p. 434) malgré la Proclamation royale. À l’évidence, les Cours des plaidoyers communs ont bien joué leur rôle d’amortisseur face à l’introduction du droit anglais et il n’y avait donc aucune raison pour que les Canadiens évitent un litige devant ces tribunaux par souci pour les traditions juridiques. Notez par ailleurs que les auteurs ont examiné plusieurs causes où les arguments apportés par des avocats prônaient ou fustigeaient l’ancien droit, puis ils ont observé que « les parties invoquent évidemment les règles qui leur sont, avant tout, les plus favorables… » (p. 288) sans égard à leur appartenance ethnique. Enfin, en regardant le recours à des actes extrajudiciaires d’arbitrage consignés devant notaire, les auteurs démontrent que la proportion de ces actes concernant des affaires de famille est aussi importante avant la Conquête qu’après. L’adoption de l’Acte de Québec, qui restaure l’ancien droit civil, ne résulte pas non plus dans une diminution du recours à l’arbitrage extrajudiciaire devant notaire.

Quant au rôle de l’arbitrage dans la dichotomie justice et infrajustice, les auteurs explorent cette question minutieusement. Certes, les médiations et ententes à l’amiable qui restent verbales échappent à toute tentative d’analyse, mais les documents étudiés apportent un éclairage précieux à ce débat.

Regardons d’abord leurs conclusions concernant l’arbitrage lié directement aux procès. Les auteurs constatent, entre autres, que l’arbitrage, en France et en Nouvelle France, comme en Angleterre et ses colonies, faisait régulièrement partie des procédures judiciaires. Les autorités et la doctrine l’encourageaient, avant et pendant les procès, comme un moyen d’éviter une surcharge de travail aux tribunaux.  Les documents démontrent que l’arbitrage en Nouvelle-France et au Québec s’apparente souvent à l’expertise, dans la mesure où il s’adresse surtout à des questions de détermination des faits plutôt qu’à des décisions de nature juridique. Il y a même souvent une certaine confusion entre les termes « arbitres » et « experts »dans les documents judiciaires. Généralement cependant, les experts sont plus restreints dans leur mandat, les juges tranchant après réception de leur avis. Par contraste, les juges délèguent leurs décisions aux arbitres, dont ils homologuent tout simplement les rapports. L’arbitrage s’est généralement fait à la demande ou au moins avec l’accord des parties. Il concerne souvent des cas commerciaux, de règlement de compte ou d’association. Il est intéressant de noter que le recours des juges à l’arbitrage augmente après la Conquête puisque les juges de la Cour des plaidoyers communs de Montréal en particulier y sont assez favorables.

Une analyse des compromis arbitrés par des notaires ou simplement consignés dans des actes authentiques offre un certain aperçu de l’arbitrage extrajudiciaire. Présent déjà avant la Conquête, l’arbitrage notarial augmente de façon importante sous le régime anglais. Plusieurs notaires, comme les Panet, deviennent en quelque sorte des « spécialistes » de l’arbitrage, puis servent d’arbitres autant dans des cas extrajudiciaires que dans ceux où une cour ou les juges de paix les nomment pour régler un litige. Cependant de nombreux notaires ne font qu’instrumenter le résultat d’un arbitrage effectué par des habitants, des notables ou des commerçants, les habitants formant la vaste majorité des arbitres. Par ailleurs, une bonne proportion des compromis notariés (aux alentours d’un tiers) (p.410) prennent racine dans l’appareil judiciaire. En ajoutant ces cas aux arbitrages décelés dans les dossiers judiciaires, il appert que l’arbitrage est même « majoritairement initié par les juges de 1764 à 1784 » (p. 433).

Si les affaires de famille sont toujours présentes, les questions d’obligations (concernant des meubles et des immeubles) et de servitudes forment ensemble plus des deux tiers des actes d’arbitrage notariés. L’analyse des ces actes permet de constater que même avant l’Acte de Québec, les notaires ne se réfèrent jamais au droit anglais et continuent de se baser, souvent explicitement, sur la Coutume de Paris « en contravention de l’esprit de la Proclamation royale, mais en parfaite conformité avec la pratique de la Cour des plaidoyers communs » (p. 402).

Enfin, les auteurs examinent aussi le recours au jury en matière civile devant les Cours de plaidoyers communs. Les plaideurs des deux ethnies recourent à cette alternative tirée du droit anglais. Les jurys civils traitent essentiellement des cas commerciaux. À Québec, le recours au jury est plus le choix des anciens sujets et à partir de 1771 les renvois aux jurys sont plus nombreux que ceux aux arbitres, sans cependant que ces derniers cessent. À Montréal, par contraste, les juges privilégient les renvois aux arbitres, puis la majorité des renvois aux jurys opposent deux parties d’origine française.

En conclusion, les archives judiciaires et notariales « n’ont pas conservé la trace d’une résistance passive consistant à délaisser les tribunaux pour s’adresser à des arbitres » (p. 403). L’arbitrage a plutôt permis la participation d’habitants, de notaires et de notables dans l’administration de la justice et semble bien « davantage le symbole de la continuité des institutions et du droit privé de la Nouvelle France qu’une preuve du rejet des nouvelles institutions judiciaires » (p. 434). Les auteurs rejoignent ainsi dans leurs conclusions celles d’autres historiens ayant exploité intensivement les archives judiciaires et notariales 4 , puis illustrent l’écart entre le discours des élites et la pratique. Leur ouvrage apporte une importante contribution au débat sur les effets de la Conquête puis approfondit nos connaissances dans l’histoire du droit et de l’administration de la justice au Québec.

 

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NOTES

(1) Jean-Philippe Garneau, « Droit et « affaires de famille » sur la Côte-de-Beaupré : histoire d’une rencontre en amont et en aval de la Conquête britannique », (2000) 34 Revue Juridique Thémis, 515-561.
(2) André Morel,  « La réaction des Canadiens devant l’administration de la justice de 1764 à 1774, une forme de résistance passive », (1960) 20 Revue du Barreau, 53-63.
(3) PISTARD est l’état de fonds informatique des centres d’archives de BAnQ.
(4) Tels que Jean-Philippe Garneau, pour les notaires, puis Donald Fyson, pour les archives judiciaires.

La rumeur dorée : Roberval et l’Amérique/Bernard Allaire, Montréal, Les Éditions La Presse, publ. en collab. avec Commission de la capitale nationale du Québec, 2013

La rumeur dorée : Roberval et l’Amérique/Bernard Allaire, Montréal, Les Éditions La Presse, publ. en collab. avec Commission de la capitale nationale du Québec, 2013, 159 p.

Par Gilles Durand

 

La rumeur dorée : Roberval et l'Amérique.Un nouveau regard sur le 16e siècle
Les Éditions La Presse en collaboration avec la Commission de la capitale nationale du Québec (CCNQ) ont récemment lancé, en 2013, La rumeur dorée : Roberval et l’Amérique. Préparé par Bernard Allaire, historien spécialiste du 16e siècle, la publication retrace les circonstances entourant le premier établissement français d’importance en Amérique et présente son principal protagoniste, encore largement méconnu, Jean-François de La Rocque, seigneur de Roberval. C’est un ouvrage d’érudition d’intérêt tant pour le grand public que pour l’historien de métier. L’auteur traite avec beaucoup d’habileté d’un sujet dont les sources de première main n’abondent pas, mais qu’il sait faire parler par sa connaissance des études sur l’ensemble de l’époque. Écrit dans un style très soigné, l’ouvrage demeure de lecture facile : les notes sont réduites au minimum, une bibliographie étant reportée en fin de volume; le texte est abondamment illustré de façon à permettre à l’œil de se reposer; il est aussi accompagné de cartes et à l’occasion d’encadrés faisant le point sur certaines questions. La préface est signée de la plume de Raymonde Litalien, spécialiste elle-aussi de l’histoire de la Nouvelle-France.

