La coopération franco-québécoise en éducation
1980 à nos jours : l’essor des relations universitaires
par Samy MESLI
Chercheur post-doctoral à l’Université de Montréal
Chargé de cours à l’UQAM
Chercheur associé à la Chaire Hector-Fabre d’histoire du Québec
Alors que les années 1970 ont marqué «l’âge d’or» des échanges franco-québécois1, la coopération subit pendant la décennie suivante une profonde évolution. La crise économique qui sévit, tant au Québec qu’en France, contraint les deux gouvernements à opérer des coupures draconiennes dans les budgets consacrés aux échanges, entraînant par là même la disparition des principaux programmes bilatéraux. En dépit de ce contexte d’austérité, qui prévaut encore aujourd’hui, les échanges universitaires connaissent un essor remarquable depuis une dizaine d’années, et l’on dénombre aujourd’hui plus de 5 500 étudiants français inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur au Québec.
La rupture des années 1980
Au début des années 1980, la coopération amorce une profonde transformation. Celle-ci n’est pas d’origine politique. En dépit des craintes qu’il avait suscitées, le président socialiste François Mitterrand poursuit les relations bilatérales avec le Québec. L’essentiel du dispositif de la coopération est préservé : le Consulat de France à Québec conserve ses prérogatives et son autonomie vis-à-vis de l’ambassade à Ottawa2 ; la Commission permanente de coopération se réunit chaque année et poursuit ses activités. Les contraintes les plus lourdes pesant sur la coopération sont d’ordre économique. La crise qui frappe les deux États contraint, en effet, les autorités à de sévères coupures budgétaires, qui affectent l’ensemble de l’appareil gouvernemental et qui se répercutent inexorablement sur la coopération franco-québécoise. Entre 1984 et 1988, les sommes consacrées à la Direction «France» du MRI, sont réduites de moitié, passant de 3,13 millions de dollars à 1,57 million3. Ce climat d’austérité force également les gouvernements à redéfinir les priorités de la coopération, qui sera orientée vers les secteurs économique et industriel, avec l’espoir d’engranger des retombées financières. La coopération s’inscrit désormais dans une perspective économique, reléguant le domaine de l’éducation au second plan.
Université du Québec à MontréalCrédit |
Dans ce contexte, la coopération en éducation connaît une baisse importante de ses activités. Les principaux programmes d’échanges d’enseignants, notamment les échanges de jeunes maîtres, sont abandonnés. Les organismes du Centre franco-québécois de développement pédagogique (CEDEP) et du Centre franco-québécois pour le développement des enseignements technologiques (CEDET), disparaissent avec eux. Avec la suppression des échanges de masse, la coopération franco-québécoise perdait ainsi la vocation sociale et populaire qui la caractérisait depuis sa création.
Seuls subsistent quelques projets de coopération universitaire, une soixantaine environ, portant principalement sur les domaines des sciences et des technologies. Pour tenter de relancer les échanges d’étudiants, qui sont au plus bas, les gouvernements prennent toutefois des initiatives. Outre la création du Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise (CCIFQ), les représentants de la CREPUQ (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec), signent, en 1984, une entente avec une dizaine d’universités françaises, afin de faciliter la mobilité étudiante. Ce programme va connaître un fort succès dans les années 1990.
L’évolution de la coopération
L’hémorragie financière s’est poursuivie par la suite, touchant toutes les structures de la coopération, y compris l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ). Même si le retour au pouvoir du Parti québécois en 1994 a contribué au raffermissement des liens politiques entre Paris et Québec, les crédits alloués à la coopération pendant cette décennie ne dépassent guère le tiers du budget en vigueur à la fin des années soixante-dix. Et force est de constater que ce contexte d’austérité prévaut encore aujourd’hui : la contribution annuelle du MRI s’établissait, en 2006, autour de 1,5 million de dollars, dont le quart était dévolu au domaine de l’éducation4. Selon les plus récentes données du ministère des Affaires étrangères, la France consacre pour sa part la somme de 1,353 million d’euros à la coopération franco-québécoise, à quoi s’ajoutent 800 000 euros pour les échanges avec le reste du Canada5.
La coopération s’est donc transformée et fonctionne sur une base réduite, et la Commission permanente, qui se réunit désormais tous les deux ans, dirige environ 70 projets conjoints. Le désengagement progressif des gouvernements, tant comme bailleurs de fonds qu’animateurs de la coopération, a été compensé par de nouveaux acteurs que sont les universités, les organismes associatifs et privés, et les régions, qui jouent un rôle de premier plan dans le cadre des «Ateliers de la coopération décentralisée». De nouveaux organismes ont vu le jour, notamment la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, créée en décembre 1996 sur l’initiative de Marcel Masse. Les liens politiques forts entre la France et le Québec ont également permis d’adopter une position commune dans le domaine de la diversité culturelle. En 2002, le rapport produit par les juristes Yvan Bernier et Hélène Ruiz-Fabri a contribué de manière significative à l’élaboration de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre 2005 par l’UNESCO6.
