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Honfleur et Champlain

Normandie
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Par Eric THIERRY
Le vieux bassin et la lieutenance de Honfleur.

Le vieux bassin et la lieutenance de Honfleur. Phot. E. Thierry.

Sur un mur de la lieutenance de Honfleur, on peut voir une plaque qui rappelle que Samuel de Champlain explora l’Acadie, de 1603 à 1607, avec des navires et des équipages honfleurais, qu’il partit de ce port pour fonder Québec en 1608 et qu’il y embarqua en tout à huit reprises, de 1603 à 1620. Si les Québécois peuvent se sentir presque chez eux dans cette charmante cité portuaire de l’estuaire de la Seine, c’est parce que Honfleur a été, dès le début du XVIe siècle, un port très important pour la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve, que s’y affairaient beaucoup de marchands, de capitaines et de marins qui ont soutenu et même accompagné Samuel de Champlain et parce que la mémoire de celui-ci y est encore bien vivante.

Honfleur, port de pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve
On peut penser que c’est dès le début du XVIe siècle, et peut-être même dès la fin du XVe, que des marins de Honfleur ont commencé à aller pêcher la morue sur les bancs de Terre-Neuve. Le premier voyage est attesté par le diplomate vénitien Ramusio. Il a été effectué dès 1506, par le capitaine de Honfleur Jehan Denys, qui était accompagné par un pilote de Rouen appelé Gamart. Un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France nous apprend qu’il existait sur une côte de Terre-Neuve, en 1545, un atterrage appelé « havre de Jehan Denys » qui était connu aussi sous le nom de « Rongnoust ».

L’habitude de fréquenter les rivages de l’Amérique du Nord-Est a permis à un autre Honfleurais, le pilote Raulin le Tailloys, dit Secalart, d’accompagner Jean François de la Rocque de Roberval jusque dans la vallée du Saint-Laurent. Ils sont partis de Honfleur à la fin d’août 1541 à la tête d’une flottille de trois navires et, après un hiver passé dans la rade de Brest, ils ont atteint, en juillet 1542, la colonie fondée par Jacques Cartier un an plus tôt au cap Rouge, près de l’actuelle ville de Québec. Rebaptisée France-Roy, cette colonie est parvenue à se maintenir durant l’hiver mais a été rapatriée dès septembre 1543, à la demande du roi François Ier qui craignait une invasion anglo-espagnole de la France.

Plus tard, lorsqu’ils forment une série continue, c’est-à-dire de 1574 à 1583, les documents d’archives montrent que c’est une moyenne de dix-sept navires qui quittaient Honfleur chaque année pour se rendre sur les bancs et que Terre-Neuve représentait le tiers des voyages au long cours au départ de ce port durant la même période. La pêche morutière était bien devenue une activité essentielle pour l’économie honfleuraise. Comme les marins de Honfleur maîtrisaient parfaitement la navigation vers l’Amérique du Nord-Est, ils ont continué à participer aux tentatives d’établissements coloniaux nord-américains lorsque celles-ci ont été relancées à la fin des guerres de Religion.

La première a été dirigée en 1597 par le Breton Troïlus de Mesgouez, sieur de la Roche, qui avait déjà été nommé en 1578 par Henri III vice-roi des « Terres neufves » mais qui avait été incapable d’y fonder une colonie la même année à cause de l’opposition des Anglais. Il était à Honfleur au printemps 1597 pour arrêter les conditions de l’affrètement de la Catherine, un navire dont le capitaine était Thomas Chefdhostel. Celui-ci s’est engagé à prendre à son bord des soldats. Avec eux, il est allé pêcher sur les bancs de Terre-Neuve et a opéré des prises sur les ennemis de la couronne de France. L’année suivante, au printemps 1598, il a conduit La Roche sur l’île de Sable, qu’il avait reconnue l’année précédente, et celui-ci y a fondé une colonie qu’il a pu maintenir jusqu’en 1603.

En 1599, déçu par la localisation choisie par La Roche, le roi Henri IV a chargé un de ses proches, le Honfleurais d’origine dieppoise Pierre Chauvin, sieur de Tonnetuit, de coloniser le Canada. L’année suivante, celui-ci est parti fonder une habitation à Tadoussac, là où les Montagnais apportaient les fourrures des environs de la baie d’Hudson en descendant le Saguenay. Il était accompagné par un Malouin lui aussi installé à Honfleur, François Gravé, sieur du Pont. L’hiver 1600-1601 a été dramatique pour les colons laissés sur place et les survivants ont dû être rapatriés en France dès le printemps suivant. Malgré tout, Chauvin a de nouveau envoyé des navires de Honfleur à Tadoussac en 1602, afin de faire la traite des fourrures avec les Montagnais.