Le contenu de l’ouvrage
L’ouvrage est divisé en sept chapitres : une présentation de Roberval, sa famille, ses possessions foncières, sa fortune (chap. 1), ses talents de militaire et de gestionnaire, le personnage étant replacé dans le contexte de l’époque marqué par les conflits entre le roi de France, François 1er et les souverains d’Espagne et d’Angleterre (chap. 2), la préparation du projet confié à Roberval en tant que vice-roi et chef de l’expédition avec l’assistance de Jacques Cartier , tels le choix des navires, les approvisionnements, les colons (chap. 3), le séjour de Cartier au cap Rouge, en 1541-1542, avec une partie des colons, incluant la construction de forts et le quotidien de la colonie (chap. 4), le report d’une année du départ de la flotte de Roberval, impliqué dans le conflit européen (chap. 5), le séjour de Roberval au cap Rouge en 1542-1543 et le vécu de la colonie sans la présence de Cartier retourné en France (chap. 6), la fin de la carrière de Roberval en sol français jusqu’à son décès à Paris en 1560 (chap. 7).

L’intérêt de la publication
Une aventure du 16e siècle, époque de découverte et de changement
La publication permet de poser un regard neuf sur la découverte de l’Amérique. L’établissement du cap Rouge se réalise au 16e siècle, une période correspondant aux premières entreprises d’exploration et de colonisation de la planète. Les responsables du projet sont animés par ce que l’auteur appelle la « rumeur dorée », une nouvelle qui se répand sur l’existence de métaux précieux et d’une voie à travers l’Amérique pour atteindre la mer de l’Ouest et l’Asie. À l’arrivée de Cartier et de Roberval, la vallée du Saint-Laurent est encore peuplée d’Iroquoïens, ce qui ne sera plus le cas lors de la venue de Champlain au début du 17e siècle, une absence que l’auteur explique par l’agriculture extensive pratiquée et le choc microbien. Enfin, la colonie du cap Rouge inaugure une tradition de colonie pénitentiaire outre-mer : le recrutement de prisonniers fortunés et rompus à certains métiers présente l’avantage d’exiger une mise de fonds moins grande et évite d’encombrer les navires d’un trop grand nombre de passagers; en contrepartie, il exige la présence accrue de militaires pour encadrer.

La sortie de Roberval des coulisses de l’histoire
L’ouvrage de Bernard Allaire sort Roberval de l’ombre de Cartier, celui-ci ayant déjà une certaine longueur d’avance par les deux voyages effectués en 1534 et en 1535 et peut-être aussi en raison de sa foi catholique – Roberval ne cachant pas son penchant pour la réforme protestante.

Les reproches adressés à Roberval d’avoir des dettes à son décès et d’avoir quitté la colonie du cap Rouge sans laisser d’établissement permanent doivent être revus en tenant compte du contexte de l’époque. Dans le premier cas, il est décédé endetté – tout comme Cartier d’ailleurs – non pas en raison d’une vie dissolue, mais à cause, entre autres, des exigences de sa carrière d’officier militaire qui l’obligent à racheter des prisonniers à l’ennemi. Dans le second cas, l’héritage laissé au cap Rouge, quelque mitigé qu’il puisse paraître au point de départ, trouve explication dans les conflits européens impliquant François 1er et dans la demande du souverain de leur accorder la priorité – en rapatriant tous les colons du cap Rouge.

Dans l’ensemble, comme chef de l’expédition du cap Rouge, Roberval n’en sort pas moins avec un bilan positif. La traversée et le séjour en Amérique de militaires, de colons et de prisonniers, au total plusieurs centaines, s’effectuent sans naufrage et mutinerie; l’ordre est maintenu. La rumeur fait place à la certitude quant aux pierres et métaux découverts. Elle ouvre la porte à plus de réalisme quant à l’atteinte rapide et facile de l’Asie à partir d’Hochelaga. L’expédition de Roberval au site du cap Rouge et l’exploration de l’intérieur jusqu’à Hochelaga constituent enfin une expérience d’acclimatation et de prise de possession de territoire qui facilitera l’enracinement à compter du 17e siècle.

La compagne d’une exposition intitulée La colonie retrouvée

La colonie retrouvée.

La colonie retrouvée
Source : L’Info Capitale

La publication La rumeur dorée coïncide avec la présentation d’une exposition, intitulée La colonie retrouvée, au Musée de l’Amérique francophone de Québec jusqu’au 27 septembre 2015. L’exposition est une coréalisation de la Commission de la capitale nationale du Québec et des Musées de la civilisation de Québec. Elle propose des récits sonores, des créations vidéos, une représentation du fort, une scénographie multimédia de même qu’une centaine d’objets du 16e siècle mis au jour dans le cadre des fouilles sur le site archéologique Cartier-Roberval. Ces documents et ces vestiges permettent de retracer une expérience unique, celle de la première tentative de colonisation française en Amérique, et font vieillir le Québec de plus de 65 ans.

Un complément à la mise en valeur du site Cartier-Roberval du cap Rouge
Le site archéologique Cartier-Roberval, situé au confluent de la rivière Cap-Rouge et du fleuve Saint-Laurent, revêt une importance mondiale, étant le seul lieu fortifié européen du 16e siècle au nord du Mexique. Il témoigne de la volonté de la France de s’installer à demeure dans le Nouveau Monde. Les campagnes de fouilles, menées par la CCNQ en partenariat avec le ministère de la Culture et des Communications depuis 2007, ont permis de faire des découvertes importantes : les fondations de l’un des deux forts construit au sommet de la falaise; plus de 6 000 artefacts et écofacts, céramique amérindienne, faïence italienne, quincaillerie, coutellerie, grains de maïs et restes de plantes autochtones témoignant de la présence d’occupants de statut social différent de même que d’échanges entre Français et Iroquoïens. La CCNQ poursuit à l’heure actuelle des travaux de consolidation du site en vue de permettre aux générations actuelles et futures de profiter pleinement de leur patrimoine culturel. D’ailleurs le grand public est invité à visiter le site, en compagnie d’un archéologue, durant tout le mois d’août 2013, proclamé le Mois de l’archéologie.

Un nouveau livre sur l’histoire de Montréal et de ses premiers habitants

Un nouveau livre sur l’histoire de Montréal
et de ses premiers habitants

Les Premiers Montréalistes 1642-1643. Les origines de Montréal.

 

Montréal, le 15 mai 2013. La Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) et le Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal procéderont aujourd’hui au lancement de l’ouvrage Les Premiers Montréalistes 1642-1643. Les origines de Montréal de l’historien et généalogiste Marcel Fournier, auteur d’une dizaine de publications sur le peuplement de la Nouvelle-France.

Ce livre vient actualiser les recherches entreprises depuis 120 ans sur l’histoire des premières années de la métropole du Québec. Cette publication s’inscrit dans le cadre des commémorations qui marqueront, en 2017, le 375e anniversaire de la fondation de Montréal par Paul de Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance. Ce livre rend hommage aux pionniers et aux pionnières présents à Ville-Marie en 1642 et en 1643. Le répertoire des premiers Montréalistes, nom donné aux premiers habitants de Ville-Marie, est précédé d’un survol de l’histoire de Montréal et du rôle joué par la Société de Notre-Dame lors de la fondation de Ville-Marie. Des notices biographiques complètent l’information sur les premiers habitants. Plus de 120 illustrations, en couleur et en noir et blanc, tirées de  différents fonds d’archives, agrémentent cet ouvrage de 172 pages.

La Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, le Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal et le Musée de Pointe-à-Callière ont été heureux d’apporter leur collaboration à la réalisation de cet ouvrage dont la préface est signée par Francine Lelièvre, vice-présidente de la CFQLMC et directrice générale de Pointe-à-Callière. Le livre sera disponible à compter du 16 mai 2013 dans les boutiques des principaux musées d’histoire de Montréal, à la Société généalogique canadienne-française et dans les librairies Pauline, rue Masson à Montréal, et Alire de la Place Longueuil.

Source :
Gilles Durand
gilles_du@hotmail.com       
CFQLMC

Une nouvelle synthèse historique par l’historien et professeur Éric Bédard : L’Histoire du Québec pour les nuls parue en 2012 aux Éditions françaises First

Une nouvelle synthèse historique
par l’historien et professeur Éric Bédard :

L’Histoire du Québec pour les nuls
parue en 2012 aux Éditions françaises First

Par Gilles Durand

 

L'Histoire du Québec pour les nuls.

Crédit : Éditions First 

Lancement de l’ouvrage à la Fondation Lionel-Groulx
Le lundi 13 novembre 2012 est lancée l’Histoire du Québec pour les nuls au siège social de la Fondation Lionel-Groulx à Montréal en présence de plusieurs personnalités. L’événement constitue pour l’auteur, Éric Bédard, historien et professeur d’histoire à la Télé-université, une triple occasion : celle d’entrer dans le cercle des auteurs de la célèbre collection « pour les nuls » – l’Histoire de France pour les nuls ne constitue-t-elle pas un énorme succès de librairie pour l’auteur Jean-Joseph Julaud, vendue à plus de 100 000 exemplaires –; celle de s’adresser à un grand public dont la formation en histoire n’est pas sans lacune et dont la mémoire est une faculté qui oublie; celle enfin de répondre au désir des nouveaux arrivants de mieux connaître leur patrie d’adoption. « J’explique moins que je raconte, d’écrire l’auteur. Pour interpréter l’histoire, encore faut-il en connaître sa chronologie la plus élémentaire, ses événements les plus significatifs. Je tente ici une synthèse des faits les plus marquants de l’histoire du Québec (p. 2). »

L’Histoire du Québec : caractéristiques et contenu
Préfacé par un passeur de mémoire dont l’engagement n’a plus à être démontré, Jacques Lacoursière, l’ouvrage d’Éric Bédard, fruit de plusieurs années de recherche, d’enseignement et de réflexion, rappelle l’aventure complète en terre d’Amérique de ceux qui deviennent des Québécois, depuis les premières explorations au 16e siècle jusqu’au gouvernement du Parti québécois élu le 4 septembre 2012. Comme il s’adresse au grand public, l’auteur rédige dans un style coulant, capable de soutenir l’intérêt du lecteur. Continuellement, il sollicite la curiosité de celui qui parcourt son ouvrage au moyen d’encadrés disséminés à travers le texte et d’icônes placés en marge. Les notes infrapaginales sont absentes, mais compensées par une bibliographie sélective en fin d’ouvrage.

L’auteur présente les faits et gestes des Québécois sur une période de plus de quatre siècles en 25 chapitres regroupés en six grandes parties. Celles-ci correspondent à un découpage qui s’écarte à l’occasion de celui avec lequel nous sommes familiers. La première partie, celle de la Nouvelle-France, prend fin en 1754, avec le début de la guerre de la Conquête plutôt qu’avec la cession du Canada à la Grande-Bretagne. Suivent deux autres parties qui nous entretiennent de résilience (1754-1867) et de survivance (1867-1939). La quatrième partie, correspondant à la Révolution tranquille marquée par l’intervention grandissante de l’État dans la vie de tous les jours, est réintitulée « reconquête tranquille »; elle débute en 1939, avec l’arrivée au pouvoir du parti libéral d’Adélard Godbout, plutôt qu’au tournant des années 1960. Elle laisse place à une cinquième période, coiffée de l’expression « Province ou un pays? », commençant en 1967 et marquée par la naissance et la montée du projet souverainiste de même que par des visions différentes sur les limites de l’État-providence. L’historien fait suivre son découpage d’une sixième et dernière partie, présentant des personnages, des symboles et des sites phare avec lesquels les Québécois s’identifient d’une façon marquée. Enfin, des annexes, comprenant une chronologie, une carte géographique et une bibliographie sélective – comme nous l’avons indiqué ci-dessus – permettent aux lecteurs de se retrouver plus facilement.

Un ouvrage à lire et à relire
À coup sûr, la synthèse d’Éric Bédard constitue un ouvrage marquant. Tous y trouveront leur compte, historiens comme grand public : des passages pourront donner lieu à des découvertes, celles de faits et gestes qui avaient échappé à l’attention; d’autres pourront conduire à des redécouvertes, résultant de liens entre deux événements jusque-là passés inaperçus. Même les intéressés à la relation franco-québécoise ne resteront pas sur leur appétit : si la première partie de l’ouvrage présente une aventure partagée de part et d’autre de l’Atlantique, les divisions suivantes n’entrouvrent pas moins la porte à l’occasion sur une France qui n’est pas très éloignée.

Les lecteurs désireux de poursuivre la réflexion sur l’ensemble de l’ouvrage sont aussi invités à prendre connaissance de textes parus, entre autres, dans Le Devoir et dans La Presse :

De même, pour les cinquante dernières années, la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs rappelle l’intérêt d’une de ses publications parue à l’automne 2011 sous le titre Les textes marquants des relations franco-québécoises (1961-1911) aux Éditions MultiMondes

L’Histoire des communautés religieuses au Québec : une œuvre marquante pour mieux nous connaître

L’Histoire des communautés religieuses au Québec : une œuvre marquante pour mieux nous connaître

Par Gilles Durand

 

Histoire des communautés religieuses au Québec.

Histoire des communautés religieuses au Québec

Portée de la publication
L’ouvrage de Guy Laperrière sur l’Histoire des communautés religieuses au Québec constitue le couronnement de 40 années de recherche et d’enseignement à l’Université de Sherbrooke. Il fait suite à une analyse plus spécialisée de ces communautés par l’auteur, intitulée Les congrégations religieuses. De la France au Québec, 1880-1914 et publiée en trois volumes aux Presses de l’Université Laval entre 1996 et 2005. La présente publication se veut une vue d’ensemble sur les communautés qui ont oeuvré au Québec depuis le 17e siècle jusqu’à aujourd’hui : leur nombre, leur importance en terme de membres, leur tout premier début, les multiples dimensions de leurs activités tant dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux qu’au niveau contemplatif. De façon à faciliter la lecture, elle est dépouillée de notes infrapaginales, invitant plutôt le lecteur à consulter la bibliographie en fin d’ouvrage pour approfondir ses connaissances.

Contenu
La publication comprend 16 chapitres regroupés en quatre grandes parties*. La première partie commence avec la fondation de la Nouvelle-France et prend fin en 1840, début d’un important réveil religieux. C’est une époque héroïque (chap. 1 et 2) au cours de laquelle des communautés d’hommes et de femmes, animées par l’esprit missionnaire de la réforme catholique, partent à la conquête du Nouveau Monde; ils jettent les fondements d’institutions qui se maintiennent sous leur gouverne jusqu’à la Révolution tranquille des années 1960 : maisons d’enseignement, hôpitaux, asiles pour vieillards, infirmes, orphelins, pauvres. C’est aussi une période marquée par des moments sombres (chap. 3) faisant suite à la Conquête britannique : les communautés religieuses d’hommes, se voyant interdire tout recrutement – sans compter l’abolition de l’ordre des jésuites par le pape Clément XIV en 1773 –, s’éteignent temporairement dans la colonie au début du 19e siècle.

