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Conclusion du colloque “Les pionniers de Touraine en Nouvelle France

Conclusions du colloque
« Les pionniers de touraine en Nouvelle-France »

Jean-Mary Couderc
Président de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Touraine

Au total, il y aura peu de colons tourangeaux en Nouvelle-France (de 33 à 200 selon les estimations). Au départ, ces Tourangeaux sont plutôt proches du pouvoir du fait de leur contact avec la noblesse, la cour, et Richelieu en particulier, comme l’a précisé Madame Deroy-Pineau. Au XVIIIe siècle, l’émigration vers le Canada, en Touraine, comme ailleurs en France devient très faible1.

 

I – Les tourangeaux dans la fondation du Canada

Ceux-ci jouent d’abord un rôle en Acadie (l’actuelle presqu’île de la Nouvelle- Ecosse prolongée, à l’est, par l’île de Cap-Breton et, au nord, par l’actuel Nouveau-Brunswick) où se place la première tentative française d’occupation ayant abouti à un établissement permanent.

Isaac de Razilly qui est le cousin du cardinal de Richelieu, y joue un grand rôle. Ce commandeur de la marine a une longue expérience navale acquise à Malte, au Brésil et au Maroc comme nous le montre Alain Jacquet. Après plusieurs voyages, il part avec quatre navires, en 1632, du port de Saint-Goustan sur la rivière d’Auray, à l’endroit même où 144 ans plus tard Benjamin Franklin débarquera pour chercher du secours. Ces navires vont conforter la Nouvelle-France. Isaac de Razilly a en effet conscience qu’une colonie ne peut se maintenir qu’avec des hommes et des soldats. Il a été partie prenante dans la fondation, par Richelieu, de la compagnie commerciale des Cent-Associés2, organisant la colonisation après la guerre avec l’Angleterre.

Il reprend possession de Port-Royal et de l’Acadie. Il y installe trois postes tandis que son lieutenant tourangeau Menou d’Aulnay (qui est aussi son cousin !) reste à Port-Royal. Il organise une colonisation avec agriculture, foresterie et pêcherie. Au Canada, on le considère comme le père de la colonie acadienne comme en témoigne le musée de La Hève (Fort-Point), première capitale de la Nouvelle-France. Il est arrivé avec trois capucins, ce qui indique que la mission religieuse n’est pas minorée pour autant.

Guy de Bonaventure, lui-même descendant de Simon Denys, retrace la saga de la famille tourangelle Denys en Nouvelle-France et montre le courage et l’inconscience de ces colons qui, comme Simon Denys, débarquent à Cap-Breton à cinquante ans ! Ce dernier incarne la troisième vague tourangelle à partir de 1650.
Au départ, Nicolas Denys est un coureur des mers qui devient lieutenant de Razilly mais qui se heurte plusieurs fois à Menou d’Aulnay ; il rentre même un moment en France. Ce n’est qu’après avoir établi ses postes de traite et de pêche plus au nord et considérant que la Nouvelle-France est un pays de cocagne, qu’il appelle son frère Simon.

Il aura encore maille à partir avec Charles de Coningan, marquis de Cangé (le descendant de l’illustre chef de la famille écossaise Coningham, commandant des gardes de Louis XI et constructeur du château de Cangé à Saint-Avertin). En fait, comme l’a bien montré Dom Oury, les Tourangeaux ne s’entendent point et les conflits sont monnaie courante.
Le premier établissement de Simon Denys brûlera. Le feu est, sous ces frimas et avec des maisons essentiellement construites en bois, une terrible menace (cf. l’incendie du couvent des Ursulines de Québec en 1650). « Simon Denys de la Trinité » se réfugie à Québec et assure la boulangerie communautaire. Il eut 18 enfants et fit partie du Conseil souverain.

Nous avons évoqué les tensions entre les chefs tourangeaux mais il en est
de même entre les responsables de la colonie. Ainsi entre le Tourangeau Menou d’Aulnay (qui meurt en 1650) et le Champenois Etienne de la Tour. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles Louis XIV installe un intendant aux côtés du gouverneur puis un conseil souverain, décisions qu’analyse Brigitte Maillard. Ce conseil est l’équivalent d’un parlement. L’un des intendants : Duchesneau (1675-1682) est Tourangeau par son ascendance et par sa femme. Il rentre lui-même en conflit avec le gouverneur Frontenac qui, pendant quelques années, avait eu l’occasion de gouverner seul.
L’autre problème de cette administration calquée sur celle de la France (vénalité des offices exceptée), c’est le statut de la colonie (résolu par la transformation – 1663 – en colonie royale). Allait-on maintenir la colonie commerciale et militaire ou devait-on s’acheminer vers une colonie agricole comme le préconisait le vicomte d’Argenson (appartenant à une grande famille tourangelle) ?
Pouvait-on laisser faire les coureurs des bois qui tout en troquant des fourrures avec les Indiens propageaient chez eux des alcools destructeurs. L’intendant Duchesneau est à l’origine des congés de traite destinés à limiter ces excès : c’était l’autorisation maximum, pour trois hommes, de 25 expéditions par an. Or, le gouverneur Frontenac, endetté, et partie prenante dans le commerce des fourrures, reçut très mal la mise en place de ces congés de traite.

