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Filles du Roy parties de Dieppe : les « Demoiselles » de 1667

Filles du Roy parties de Dieppe : les « Demoiselles » de 1667

Par Romain Belleau
Chercheur en généalogie,
membre associé de la CFQLMC et
membre de la Société d’Histoire des Filles du Roy

Du vendredy apres midy dix sept(ième) j(ou)r de (juin) (mil six cent) soixante sept par-devant Anthoine le Mareschal not(aire) Royal en la (vicomté d’arques et ville) de dieppe et Jacques le doyen  (…), furent p(rese)ntes de(moysel)le Marie de franclieu de(moysel)le Marie lepage de(moysel)le catherine de boillereu, de(moysel)le Catherine de thosterne de(moysel)le Marie angélique portas de(moysel)le M_de Marillac de(moysel)le Marie Symon de(moysel)le francoyse de Conflans de(moysel)le Cilvye Carcireux de(moysel)le Marie le nom manque de(moysel)le Reyne Martin de(moysel)le Marguerite regnault de(moysel)le Michelle Tessieu, de(moysel)le Ursulle Turbar de(moysel)leeslizabet uber, de(moysel)le perrette coulter dabauvourt de(moysel)le lequert de(moysel)le Catherine germain de(moysel)le Marie pasheu de(moysel)le Madeleine grengeon estant de présent en cette ville de dieppe Lesquelles Instruites en requeste de de(moysel)le Catherine francoise desnaquets (rature desnoyers) femme de pierre le petit escuier seigneur de neufville de present habitant en la nouvelle France pays de Canada lad(it)e de(moysel)le de_ present en cette ville (de Dieppe) (soi disant) avoir ordre de sa maieste  pour la conduite de cent filles pour passer avec elle aud(it) pays de Canada ont dit (et attesté) que depuis quelles sont parties de la ville de paris de (ça) quinze jours pour venir en ceste ville (pour faire le dit voyage) elles ont este nourryes (et) entretenues et hebergees  (ce) jusque au jour de leur (arrivée en la dite ville) quy fust le jour du saint Sacrement (dernier) aux frais et (despens) de la dite dam(oysel)le desnoyers [surcharge] et quelle a fourny tout ce qui leur a esté nécessaire et que depuis led(it) jour de leur arrivée ayant demandé de quoy (subsister?) a Monsieur Ca(ullier) commis de Messieurs de la Compagnie dudit lieu de Canada les dites susnommées ont dit leur avoir refuses de quoy subsister (mais) auroit donné ordre à une hostesse de leur fournir les choses à elles nécessaires non pas ce qu’elles disent leur avoir esté accordez par Sa Majesté ce que la dite dam(oiselle) des Naguets leur auroit fait entendre en partant de Paris pour faire led(it) vouy(age) en Canada (…) Disant aussy en oultre lesd(ites) susnommées que ce qui cause le subjet de ce que dessus est par quelque animosité de quelques personnes mal intentionnees a la commission donnée par Sa Majesté à lad(ite) da(moysel)le desnaguets pour empêcher Leur embarquement (es privant de faire led(it) vouy(a)ge (…) lad(ite) dam(oysell)e desnaguets (…) les a traittees avec tout honneur et fidelle(men)t (…) ce quelles ont jure et assurent este veritable laq(ue)lle lad(ite) dam(oysell)e desnaguets a requis de leur bouche (?) … »

Tel est le texte (partiellement lu et déchiffré) d’un acte passé à Dieppe le 17 juin 1667 par des « Demoiselles » qui doivent « passer au pays de Canada ».

Qui sont ces Demoiselles? Quelques-unes de celles qu’on appelle Filles du Roy.