Honfleur, port d’embarquement et de débarquement pour Champlain
Chauvin est mort en février 1603, mais comme son successeur, le Dieppois Aymar de Chaste, a gardé comme associé François Gravé, Honfleur a continué à jouer un rôle de premier plan dans la colonisation du Canada. Lorsqu’a été montée une expédition de reconnaissance des possibilités offertes par la vallée du Saint-Laurent, Samuel de Champlain, qui vivait à la cour du roi Henri IV depuis son retour des Indes occidentales en 1601, a reçu l’ordre royal d’y participer et est allé rejoindre Gravé pour embarquer avec lui. Ils ont mis les voiles en mars 1603, ont remonté le Saint-Laurent jusqu’aux rapides de Lachine et étaient de retour dès septembre suivant, après avoir appris, d’un marchand de Saint-Malo ayant voyagé avec des Indiens micmacs, qu’il y avait des mines de cuivre et d’argent en Acadie.

Afin de permettre au roi de France de s’approprier ces richesses acadiennes, Gravé et Champlain ont réussi à faire nommer, en novembre 1603, un de leurs proches, Pierre Dugua de Mons, lieutenant général en Acadie. Quoique originaire de Royan, celui-ci a continué à privilégier Honfleur pour l’armement de ses navires et le recrutement de ses équipages. Il faut dire que la compagnie commerciale qu’il a créée pour exploiter son monopole de la traite des fourrures, obtenu en décembre 1603, était constituée surtout de marchands de Rouen et que ceux-ci avaient l’habitude d’utiliser Honfleur comme avant-port. En effet, à cause des vents, des courants et des bancs de sable mobiles sévissant dans l’estuaire de la Seine, la plupart des navires de haute mer ne pouvaient pas remonter ou descendre le fleuve : ils étaient obligés de charger ou de décharger leur cargaison dans un port de l’estuaire, en particulier à Honfleur, ou du moins de s’en délester d’une bonne partie, avant de faire appel à des pilotes locaux, essentiellement des Honfleurais, pour gagner Rouen.

En avril 1607, Champlain a quitté Honfleur pour l’Acadie à bord du Don de Dieu. Il a participé à la fondation de l’établissement de l’île Sainte-Croix, puis à celle de l’habitation de Port-Royal. Il n’est revenu en France qu’en septembre 1607, en passant par Saint-Malo, après la dissolution de la compagnie de Dugua de Mons et la perte du monopole de la traite des fourrures détenu par celui-ci. Il a fallu le revirement du roi Henri IV, qui a accepté le prolongement du monopole pour un an seulement, et la constitution d’une nouvelle compagnie commerciale, avec cette fois-ci uniquement des marchands rouennais, pour que Champlain puisse être de retour à Honfleur, afin d’y embarquer en avril 1608 pour fonder Québec.

Il est resté au bord du Saint-Laurent pendant plus d’un an, veillant aux travaux de construction de l’habitation qui s’est vite dressée au pied de la falaise du cap aux Diamants, survivant au terrible hiver 1608-1609 et participant à une première victoire contre les Iroquois à Ticonderoga en juillet 1609. Il est rentré en France, en passant par Honfleur, en octobre 1609 et a continué à utiliser le port honfleurais pour partir au Canada et en revenir, tant que la compagnie de Dugua de Mons et des marchands rouennais fonctionnait, c’est-à-dire en avril et septembre 1610, et en mars 1611.

Quand le prince de Condé est devenu lieutenant général en Nouvelle-France, en novembre 1612, les mêmes marchands rouennais ont pu exploiter seuls son monopole de la traite des fourrures, toujours avec l’aide de l’Honfleurais François Gravé. Champlain est donc reparti de Honfleur en mars 1613, mais à son retour, en août suivant, il est passé par Saint-Malo, où il a pu convaincre des marchands malouins de se joindre à ceux de Rouen. Cela n’a pas modifié le choix de Honfleur comme port d’embarquement et de débarquement privilégié. Champlain est passé par là en avril 1615, en compagnie des premiers missionnaires récollets qu’il conduisait à Québec, et de nouveau à son retour, en septembre 1616, après tout un hiver passé chez les Hurons. Il a aussi embarqué à Honfleur en mars 1617 et y a débarqué en juillet suivant, et de nouveau respectivement en mai et août 1618.

Champlain est reparti de Honfleur au printemps 1620, mais c’était pour la dernière fois. Le monopole de la traite des fourrures ayant été attribué au Dieppois Guillaume de Caën, Dieppe est devenu le port d’embarquement et de débarquement de Champlain. La création de la compagnie des Cent-Associés, en avril 1627, n’a rien changé à cela et Honfleur n’a pas retrouvé son rôle privilégié. Même pour sa dernière traversée de l’Atlantique, c’est à Dieppe que Champlain a embarqué en mars 1633. Il n’a pas revu l’estuaire de la Seine avant sa mort, à Québec le 25 décembre 1635.

