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Conclusion générale

Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec

 

Conclusion générale

Par les thèmes qu’il a abordés dans ses discours, par la connaissance directe qu’il a eue de ce qu’il désigne comme la « réussite française », par les échanges de vues même brefs avec ses interlocuteurs à Montréal et à Québec, le général de Gaulle a effectivement identifié un potentiel français au Québec, ce qu’André Laurendeau nomme si justement « les nouveaux départs ».

En ce sens, le voyage d’avril 1960 constitue un jalon essentiel du développement des relations entre la France et le Québec. Toutes les initiatives et les réalisations  issues des liens rapidement rétablis entre le Québec et la France n’auraient pu voir le jour avec autant de rapidité et de pertinence si le chef de l’État français n’avait pas pris la peine de faire connaître l’intérêt qu’il portait pour le Québec et que son gouvernement mettra en œuvre, sous sa direction au cours des années 1960.

Moins d’un an après sa venue au Québec, le 21 janvier 1961, de Gaulle écrit à Geoffroy de Courcel, alors secrétaire général de la présidence de la République :

« Le projet de la Province de Québec tendant à établir à Paris une agence générale me paraît très intéressant. Je crois que nous aurions grand tort de le décourager.

« Nous ne pouvons pas et ne devons pas méconnaître le caractère très particulier du Canada français par rapport à la France et réciproquement, ni le grand intérêt que présente le développement de nos rapports particuliers avec la Province de Québec, notamment aux points de vue culturel, économique et psychologique. (…). » xlviii

Dans l’esprit même de l’exorde de cet article avec la réflexion de Malraux, « Il y a toujours un de Gaulle avant de Gaulle », le caractère très particulier du Canada français par rapport à la France et réciproquement constitue le fil conducteur des interventions du général de Gaulle en 1940, en 1960 et en 1967, sans mentionner le voyage de 1944, qui n’est pas touché par cet article.

En effet, le 1er août 1940, comme nous l’avons constaté (voir les antécédents     p. 3), de Gaulle évoque des thèmes qu’il reprendra au cours de ses voyages, comme « la chose française » (tout ce qui concerne la France et les Français des deux rives de l’Atlantique) ainsi que le secours que le Québec peut apporter à la France et l’espérance qu’il représente pour elle.

En avril 1960, les éléments du discours gaullien s’élaborent et se précisent. Il évoque, le 19 avril à Ottawa devant le premier ministre canadien John Diefenbaker : « La première voix que j’y entends (au Canada), c’est celle de l’Histoire. Toujours, la France se fera honneur d’avoir apporté sur votre sol, il y a plus de quatre siècles, tout à la fois les germes du progrès civilisateur et le souffle de la spiritualité chrétienne. »

Le 20 avril, à l’Université Laval à Québec, il souligne l’importance des échanges, plus spécifiquement ceux de nature intellectuelle : « Mais, pour que la vie française persiste et pour qu’elle se développe, il ne suffit pas que chacun de son côté cherche à l’enfermer dans les murs; il faut, qu’entre tous les établissements, tous les foyers de cette pensée qui existent sur la terre, s’établissent et se maintiennent des rapports étroits. »

Et s’adressant au maire de Québec, Louis-Philippe Hamel, il insiste sur les notions d’accomplissement et de réussite, en référence à Samuel de Champlain, fondateur de Québec : « C’était un grand Français : il voulait faire quelque chose et il l’a fait. » C’est une formule simple, directe, efficace.

Le soir, au dîner-banquet du gouvernement du Québec, il reprend, en présence du premier ministre québécois Antonio Barrette, le thème de la réussite française : « J’ai vu dans votre grande ville, et j’ai imaginé dans la province qui l’entoure, ce qu’on peut appeler une grande réussite. Une grande réussite économique, sans aucun doute, mais aussi, une grande réussite humaine, une grande réussite au point de vue des rapports entre ceux qui l’habitent. »

Il poursuit son discours avec le thème de la chose française déjà proclamé en 1940 : « Si vous n’aviez pas réussi ce que vous aviez fait, c’est encore une fois un membre qui aurait été arraché à la chose française. »

Il personnifie la France qui a avec le Québec un rapport certes utilitaire mais aussi empreint d’affection : « En échange de cela, je voudrais vous dire que la France pense à vous. »

Grâce à la réussite qu’il constate sur les bords du Saint-Laurent et grâce à l’essor de la France qu’il dirige, « Nous pouvons avoir confiance dans l’avenir de ce que nous sommes les uns et les autres (…) ».