Et qui sont ces Filles du Roy ? Je crois utile de donner quelques précisions pour les personnes qui ne le sauraient pas bien. Je reprends la définition qu’a donnée en 1992 Yves Landry dans son ouvrage intitulé Orphelines en France, pionnières au Canada suivi d’un Répertoire biographique des 770 filles reconnues au cours de ses recherches. (Le livre doit être réédité ce mois-ci.) Ce sont « les immigrantes, filles ou veuves, venues au Canada de 1663 à 1673 inclusivement et ayant présumément bénéficié de l’aide royale dans leur transport ou leur établissement, ou dans l’un et l’autre ». « Présumément »…

C’est Marguerite Bourgeoys, fondatrice à Montréal de la Congrégation de Notre-Dame au Canada, qui a utilisé cette expression pour désigner certaines Filles qu’elle a accueillies et hébergées avant leur mariage. L’expression est créée vraisemblablement sur le modèle de celle d’enfant du roi donnée aux enfants orphelins ou trouvés élevés aux frais du roi.

Les Filles du Roy peuvent avoir bénéficié de l’aide du roi de plusieurs façons : pour l’acheminement vers le port de départ (on le voit dans l’acte de Dieppe que j’ai lu); pour le prix de la traversée ; en bénéficiant d’une dot personnelle (appelée « don du roi » dans les contrats de mariage) ; ou par l’assistance au moment de l’arrivée dans la colonie ou lors de leur installation, comme l’indique l’intendant Jean Talon dans sa correspondance avec les autorités françaises.

De 1663 à 1673, ce sont environ 800 femmes qui sont ainsi venues et se sont mariées au Québec. On les appelle « Mères de la nation » en raison de l’importance que leur arrivée a eu sur l’évolution de la population de la Nouvelle-France québécoise. Ce qui étonne et émerveille chez ces filles et femmes, c’est leur fécondité. Dans leur ensemble les Filles du Roy contractent 892 unions, et donnent naissance à 4445 enfants. Toutes les unions n’ont pas entraîné la naissance d’enfants. Les Filles qui ont des enfants sont plus fécondes que les Françaises du Nord-Ouest à la même époque. Ces dernières ont en moyenne 6,5 enfants, les Filles du Roy 9,1. Et les filles de ces Filles seront encore plus fécondes : 9,5 enfants en moyenne. En 1663, la population de la colonie est d’environ 3500 âmes, et ce sont surtout des hommes : il y a plus de six hommes pour une femme en situation de se marier. Vingt-cinq ans plus tard, on compte plus de 11000 habitants.

Il est donc question de certaines de ces Filles du Roy dans le texte que j’ai lu. Ce document est intéressant à plus d’un titre.  L’acte est connu depuis longtemps, il est cité par Sylvio Dumas dans son ouvrage Les filles du roi en Nouvelle-France, de 1972. Il apporte un témoignage sur le départ des Filles, les conditions dans lesquelles elles sont emmenées au port, l’accompagnement dont elles sont l’objet…

  • Elles sont appelées demoiselles.
  • Elles sont venues en groupe, parties de Paris quinze jours plus tôt.
  • Elles sont accompagnées. On connaît leur accompagnatrice : Catherine-Françoise Desnaguets est l’épouse de Pierre Petit de Neuville ; celui-ci est arrivé dans la colonie en 1645, il se marie en France vers 1646-1647 et revient avec son épouse en 1647.
  • Elles ont eu des engagements du roi (sans doute par l’intermédiaire de celle qui les accompagne, qui les « conduit », dit l’acte) pour ce voyage.
  • Elles se plaignent du mauvais accueil qu’on leur a fait à Dieppe.
  • On les empêche de partir. (Mais on ne sait pas pour quelles raisons.)

Ce qu’on n’apprend pas dans cet acte :

  • On ne sait pas d’où elles viennent.
  • On ne connaît pas leurs parents.
  • On ne connaît pas leur âge.

Mais ces renseignements sont parfois contenus dans les actes en Nouvelle-France.

L’acte de protestation de 1667 va me servir à présenter quelques-unes de ces Filles du Roy, et les caractéristiques de leur émigration.

