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La condition d’orphelin(e) en France au XVIIe siècle

La condition d’orphelin(e) en France au XVIIe siècle

Par Monique Pontault
Socio-anthropologue
Secrétaire générale de la CFQLMC (France)

Les historiens ont longtemps retenu des Filles du Roy qu’elles étaient orphelines. C’est le cas notamment de Lionel Groulx, de Benjamin Sulte et de Marcel Trudel. Certes, plus récemment, Yves Landry a nuancé cette affirmation. Il juge toutefois « vraisemblable que la proportion d’orphelines ait […] approché les 65 % ». Il précise : « Les Filles du Roy orphelines de père auraient compté au minimum 56,7 % (387/683), celles d’orphelines de mère pour 19,0 % et les orphelines complètes pour 11,3 %1. Et il ajoute : « Par rapport à leurs contemporaines des campagnes du Bassin parisien, les Filles du roi affichent une surmortalité paternelle de près de 20 % […]2.

Il semble donc intéressant de se pencher sur la condition des orphelins en France au XVIIe siècle, en essayant de dégager plus particulièrement la condition des filles.

Définitions
Sous Louis XIV, il faut distinguer enfants trouvés, dont on ignore l’origine (et auxquels s’est voué saint Vincent de Paul), enfants abandonnés – dont les parents sont connus mais qui ont disparu ou sont hospitalisés – et enfants délaissés du fait de la mort d’un de leurs parents ou des deux. Or, au XVIIe siècle, la différence essentielle entre ces enfants sans parents réside dans leur statut ou non d’enfants légitimes. On parle de « sans nom » pour les enfants trouvés considérés comme « bâtards » et d’« orphelins » pour les enfants légitimes. C’est seulement par la loi du 28 juin 1793 que tous ces enfants, quel que soit leur statut, seront dorénavant appelés orphelins. Et le mot « orphelinat » n’apparaîtra qu’au XIXe siècle. Auparavant on parlait d’institut, d’asile ou d’hôpital.

La famille et l’enfant
Une naissance s’inscrit toujours dans une lignée familiale dont elle permet la continuité. La famille joue un rôle essentiel sous l’Ancien Régime car elle constitue le socle de la société jouant un rôle vital de solidarité entre ses membres. Ce qu’on appelle aujourd’hui Famille recomposée constitue le plus souvent la règle car le fait de vivre avec ses deux parents jusqu’à sa majorité est une exception. La mortalité des femmes au moment des accouchements, en particulier, est importante. Elle a été estimée en moyenne à 20% entre le XVIe et le milieu du XIXe siècle. Il faut donc davantage parler de « parenté », constituée du réseau des oncles, tantes, cousins, etc.

La condition d’orphelin, même légitime, marque une rupture dans la solidarité intergénérationnelle car l’enfant échappe à sa lignée s’il est placé. Et une nouvelle distinction s’impose, parmi les orphelins, entre les orphelins en très bas âge et ceux qui ont eu le temps de bénéficier des premiers apprentissages transmis par la famille.

La prise en charge des enfants sans parents
Au XVIIe siècle, plus de 30% des enfants de moins de 15 ans sont orphelins de père3. Trois possibilités s’ouvrent alors à eux : la prise en charge familiale, l’hôpital, l’errance. La prise en charge par la famille est tributaire des moyens financiers de celle-ci. Si la famille est trop pauvre, les enfants sont placés à l’hôpital ou se retrouvent à la rue. On assiste souvent à la dispersion des fratries dans les familles ou entre le tuteur et les maisons pour orphelins.
Les orphelins assistés constituent une minorité.

Le placement familial
Ce placement semble la première solution envisagée car elle permet à l’enfant de rester dans son milieu biologique et social d’origine, même si on assiste souvent à la dispersion des frères et des sœurs à l’intérieur du cadre familial. Il peut, mais cela n’a rien d’obligatoire, être assorti d’un acte de tutelle.