Les 2e (chap. 4 à 7) et 3e (chap. 8 à 13) parties couvrent plus d’une centaine d’années, de 1840 à 1960. Celles-ci, faisant suite aux rébellions et étant témoins de la montée de l’ultramontanisme, sont déterminantes pour les communautés religieuses du Québec, tant pour leur variété, leur nombre que pour l’importance de leurs effectifs. Deux facteurs y contribuent en particulier. Tout d’abord, le dynamisme du deuxième évêque de Montréal (1840-1877), Mgr Ignace Bourget, qui se démarque par son engagement pour la fondation de nouvelles communautés religieuses de même que pour l’implantation de communautés françaises en territoire québécois. En second lieu, une série de mesures adoptées par le gouvernement français à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle amène les communautés religieuses enseignantes à émigrer, en particulier au Québec. Celui-ci profite grandement de leur présence. Toutes ces congrégations ne manquent pas de répondre à des besoins plus grands, à l’occasion nouveaux et de plus en plus précis : petites écoles, séminaires, collèges, écoles normales, écoles ménagères, asiles d’aliénés, service auprès du clergé, centres de pèlerinage, aumônerie dans les mouvements d’action catholique spécialisée, contemplation – cloîtres –, apostolat missionnaire à travers le monde, publications d’annales et de revues de prestige, maisons d’édition.

La 4e et dernière partie (chap. 14 à 16) court du début des années 1960 à aujourd’hui. C’est une période de défis pour les communautés religieuses. La Révolution tranquille, dont l’origine peut être située dans les années 1930, amène l’État à prendre en charge l’éducation, la santé et les services sociaux, des services jusque-là dispensés par les communautés religieuses. Le concile Vatican II (1962-1965), quand ce n’est pas des membres de communautés religieuses eux-mêmes, suscite aussi des remises en question : rôle de l’Église dans le temporel, port du costume, règlements des coutumiers, etc. Religieux et religieuses font face à une perte de statut social. Ils s’interrogent sur la pertinence de rester en communauté pour continuer à exercer leurs fonctions. Les départs se multiplient, le recrutement baisse, le vieillissement se fait sentir de plus en plus. Les congrégations perdent la majorité de leurs grandes institutions : collèges classiques, hôpitaux, orphelinats, crèches, écoles normales, instituts familiaux, etc. Depuis récemment vient s’ajouter la mise au jour de certains scandales. Par contre, au cours de ces 50 dernières années, marquées par des remises en question, les communautés religieuses démontrent la profondeur des convictions qui animent leurs engagements, de même que leur capacité à s’adapter au contexte nouveau tout en restant fidèles à l’esprit de leurs fondateurs et fondatrices. Elles poursuivent leur mandat d’origine, mais sur une base souvent moins large, leurs membres agissant à l’intérieur de regroupements plus restreints. En même temps, la collaboration et les mises en commun entre communautés demeurent au rendez-vous. Les missions à travers le monde ne cessent pas non plus d’être une de leurs préoccupations majeures.

Intérêt pour la relation franco-québécoise
Guy Laperrière nous livre une synthèse qui présente de l’intérêt à plus d’un point de vue. L’ouvrage enrichit nos connaissances non seulement sur les communautés religieuses elles-mêmes, leurs fondations, leurs missions spécifiques, mais aussi sur des temps forts de l’histoire du Québec : Nouvelle-France, Conquête britannique, ultramontanisme, Révolution tranquille, Concile Vatican II. Il témoigne aussi du coude à coude entre deux peuples dont les événements de l’histoire n’ont pas réussi à briser la chaîne qui les unit :  la France constituant pour le Québec un point de départ, une source d’inspiration et de recrutement; le Québec, quant à lui, offrant le terreau pour mettre à profit engagement et expertise.

Voir aussi :
Guy Laperrière, « Les communautés religieuses françaises au Québec (1792-1914) » dans La Capricieuse (1855) : poupe et proue. Les relations France-Québec (1760-1914) sous la direction de Yvan Lamonde et Didier Poton p. 307-341.

François Gougeon, « Les communautés religieuses au Québec : Une histoire riche en enseignements » dans La Tribune, 23 février 2013

Louis Cornellier, « Livre – Histoire des communautés religieuses au Québec, Guy Laperrière », Le Devoir, 11 mai 2013

*Table des matières

Introduction

Première partie. Les communautés en Nouvelle-France.

  • Un dessein missionnaire, 1600-1660.
  • La desserte religieuse d’une colonie, 1660-1760.
  • Sous le régime britannique, 1760-1840.

 

Deuxième partie. Les communautés au XIXe siècle, 1840-1900.

  • L’empire des sulpiciens.
  • Les années 1840 et Mgr Bourget.
  • La réponse à de nouveaux besoins.
  • Les communautés, objet de débats.

 

Troisième partie. Le premier XXe siècle, 1900-1960.

  • Les lois françaises contre les congrégations, 1901-1914.
  • Le mouvement missionnaire, 1900-1940.
  • De nouvelles communautés, 1915-1940.
  • Les grands mouvements religieux et sociaux d’une guerre à l’autre.
  • Données globales sur les religieux : 1931, 1961.
  • Les derniers feux d’une société chrétienne, 1945-1965.

 

Quatrième partie. Le déclin d’un système.

  • La sécularisation frappe de plein fouet, 1960-1975.
  • Le renouveau des communautés, 1975-1990.
  • De nouveaux engagements.

 

Conclusion

Bibliographie

Les Dix prennent la plume pour nous entretenir dans leur 66e Cahier (2012) de personnages et de moments marquants dans le cheminement des Québécois depuis le 17e siècle

Les Dix prennent la plume pour nous entretenir
dans leur 66e Cahier (2012) de personnages et de moments marquants
dans le cheminement des Québécois depuis le 17e siècle

Par Gilles Durand

 

Les cahiers des dix no. 66

Les cahiers des dix no. 66

Les Dix dévoilent leurs découvertes
La Société des Dix réunit, comme sa dénomination l’indique, dix spécialistes qui s’engagent à diffuser les résultats de leur recherche en histoire, dans les arts, les lettres et les sciences sociales, dans une publication annuelle ayant pour titre les Cahiers des Dix. La dernière à paraître – neuf membres y contribuent –, celle de l’année 2012, propose des sujets variés depuis la politique, les civilisations et les cultures amérindienne et française jusqu’à la commémoration. L’ensemble des neufs textes – voir le sommaire en fin du compte rendu – ont en commun de nous entretenir de personnages et d’événements dont le souvenir est commémoré dans la ville de Québec.

Le mouvement commémoratif dans la ville de Québec
L’étude du mouvement commémoratif dans la ville de Québec est redevable à la plume de Fernand Harvey, secrétaire de la Société des Dix et également présentateur du 66e Cahier. L’auteur retrace les activités de commémoration – érection de monuments, statues, bustes – depuis leur tout début. Il discerne deux grandes périodes : 1828-1939 et 1980-2012, séparées par un intervalle d’une quarantaine d’années au cours desquelles les projets de patrimonialisation – préservation, restauration et mise en valeur de bâtiments – prédominent. Alors que le premier mouvement est, pour beaucoup, un rappel des héros traditionnels du Canada français, le second, lui, fait une place à part – mais non exclusivement – à ceux qui se sont investis pour donner un sens aux institutions politiques québécoises et en faire un pôle fort de développement.