Leur nombre

Vingt femmes sont nommées, vingt-et-une signent ou apposent leur marque. Le nom de Geneviève Sageot n’est pas cité dans le texte de l’acte de protestation, mais elle appose sa marque. Quatorze sont présentes au Québec ; il y en a donc sept dont on n’a pas la trace dans la colonie. Pour l’une, Marthe de Marillac, on sait qu’elle reste en France puisqu’elle s’y marie en 1673.

Des « demoiselles »
L’acte de 1667 désigne chacune des protestataires par le titre de « demoiselles ». Ce terme apparaît dans la correspondance entre l’intendant Jean Talon et le ministre Colbert pour désigner certaines femmes destinées à la colonie. Colbert propose d’envoyer des « Demoiselles bien nourries et bien eslevées pour les unir aux officiers ensemble par [le] sacrement [du mariage] ». C’est qu’en effet en 1665 est arrivé dans la colonie le régiment de Carignan-Salière ; et c’est la volonté du roi de permettre aux soldats et aux officiers de s’établir. D’ailleurs 400 soldats et officiers choisissent de rester au pays.

En octobre 1667, Talon revient sur le nombre de Filles envoyées cette année-là et il écrit qu’il s’en trouvait quinze ou vingt « de quelque naissance », dont « plusieurs bien Demoiselles et assez bien élevées ».

En 1670, Talon indique encore dans sa correspondance que « Trois ou quatre filles de naissance et distinguées par la qualité serviroient peut estre utilement à lier par le mariage des officiers qui ne tiennent au pays que par les appointements et l’emolument de leurs terres, et qui par la disproportion des conditions ne s’engagent pas davantage. »

Que peut-on entendre dans ces documents par « demoiselle » ? Je reprends la distinction contenue dans le livre d’Yves Landry : ce sont des « filles de naissance » ou plutôt filles de notables, celles dont le père est noble ou bourgeois, marchand, officier militaire, haut fonctionnaire.

C’est la situation du père qui détermine donc ce statut. Dans l’acte de 1667, elles sont huit :

 

Nom Prénom Père, titre, métier, profession
Carcireux  Sylvine  Ecuyer
De Belleau  Catherine  sieur de Contigny, écuyer
De Lostelnau  Catherine  écuyer, capitaine major au régiment des gardes
De Portas  Marie-Angélique  écuyer, gouverneur de la ville de Brie-Comte-Robert
(Maître particulier des eaux et forêts du département de Paris).
Grandgeon  Marie-Madeleine  noble homme et contrôleur en l’élection de Nogent-sur-Seine
Hubert  Elisabeth  procureur au parlement de Paris
Lepage  Marie-Rogère  sieur de la Croix, écuyer
Pasquier de Franclieu  Marie  écuyer, conseiller du roi, bailli et président de Brie-Comte-Robert

On peut noter à partir de ce tableau que Marie Pasquier et Marie-Angélique de Portas (ou Portas) sont apparentées, très certainement cousines.

Et les autres ? Je sais seulement que Marguerite Renaud est fille de vigneron ; j’ai trouvé des actes à Ligny-en-Barrois qui le précisent.

Un autre élément révélateur de la situation familiale de la Fille est le montant des biens qu’elle apporte au mariage : voici le tableau de celles pour qui on a le renseignement :

 

Nom Prénom Biens estimés en livres
De Belleau  Catherine  1000
Lepage  Marie-Rogère  1000
Grandgeon  Marie-Madeleine  500
De Lostelnau  Catherine  400
Turbar  Ursule  300

Les quatre premières sont « Filles de notables », Ursule Turbar non. Et les 300 livres qu’elle apporte représentent la moyenne calculée pour toutes les Filles du Roy pour lesquelles nous disposons du renseignement.

