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Évoquer la Nouvelle-France : Les Fêtes de la Nouvelle-France et l’animation du Vieux-Québec (1997-2007)

Évoquer la Nouvelle-France :
Les Fêtes de la Nouvelle-France et l’animation du Vieux-Québec (1997-2007)

 

Cet article s’intéresse à un événement festif chargé d’animer les rues du Vieux-Québec une fois l’an (au mois d’août) depuis 1997 : les Fêtes de la Nouvelle-France1. Il en présente d’abord la genèse. Puis il examine l’événement en tant que tel, dans ses dimensions économiques et programmatiques.

Créées en 1997 (et encore actives en 2007), les FNF connurent une progression rapide. Dotées d’un budget initial de 500 000 dollars, elles disposèrent rapidement d’une somme de plus de 2 millions $ et elles accueillirent un nombre sans cesse croissant de festivaliers2. Parties de peu, elles parvinrent ainsi à mériter une place significative au sein du calendrier culturel proposé par la Ville de Québec et, tout spécialement, des événements spéciaux orientés sur l’animation.

En succédant aux Médiévales de Québec, ces grandes « fêtes historiques et culturelles » tenues au cours des étés 1993 et 1995 et écartées pour des raisons de « mauvaise gestion interne », les Fêtes de la Nouvelle-France ont hérité d’un mandat clair : animer le Vieux-Québec tout en proposant un événement rentable sur le plan financier et relativement autonome à l’égard des deniers publics. De cet héritage, elles ont puisé leurs principes directeurs : un événement financé sur la base de l’économie touristique et une caractéristique d’animation non étrangère du tout au « pouvoir d’évocation » de Place-Royale, « berceau de l’Amérique française ». C’est à travers l’ensemble de cette séquence que nous aborderons les FNF au cours des pages qui suivent.

Une impulsion à l’animation du Vieux-Québec : les Médiévales de Québec

Au cours des étés 1993 et 1995, Québec accueille un événement appelé à marquer, de façon tangible, l’animation du Vieux-Québec : les « Médiévales de Québec ». Créées à l’instigation de Rémy d’Anjou, personnalité médiatique bien connue du milieu local qui s’est inspirée des expériences européennes en la matière, les Médiévales parviennent à obtenir le soutien financier et technique d’importants subventionneurs publics : la Ville de Québec, de même que les gouvernements provincial et fédéral. Elles décochent, en outre, une part significative de commandites en provenance du secteur privé. Sur le plan administratif, les Médiévales de Québec sont placées sous la responsabilité de la Corporation Québec, cité médiévale, un organisme sans but lucratif dirigé par l’avocat Pierre Gaudreau. Leur gestion est confiée à l’entreprise privée (à but lucratif) Gestion Trois fois plus, dont Rémy d’Anjou est le dirigeant. Dans l’ensemble, les Médiévales de Québec cherchent à célébrer la mémoire d’une époque historique lointaine : le Moyen-Âge. Pour ce faire, elles prennent d’assaut les rues du Vieux-Québec en proposant au public une panoplie d’activités qui s’appuient à la fois sur la reconstitution et sur l’évocation historiques. Résolument rangées à l’enseigne de l’imaginaire (Rocher, 1997 : 190-191), les Médiévales s’inscrivent dans les « événements à caractère commémoratif [qui] font entrer le visiteur dans la dynamique même de la présentation, faisant de lui un acteur de la métaphore » (Grandmont, 1997 : 264).

Dans leur quête de reconstitution et d’évocation historiques, les Médiévales font appel à un élément fort significatif : le « cadre » et le « décor naturel » du Vieux-Québec. Ainsi tirent-elles profit du « pouvoir d’évocation » de l’imagerie populaire qui associe Québec à la ville fortifiée d’Amérique du Nord (imagerie, du reste, en partie responsable de l’inscription de Québec sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO, en 1985). Le journaliste Louis-Guy Lemieux l’illustre bien : « L’idée [de tenir des fêtes médiévales à Québec] est emballante. Culturellement et touristiquement. Si Cartier et Champlain furent tout sauf des hommes du Moyen-Âge, il reste que la ville de Québec avec son décor naturel, ses fortifications, son cachet européen et le tempérament latin de ses habitants est l’endroit idéal pour faire revivre l’amour courtois, la chanson de geste et l’esprit chevaleresque » (Lemieux, 14 février 1992 : B13). En dépit de leur popularité auprès de la population locale et régionale, tout autant que touristique — l’événement attire près d’un demi-million de festivaliers en 1995 —, les Médiévales de Québec connaissent des difficultés financières dès leur implantation. Ainsi, tout au cours de leur brève histoire, elles accumulent un déficit financier. Attribué à une gestion interne inefficace, de même qu’à une quête de financement sans cesse à reprendre (André Ségal, cité dans Fleury, 1995 : A3), ce déficit financier insup la Ville de Québec, en 1996, à ne plus autoriser la tenue des Médiévales sur son territoire3. Une page de l’histoire du Vieux-Québec est tournée, mais son animation, elle, est loin d’être terminée.