Des hommes politiques québécois engagés

Pierre-Joseph-Olivier Chauveau
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau compte parmi ceux dont l’engagement est souligné : deux bustes sont élevés en son honneur, avenue Chauveau et à l’Assemblée nationale, en 2005. Aussi Jocelyne Mathieu nous entretient-elle dans le 1er texte des journaux personnels de ses filles. Ces documents de première main font pénétrer dans le quotidien et le réseau de relations du surintendant de l’Instruction publique (1855-1867) et premier premier ministre du Québec (1867-1873) par le biais des observations de ses filles – un autre texte, qui nous introduira davantage dans le vécu de la famille, est à venir.

Louis-Joseph Papineau et le contexte politique de son époque
Comme nous pouvons nous y attendre, la mémoire de Louis-Joseph Papineau n’est pas absente, une statue lui étant élevée sur le site de la colline parlementaire. Les 2e, 3e et 4e textes, ayant pour auteurs respectifs, Louis-Georges Harvey, Yvan Lamonde et Gilles Gallichan, lui sont consacrés de même qu’au contexte politique dans lequel il se démarque. Ces écrits nous replongent à l’époque des luttes de la Chambre d’assemblée pour jouir de la représentativité accordée par l’acte constitutionnel de 1791, mais que les pouvoirs impérial et colonial tentent de museler par la suite. Tout est pensé et mis en œuvre, idée de fédération des colonies nord-américaines, projet d’union du Haut et du Bas-Canada, soustraction d’une partie du budget à l’approbation des députés allant jusqu’au refus de reconnaître l’orateur choisi par la chambre. Une visite à Londres de Papineau en 1823 pour combattre le projet d’union de 1822, avec séjour en France, a un impact sur l’évolution de sa pensée. Le constat de la misère du peuple et de la difficulté de faire entendre sa voix fait germer chez lui l’idée de république à l’image de celle du sud de la frontière.

Sur la Révolution tranquille et sa genèse

L’élite intellectuelle, littéraire, artistique et musicale s’interroge sur l’existence d’une culture canadienne-française distincte
La Révolution tranquille des années 1960 est rappelée par un buste du père Georges-Henri Lévesque, localisé à la Cité universitaire sur l’avenue des Sciences humaines. Fondateur de l’École des sciences sociales, politiques et économiques de l’Université Laval en 1938 et premier doyen de celle qui devient une faculté autonome en 1943, le père Lévesque laisse le souvenir d’un intellectuel qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus. C’est l’époque où des Québécois s’interrogent sur l’existence et l’avenir d’une culture canadienne-française. Dans le 5e texte, Marie-Thérèse Lefebvre présente les conclusions d’une grande enquête sur le sujet réalisée en 1940-1942. Les questions s’adressent aux élites et s’intéressent à la culture qu’ils représentent. Des questions sont posées, par exemple face au géant américain, est-il possible de faire preuve de créativité et d’originalité tout en conservant des attaches à l’héritage français? Les réponses varient selon les auteurs, mais l’optimisme n’est pas complètement absent du milieu intellectuel et artistique.

Un sociologue jette un regard nouveau sur le Québec
Dans le 6e texte, Simon Langlois prend la relève en faisant connaître la formation, la pensée et la carrière (surtout de 1947 au début des années 1960) de Jean-Charles Falardeau, professeur à l’Université Laval, un membre de l’équipe du père Georges-Henri Lévesque. Formé au département de sociologie de l’Université de Chicago, Falardeau fait preuve de modernisme comme sociologue par son approche empirique pour l’étude des problématiques sociales et économiques vécues par les Canadiens français – observations sur le terrain –, par sa vision nouvelle de la société québécoise, industrialisée et urbaine et non plus rurale et traditionnelle. Il se démarque aussi par son implication à promouvoir une meilleure répartition de la richesse au sein de la société québécoise. Il ne s’écarte pas cependant du cadre fédératif canadien.

La présence et l’apport des Amérindiens

L’art des Huronnes
La commémoration dans la ville Québec ne passe pas sous silence la mémoire des premiers occupants du sol. Leur souvenir est rappelé de diverses façons, par exemple par une sculpture représentant la halte d’une famille amérindienne (La halte dans la forêt, 1890) à l’entrée de la porte principale de l’hôtel du Parlement ou bien encore par deux stèles se faisant face dans le parc Cartier-Brébeuf, représentant la rencontre des cultures amérindienne et européenne (La rencontre de deux mondes, 1987). C’est sur leur art et une mesure pour évaluer leur degré de civilisation que les deux derniers textes viennent enrichir nos connaissances. Dans le 8e texte, Laurier Lacroix aborde l’art des Huronnes à la période de contact, au 17e siècle. Le choix du sujet peut en surprendre plus d’un, étant donné la disparition des artefacts originaux réalisés pour la parure, l’ornementation, etc. Pourtant l’auteur relève le défi avec succès en s’appuyant sur l’écrit, en particulier un ouvrage intitulé le Grand voyage du pays des Hurons, préparé par un observateur perspicace, le récollet Gabriel Sagard qui séjourne en Huronie en 1623-1624.

Le 66e cahier renferme également, sous la rubrique « Chronique de la recherche des Dix », une entrevue de cet auteur, réalisée par Yvan Lamonde, sur une exposition intitulée Les arts en Nouvelle-France, présentée au Musée des beaux-arts du Québec jusqu’au 2 septembre 2013. Laurier Lacroix est en effet commissaire et directeur de ce projet qu’il fait accompagner d’une publication de même titre. Les recherches menées pour le choix et le montage des pièces l’amènent aux conclusions suivantes : il existe une production artistique au temps de la Nouvelle-France, composée d’œuvres tant importés de France que préparés par des artistes locaux, canadiens et amérindiens. Plusieurs pièces sont perdues, sans compter des informations contextuelles incomplètes pour d’autres. Compte tenu que les archives, récits de voyageurs, etc., permettent à l’occasion de compenser les pertes, Laurier Lacroix affirme que, s’il est impossible d’analyser les œuvres eux-mêmes étant donné leur absence, l’historien de l’art peut tout au moins les évoquer.

Trois visions de la condition indienne aux États-Unis
Dans le 9e texte, Denys Delâge se penche sur les écrits de trois observateurs du mode de vie des Autochtones sur le territoire américain dans la première moitié du 19e siècle, soit les voyageurs bien connus Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont et le secrétaire au Trésor américain Albert Gallatin, immigrant d’origine suisse. L’auteur dégage quelques grandes conclusions tirées de l’analyse de leurs écrits. Pour ces trois observateurs, les Indiens sont appelés à se fusionner dans le grand tout américain. Leurs conditions d’existence difficiles tiennent à leur état qui les situe dans l’enfance de l’humanité. C’est par l’abandon de la chasse, par la pratique de l’agriculture par les hommes, un métier jusque-là laissé aux femmes, et par leur regroupement dans un État bien à eux sur la côte du Pacifique qu’ils pourront parvenir à l’âge adulte, à la civilisation pleine et entière et qu’ainsi ils pourront se fusionner dans la grande république. Denys Delâge saisit l’occasion pour susciter la réflexion du lecteur sur les notions « d’expropriation, de déportation, de saisie des enfants et d’allocation de nouveau territoire ».
 