Peut également être considéré le fait qu’elles savent signer ou pas : voici le tableau pour ces Filles de 1667 :

 

Nom Prénom Sait signer oui /non
Carcireux  Sylvine  Oui
De Belleau  Catherine  Oui
De Lostelnau  Catherine  Oui
De Portas  Marie-Angélique  Oui
Grandgeon  Marie-Madeleine  Oui
Hubert  Elisabeth  Oui
Martin  Reine  Oui
Pasquier de Franclieu  Marie  Oui
Turbar  Ursule  Oui

Neuf sur quatorze savent signer, sept « Filles de notables » sur huit.

Ces « demoiselles » – les huit ici reconnues-  étaient donc destinées à épouser des officiers ou des notables. Talon parle d’« alliances avec les officiers ou les principaux habitans d’icy ».

Qu’en est-il exactement ? : voici le nom et le titre ou profession de leur conjoint :

 

Nom Prénom Conjoint: nom, prénom, titre, profession du conjoint
De Belleau Catherine Morin, Jean-Baptiste dit De Belleroche, habitant et bourgeois
De Lostelnau Catherine Denis, Charles, sieur de Vitré, habitant, entrepreneur en pêcherie, écuyer et conseiller au Conseil souverain
De Portas Marie-Angélique Lecomte, Jean, écuyer et notaire
Hubert Elisabeth Bolduc, Louis, procureur du roi à la prévôté de Québec
Lepage Marie-Rogère Thoéry, Roch, sieur de l’Ormeau, écuyer et lieutenant au régiment de la reine
Pasquier de Franclieu Marie Couillard, Charles, sieur des Islets et de Beaumont, habitant, écuyer et seigneur de Beaumont
Sageot Geneviève Adhémar, Antoine, sieur de Saint-Martin, greffier et notaire royal

 

Six Filles de notables sur huit épousent un « notable » (soit 75%) ; et une « non-notable » épouse un notable : il s’agit de Geneviève Sageot.

Les deux Filles de notables qui épousent des non notables sont Sylvine Carcireux et Marie-Madeleine Grandgeon ; la première épouse Antoine Andrieu, habitant ; Marie-Madeleine Grangeon épouse Marin Richard dit Lavallée, habitant « après un délai de plus de 22 mois », comme le fait remarquer Landry dans son livre.

Il n’y aurait pas d’officier dans les conjoints des demoiselles de qualité ? Vérifions-le pour les cinquante-neuf noms d’officiers de Carignan-Salière relevés par Michel Langlois : trois seulement épousent des Filles du Roy ! L’une d’entre elles fait partie du groupe de 1667 : Marie-Rogère Lepage épouse Roch Thoéry de Lormeau, enseigne de la compagnie Dugué, originaire de la ville de Gaillac, évêché d’Albi ; le couple n’a pas d’enfant. Elle se remarie, mais n’a pas non plus d’enfant avec son second mari (qu’elle épouseà 50 ans…). Et elle a déjà 36 ans à son arrivée.

Donc : une seule Fille de l’acte de Dieppe épouse un officier.

Des origines variées
Leur origine varie : cinq viennent de Paris, deux de l’Île-de-France, deux de la Champagne, une du Centre, une de Picardie, une de Bourgogne, une de Lorraine, une est d’origine inconnue.

Autres questions qu’on peut se poser : comment regroupait-on ces Filles ? Comment les demoiselles de l’acte de Dieppe originaires de diverses parties de la France d’alors sont-elles venues à Paris ? Où étaient-elles logées ? Pendant combien de temps ? Nous n’avons pas de réponse à ces questions. Un seul document nous donne une idée de l’hébergement avant le départ : il s’agit de quelques lignes du procès-verbal de la visite que fit l’évêque de La Rochelle au couvent des Filles de Saint-Joseph de la Providence à l’automne de 1667 : l’évêque indique que se trouvent au couvent « quatre demoiselles bien sages [que les sœurs] ont receues depuis peu par les mains des Pères de l’Oratoire et Jésuites pour les instruire et eslever avec cinq autres dans le Canada au premier embarquement ». Nous n’avons pas la liste de ces « demoiselles »; nous ne savons pas si elles étaient de La Rochelle, des environs, ou d’ailleurs.

