Des milliers de noms de lieux français de l’Ouest canadien
Carol J. Léonard
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Depuis plus de 250 ans, les « Français d’Amérique » ont foulé le sol d’une vaste région que l’on dit être « l’Ouest canadien ». Ils l’ont marquée de leurs empreintes. L’une d’entre elles est la toponymie. Les plus anciens noms de lieux marqués du sceau de la langue française remontent au Régime français. Portage la Prairie, Fort-à-la-Corne, Le Pas, rivière Rouge, lac des Bois sont aujourd’hui d’un emploi fréquent, familier, anodin même. Ils figurent au nombre des vestiges d’une époque où la France pouvait réclamer pour elle la majeure partie du continent. Cette période a été suivie de la Conquête anglaise. Le commerce des pelleteries, moteur de l’économie et de la découverte, a par la suite repris sous l’initiative des marchands de Montréal et de Québec. En cela, ils ont été puissamment épaulés par les voyageurs, ces pagayeurs réputés infatigables. Ils ont alors repris la route de l’Ouest pour atteindre à nouveau les rives de la rivière Saskatchewan qu’ils avaient quittées quelques années plus tôt pour se porter à la défense de la colonie. De retour sur la Saskatchewan, ils ont poursuivi leur avancée vers l’ouest et remontèrent les rivières Maligne et la Pente pour atteindre la rivière aux Anglais (la Churchill). Elle leur permit d’atteindre le formidable portage la Loche, puis la petite rivière à l’Eau claire (Clearwater River), porte d’entrée menant à la rivière Athabasca et au lac du même nom. C’est de là, grâce à leur aide, qu’Alexander Mackenzie allait parcourir, en s’exprimant le plus souvent en français, la distance qui le séparait de l’océan Pacifique, cette mer de l’Ouest tant espérée.
Empreinte des premiers Français
Les voyageurs, rappelons-le, étaient francophones dans leur vaste majorité. Au fil de l’eau, ils ont répandu des noms à leur image et à celle des occupants amérindiens. Encore aujourd’hui, certains toponymes de l’Ouest perpétuent le souvenir de leurs passages. Ces noms se présentent en contrepoint de l’histoire de provinces dont les débuts se voulaient résolument britanniques. Île-à-la-Crosse, Lac la Ronge, Lac la Plonge, Qu’Appelle River, Roche Miette, Lac des Arcs sont les noms de lieux aux origines françaises les mieux visibles et les plus fréquemment entendus. Ils ornent des entités dont les dimensions respectables laissent supposer l’importance du rôle qu’elles ont pu jouer dans l’Histoire.
Empreintes subséquentes
Avant qu’ils ne s’évanouissent dans les replis de l’Histoire, les Voyageurs et leurs épouses amérindiennes donnèrent naissance à la nation métisse. Celle-ci prit le relais et maintint en maints lieux les désignations françaises héritées de leurs pères. Cette nation a été évangélisée par des missionnaires principalement catholiques et français. Peu de décennies après, survint la colonisation. Subite et massive, elle modifia profondément le paysage et la toponymie de tout l’Ouest. Les vastes prairies se constellèrent d’une multitude de nouveaux noms. C’est ainsi qu’un nombre incalculable de toponymes français n’occupa désormais que les replis des mémoires et les pages des documents anciens. La langue anglaise réclama pour elle une place dominante qu’elle n’a plus jamais quittée. Ainsi, l’Ouest canadien a-t-il acquis le visage toponymique qu’on lui connaît aujourd’hui.
Projet de répertoire des toponymes
Aujourd’hui, la toponymie officielle d’origine et d’influence françaises dans l’Ouest ne contient que les fragments de celle en usage depuis l’origine de la présence française sur ce vaste territoire jusqu’à nos jours. Les recherches effectuées en Saskatchewan, si tant est qu’on puisse les dire achevées, nous ont permis d’y découvrir plus de 2 500 noms de lieux. Celles que nous avons entreprises il y a trois ans en Alberta et depuis peu au Manitoba, nous autorisent à entrevoir la possibilité de constituer un répertoire contenant plus de trois fois ce nombre. Et, ce n’est là que la pointe de l’iceberg… ou à peine plus. À titre de comparaison, rappelons que la totalité des toponymes officiels de l’Alberta s’élève à tout juste 9 300. Sous ce rapport, l’étendue de la nomenclature des toponymes d’origine et d’influence françaises de l’Ouest est considérable.