Pour un Vieux-Québec animé… et rentable : vers la création des Fêtes de la Nouvelle-France

Donner un sens à la fête
Crédit photo : Fêtes de la Nouvelle-France SAQ – Xaviez Dachez

Au début de l’année 1996, l’administration municipale de Québec entreprend de substituer aux Médiévales un nouvel événement d’animation. Le défi paraît de taille puisque sur le plan de la participation populaire, les Médiévales tirent leur révérence fortes d’un grand succès d’estime. En septembre 1996, selon le souhait du maire Jean-Paul L’Allier, la Ville de Québec diffuse un appel d’offres destiné à sussupr la création d’une grande fête historique et culturelle devant prendre place au cours de la première quinzaine du mois d’août dans le Vieux-Québec. Dans un contexte politique d’« assainissement des finances publiques », la Ville recherche, en tout premier lieu, l’équilibre budgétaire et la rigueur administrative (Benjamin, 29 septembre 1996 : A1). Il appert que le Vieux-Québec devra être animé… et rentable. Le double héritage des Médiévales de Québec prend alors toute sa signification.

Au terme du processus d’appel d’offres, trois propositions retiennent l’attention de la Ville, qui choisit de donner son aval à la formule privilégiant l’organisation de « Fêtes de la Nouvelle-France ». L’idée séduit particulièrement l’administration municipale parce qu’elle permet d’introduire les célébrations à venir entourant le 400e anniversaire de la fondation de Québec. Mais, afin d’éviter un « échec financier » comparable à celui des Médiévales, l’organisation des FNF (confiée à la compagnie privée Gestev de 1997 à 2007) devra se soumettre sine qua non à une supervision stricte. Dans cette perspective, la Ville crée, à la fin de l’année 1996, la Corporation des Fêtes historiques de Québec. Consacrée exclusivement aux Fêtes de la Nouvelle-France, cette corporation constitue un intermédiaire entre la compagnie Gestev et la Ville de Québec, qui s’octroie de la sorte un moyen de contrôle direct sur la gestion des FNF. Une fois les questions techniques réglées, une première étape s’impose : financer la fête.

Financer la fête

En tant qu’événement culturel et historique à grand déploiement, les Fêtes de la Nouvelle-France requièrent un financement important. La Corporation des Fêtes historiques de Québec bénéficie, au départ, d’un soutien financier de la part des instances gouvernementales (provinciale, fédérale puis municipale, dans l’ordre décroissant). Dès l’année 1999, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) lui accorde un montant annuel qui avoisine les 110 000 dollars. En revanche, le soutien financier consenti aux FNF doit conférer à ces dernières une base leur permettant, par la suite, de diversifier leurs sources de revenus et, éventuellement, de prendre une distance significative par rapport au financement public. Dans cette perspective, l’organisation des Fêtes de la Nouvelle-France s’associe, dès sa création, au milieu de l’« économie touristique »4. En retour, parce que les commanditaires — dont la Société des Alcools du Québec (SAQ) représente à ce jour le plus important — réclament une forte visibilité, les FNF ne tardent pas à répartir leurs activités « historiques et culturelles » selon un principe de concentration : les incursions réalisées au Jardin des Gouverneurs, lors de la seconde édition de l’événement (1998), sont abandonnées dès 1999 au profit d’un déploiement plus local, centré davantage sur le secteur historique de la basse-ville, la Côte de la Montagne, le Parc Montmorency et, depuis 2002, la cour du Séminaire de Québec.