Une origine majoritairement urbaine

La majorité des Filles du Roy sont d’origine urbaine (63% pour Landry), étant considérées comme villes les communes qui au début du dix-neuvième siècle seront chefs-lieux de département ou d’arrondissement. C’est le cas des Filles de l’acte de 1667.

L’âge moyen au départ

Leur âge moyen est de 24 ans. 90% des Filles du Roy ont entre seize et quarante ans à leur arrivée, ce qui est conforme aux demandes de Talon en 1667. Des Filles de l’acte de 1667, nous connaissons la date de naissance exacte de cinq d’entre elles ; pour les autres la date de naissance est estimée d’après les déclarations de l’âge au mariage, au décès, ou lors des recensements. Voici le détail pour chacune de celles pour lesquelles nous disposons du renseignement, et la moyenne obtenue :

 

Nom Prénom Année de naissance Âge au départ
Carcireux Sylvine    
Conflans Françoise 1649 ca 18 ca
De Belleau Catherine 1639 ca 28 ca
De Lostelnau Catherine 1655 ca 12 ca
De Portas Marie-Angélique 1650 17
Grandgeon Marie-Madeleine 1639 26
Hubert Elisabeth 1651 ca 16 ca
Lepage Marie-Rogère 1635 32
Lequin Elisabeth 1648 ca 19 ca
Martin Reine    
Pasquier de Franclieu Marie 1638 29
Renaud Marguerite 1641 26
Sageot Geneviève 1651 ca 16 ca
Turbar Ursule 1649 ou 1652 16 ca

    
Âge moyen au départ (date de naissance certaine, 5 Filles) : 26 ans
Âge moyen au départ (toutes dates, 12 Filles : 21,3 ans

Des mariages rapides
Les Filles se marient en moyenne dans les quatre mois qui suivent leur arrivée dans la colonie ; dans quatre cas sur dix, l’intervalle entre leur arrivée et leur mariage ne dépasse pas deux mois. L’acte de protestation que nous avons lu en partie est signé à Dieppe le 17 juin. Le 19, deux jours plus tard, Marie Pasquier signe auprès du même notaire à Dieppe une procuration (dont le nom du destinataire est laissé en blanc) pour recueillir en son nom « toutes les successions qui lui pourront eschoir et notamment celle de damoiselle Marie Portas sa mère ». Nous savons donc que le navire n’est pas parti avant ce jour (19 juin). Or le premier contrat de mariage signé à Québec par une Fille de ce groupe est du 30 juillet (le mariage ne sera cependant célébré que le 11 octobre suivant, c’est-à-dire moins de trois mois après l’arrivée). On peut dire aussi que cette traversée a été rapide…

Des conjoints migrants
Les conjoints des Filles du Roy sont en majorité des migrants eux-mêmes, qui sont aussi majoritairement originaires d’une région différente de celle de la Fille. Voici le tableau pour les Filles de Dieppe de 1667 (on notera que deux Filles seulement épousent des hommes nés dans la colonie) :

 

NOM PRENOM Département d’origine Département d’origine du premier conjoint
en Nouvelle-France
Grandgeon Marie-Madeleine Aube (10) Seine-Maritime (76)
Carcireux Sylvine Cher (18) Seine-Maritime (76)
Turbar Ursule Haute-Marne (52) Tarn (81)
Renaud Marguerite Meuse (55) Portugal
Lepage Marie-Rogère Nièvre (58) Tarn (81)
De Lostelnau Catherine Seine (75) Indre-et-Loire (37)
De Portas Marie-Angélique Seine (75) Loiret (45)
Hubert Elisabeth Seine (75) Seine (75)
Lequin Elisabeth Seine (75) Indre-et-Loire (37)
Sageot Geneviève Seine (75) Tarn (81)
Pasquier de Franclieu Marie Seine-et-Marne (77) Québec
De Belleau Catherine Somme (80) Québec
Conflans Françoise Yvelines (78) Charente-Maritime?
Martin Reine    

 
Des orphelines

Toutes les Filles ne sont pas orphelines, loin de là. Yves Landry écrit qu’elles le sont, de père ou de mère, pour près des deux tiers (64,4%). Pour les Filles de notre acte de 1667, nous savons que trois sont orphelines de père, deux orphelines de mère (36%).