La tutelle
Elle se pratique, après inventaire, lorsqu’il y a des biens à préserver, en principe dans les trois mois qui suivent le décès. Au XVIIe siècle les orphelins sous tutelle représentent 40 % des cas. Une tutelle n’est jamais définitive et peut évoluer dans le temps.

En général, le choix du tuteur incombe à une assemblée constituée de la parenté – oncles et cousins principalement – mais aussi de voisins et de relations socioprofessionnelles. Ce groupe – informel – (environ 7 à 8 personnes) et qui pourra d’ailleurs évoluer dans le temps se réunit chez un notaire qui l’officialise. L’assemblée de tutelle peut alors désigner un tuteur et un subrogé tuteur ou curateur chargé de veiller tout particulièrement aux intérêts du mineur (contrepouvoir en quelque sorte). Tuteur et subrogé tuteur comparaissent en audience pour prêter serment.

Dans la grande majorité des cas, c’est le parent survivant qui devient le tuteur mais, s’il vient à se remarier, la famille du défunt, par méfiance envers le nouveau beau-père ou la nouvelle belle-mère du ou de la pupille, a tendance à contester la tutelle, notamment s’il s’agit de la mère et celle-ci peut se voir retirer la tutelle qui sera confiée à un parent du défunt. Quand le père et la mère sont tous deux décédés, c’est souvent un oncle qui est choisi. Il arrive aussi qu’un orphelin soit placé chez des étrangers, moyennant pension. L’Acte de tutelle est enregistré par le notaire.

La tutelle s’exerce en principe jusqu’à la majorité légale (la majorité matrimoniale étant fixée depuis l’ordonnance de Blois de 1579, article 41, à 25 ans pour les femmes, 30 ans pour les hommes). Toutefois, les pupilles jouissent d’une certaine liberté à partir de 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons, ce qui correspond à leur entrée en apprentissage. Le mariage ou l’entrée dans la vie religieuse avant 25 ans apporte une forme d’émancipation. Le tuteur peut aussi choisir de procéder à une émancipation en justice de son ou sa pupille. Mais même dans tous ces cas le mineur ne pourra gérer ses biens que dans une certaine limite, il ne pourra les vendre sans l’accord de l’assemblée de tutelle et du curateur. Cette procédure est la même pour tous les actes légaux.

Par ailleurs, la prise en charge par un tuteur ou par la famille n’empêche pas que cette autorité puisse déléguer ses responsabilités à un tiers ou à une institution.
A la majorité du pupille, le tuteur doit rendre compte de sa gestion et seulement alors la tutelle prend fin. Toutefois il reste 10 ans au pupille pour s’opposer à certaines opérations faites par son tuteur et pour engager une procédure de restitution.

En dehors de ces points précis concernant leur statut et leurs droits, les orphelins élevés en famille reçoivent, en principe, les mêmes soins que les autres enfants de leur milieu, à leur époque.

Le placement en institution

Les lieux d’accueil à Paris
Longtemps, la majorité des orphelins furent recueillis avec les pauvres et les malades à l’HOTEL-DIEU, sur la rive gauche de l’Ile de la Cité, le plus ancien et d’ailleurs le seul hôpital de la capitale jusqu’à la Renaissance. Le lieu était particulièrement insalubre et propice à la propagation de maladies infectieuses. Peu à peu, des établissements spécialisés voient donc le jour, avec le souci de séparer les enfants légitimes des « bâtards ». Il existe ainsi plusieurs lieux d’accueil à Paris au XVIIe siècle et chacun est consacré à une catégorie particulière d’enfants. Sont concernés notamment les orphelins de la classe des petits commerçants et artisans qui n’est pas démunie mais chez laquelle on manque de place – surtout à Paris et dans les grandes villes – et de disponibilité des femmes qui doivent seconder leurs maris dans leurs activités professionnelles. L’institution est alors perçue comme une sorte de pensionnat. D’ailleurs, l’arrivée en institution est plus tardive pour les enfants légitimes que pour les autres.