Sommaire du 66e Cahier des Dix (2012)

 

Présentation

 

V

La Société des Dix en 2012 

 

XII

Résumés/Abstracts

 

XIII
Journaux personnels des filles de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1855-1876). Une première approche

  • Jocelyne Mathieu

 

1
Une Constitution pour l’Empire : sur les origines de l’idée fédérale au Québec, 1765-1815

  • Louis-Georges Harvey

 

25
 Britannisme et américanité de Louis-Joseph Papineau à l’époque du deuxième projet d’Union (1822-1823)

  • Yvan Lamonde

 

55
La crise parlementaire de 1827 au Bas-Canada

  • Gilles Gallichan

 

95
D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous?
Enquête sur la culture canadienne-française durant la Seconde Guerre mondiale

  • Marie-Thérèse Lefebvre

 

167
Jean-Charles Falardeau, sociologue et précurseur de la Révolution tranquille

  • Simon Langlois

 

201
La commémoration à Québec, 1828-2012. Essai d’interprétation

  • Fernand Harvey

 

269
L’art des Huronnes vu par le frère récollet Gabriel Sagard en 1623-1624

  • Laurier Lacroix

 

323
Trois observateurs de la condition indienne aux États-Unis durant la première moitié du XIXe siècle : Tocqueville, Beaumont et Gallatin

  • Denys Delâge

 

339
Chronique de la recherche des Dix

  • Yvan Lamonde et Marcel Moussette

 

379

Les Amis des Dix            

397

 

Index général                                       

399

Une publication pour commémorer la création du prix d’Europe : Les 100 ans du prix d’Europe.

Une publication pour commémorer la création
du prix d’Europe :
Les 100 ans du prix d’Europe.
Le soutien de l’État à la musique
de Lomer Gouin à la Révolution tranquille

Par Gilles Durand

 

Les 100 ans du prix d'Europe. Le soutien de l'État à la musique de Lomer Gouin à la Révolution tranquille.

Crédit image : Presses de l’Université Laval 

Nous sommes redevables à Mireille Barrière et à ses deux collaboratrices, Claudine Caron et Fernande Roy, d’avoir assuré une plus large connaissance des communications présentées dans le cadre d’un colloque sur le prix d’Europe, tenu le 10 juin 2011 à l’Université du Québec à Montréal. Pour souligner le centenaire de la création du prix par le gouvernement du Québec, elles ont rassemblé quelques textes marquants sur un sujet d’intérêt pour le grand public, mais aussi, en particulier, pour tous ceux qui s’intéressent à la relation franco-québécoise.

Le contenu de la publication
Précédée d’une présentation, la publication se divise en sept chapitres. Les trois premiers sont consacrés successivement à la genèse du prix qui voit son aboutissement dans une loi du Québec adoptée par le gouvernement Gouin en 1911, à la place donnée aux artistes féminines dans la remise de cet honneur, de même qu’à un itinéraire particulier, celui de Léo-Pol Morin, pianiste et critique musical, lui-même lauréat en 1912. Les trois chapitres suivants traitent respectivement de l’importance du prix en regard des autres bourses accordées par le gouvernement du Québec, des types de formation admissibles au concours – la composition musicale en vient à avoir sa place –, enfin du conflit judiciaire suscité par l’octroi en 1932 d’une bourse à Bernard Piché après l’avoir retirée à Jules Payment. Comme pour conclure, le dernier chapitre nous introduit dans les tout premiers débuts du Conservatoire de musique du Québec – son nom lors de sa création en 1942 –, qui devient rapidement un centre de rayonnement pour la musique – et le théâtre, prenant le nom de Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec quelque 22 ans plus tard, en 1954.

Le prix d’Europe : de quoi s’agit-il
Le prix d’Europe remonte à 1911. Le gouvernement de Lomer Gouin fait adopter La loi pour favoriser le développement de l’art musical. La loi a pour but d’octroyer annuellement au candidat le plus méritant une bourse pour supporter son perfectionnement musical en Europe. Le montant de la bourse, 3 000$ à ses débuts, – en fait moins, car il faut soustraire les frais de gestion – est remis à l’Académie de musique du Québec sur qui repose la responsabilité de former un jury pour déterminer le récipiendaire. Appelé prix d’Europe, il a servi en grande partie à la formation de Québécois auprès d’artistes français, même s’il faut tenir compte des États-Unis comme destination au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cette bourse a un impact important, tant sur la performance des Québécois en concert que sur l’enseignement qu’ils dispensent.

Le prix d’Europe : le « prix de Paris »
L’ouvrage est marquant à plus d’un point de vue. Il témoigne de l’évolution des mentalités au cours des cent années de l’attribution du prix : la gent féminine n’est pas tout à fait bienvenue lorsque le prix commence à être décerné; de même la composition musicale tarde à être reconnue – sous prétexte que le compositeur finira bien par interpréter ses propres œuvres et obtenir de la notoriété. La publication est aussi un rappel des maillons de la chaîne reliant le Québec à la France. C’est en effet en premier lieu vers les maîtres français les plus éminents que les artistes québécois se tournent pour atteindre l’excellence. Au nombre des effets bénéfiques du prix d’Europe, mentionnons aussi la création du Conservatoire de musique du Québec trente ans plus tard. En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les dossiers présentés par les candidats au prix d’Europe font apparaître la nécessité d’offrir au Québec même une formation de base plus poussée, besoin que la création du Conservatoire vient combler. Celui-ci est en outre à l’image de son modèle français, placé sous une direction laïque, accessible tant aux garçons qu’aux filles, dispensant un enseignement gratuit.

Écouter aussi une émission radiophonique de la Société historique de Montréal en date du 16 février 2013 : La journaliste et écrivaine Jocelyne Delage s’entretient avec Mireille Barrière, historienne

L’Histoire du Nord-du-Québec : un pan de notre passé à mieux connaître

L’Histoire du Nord-du-Québec :
un pan de notre passé à mieux connaître

Par Gilles Durand

 

Histoire du Nord-du-Québec.

Histoire du Nord-du-Québec

Une vue d’ensemble du Nord-du-Québec
À l’instar de 15 des 17 régions administratives en lesquelles le Québec est divisé pour l’administration gouvernementale, le Nord-du-Québec, territoire compris entre le 49e et le 63e parallèle et autrefois désigné sous le nom de Nouveau-Québec, dispose maintenant d’une synthèse, une somme de connaissances de plus de 550 pages. L’ouvrage, paru au cours du 4e trimestre 2012, se veut d’abord et avant tout une histoire complète des trois nations, Cris, Inuits et francophones, qui habitent de la région depuis la période préhistorique jusqu’à aujourd’hui; pour reprendre une expression de Louis-Edmond Hamelin ( p. 13), il a pour but de « faire le dit du Nord (le raconter, sous toutes ses formes, pour toute époque, en tous lieux, à tout niveau, à tous points de vue et à toutes langues). Il repose sur des sources de seconde main, c’est-à-dire les volumes et articles de revues présentant les résultats des recherches effectuées par des spécialistes de chacune des questions.

Le point sur les connaissances actuelles
Le premier chapitre ouvre l’étude en nous entretenant de la géographie de la région, la plus grande de toutes les régions du Québec, composée de deux sous-régions, la Jamésie comprise entre le 49e et le 55e parallèle et habitée par les Cris, et le Nunavik – ne pas confondre avec Nunavut, territoire canadien doté d’une assemblée législative et d’un gouvernement – du 55e parallèle jusqu’au détroit d’Hudson, sur lequel résident les Inuits. Les trois chapitres suivants (2, 3 et 4) sont consacrés aux ancêtres des autochtones qui y habitent, depuis les temps les plus reculés jusqu’au 16e siècle, les Inuits étant des descendants des Esquimaux originaires d’Asie, et les Cris, originaires du Sud, appartenant à la nation algonquienne.

