Le Bordelais Joseph-François Lafitau sj publie en 1724 chez Saugrain, à Paris,une oeuvre majeure, illustrée par Jean-Baptiste Scotin : « Moeurs des Sauvages ameriquains comparées aux moeurs des premiers temps ». Le fruit de six années (1712-1717) passées à observer le peuple iroquois (kanien’kehá:ka) à la mission du Sault Saint-Louis (Kahnawà:ke) sur la rive sud de Ville-Marie (Montréal / Tiohtià:ke) Pour la première fois, un penseur du XVIIIe aborde et place les cultures autochtones sur un même plan que la culture académique gréco-latine.
Il est le premier à décrypter une société matriarcale, ses solidarités, ses prises de décisions collectives. Il s’insurge contre la vente d’alcool aux autochtones, décrit le système des « trois soeurs » (permaculture) et, plus anecdotique, nous fait découvrir l’ogarita (« blé fleuri » ou pop corn). Immédiatement traduit en hollandais, en allemand et en anglais, Lafitau est largement diffusé en Europe et est toujours, de nos jours, plus étudié à l’étranger (congrès de Genève 2016) qu’en France où l’expulsion des jésuites le condamne à l’oubli. Il est pourtant cité par Rousseau et Voltaire !
Inconnu à Bordeaux, sa ville natale, Lafitau a établi une nomenclature qui est toujours utilisée de nos jours par les ethnologues du monde entier en anthropologie sociale comparative. Son plus bel héritage !
Kuei ! Hommage à la résilience autochtone La commémoration que nous vous proposons autour de Lafitau et du noviciat de Bordeaux ne relève d’aucun prosélytisme. Elle s’inscrit dans la reconnaissance d’une œuvre historique qui a marqué les XVIIe et XVIIIe siècles en Amérique. De l’Atlantique aux Rocheuses, les « robes noires » d’Aquitaine ont, certes, chercher à évangéliser, au péril de leur vie et parfois en vain. Mais, rares lettrés de l’époque, eurocentrés de culture, ils ont aussi et surtout décrit les us et coutumes des « sauvages » et transcrit scrupuleusement les langues des Anciens. Paradoxalement, leurs textes sont, en ce XXIe siècle, revisités comme sources de référence, y compris sur les incompréhensions mutuelles, par linguistes et ethnologues et aussi par ceux-là mêmes qui, victimes d’un ethnocide culturel enfin reconnu, rouvrent des écoles, ressuscitent leurs langues et traditions, pour reconstruire une identité, une fierté, qu’ils n’auraient jamais dû perdre. En mettant en exergue, entre autres, l’oeuvre du Bordelais Lafitau, c’est en réalité à la résilience actuelle des Premières Nations du Québec et d’Amérique que nous rendons hommage.