Les orphelines légitimes, comme ce fut le cas pour les Filles du Roy, placées en institution, le sont :

  • soit dans l’une des maisons de l’HOPITAL GENERAL, qui rassemble, en 1656, plusieurs établissements hospitaliers de Paris, dont, La Salpêtrière et La Pitié. Yves Landry écrit qu’entre 1669 et 1671 250 Filles du Roy ont été recrutées à l’Hôpital général4.
    – L’HOPITAL DE LA SALPETRIERE. En 1663, 3000 femmes y sont hébergées5.
    – L’HOPITAL DE LA PITIE. Fondé en 1612 dans le faubourg St-Victor (5e arr.). Il sera déplacé près de la Salpêtrière en 1912 avant d’y être réuni en 1964. Il est destiné à recueillir les mendiants, infirmes, pauvres et errants, par conséquent également les enfants (de mendiants, trouvés et orphelins). On distingue alors la « Grande Pitié » destinée aux filles (2000 en 1663)6  et la « Petite Pitié » réservée aux garçons.
  • soit dans un COUVENT comme
    – LE COUVENT DES URSULINES du faubourg Saint-Jacques. Il comprend un pensionnat recevant des élèves de la noblesse et de la bourgeoisie (notamment des nouvelles converties protestantes comme la future marquise de Maintenon) mais également des classes gratuites pour enfants pauvres.
  • soit dans une MAISON DE CHARITE, comme :
    – L’HOPITAL DES CENT-FILLES OU DES CENT-FILLES ORPHELINES, rue Censier, dans le faubourg Saint-Marcel. Appelé également NOTRE-DAME DE LA MISERICORDE, il est destiné à accueillir cent orphelines indigentes nées à Paris et issues d’un mariage légitime. Ces fillettes, admises à l’âge de 6 à 7 ans, peuvent y demeurer jusqu’à 25 ans. Recueillies, nourries, logées, habillées, elles bénéficient d’une éducation chrétienne et d’une instruction professionnelle. Elles sont dotées si elles se marient ou entrent au couvent.
    – LA MAISON DES ORPHELINS DE SAINT-SULPICE, OU DE LA MERE DE DIEU, rue du Vieux-Colombier, pour les orphelins garçons et filles de la paroisse. L’établissement est lié à la Cie du Saint-Sacrement et 46 Filles du Roy en partirent.7

La réception de l’orphelin
Contrairement à ce qui se passe pour les enfants trouvés, il existe des critères et des modalités d’admission dans les lieux d’accueil spécialisés pour orphelins. Dans chaque institution, un bureau d’accueil est destiné à l’enregistrement de l’enfant présenté par des membres de sa famille ou, plus largement, de son entourage – en général deux ou trois – qui constituent les « témoins », en présence d’un notaire. Ces témoins doivent justifier de l’inscription de l’orphelin au Grand Bureau des pauvres et, éventuellement, fournir une lettre de recommandation d’un « protecteur » extérieur à l’institution.  

Le Grand Bureau des Pauvres de Paris (1544-1791)
Fondé par lettres patentes de François 1er le 7 novembre 1544, installé place de Grève, le Grand Bureau des Pauvres apporte secours en argent, en nature, en service médical à domicile et à l’hôpital.

Dans les lieux d’accueil, les jeunes enfants sont élevés par des nourrices, au sein de l’hôpital, dans Paris ou à la campagne jusqu’à cinq-sept ans, âge où ils ont acquis une certaine autonomie. Certes, c’est également le cas dans les milieux urbains et favorisés (malgré l’opposition de l’Eglise), mais le placement des orphelins fait sans doute moins l’objet de surveillance et de stabilité : les nourrices « rendent » fréquemment l’enfant accueilli, faute d’être payées…

Le coût
La règle générale est que les biens de l’orphelin soient mis en vente et les bénéfices en reviennent à l’hôpital. Il semble, d’après les actes de réception, que les 2/3 de ces biens consistent en meubles mais on trouve aussi des outils et du matériel professionnel. Si toutefois l’orphelin bénéficie d’un patrimoine, l’hôpital s’en octroie l’usufruit jusqu’à sa majorité et en hérite s’il vient à mourir durant son séjour. S’il survit, il devra rembourser les frais de sa prise en charge.