 

II – Marie Guyart : mère de la Nouvelle-France

N’oublions pas que le milieu est très difficile pour ces Tourangeaux, Saintongeais, Angevins, Poitevins , Normands… Le climat est froid et rude pour Marie Guyart et ses premières compagnes. Et surtout ces conditions terribles (qui peuvent faire passer un voyage difficile depuis la France d’une durée d’un mois à une épreuve épouvantable de trois mois). La souffrance n’est pas terminée quand la remontée du Saint-Laurent s’effectue par vents contraires.

Sur le plan humain, le pays est certes occupé par les « sauvages » mais les Ursulines sont là pour les convertir et les premiers rencontrés seront pacifiques. Leur moral est apparemment à toutes épreuves ; il y aura certes des renoncements et des coups durs comme l’attaque de leur ferme par les Iroquois, ce qui n’empêchera pas Marie qui avait appris le Montagnais et l’Algonquin, puis le Huron, de se remettre à l’apprentissage d’une autre langue indienne à l’âge de 50 ans, en l’occurrence l’Iroquois quand ceux-ci portent la guerre et les destructions sur un certain nombre de comptoirs.

Robert Sauzet met en valeur le contraste entre la spiritualité dont elles sont animées et les interminables médiations entre les règles des Ursulines de Tours et de Paris.

Elles pensent, retrouver la ferveur de l’église primitive, arracher des âmes au pouvoir du diable ; elle sont parties de Touraine motivées en particulier par l’hypermystique Compagnie du Saint-Sacrement. Si Marie est la mieux connue, certaines de ses compagnes, « aventurières de Dieu » comme elle, ont la même foi inébranlable. Cette fermeté spirituelle s’accompagne bien entendu de moments d’abattements qui sont pour Marie ce qu’elle appelle dans sa correspondance « ses croix du Canada » : maladie, endettement, inquiétude pour son fils resté en France.

Idelette Ardouin-Weiss a rappelé que Marie, devenue veuve en 1631 avec un enfant, avait déjà montré, en France, beaucoup de courage et d’ouverture d’esprit. Elle a essayé de sauver en vain l’entreprise de soierie où travaillait son mari. Elle n’hésitait pas à discuter avec les rouliers et les mariniers. Outre le respect des valeurs morales dont elle a été entourée dans son milieu d’artisans, il y avait dans sa famille de nombreux prêtres et religieux.

Isabelle Landy a montré l’importance de la correspondance de Marie avec son fils qu’elle a sans doute regretté d’avoir laissé. Elle le conseillera et, devenu à son tour bénédictin, il deviendra son égal en spiritualité et son biographe3 en reprenant l’essentiel de sa correspondance, en particulier sa Relation de 1654, et en y faisant des additions. Il fut sa voix et son écho. C’est en lisant sa correspondance que l’on peut percevoir les amertumes et les échecs de Marie : les filles « sauvages » quoique bien accueillies et elles-mêmes douces, ne restent pas au couvent ; bien peu seront francisées comme elle l’écrit : sept à huit apparemment et une seule deviendra nonne, ce qui est un constat d’échec.
Nous terminerons par cette confidence qu’elle fit à son fils et qui nous apprend beaucoup sur la femme chrétienne : Je vous avais donné à Dieu avant même que vous fussiez au monde.

 

 

1 – Et le statut social des colons moins élevé; c’est l’époque où l’on rafle filles et mauvais garçons pour les emmener entre autres lieux au Canada, comme nous le montre le Journal de Edmond-Jean-François Barbier pour la période allant de décembre 1749 à mai 1750 (pages 236 à 251 de l’édition du Livre Club du Libraire-1963). [ retour au texte ]
2 – Elle a été la conséquence de son mémoire de 1626 adressé à Richelieu où il préconisait la création d’une compagnie de commerce et l’envoi de trois ou quatre mille colons. [ retour au texte ]
3 – Il mourra à Marmoutier en 1696. [ retour au texte ]
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