La Mesure d’un continent. Atlas historique de l’Amérique du Nord
Litalien, Raymonde, Vaugeois, Denis, Palomino, Jean-François, La Mesure d’un continent. Atlas historique de l’Amérique du Nord, 1492-1814, Septentrion/Presses universitaires de Paris-Sorbonne, Québec/Paris, 2007.
Crédit : Éditions Septentrion |
Un simple regard sur la large couverture du livre et le bibliophile saisit immédiatement la teneur de l’ouvrage : un navigateur pointant son arbalète vers l’horizon, une carte de l’Amérique septentrionale de Bellin (1743) sur laquelle se superposent des voiliers luttant contre la tempête, un cartouche tiré d’une carte de Terre-Neuve, un dessin de pêcheurs « esquimaux » sur la banquise, un belle vue de Québec à vol d’oiseau, manuscrit de 1685. D’emblée, le curieux est transporté au centre de l’Amérique du Nord et sollicité par l’histoire vécue aux quatre points cardinaux. La table des matières confirme et accompagne la démarche des auteurs dans leur entreprise de reconstitution de la connaissance de l’Amérique du Nord et de son occupation humaine. Chacune des quatre parties rapporte une entreprise à une époque de l’histoire et de la cartographie du continent.
Aborder l’Amérique au XVIe siècle
En mars 1493, Christophe Colomb rentre d’un long voyage, persuadé d’avoir touché les Indes. Pour atteindre l’Orient et ses trésors, il a fait le pari de traverser l’Atlantique. En réalité, il s’est heurté à un obstacle de taille, un immense continent qui lui barre la route de la soie et des épices. Dans le sillage du roi d’Espagne, celui du Portugal, de l’Angleterre et de la France envoient des expéditions de reconnaissance en Amérique. A la suite des voyages de Verrazzano, de Cartier, de Roberval, apparaît un continent inconnu des Européens, peuplé d’habitants avec qui les contacts s’établissent. Les bateaux de pêche arrivent par centaines dans tout le golfe du Saint-Laurent, y travaillent le printemps et l’été, le temps de compléter la cargaison de morue qu’ils rapportent en Europe. Les Espagnols et les Portugais choisissent de se concentrer au sud du continent, délaissant la partie nord qu’explorent les Anglais via Terre-Neuve et la baie d’Hudson d’où ils cherchent un passage vers l’ouest pendant qu’ils s’installent sur la côte entre la Floride et l’Acadie. La traite des fourrures s’engage avec les Indiens. La cartographie rend compte, souvent avec un temps de retard, de l’effervescence suscitée par ces milliers d’Européens, majoritairement français, pour qui ce monde est totalement nouveau. Parmi les Normands, navigateurs omniprésents, on trouve aussi de grands cartographes, formés à Dieppe. C’est l’un d’eux, Guillaume Levasseur qui présente pour la première fois le toponyme de « Québec » sur une carte de 1601.
Explorer et cartographier l’Amérique au XVIIe siècle
À la recherche d’une « mer de l’Ouest » imaginaire, coureurs de bois, missionnaires, militaires, navigateurs et autres scientifiques explorent l’Amérique du Nord. Ils sillonnent les rivières, franchissent les portages et parviennent jusqu’au centre et au sud du continent rejoignant alors leurs concurrents espagnols bien implantés au Mexique ainsi que les Anglais à l’est du Mississippi. Ils dessinent et cartographient le territoire en même temps qu’ils présentent ses habitants. Du pilote hydrographe havrais Pierre de Vaulx et sa somptueuse représentation de l’océan Atlantique (1613) jusqu’à Jean-Baptiste Franquelin, hydrographe du roi à Québec, sans oublier la précision de Champlain, les données recueillies par Jolliet et Marquette auprès des Indiens ou le tragique voyage de Cavelier de La Salle, l’Amérique prend forme, les richesses de ses terres apparaissent. Avec le poisson, le castor, le bois, les métaux précieux, le continent se fait habitat parsemé de toponymes autochtones identifiés par les voyageurs ou attribués naturellement par ces mêmes explorateurs français. On nomme alors des lieux, soit pour désigner une réalité géographique comme « Trois-Rivières » ou le « lac Supérieur » soit pour immortaliser un grand personnage, c’est le cas de la « Louisiane » et du « fort Frontenac » ; on évoque parfois le nom d’un saint du calendrier datant ainsi la prise de contact de l’explorateur européen avec le lieu, comme Jacques Cartier, le 10 août 1535, fête de la Saint-Laurent, donne le nom du saint à une baie de la côte nord du fleuve auquel ce nom sera ensuite attribué ainsi qu’au golfe de son embouchure et, par extension, à la chaîne de montagnes Laurentides et au territoire qui sera désigné sous le nom de Laurentie. Chaque dénomination a sa propre histoire et laisse un héritage. L’acte de nommer est un baptême, c’est le moyen de soustraire un lieu à la Terra Incognita pour le faire entrer dans le monde connu. C’est aussi une forme d’appropriation du territoire par de nouveaux arrivants où ils reconnaissent toutefois la réalité et l’ampleur de l’occupation humaine existante.