Le lendemain, le 21 avril 1960 à Montréal, devant le maire Sarto Fournier, lors d’un banquet au milieu de la journée, il insiste sur la réussite. C’est pour lui une donnée fondamentale. « Je tiens à vous dire l’impression, en quittant la Province – laissez-moi dire le Canada français – l’impression dominante que j’aurai éprouvée : je disais hier à Québec, je vous le répète aujourd’hui, c’est l’impression d’une réussite. »

Toujours, sans sourciller, sans hésiter, il salue le Canada français, cette entité française vivante : « (…) car il est essentiel, vous le sentez tous, qu’il y eût, sur cet immense continent américain, une entité française vivante, une pensée française, qui dure, qui est indispensable pour que tout ne se confonde pas dans une sorte d’uniformité. »

Il met de l’avant, comme en 1940, le lien affectif qui unit la France et le Canada français : « Elle vous regarde, croyez-moi, souvent. Elle sait, par exemple, et elle regarde ce qui se passe en ce moment même entre vous et moi et, pour elle, c’est un réconfort essentiel. »

Ce lien doit se traduire par une solidarité sans failles et par une fidélité mutuelle à toute épreuve. En dépit des différences de population et des responsabilités internationales très inégales : « (…) vous pouvez compter sur elle, Canadiens, Canadiens français, vous pouvez compter sur elle dans le débat qui va s’engager. Elle compte sur vous pour penser à elle, pour la suivre et pour l’appuyer, par tous les moyens, directs ou indirects, que les hommes libres ont aujourd’hui de faire connaître ce qu’ils pensent. (…) »

En juillet 1967, à l’âge de 77 ans, il effectuera son troisième voyage officiel dont le moment culminant prendra la forme de son désormais célèbre « Vivre le Québec libre ! ».

Le 23 juillet à Québec, au cours du discours en réponse à celui du premier ministre Daniel Johnson, de Gaulle campe « Le premier (fait essentiel). C’est qu’en dépit du temps, des distances, des vicissitudes de l’histoire, un morceau de notre peuple est installé, enraciné, rassemblé ici. »xlix  Là encore, l’histoire est présente. Elle est indélébile. Pour de Gaulle, c’est une constante. Il y réfère constamment, comme on l’a vu en 1940 et en 1960.

À l’Université Laval le 20 avril 1960, il n’avait pas parlé en vain des rapports étroits entre les établissements vivant par la pensée française.  Il les salue avec ferveur en 1967 devant le premier ministre Daniel Johnson: « N’est-il pas aussi satisfaisant que possible que vos universités de Québec, de Montréal, de Sherbrooke et nos universités de France soient en relations régulières et que nous échangions en nombre croissant des professeurs, des ingénieurs, des techniciens, des étudiants ? » l

De Gaulle comprend « (…) ce que la fraction française du Canada entend aujourd’hui devenir et accomplir de son propre chef et sur son propre sol, (…) » li. Il est habité par la nécessité de l’action et de l’accomplissement, tous les deux tournés vers l’avenir.

Le 24 juillet, c’est à Montréal, lors du fameux discours de l’hôtel de ville, qu’il magnifie la réussite, comme il l’avait fait sept ans plus tôt en 1960.

« Et tout le long de ma route, outre cela, j’ai constaté quel immense effort de progrès, de développement et par conséquent d’affranchissement vous accomplissez ici, et c’est à Montréal qu’il faut que je le dise, parce que s’il y a eu au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c’est la vôtre. Je dis : c’est la vôtre, et je me permets d’ajouter : c’est la nôtre. » lii

Il continue d’accorder une importance déterminante aux rapports étroits et aux échanges. « C’est pourquoi elle (la France) a conclu avec le gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson (premier ministre québécois), des accords pour que les Français de part et d’autre de l’Atlantique travaillent ensemble à une même œuvre française. » liii

Dans les dernières phrases de son discours,  il souligne que « La France entière sait, voit, entend ce qui se passe ici et je puis vous dire qu’elle en vaudra mieux. » liv  C’est un autre thème déjà manifeste en 1960 et tout au long du Chemin du roi en 1967 en route vers Montréal.

Ce survol rapide des thèmes que de Gaulle affectionne montre bien que les relations qu’il a, au moins depuis 1940, voulu voir la France et le Canada français  développer étaient le fruit d’une pensée cohérente sur ce qu’il nommait « la chose » ou « l’œuvre française ». Bien sûr, en 2013, son utilisation d’expressions comme « Français du Canada » en communion avec ceux de France nous étonne. Mais, et c’est ce qui doit importer, il a toujours reconnu l’existence d’une entité particulière de langue française en Amérique du nord, le Canada français. Il a pris les décisions et les dispositions nécessaires pour que s’établissent entre la France et le Québec des relations directes et privilégiées, durables et audacieuses, dans tous les domaines, qui n’ont cessé de s’affermir et de se ramifier depuis cinquante ans.

 

 

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NOTES

(xlviii) De Gaulle, Charles. Lettres, notes et carnets – juin 1958-novembre 1970. Paris : Robert Laffont, 2010. p. 318.
(xlvix) Dorval, André, et autres. Les textes marquants des relations franco-québécoises (1961-2011). Québec : Éditions MultiMondes, 2011. p. 58.
(l) Ibid., p. 59
(li) Dorval, André, et autres. Les textes marquants des relations franco-québécoises (1961-2011). Québec : Éditions MultiMondes, 2011. p. 59.
(lii) Ibid., p. 60.
(liii) Ibid., p. 60.
(liv) Ibid., p. 60.
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