Caractéristiques des lieux d’accueil

  • Le caractère religieux
    L’hôpital général, par exemple, est sous l’emprise de la Compagnie du Saint-Sacrement, association secrète, créée en 1629, sans statut officiel mais reconnue au plus haut sommet de l’Etat, constituée de notables ultra catholiques et anti-jansénistes.
  • L’opprobre
    Il frappe tous les exclus. On imagine bien que l’orphelin accueilli à l’hôpital n’échappe pas à cette stigmatisation encore amplifiée lorsque celui-ci est illégitime.
  • Séparation / promiscuité
    – Sociale
    Tout est prévu généralement pour que les pauvres soient isolés, distingués entre eux, selon le sexe, emploi, maladie, âge, qualité.
    – Religieuse
    N’oublions pas que, pour l’Eglise, les enfants nés de parents protestants étaient des « bâtards ». Toutefois, on trouve dans les maisons des nouveaux et nouvelles convertis qui se multiplient à partir de 1660, des orphelines catholiques.
    – Sexuelle
    Certaines institutions sont spécialisées garçons ou filles mais il semble que ce ne soit pas la règle générale.
  • Vie communautaire : silence et gestion du temps
    Toutes les activités se font en commun et elles sont rigoureusement encadrées car il est important qu’un jeune ne soit jamais livré à lui-même, tant la crainte du péché d’impureté, la contamination en matière morale est l’objet d’une obsession (en revanche, celle qui touche à la maladie est négligée). Il faut éviter les contacts entre deux individus, quel que soit leur âge. Le silence est de règle, les repas se font, au réfectoire, sans échanges verbaux. L’emploi du temps est strict, scrupuleusement découpé et défini. Toutes les occupations, même les repas, sont accompagnés ou encadrés par la lecture de textes religieux, les prières, les messes, les séances de catéchisme.

    A l’enfermement jalousement contrôlé s’ajoute donc, dans les hôpitaux généraux, un enfermement temporel. Cadrans solaires, horloges partout, rappellent l’importance du temps qui doit être totalement maîtrisé du matin au soir et si celui du collège est marqué fortement par la rupture de deux congés annuels, ceux de Pâques et ceux dits des vendanges auxquels s’ajoutent un certain nombre de jours fériés, celui de l’hôpital où n’existent ni vacances, ni récréations le plus souvent (ni promenades extérieures, bien sûr)8 est parfaitement circulaire. Pour les enfants qui ont encore de la famille, les visites sont autorisées dans certains hôpitaux mais elles sont très limitées dans le temps (dimanches et jours de fête de 11h à 13h et de 17 à 18h à La Salpêtrière) et l’espace (le parloir). A l’hôpital, il ne semble guère possible de se projeter dans l’avenir. Précisons enfin qu’à leur majorité (25 ans, rappelons-le) si les jeunes filles n’ont pas obtenu d’emploi, elles sont condamnées à rester à l’hôpital où elles sont employées à divers travaux. 
    •    Port de l’uniforme
    Rappel de l’habit religieux, l’uniforme permet à la fois d’uniformiser les enfants, à l’intérieur d’une institution, en leur rappelant leur condition modeste – car ces vêtements sont d’une grande simplicité, confectionnés dans un drap grossier, mi-laine, mi-fil, appelé tiretaine ou taillé dans la bure, drap de laine – et de les distinguer d’un établissement à l’autre. A la Pitié les orphelins sont vêtus de bure grise, et on finit d’ailleurs par appeler « enfants bleus », en raison de leurs habits de cette couleur, les pupilles de l’hôpital de la Trinité, comme on appela « enfants rouges » ceux de l’hôpital des Enfants-Dieu. Tous marchent en sabots.
    •    Austérité, frugalité
    Il est important d’inculquer à l’orphelin son statut de pauvre. Il doit apprendre à accepter son sort humblement et à obéir. Pas de superflu : la nourriture consiste essentiellement en pain et potage. A la Crèche déjà, les nourrissons pâtissent de la mauvaise qualité du lait des nourrices qui souffrent elles-mêmes de sous-alimentation.
    •    Discipline
    L’autorité règne à tous les niveaux de la hiérarchie, sur le modèle militaire (en témoigne par exemple le nom d’officières que l’on donne aux surveillantes de la Salpêtrière…). La privation de nourriture est une des formes de punition les plus courantes (en revanche, si l’on a quelques moyens on peut se payer un petit supplément). Il existait, à l’intérieur même de ces lieux d’enfermement, des « prisons » pour les indisciplinés.