Les chapitres 5 et 6 couvrent trois siècles et demi, du 17e siècle au milieu du 20e siècle, au moment où l’industrialisation prend naissance vers 1950. C’est plus de 300 ans d’histoire marquée par une économie de subsistance sur laquelle se greffent le commerce des fourrures, les activités missionnaires et une sédentarisation croissante des autochtones autour des comptoirs de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH). Nulle surprise que les marchands de la Compagnie et les missionnaires protestants exercent une grande influence sur les destinées du territoire, celui-ci étant cédé aux Britanniques par le traité d’Utrecht en 1713. Remis au Canada en 1870, il est finalement transféré au Québec en 1898, pour le territoire situé au sud de la rivière Eastman (l’actuelle Jamésie), et en 1912 pour le territoire situé au nord de cette rivière (l’actuel Nunavik). Au cours de ces années, la présence française est effacée, mais sans être complètement absente.

Les quatre derniers chapitres (7, 8, 9 et 10) ouvrent la marche avec les débuts de l’industrialisation des années 1950. C’est en grande partie l’âge d’or du Nord-du-Québec avec en filigrane les compromis que doit faire le gouvernement du Québec à l’endroit des trois nations qui occupent le territoire, c’est-à-dire les Cris, les Inuits et les Québécois provenant des régions limitrophes de l’Abitibi-Témiscamingue et du Saguenay-Lac-Saint-Jean. À l’endroit des Québécois qui pénètrent en Jamésie et s’installent comme travailleurs ou comme commerçants, Québec coordonne davantage les interventions des ministères, rapproche les centres de décision des administrés et leur donne voix au chapitre dans le choix et la mise en oeuvre des politiques de développement; le tout culmine avec la création, en 1987, d’une nouvelle région administrative gouvernementale, le Nord-du-Québec. Aux Cris et aux Inuits, le gouvernement québécois concède une large autonomie – sous le chapeau de l’autorité de l’Assemblée nationale du Québec et du Parlement fédéral – : des territoires bien à eux, des droits exclusifs de chasse et de piégeage, des institutions régionales de nature politique et administrative qui leur permettent de se faire entendre et de prendre en charge les services de logement, d’éducation et de santé destinés aux leurs. Il verse également des compensations financières qu’ils peuvent réinvestir dans le développement du territoire. Deux dates en particulier sont à retenir, 1975 et 2002 : elles correspondent respectivement à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et à la Paix des braves, deux ententes qui rendent possible la mise en valeur du potentiel hydroélectrique du bassin versant de la baie James.

Le fait français dans la région Nord-du-Québec
En 1713, par la signature du traité d’Utrecht, le Nord-du-Québec, faisant partie de la Nouvelle-France, est remis aux Britanniques. Jusqu’au 20e siècle, le territoire n’est pas peuplé et colonisé, ni par les Français, ni par les nouveaux occupants. Les Français sont les premiers à s’y rendre comme missionnaires et explorateurs (les pères Druillettes et Dablon, le père Charles Albanel, le père Crespieul), comme commerçants de pelleteries (Radisson et de Groseilliers au service des Anglais, les frères Jolliet) et comme militaires (Pierre de Troyes, d’Iberville). Les Anglais poursuivent les activités commerciales des premiers, mais ils s’y adonnent sur une base sédentaire, dans des comptoirs sur le pourtour des baies James et d’Hudson. Toutefois, au cours des années qui suivent le traité, les francophones ne sont pas complètement absents. Les échanges commerciaux se poursuivent avec des Amérindiens de l’intérieur à partir du nord du lac Saint-Jean. De 1902 à 1936, la compagnie française de traite, Revillon frères, concurrence les agents de la Compagnie de la baie d’Hudson. Missionnaires, explorateurs miniers, arpenteurs francophones parcourent aussi le Nord, sans compter d’autres contributions comme celle de l’ethnobotaniste Jean-Jacques Rousseau. Ces échanges, bien que restreints, assurent une place au français comme langue seconde, à côté du cri et de l’inuktitut comme langues principales, et de l’anglais. À l’heure actuelle, le français est en nette progression, compte tenu d’une présence plus grande des Québécois depuis le début des années 1950, de la contribution des communautés religieuses tels les Oblats et des interventions du gouvernement du Québec, qui fait sentir son poids sur les destinées de la région surtout à compter des années 1960. Lorsque vient le temps de dénommer le territoire, la Commission de toponymie du Québec trouve aussi inspiration dans la trace laissée par les premiers Français en Amérique du Nord, par exemple les localités de Radisson et de Joutel (du nom du compagnon de La Salle, Henri Joutel, dans l’exploration du Mississippi).

Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960 et les relations France-Québec

Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec

Par Robert Trudel
Diplomate québécois à la retraite

« Après le Conseil du 27 septembre 1967, Malraux me retient quelques instants : “Ce qu’il y a  d’extraordinaire avec le Général, c’est sa cohérence dans l’espace et dans le temps. Il y a toujours un de Gaulle avant de Gaulle. Si vous creusez un peu, vous trouverez toujours une phrase, un geste de lui qui annonce une phrase, un geste, très postérieurs et qu’on avait cru sur le moment improvisés. Saviez-vous que le Général, à la radio de Londres, s’est adressé aux Canadiens français six semaines après le 18 juin ? Retrouvez ce texte ! En somme, le Canada français était un modèle et un espoir pour la France quand elle était au fond de l’abîme. La France est un modèle et un espoir pour les Canadiens français quand elle se redresse. Il y a vingt-sept ans de ça ! De Gaulle est un bloc de marbre.” »i

 

Table des matières

Avant-propos

A.    Le tableau d’ensemble

1.    Les antécédents

2.    La situation politique intérieure en France, au Canada et au Québec

3.    La situation internationale

B.    Visite au Canada du général Charles de Gaulle, président de la République française, président de la Communauté, et de Madame Charles de Gaulle, du 18 au 22 avril 1960

1.    Le voyage aux Amériques du 18 avril au 4 mai 1960

2.    Les préparatifs et le programme

3.    Les discours et les entretiens

4.    Les autorités politiques, l’accueil populaire et les journaux

C. Les conséquences du voyage officiel pour les relations France-Québec

1.    La chose française et les deux communautés ethniques du Canada

2.    « De Gaulle parmi nous »

3.    « Il y a un énorme potentiel français au Québec »

Conclusion générale

D.    Bibliographie

1.    Archives annexe 1

2.    Journaux annexe 2

3.    Livres et articles annexe 3

 

 

E.    Crédits images et photos

 

1.    Extraits de journaux : Crédit Bibliothèque de l’Assemblée nationale (fichier PDF, 6 Mo)

2.    Photo De Gaulle et à sa gauche le maire de Montréal Sarto Fournier : Crédit Archives de la Ville de Montréal,
       VM6, S10, D3500, 100
(fichier JPG, 658 Ko)

3.    Extraits du programme de la visite de de Gaulle à Québec et à Montréal : Crédit  Archives de la Ville de Montréal,
       VM6, S10, D3500, 100
(fichier PDF, 10 Mo)

 

__________

NOTE

(i) Peyrefitte, Alain. De Gaulle et le Québec. Montréal : Stanké, 2000. pp. 110-111.

Avant-propos

Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec

 

Avant-propos ii

Dans le tissu des relations France-Québec, le voyage officiel au Canada en avril 1960 du président de la République française et président de la Communauté, Charles de Gaulle, n’a pas reçu l’attention qu’il méritait. Pourtant, de Gaulle y a attaché une grande importance. Harassé par des dossiers de politique intérieure et extérieure exigeants (du franc lourd à l’affaire algérienne, à l’armement nucléaire, au Marché commun, à l’OTAN et aux enjeux de la guerre froide), il a néanmoins tenu à se rendre à Québec et à Montréal. Comme toujours, il prend le pouls de la situation et surtout il prend la parole pour aménager l’avenir.