La mémoire de Champlain encore bien vivante à Honfleur
Des passages de Champlain à Honfleur, il reste encore des traces, en particulier sur les murs septentrional et occidental de la lieutenance. Sur celui du nord, on peut voir la plaque dont le texte a été évoqué plus haut. Sa pose est une initiative de la Société du Vieux-Honfleur. Elle a eu lieu le 3 septembre 1899, quelques jours après l’inauguration du musée Saint-Etienne consacré à l’histoire de Honfleur et presque un an après celle de la statue de Champlain qui se dresse en face du château Frontenac à Québec.

Des monuments à la gloire de Champlain apparaissaient alors dans de nombreuses villes et bourgs du Canada et des États-Unis, mais Honfleur a dû attendre 1983 pour avoir sa propre sculpture du fondateur de Québec. Il s’agit en fait d’un buste en bronze créé par le Français Alphonse Terroir pour le salon d’honneur du paquebot transatlantique Champlain lancé en 1932. Celui-ci ayant été coulé au large de La Rochelle en 1940, le buste a été récupéré par des plongeurs dans les années 1970 et offert à Honfleur par le mécène montréalais Daniel Macdonald Stewart. Le 17 septembre 1983, il a été installé sur le mur occidental de la lieutenance et, le 11 mai 2008, une plaque est venue le rejoindre juste en dessous. Elle reprend le texte de celle de 1899 et rappelle que les Honfleurais ont tenu à célébrer le 400e anniversaire « du départ de Samuel de Champlain sur son bateau “Le Don de Dieu” pour fonder la ville de Québec ».

Buste de Champlain sur le mur occidental de la lieutenance de Honfleur.

Buste de Champlain sur le mur occidental de la lieutenance de Honfleur. Phot. E. Thierry.

Deux autres représentations originales de Champlain se trouvent à Honfleur. L’une est visible, depuis le 15 août 1905, dans le musée Saint-Etienne devenu aujourd’hui celui de la Marine. Il s’agit d’un vitrail réalisé par le maître verrier parisien Gaudin sur un carton du peintre honfleurais Léon Leclerc. Il montre le départ de Champlain du port de Honfleur et la fondation de Québec. L’autre représentation est plus à l’écart de la ville, face à l’estuaire de Seine, dans le Jardin des Personnalités inauguré en 2004. On y trouve un buste de Champlain en poussière de pierre qui a été réalisé par le sculpteur normand Christian Champagne.

Buste de Champlain dans le Jardin des Personnalités de Honfleur.

Buste de Champlain dans le Jardin des Personnalités de Honfleur. Phot. E. Thierry.

Le touriste, qui monte ensuite jusqu’à la chapelle Notre-Dame-de-Grâce, peut voir le nom de Champlain inscrit sur une plaque en l’honneur d’une longue liste de marins partis vers la Nouvelle-France. Elle a été posée à la fin des années 1950 par la Fédération Normandie-Canada. Enfin, toujours à Honfleur, le souvenir du fondateur de Québec est également rappelé par une rue, une route, un restaurant, une école primaire, un éco-quartier et un parc qui portent tous son nom. Dans ce parc, une plaque commémorant le 400e anniversaire du voyage de Champlain jusqu’en Huronie, et donc celui de la présence française en Ontario, est bien visible. Elle a été dévoilée le 12 octobre 2015 et témoigne de la vivacité de la mémoire du fondateur de Québec à Honfleur.
Bibliographie

  • BREARD (Charles et Paul), Documents relatifs à la marine normande et à ses armements aux XVIe et XVIIe siècles pour le Canada, l’Afrique, les Antilles, le Brésil et les Indes, Rouen, A. Lestringant, 1889.
  • LELIEVRE (Pascal), « Honfleur et la fondation de la Nouvelle-France (XVIe-début XVIIe siècle) », Le Pays d’Auge, 6 (novembre-décembre 2013), p. 13-17.
  • LEMERCIER (François-Xavier), « La pêche morutière à Honfleur à la fin du XVIe siècle », Les Normands et l’outre-mer, dir. Jean-Paul Hervieu, Gilles Désiré dit Gosset et Eric Barré, Caen, Annales de Normandie, 2001, p. 55-66.
  • LEMERCIER (François-Xavier), « Le port de Honfleur vers 1610 », De la Seine au Saint-Laurent avec Champlain, dir. Annie Blondel-Loisel et Raymonde Litalien, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 29-53.
  • THIERRY (Eric), La France de Henri IV en Amérique du Nord. De la création de l’Acadie à la fondation de Québec, Paris, Honoré Champion, 2008.
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