    Tous ces établissements à qui l’on confie des enfants ont donc des points communs : ils ont un caractère religieux, véhiculent des valeurs d’ordre et de morale, il s’agit par dessus tout de veiller au maintien des bonnes mœurs dans une société où la crainte du péché est omniprésente. Ce sont des lieux de clôture, avec des portes barrées soigneusement, des portiers, des surveillants – l’hôpital est même gardé par un corps de police spéciale : les archers de l’hôpital. La surveillance est constante.

L’éducation des orphelins
La notion d’éducation ne se limite pas à l’instruction, elle touche également aux premiers apprentissages de la vie : marcher, parler, être propre… à la formation morale et disciplinaire, l’enseignement proprement dit vient après.

 

  • Les premiers apprentissages de la vie, la formation morale
    Les orphelins élevés dans leur famille d’origine reçoivent une éducation semblable peu ou prou à celle des enfants de leur âge, de leur milieu et de leur sexe9 : marcher, parler, participer aux besognes masculines ou féminines selon le cas, jusqu’à leur entrée dans la vie active ou dans un établissement d’accueil (comme c’est souvent le cas des Filles du Roy qui peuvent indiquer leur origine, nommer leurs parents, donner la profession du père et fournir un extrait de baptême).

    Cette première éducation est sans doute plus formelle et directe quand elle se fait en institution qu’en famille où celle-ci s’inscrit davantage dans la durée et repose en grande partie sur l’imitation des adultes au quotidien.

  • Les travaux domestiques
    Dans les familles, les enfants participent très tôt aux tâches ménagères, surtout les filles qui, apprennent à cuisiner, à coudre, à broder, à tenir un ménage. C’est le plus souvent le cas dans les institutions où elles consacrent une grande partie de leur temps aux tâches ménagères. Chez les Ursulines, les jeunes filles apprennent à lire et à compter mais aussi à manier l’aiguille et à gouverner une maison.
  • L’instruction
    Les orphelins élevés dans leur famille d’origine fréquentent le collège ou, à défaut, la « petite école », du ressort généralement de la Commune. Le réseau des petites écoles est, en effet, le principal diffuseur de l’enseignement populaire. Les plus pauvres parmi les orphelins peuvent recevoir un enseignement dans les écoles de charité qui apparaissent à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, à l’initiative de particuliers d’abord puis de communautés spécialisées, comme les Frères des Ecoles chrétiennes de Jean-Baptiste de la Salle (1651-1719) qui fut le grand pédagogue des enfants des pauvres.

    Pour les autres, la destination est généralement l’hôpital général dont le but est avant tout de protéger la société et où le travail manuel obligatoire prédomine. Outre une instruction religieuse prépondérante, le but n’est pas tant d’apprendre à écrire – surtout aux filles – que d’apprendre aux jeunes un métier le plus tôt possible. A la Salpêtrière, par exemple, le règlement prévoit une heure de classe un jour sur deux. Par ailleurs, à la différence des maîtres des collèges, les hospitaliers qui instruisent les enfants n’ont pas reçu de formation d’enseignants. Ce sont des séculiers, voire des laïcs, qui s’inspirent plus ou moins des méthodes utilisées dans les petites écoles ou les écoles paroissiales, ou bien ils appartiennent à un ordre religieux et s’inspirent alors des règles de cet ordre.