 

 

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Note

(ii) L’auteur remercie particulièrement, pour leur lecture attentive et leurs conseils judicieux, son épouse Claire Beaudry ainsi que Marcel Masse, Bertrand Juneau, Jean Daoust, Hélène Cantin et Denis Racine.

A. Le tableau d’ensemble

Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec

 

A.    Le tableau d’ensemble

1.    Les antécédents

L’intérêt de Charles de Gaulle vis-à-vis le Canada français (le Québec, mais aussi l’Acadie et les autres parties du Canada où l’on parlait français) date de son enfance (son père était professeur d’histoire) et de ses années de collège. Le fils Philippe de Gaulle, alors vice-amiral d’escadre, confie en 1977 au sujet de son père Charles de Gaulle: « Mais il est juste de dire que les questions relatives au Canada français étaient depuis longtemps dans le contexte familial et scolaire : j’en avais donc évidemment entendu parler par mon Père (Charles), entre  autres. »iii

 

Ce n’est pourtant que plusieurs années plus tard, il a alors 49 ans, que se manifeste publiquement cet intérêt marqué.  En pleine débâcle de la France, il lance le 1er août 1940 un appel au Canada français avec des phrases fortes : « Si loin que vous soyez de moi, je n’éprouve aucun embarras à vous parler. Je veux vous parler de la France.  Et personne au monde ne peut comprendre la chose française mieux que les Canadiens français. (…)

« L’âme de la France cherche et appelle votre secours, le vôtre, Canadiens français. Votre secours, elle le cherche et l’appelle, parce qu’elle vous connaît. Elle sait quelle part vous avez dans le passé, dans le peuple, dans l’État auxquels vous appartenez.  Dans ce pays, dans ce peuple, dans cet État qui montent, elle connaît tout ce qu’il y a de puissance et d’espérance. (…)

« Enfin, l’âme de la France cherche et appelle votre secours, parce qu’elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l’avenir, puisque, par vous, un rameau de la vieille souche française est devenu un arbre magnifique; la France, après ses grandes douleurs, la France, après la grande victoire, saura vouloir et saura croire. (…) ».iv

Pour certains, et non des moindres, comme le professeur Maurice Vaïsse, cet appel « reste sans écho »v et donc sans portée significative. C’est pourtant très révélateur de l’état d’esprit de Charles de Gaulle. Chaque fois qu’il le peut, de Gaulle viendra au Québec. En juillet 1944, comme chef de la France libre, alors que la bataille de Normandie n’est même pas terminée, il prend la peine de consacrer quelques heures à Québec et à Montréal en plus d’Ottawa. Il y a là une constance qui dépasse le simple attachement sentimental à un rameau de la vieille souche française.

Il le note d’ailleurs dans ses Mémoires de guerre : « D’abord, rendant visite à la ville de Québec, je m’y sens comme submergé par une vague de fierté française, bientôt recouverte par celle d’une douleur inconsolée, toutes les deux venues du lointain de l’Histoire. »vi  Poursuivant son périple à Ottawa, il poursuit : « Le Canada l’a suivi (le premier ministre Mackenzie King), avec d’autant plus de mérite qu’il est formé de deux peuples coexistants mais non confondus, que le conflit est, pour lui, lointain et qu’aucun de ses intérêts ne s’y trouve directement en cause. »vii  Il louangera encore une fois la participation du Canada à la guerre de 1939-1945, lors de son voyage comme chef du gouvernement en août 1945, où il s’arrêtera uniquement à Ottawa. Pour résumer, il allie la reconnaissance envers le Canada et l’existence de deux peuples en son sein.

2.    La situation politique intérieure en France, au Canada et au Québec

En France, de Gaulle est de retour au pouvoir depuis le 1er juin 1958. Chef de gouvernement, il lance un programme ambitieux de réformes : nouvelle constitution pour une Ve République, adaptation de l’industrie et de l’agriculture françaises au Marché commun européen, raffermissement monétaire par l’introduction du franc lourd, mise sur pied de l’armement nucléaire, pour ne nommer que celles-là, sans compter « la lancinante affaire algérienne ». La France est alors perçue comme un pays en plein essor.

Au Canada, après un long règne libéral de 22 ans, John George Diefenbaker, progressiste-conservateur, sera premier ministre du 21 juin 1957 au 22 avril 1963. Malgré sa défense de la citoyenneté canadienne universelle et des minorités ethniques, la hausse du chômage, une dévaluation du dollar et l’abandon du projet aéronautique Arrow finiront par miner sa popularité.

Au Québec, au cours de la période précédant la venue du président de la République française, Charles de Gaulle, la situation politique évolue rapidement. Le 7 septembre 1959, le premier ministre et chef de l’Union nationale, Maurice Duplessis, décède subitement. Lui succède un de ses ministres, Paul Sauvé, qui lui-même meurt le 2 janvier 1960. Un autre ministre, Antonio Barrette, devient alors premier ministre. Ainsi que les journaux le mentionnent, des élections générales étaient prévues au cours de 1960. De Gaulle viendrait donc dans une période pré-électorale.

3.    La situation internationale

Avec de Gaulle, la France revient au premier plan sur la scène politique internationale. L’affaire algérienne s’internationalise, la France accélère la décolonisation de son empire, elle se dote d’un armement nucléaire, elle souhaite un plus grand rôle pour elle au sein de l’OTAN, alors sous la direction des États-Unis, elle entend, durant la guerre froide, faire valoir sa voix et influer sur les décisions lors des réunions au sommet réunissant les États-Unis, l’URSS, la France, le Royaume-Uni et la République fédérale d’Allemagne. Bien qu’opposé aux armes nucléaires, bien qu’appuyant toujours la France à l’ONU sur l’Algérie, mais avec réticence, bien que plutôt tiède vis-à-vis la volonté de la France de réformer l’OTAN, le Canada entretient néanmoins avec la France de très bonnes relations diplomatiques, même si celles-ci ont parfois tendance à se tendre, voire à se crisper à certaines occasions, comme par exemple « à la suite de la condamnation par Ottawa de l’intervention israélo-franco-britannique lors de la crise du canal de Suez de 1956 »viii .

 

 

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Notes

(iii) Rouanet, Anne et Pierre. Les trois derniers chagrins du général de Gaulle. Paris : Bernard Grasset, 1980. p. 37.
(iv) Smith, Frédéric. « La France appelle votre secours » – Québec et la France libre, 1940 – 1945. Montréal : vlb éditeur, 2012. pp. 42-43. Cet appel, prononcé encore une fois dans les studios de la BBC, est retransmis sur les ondes des stations de Radio-Canada et paraît le 2 août 1940 dans l’Action catholique, La Patrie et Le Soleil.
(v) Vaïsse, Maurice. La grandeur-Politique étrangère du général de Gaulle 1958-1969. Paris : Fayard, 2007. p. 651.
(vi) Général de Gaulle, Mémoires de guerre, L’unité 1942-1944. Paris : Plon, 1970. p. 296.
(vii) Ibid., p. 296.
(viii) Palard, Jacques, (2008). « Les relations France-Canada-Québec depuis 1960 : intérêts complémentaires et défis contemporains », dans Joyal, Serge et Linteau, Paul-André (sous la direction de), France-Canada-Québec, 400 ans de relations d’exception. Montréal : Les presses de l’Université de Montréal. p. 240.
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