Sources à prendre en compte
Longue et astreignante, sans jamais être fastidieuse, la quête de ces toponymes ne connaît qu’une exigence : ne négliger aucune source. Il faut tout passer au peigne fin : cartes anciennes et récentes, journaux de traite, contrats d’engagement, récits de voyage, carnets et livrets d’arpenteurs, comptes rendus officiels des débats, documents de la session, journaux de la Chambre des communes, correspondance des ministères (de l’Intérieur, des Postes, du Commerce), actes de concessions de terres, inventaires et bottins anciens, almanachs et annuaires, quotidiens, hebdomadaires et mensuels anciens, autobiographies et livres-souvenirs de municipalités ou encore ceux d’arrondissements scolaires. Et pourtant, aux recherches les plus tenaces, la réalité impose ses limites. Tout ne peut être exhumé. On le sait, les anciens voyageurs du temps de la retraite, les Métis et les colons des premières heures de la colonisation ne pratiquaient pas l’écriture. Peu d’entre eux nous ont laissé des traces qui nous renseignent sur les pratiques dénominatives en langue française à leur époque. Dans la vaste majorité des cas, nous devons à des tiers d’avoir pris en note ces milliers de noms qui, sans leur exceptionnel et précieux concours, auraient sombré dans l’oubli. C’est à la plume d’officiers anglais des compagnies de traite, à celle de missionnaires, de visiteurs, d’arpenteurs ou de chroniqueurs que nous devons de redécouvrir ces multitudes de noms. Malheureusement, ils ne pouvaient être présents à tout, ni tout noter.
Les révélations d’une toponymie
Plus encore que de retracer l’histoire de la toponymie française de l’Ouest canadien, ce qu’elle est devenue, ce qu’il nous en est resté, nos recherches visent à en suivre et à en caractériser l’évolution pour en saisir la dynamique qui a régi son apparition, sa disparition, mais aussi le maintien d’appellations jusqu’à nos jours. Elles poursuivent aussi l’ambition de rendre compte de la diversité et des multiples traits qu’a acquis ce patrimoine méconnu au fil du temps.
Carte des noms de lieux
En terminant et pour illustrer notre propos, nous vous proposons une carte ainsi qu’une liste de quelques noms figurant à notre répertoire des toponymes d’origine et d’influence françaises dans les provinces de l’Ouest. Cette liste est constituée de noms rencontrés sur la rivière Churchill et son bassin entre le Manitoba et l’Alberta. Quant à la carte, elle illustre l’état des recherches actuelles. On y découvre les lieux de la Saskatchewan et de l’Alberta qui ont été ou sont encore désignés de noms d’origine et d’influence françaises.
Anciens toponymes du bassin de la Churchill que l’on retrouvait entre la rivière Sturgeon-weir et le portage la Loche en Saskatchewan.
Carriboeuf River, La Course Creek, décharge des Trois Petits Portages, décharge du Rapide croche, décharge la Barrière, décharge Sepulcre, détroit du Bœuf , Grand Courant, rapide Fort de Traite, Grand Rapid, Le Cimetière, La Vieille (Pause), lac à l’ Eau-Claire, lac aux Castors, lac Bouleau, lac Brochet, lac Canot, lac Caribou, lac Carribeau [sic], lac Clair, lac de l’ Île du Pin, lac de la Montagne, lac de la Queue dépouillée, lac des Boeufs, lac des Cauttes [sic], lac des Oeufs, lac du Bois, lac du Diable, lac du Serpent, lac Fort de Traite, lac Île-à-la-Crosse, lac la Loche, lac la Pêche, lac la Plonge, lac La Ronge, lac la Truite, lac Pélican, lac Petit Vaseux, lac Portage de l’Isle, lac Sapins blancs, lac Souris, lac Vert, lac-du-Genou, Lake Croche, rivière des Côtes, petit portage de l’Isle, Petit portage de l’île, Pointe au Sable, portage aux Morts, portage Corneille, portage d’ Épinettes, portage d’ Épinettes [sic], portage de Bouleau, portage de Bouleau, portage de l’ Isle, portage de la Carpe, portage de l’Isle, portage de Traite, portage d’Épinette, portage des Ecors [sic], portage des Epingles [sic], portage du Baril, portage du Canot tourné, portage du Diable, portage du Galet, portage du Hallier, portage du Petit Diable, portage La Loche, portage la Pente, portage la Puise, portage la Truite, portage Montagne, portage Petite roche, portage Sonnant, Rapide de la Rivière Rapide, rapide Croche, rapide Croche, rapide de la Loutre, rapide du Genou, rapide du Milieu, rapide du Serpent, rapide Qui ne parle point, rapides aux Morts, rapides Diable, rapides la Pierre, River La Loche [sic], River Qu’Appelle [sic], River Souris, rivière à la Biche, rivière aux Biches, rivière aux Castors, rivière Blanche, rivière Brochet, rivière Chaudière, rivière Creuse, rivière Creuse, rivière Croche, rivière d’Avoine, rivière du Cerf, rivière la Biche, rivière la Biche, rivière la Pente, rivière la Puise, rivière Maligne.