Le « pouvoir d’évocation » de Place-Royale au service de l’animation du Vieux-Québec

Donner un sens à la fête
Crédit photo : Fêtes de la Nouvelle-France SAQ – Xaviez Dachez

Les Fêtes de la Nouvelle-France ont certes une responsabilité financière. Mais afin d’honorer l’esprit de l’appel d’offres qui les a vues naître, elles doivent aussi posséder une dimension « historique et culturelle ». Pour ce faire, leur programmation s’appuie sur de nombreuses activités, du théâtre aux « défilés des géants », en passant par de multiples animations de rue. À l’image des défuntes Médiévales de Québec, les FNF font d’abord appel à la reconstitution historique. Susceptible de revêtir plusieurs formes — d’un univers « authentiquement repensé », comme celui de la Batterie Royale, à certains aspects des costumes des comédiens et des bénévoles — cette reconstitution historique se réclame d’une information historique « crédible ». Mais si la programmation des FNF fait appel à la reconstitution historique, c’est bien pour que celle-ci pave la voie à l’évocation historique. Interprétation de la réalité reconstituée, l’évocation historique doit amener le comédien à faire entrer le festivalier dans la fête et, ainsi, à lui faire vivre l’objet patrimonial. Tout comme c’était le cas des Médiévales de Québec, la reconstitution et l’évocation historiques que proposent les Fêtes de la Nouvelle-France s’appuient sur le « décor naturel » du Vieux-Québec. Cette fois-ci, c’est du « pouvoir d’évocation » de Place-Royale qu’elles tirent profit. En quoi ce « pouvoir d’évocation » consiste-t-il exactement ?

Place-Royale doit le visage « français » que nous lui connaissons aujourd’hui à un chantier de reconstruction. Apparu à l’instigation de la Commission des monuments historiques au début des années 1960, ce chantier fut mené sous l’égide du ministère des Affaires culturelles et de ses experts. À travers de multiples interventions à caractère ponctuel impliquant tantôt des restaurations « stylistiques » (dites conformes à l’original français) et tantôt des reconstructions, l’État lui confia la responsabilité de témoigner du repositionnement du Québec face à l’ensemble de la francophonie nord-américaine (lequel s’observe, tout particulièrement, depuis le début des années 1960). À la toute fin des années 1970, un colloque organisé par le ministère des Affaires culturelles eut pour effet de réorienter certains aspects du chantier de reconstruction. Il incita notamment les intervenants à tenir compte de l’héritage des 19e et 20e siècles dans leur entreprise de restauration. Dans le sillage de ce colloque, le Québec commença à percevoir Place-Royale comme un « berceau de l’Amérique française », lui attribuant du coup la faculté d’évoquer l’histoire du régime français5.

Place-Royale n’accueille pas toutes les activités « historiques et culturelles » des Fêtes de la Nouvelle-France : le « cœur » de la place (soit la portion située au sud de la rue Notre-Dame) s’y transforme en « place du marché »6, alors que la rue Saint-Pierre abrite généralement des kiosques de généalogie et la Batterie Royale accueille des activités de reconstitution historique. Pourtant, le « pouvoir d’évocation » de Place-Royale paraît rayonner sur l’ensemble de la programmation des Fêtes ; c’est là que l’organisation affirme puiser sa crédibilité historique : « C’est la ville historique qui sert de prétexte à cette fête (…) Marquée doublement dans ses origines et dans sa période Nouvelle-France, la ville, dans sa continuité historique, se prête à un événement évocateur de cette période (…) Parce qu’elles évoluent sur le berceau même de la Nouvelle-France, les Fêtes [de la Nouvelle-France] ne peuvent être autrement que crédibles historiquement » (Corporation des Fêtes historiques de Québec, 2000 : 3, 5). C’est aussi le « pouvoir d’évocation » du « berceau de l’Amérique française » qui vivifie l’interaction entre le festivalier et le comédien et qui parvient à donner au premier l’impression qu’il vit momentanément dans une autre période historique : celle de la Nouvelle-France.

En prenant d’assaut les rues du Vieux-Québec une fois l’an, les Fêtes de la Nouvelle-France poursuivent des objectifs « historiques et culturels », auxquels s’ajoute une dimension économique. À bien y regarder, on s’aperçoit que Place-Royale occupe un rôle important dans l’animation qu’elles proposent. Si tel est le cas, c’est bien que le Québec a fait de Place-Royale un « berceau de l’Amérique française » et qu’il lui a conféré la faculté d’évoquer l’histoire du régime français. Un peu comme l’imagerie de la ville fortifiée d’Amérique du Nord qui, autrefois, reçut le mandat de soutenir la programmation des Médiévales de Québec…

Etienne Berthold

Pour en savoir un peu plus…

BENJAMIN, Guy (20 septembre 1996). « Peut-être deux fêtes médiévales à Québec l’an prochain ». Le Soleil, p. A1.

Berthold, Etienne (2007). Patrimoine et pédagogie. Une étude de cas des patrimonialisations de l’île d’Orléans et de Place-Royale (Québec) aux XIXe et XXe siècles. Thèse présentée pour l’obtention du grade de Philosophiae doctor, Institut national de la recherche scientifique, INRS Urbanisation, Culture et Société, 296 p.