 

Nom Prénom Orpheline de père ou de mère
De Belleau Catherine Mère
De Lostelnau Catherine Mère
Carcireux Sylvine Père
Hubert Elisabeth Père
Pasquier de Franclieu Marie Père

 

Leur fécondité

Nous avons évoqué déjà la fécondité exceptionnelle des Filles du Roy ; celle des Filles de l’acte de 1667 ne l’est pas tant que cela : une ne se marie pas, deux n’ont pas d’enfant. Pour celles qui en ont, on arrive à un total de 62 enfants. En moyenne, les treize Filles mariées ont 4,7 enfants, et les onze Filles qui ont des enfants en ont 5,6. Celles qui ont le plus d’enfants sont Françoise Conflans et Ursule Turbar : chacune douze enfants.

Toutes les Filles du Roy ne se sont pas mariées. Parmi les Filles de l’acte de 1667, il y a  Reine Martin.

L’espérance de vie à l’arrivée
L’espérance de vie des Filles du roy à leur arrivée est en moyenne plus élevée qu’en France : de quarante-et-un ans, dépassant ainsi largement celle des milieux populaires français de l’époque. Nous avons vu que l’âge moyen au départ (date de naissance certaine, cinq Filles) est de 26 ans ; mais nous n’avons la date exacte de décès que pour quatre de ces Filles : nous obtenons pour elles un âge moyen au décès de 59 ans, et donc un nombre de trente-trois ans vécues en Nouvelle-France. Si nous considérons l’ensemble des Filles de l’acte de Dieppe de 1667, dates certaines et dates calculées, nous obtenons un âge moyen au décès de 58,7 ans, pour un âge moyen à l’arrivée de 21,3 ans, soit un peu plus de 37 ans vécus dans la colonie, et donc un chiffre en deçà de la moyenne de toutes les Filles du Roy. Celles qui meurent à l’âge le plus avancé sont Ursule Turbar, 87 ou 90 ans, Marie-Madeleine Grandgeon, 86 ans environ, Françoise Conflans environ 79 ans.

Des retours

Certaines Filles sont revenues, sans qu’on en connaisse les raisons précises. Pour les Filles que nous considérons particulièrement ici, il y en a deux : Sylvine Carcireux et Marie-Angélique de Portas.

Les critiques des Filles de l’acte de protestation
Nous avons vu que les Filles de l’acte de juillet 1667 se plaignent du fait qu’on ne leur a pas donné « les choses à elles nécessaires », et même qu’on a cherché à empêcher leur embarquement.

Étrangement, la version n’est pas la même en Nouvelle-France. Dans sa correspondance, l’intendant Talon indique que 84 filles sont arrivées de Dieppe et 25 de La Rochelle et qu’on a laissé entendre à la plupart en France que le roi leur accordait plus de cent écus de mariage : « on a fait entendre à la plus part en France que le Roy leur faisoit plus de cent escus de mariage, particulièrement à celles qui sont de quelque naissance et qui se trouvent au nombre de quinze ou vingt, plusieurs bien Demoiselles et assez bien eslevées ».

Ailleurs, l’intendant parle de « quinze ou vingt [Filles] qu’on dit estre d’assez bonne naissance et qui asseurent avoir esté recommandées par la Reyne et par Madame, ce qui n’a pas empesché qu’elles n’ayent esté très maltraitées par leur conductrice qui leur a friponné la moitié de leurs hardes ».