    Il s’agit, aussi d’autofinancer, le plus tôt possible, par leur travail même au sein de l’établissement, l’entretien de ces enfants accueillis. Il existe des bureaux de vente dans les hôpitaux destinés à la vente, des travaux d’aiguille notamment.

    Il ne faut pas oublier que sous l’Ancien Régime, l’apprentissage de la lecture est privilégié et n’entraîne pas automatiquement celui de l’écriture qui est jugé dangereux d’ailleurs pour les filles. Ainsi, on peut savoir lire sans savoir signer10, comme le fait de savoir signer n’est pas forcément synonyme d’une complète alphabétisation. Précisons au passage que, d’après Yves Landry11 23 % des Filles du Roy savaient signer, celles en provenance de Paris davantage que les autres et les citadines plus que les rurales. L’analphabétisme touche à l’époque 4/5 des paysans alors que la majorité des citadins savent signer (86 % des hommes et 58 % des femmes à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle12).

  • L’apprentissage
    A l’hôpital, il joue un rôle très important et commence tôt (à l’hôpital de la Trinité, dès l’âge de sept ans) et se poursuit trois ans, au minimum.
    Ailleurs, on place les enfants en apprentissage à l’âge de 13-14 ans, soit chez des particuliers, soit dans des institutions. Toutefois, les apprentis restent sous la responsabilité de leur tuteur ou de l’hôpital. Qu’ils soient élevés en familles ou en institution, le choix des professions est plus ouvert pour les garçons que pour les filles – qui restent presque toujours cantonnées au service domestique et aux travaux d’aiguille. A l’époque d’ailleurs, en ville, la domesticité féminine constitue la plus grande « corporation ». Les enfants issus de la classe des boutiquiers et des artisans et dont les contacts avec la famille ne sont pas rompus bénéficient d’un réseau fort utile au moment de leur mise en apprentissage, puis de leur placement.

Ceci n’est qu’un rapide aperçu de la condition d’orphelin au XVIIe siècle. Cette condition particulière qui se décline suivant les critères et les situations que nous avons évoqués est évidemment à replacer dans son contexte social (la pauvreté) et en tenant compte des mentalités de l’époque.

 

__________

Notes
1 : Landry, Yves, Les filles du roi au XVIIe siècle, Léméac, 1992, p. 96 et 97.
2 : La mortalité maternelle est plus difficile à cerner par manque de données précises. Yves Landry admet toutefois que le chiffre de 19% est certainement très sous-évalué 2  Id. p. 96.
3 : Isabelle Robin-Romero, Les Orphelins de Paris Enfants et assistance aux XVIe-XVIIIe siècles, PUPS, 2007.
4 : Op. cit. p. 57.
5 : Chiffre donné par Gagnon, Louis, Louis XIV et le Canada, Septentrion, 2011.
6 : Id.
7 : Maud Sirois-Belle, La Salpêtrière et « les Filles du Roy » au XVIIe siècle, 2.
8 : Il existait toutefois une pratique destinée surtout aux enfants qui consistait à les faire participer systématiquement aux processions et aux enterrements (c’est notamment le cas à la Pitié pour les garçons) ainsi qu’aux quêtes.
9 : Cf chapitre « Education ».
10 : Ariès, Philippe, Duby Georges, Histoire de la vie privée, T III, De la Renaissance aux Lumières, Ed du Seuil, coll. Histoire, 1999 (1re éd. 1985), p. 110.
11 : Op. cit. p. 91.
12 : Garnot, Benoît, op.cit. p.150.
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