Corporation des FÊtes historiques de QuÉbec (2000). Les Fêtes de la Nouvelle-France. Plan directeur, Québec, Corporation des Fêtes historiques de Québec, 8 p.

Fleury, Robert (10 septembre 1995). « Les Médiévales, un géant aux pieds d’argile. Le professeur Ségal souhaite plus d’organisation et surtout un meilleur financement ». Le Soleil, p. A3.

GERONIMI, Martine (2001). Imaginaires français en Amérique du Nord: géographie comparative des paysages patrimoniaux et touristiques du Vieux-Québec et du Vieux Carré à la Nouvelle Orléans. Thèse de doctorat, Université Laval, Département de géographie, 376 f.

Grandmont, Gérald (1997). « Le patrimoine ou la pédagogie de l’appropriation ». Dans Rocher, Marie-Claude et André Ségal, dir. Le traitement du patrimoine urbain. Tome I, Québec, Musée de la civilisation du Québec, 249-266.

LEBEL, Jean-Marie et Alain ROY (2000). Québec, 1900-2000. Le siècle d’une capitale. Sainte-Foy, Multimondes/CCNQ, 157 p.

LEMIEUX, Louis-Guy (14 février 1992). « Les Médiévales de Québec ». Le Soleil, p. B13.

Morisset, Lucie K. et Luc Noppen (Printemps 2003). « De la ville idéelle à la ville idéale: l’invention de la place royale à Québec ». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 56, no 4, p. 453-479.

NOPPEN, Luc (1993). «Place-Royale, chantier de construction d’une identité nationale». Dans DIEUDONNÉ, Patrick, dir. Villes reconstruites : du dessin au destin. Paris, L’Harmattan, vol. II, p. 301-306.

Office du tourisme et des congrÈs de QuÉbec. 2003. Profil annuel, comportements et perceptions des clientèles touristiques de la région de Québec en 2003 et comparaison avec les résultats de 1999. Québec, Office du tourisme et des congrès de Québec, 30 p. En ligne. http://www.quebecregion.com/dsp/Sommaire-etude-2003.pdf (site consulté en août 2007).

Rocher, Marie-Claude (1997). « Tradition et création : la Ducasse de Mons et les Médiévales de Québec ». Dans Rocher Marie-Claude, et André Ségal, dir. Le traitement du patrimoine urbain. Tome I, Québec, Ministère du Commerce du Québec, p. 189-201.

 

 1- Depuis quelques années, les Fêtes de la Nouvelle-France portent le nom de « Fêtes de la Nouvelle-France-SAQ ». Par souci pratique, à l’intérieur de cet article, nous les désignerons par l’appellation « Fêtes de la Nouvelle-France » (FNF). Nous avons volontairement dépouillé notre article de tous les aspects théoriques qui accompagnent l’étude du patrimoine à Québec. À cet égard, nous invitons le lecteur à se reporter à Berthold (2007). [Retour au texte]

 2 – Par exemple, pour l’édition 2003, le budget total des FNF, selon les États financiers vérifiés le 31 août 2003, s’élevait à 2 708 000 dollars. De même, selon une étude Léger-Marketing réalisée à la demande de l’organisation des FNF, l’édition 2003 accueillait plus de 500 000 visiteurs. [Retour au texte]

 3 – Il faut spécifier que la décision de la Ville de Québec de ne plus autoriser la tenue des Médiévales sur son territoire est aussi conditionnée par le fait que l’entreprise Gestion trois fois plus se montre généralement peu disposée à « rendre des comptes » aux instances municipales. [Retour au texte]

 4 – À propos de l’économie touristique qui caractérise le Vieux-Québec — qui est une économie de consommation associée au tourisme de masse — voir Geronimi (2001). Voir aussi Office du tourisme et des congrès de Québec (2003). [Retour au texte]

 5 – Il faut spécifier que l’imagerie populaire du « berceau de l’Amérique française » est responsable de l’inscription de Québec sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO, en 1985, au même titre que celle qui met l’accent sur la ville fortifiée d’Amérique du Nord. L’histoire du chantier de reconstruction de Place-Royale comme « berceau de l’Amérique française » est complexe. Le lecteur qui désire en savoir plus sur le sujet pourra se reporter à Berthold (2007), Noppen (1993), Morisset et Noppen (2003), Lebel et Roy (2000). [Retour au texte]

 6 – On a parfois retrouvé sur la Place en tant que telle, le marché de l’Union des producteurs agricoles (UPA), aujourd’hui situé à Place de Paris. De fait, lors de l’édition 2007 des FNF, Place-Royale accueillait un « marché des vins de France » [Retour au texte].

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