Il ajoute encore que « les Demoiselles qui sont venues de France cette année [il écrit en octobre 1667] se louent fort du traitement qu’elles ont receu de Mess de la Comp. à Rouen, à Dieppe et en rade, mais elles m’ont fait de grandes plaintes de celuy qu’elles ont receu sur mer ; elles m’ont asseuré que du moment qu’elles ont esté soubs la voile, elles n’ont reconnu ny honnesté ni humanité, dans les officiers de leur bord, qui les ont beaucoup fait souffrir de la faim, en leur donnant qu’un léger repas le matin, et le soir pour souper un bien peu de biscuit sans aucune suite ».

Voilà deux versions totalement opposées. Où est la vérité ? Impossible de le dire avec certitude. Cependant, on ne voit pas bien pourquoi les vingt-et-une Filles qui signent l’acte de protestation en juillet 1667 à Dieppe auraient inventé ce qu’elles racontent ; on n’imagine pas non plus que leur accompagnatrice les aurait laissées faire cet acte sans raison.

On est tenté de mettre en doute la version de Talon, qui écrit qu’il a tout fait pour qu’elles n’écrivent pas à leurs correspondants, ce qui aurait été mauvais pour le recrutement suivant…

Et il conclut en homme galant : « je feray d’ailleurs tout ce que je pourray pour charmer leur chagrin »…

Avant de terminer, je veux donner les noms des « Filles de Dieppe », les Filles du Roy originaires de la ville ; je tire leurs noms de l’ouvrage de la collection Ces villes et villages de France…berceau de l’Amérique française publiée par la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs. Je veux les nommer, comme le demande Anne Hébert pour toutes les pionnières dans son roman Le premier jardin : « Il faudrait les nommer toutes, à haute voix, les appeler par leur nom, face au fleuve d’où elles sont sorties au dix-septième siècle, pour nous mettre au monde et tout le pays avec nous. »

 

Prénom Nom
Marie Barbant /Baban / Barbary
Marie Bourgeois
Jeanne Dufresne
Marguerite Eloy / Loy / Aubé / Heloy
Anne Godeby
Marie Langlois
Marie Lebrun
Anne Leclerc
Anne Lemaître
Marie-Madeleine Plouard
Catherine Topsan
Cécile Valet

 
11 sont de Dieppe même.
J’ai ajouté Marie-Madeleine Plouard qui est du Pollet.

Conclusion
On trouve des plaques dans les églises de Dieppe en hommage aux familles ou aux pionniers originaires de la ville, les Fortier, les Demers, les Hamel, Nicolas Veilleux.
Concernant la dernière plaque, celle de Veilleux, je veux rappeler qu’elle est aussi apposée à Joinville en Haute-Marne, lieu d’origine de Marguerite Hiardin, l’épouse en Nouvelle-France de Nicolas Veilleux, seul exemple que je connais de cette double reconnaissance…

Aujourd’hui c’est enfin une plaque en hommage aux Femmes Filles du Roy qui sera apposée dans cette ville…

Sources

  • Archives départementales de Seine-Maritime, greffe Le Mareschal, 1667.
  • Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs. Ces villes et villages de France… berceau de l’Amérique française.
  • Gadoury (Lorraine). La noblesse de Nouvelle-France. Familles et alliances. Montréal, HMH, Cahiers du Québec, collection Histoire, 1991.
  • Landry (Yves). Orphelines en France, pionnières au Canada, Les filles du roi au XVIIe siècle, suivi d’un Répertoire biographique des Filles du roi, Préface d’Hubert Charbonneau, Montréal, Leméac, 1992.
  • Langlois (Michel). Carignan-Salière 1665-1668. Drummondville (Québec), La Maison des ancêtres, 2004.
  • Rapport de l’archiviste du Québec, 1930-1931, pour la correspondance de Talon et Colbert.
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