Conquérir l’Amérique au XVIIIe siècle
L’exploration et le développement des comptoirs de commerce en Amérique du Nord portaient en eux les gènes des conflits armés qui devaient secouer le continent. Pendant plus de deux siècles, Français et Anglais précisent leur connaissance de l’intérieur du continent, se disputant peu à peu chaque bande de territoire. Pour tous, l’objectif ultime est l’accès à la côte du Pacifique où ils situent la « mer de l’Ouest », qui semble inexplicablement s’éloigner devant les explorateurs. De plus, tout en progressant, les colonisateurs doivent préserver la sécurité de leurs acquis territoriaux dispersés et toujours fragiles.
Plusieurs guerres européennes donnent lieu à des conflits armés entre la Nouvelle-France et les colonies anglaises. La guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697) force la Nouvelle-France à se battre sur tous les fronts. Le traité de Ryswick (1697) conserve l’intégrité de son territoire, mais démontre la difficulté de défendre un espace couvrant l’Amérique de Terre-Neuve aux Grands Lacs, de la baie d’Hudson au golfe du Mexique. Selon le même scénario de rivalité entre États, des points de friction, foyers de guerre larvée, justifient de violents affrontements en Amérique, autorisés par les guerres déclenchées en Europe. La guerre de Succession d’Espagne et le traité d’Utrecht (1713) retirent à la France Terre-Neuve et l’Acadie ainsi que la plus grande partie du bassin hydrographique de la baie d’Hudson. Malgré l’exploration de l’Ouest par la famille La Vérendrye et la chaîne de postes fortifiés établis sur l’axe Ohio-Illinois-Mississippi, la guerre de Succession d’Autriche (1745-1748) et la guerre de Sept-Ans (1756-1763) aboutissent à une suprématie quasi totale de l’Angleterre en Amérique du Nord.
À l’ouest, Espagnols, Russes, Anglais et Français explorent le littoral de l’océan Pacifique. Une autre lutte d’envergure mondiale s’engage sur l’emplacement imaginé de cette « mer de l’Ouest » fictive mais tant espérée. Là encore, la puissante Angleterre qui détient la suprématie des mers, s’impose à la suite des fructueuses explorations scientifiques de Cook et de Vancouver. Les contours du continent sont enfin définis et les cartes remarquablement précises d’Arrowsmith et de Pond traduisent cette connaissance pour le reste du monde.
Traverser l’Amérique au XIXe siècle
Il faudra attendre 1793, soit trois siècles après Colomb, pour qu’Alexander Mackenzie puisse inscrire sur un rocher face à l’océan Pacifique : « from Canada by Land ». Mais la route qu’il a suivie est impraticable. Dix ans plus tard, ce sont les Américains Lewis et Clark qui réussissent une autre traversée du continent, en passant du Missouri au Columbia, deux majestueux cours d’eau hélas séparés par d’immenses chaînes de montagne.
En 1814, chacun de leur côté, William Clark et le Canadien David Thompson feront sous forme de carte la synthèse des connaissances accumulées. Mais on se demande encore s’il existe une voie navigable traversant l’Amérique. Plusieurs expéditions la recherchent encore au cours du XIXe siècle. Le Norvégien Amundsen franchira enfin le passage du Nord-Ouest en 1903-1906, sans se douter qu’un siècle plus tard, avec le réchauffement climatique la navigation deviendrait praticable quelques semaines par année, constituant alors un nouvel enjeu international.
Avec l’Atlas historique de l’Amérique du Nord, les auteurs ont voulu donner la parole à ceux qui, Blancs et Indiens, ont marché, exploré et cartographié l’Amérique. Œuvres d’art, œuvres de sciences, mais aussi pièces stratégiques d’un échiquier mondial, les cartes géographiques qu’ils ont laissées sont d’irremplaçables témoins de cette quête de savoir. Elles tracent une nouvelle histoire de l’Amérique du Nord, permettant de prendre la mesure d’un continent.
Raymonde Litalien,
Conservateur honoraire des Archives du Canada