Plusieurs réalisations méritent également d’être soulignées dans le domaine de l’éducation. Pour faciliter les échanges d’étudiants et de jeunes travailleurs, un accord sur l’équivalence des diplômes est signé en février 1996. La convention pour les thèses de doctorat en cotutelle est adoptée la même année. Parmi les projets soutenus par la Commission permanente figure la publication de l’ouvrage Coup d’œil sur l’inventaire bibliographique des relations France-Québec depuis 17607. Outre le financement de revues scientifiques, telle la revue Médecine-Sciences, diverses manifestations scientifiques, comme les Entretiens Jacques-Cartier et les Rencontres Champlain-Montaigne, reçoivent le soutien de la Commission permanente. Depuis dix ans, le concours Histoires et regards croisés offre l’opportunité à des classes françaises et québécoises du niveau secondaire de collaborer dans la réalisation d’un documentaire historique8. La rentrée scolaire de septembre 2007 a également vu la mise en place d’un programme pilote d’échanges d’instituteurs. Ce projet, dirigé par l’organisme Éducation internationale au Québec et par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) de Sèvres, permet à une dizaine d’enseignants, de part et d’autre, de travailler une année dans une école outre-Atlantique.
L’essor des relations universitaires
Université Paris VIII Saint-Denis – Vincennes
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En dépit de la réduction des activités de la Commission permanente, il y a tout lieu de se réjouir de l’essor que connaissent, depuis une dizaine d’années, les échanges universitaires entre la France et le Québec. Dans le contexte d’internationalisation de l’enseignement supérieur, qui pousse les universités à mettre en oeuvre d’ambitieuses politiques de relations internationales9, les établissements français demeurent des partenaires privilégiés pour les universités québécoises. La signature de nombreux accords bilatéraux permet d’élaborer des cursus conjoints et de développer les échanges interuniversitaires.
Il est impossible de dresser un inventaire des échanges entre les scientifiques français et québécois, tant ils sont divers. Des réseaux bilatéraux ne cessent de se structurer grâce aux activités des nombreux centres d’études et chaires de recherche, à l’instar des 18 Centres d’études canadiennes dans l’Hexagone ou la Chaire d’études sur la France contemporaine, inaugurée en octobre 2006 à l’Université de Montréal. À cela s’ajoutent les travaux des associations scientifiques, comme l’Association internationale d’études québécoises, l’AIEQ.
Créé en 1984, le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise (CCIFQ) a également œuvré à l’essor des échanges universitaires, grâce à des programmes de soutien à la mobilité étudiante et professorale, et en instaurant des cursus intégrés entre des établissements français et québécois10. Les gouvernements ont toutefois engagé cette année une réflexion sur l’avenir du CCIFQ.
Ces divers programmes se nourrissent et contribuent à l’essor du phénomène de la mobilité étudiante. Grâce aux «échanges CREPUQ», instaurés en 1984, près de 1 400 Français et 200 étudiants québécois choisissent chaque année d’effectuer une partie de leur scolarité dans une université outre-Atlantique. Le programme des cotutelles de thèse connaît également un essor remarquable. Cette formule permet aux doctorants de mener leurs activités de recherche dans deux établissements, sous la responsabilité commune d’un directeur de thèse en France et au Québec. Cette formation a séduit plus de 700 étudiants depuis son entrée en vigueur en 1996, et une association a récemment été créée pour assurer la promotion de ce type de doctorat11. Certaines universités québécoises ont également étendu ce programme à des établissements en Italie et en Belgique.
Ces chiffres doivent être complétés par le phénomène de la mobilité individuelle, actuellement en plein essor. De plus en plus d’étudiants choisissent en effet de s’inscrire sur une base individuelle, sans prendre part à des programmes d’échanges. En cumulant l’ensemble de ces données, on constate que 850 étudiants québécois ont séjourné en France en 2004, alors que dans le même temps, 5 373 jeunes Français étaient recensés dans les universités québécoises12.
Sans même aborder la question de l’impact de la mobilité universitaire – tant les retombées aux plans pédagogique et personnel apparaissent évidentes pour les étudiants qui prennent part à ces échanges –, les chiffres actuels démontrent la vigueur des relations franco-québécoises. Conséquemment au désengagement des gouvernements depuis les années 1980, la coopération universitaire s’est développée selon une dynamique qui lui est propre, et elle est partie prenante du processus actuel d’internationalisation de l’enseignement supérieur. Parce qu’ils sont essentiels pour nos deux communautés universitaires, il convient de pérenniser ces échanges, grâce notamment à la signature d’accords universitaires bilatéraux, pour assurer la structuration et le développement de réseaux de chercheurs binationaux sur le long terme. Il est donc important de soutenir le phénomène de la mobilité universitaire, en encourageant une plus forte présence d’étudiants québécois dans l’Hexagone, et l’on connaît, dans ce domaine, l’effet bénéfique qu’a eu l’introduction des bourses de mobilité internationale du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). À l’inverse, il y a tout lieu de s’inquiéter des conséquences de la décision récente de ce même ministère de ne financer les programmes d’échanges que sur une base paritaire, ce qui pourrait contraindre les universités québécoises à limiter le nombre de jeunes Français accueillis dans le cadre des échanges CREPUQ…
Voir aussi : La coopération franco-québécoise en éducation 1960-1980 : l’âge d’or