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La saga des femmes dans la société de la Nouvelle-France L’épopée des Filles du Roi 1663 – 1673

La saga des femmes dans la société de la Nouvelle-France
L’épopée des Filles du Roi
1663 – 16731

Françoise Deroy-Pineau
Socio-historienne
pineau@sympatico.ca

 

Françoise Deroy-Pineau

Françoise Deroy-Pineau
Crédit: Gilles Durand

Un moment de la saga

Cette causerie est le second volet d’un ensemble de trois. Le premier volet concerne « Les temps héroïques (1608-1663) »2, le troisième, « Les premières « canadoises3 » nées au nouveau pays (1673-1760)»4.

 

Lorsque Jean Talon et une administration à la française débarquent à Québec en 1663, la Nouvelle-France du XVIIe siècle est encore en cruel déficit de femmes. Le roi dote des orphelines volontaires pour aller se marier en Nouvelle-France. De 1663 à 1673, presque huit cents « Filles du Roi » arriveront à Québec.

 

Le marché matrimonial

Malgré les premières pionnières et les petites « canadoises » nées dans leurs foyers et mariées dès la puberté, la Nouvelle-France du XVIIe siècle est en cruel déficit de femmes.

 

 Rapport hommes/femmes dans la vallée laurentienne de 1608 à 1759

 

Hommes

Femmes

Total

… 1640

104

57

161

1640-1659

546

327

873

1660-1679

1 512

997

2 509

1680-1699

980

90

1 070

1700-1719

578

43

621

1720-1739

906

32

938

1740-1759

2 282

73

2 355

Total

6 908

1 619

8 527

Référence : Mario Boleda – PRDH (Histoire sociale/Social History vol xxiii n°45 mai 1990)

 

Lorsque Jean Talon et une administration à la française débarquent à Québec en 1663, la question est immédiatement prise en compte. Il est décidé que le roi dotera des orphelines volontaires pour aller se marier en Nouvelle-France. De 1663 à 1673, presque huit cents « Filles du Roi » arriveront à Québec5.

 

L'arrivée des Filles du roi

Les filles du Roi
Crédit Bibliothèque et Archives Canada (1996)

 

L’arrivée à Québec et à Montréal

« L’arrivée des filles à marier est devenue une sorte d’événement. Quand elles mettent pied à terre, gentiment vêtues d’un justaucorps de camelot sur jupe de farrandine, portant une coiffe de taffetas et à la main un mouchoir de linon, hauts fonctionnaires et jésuites, bourgeois, artisans et colons font la haie pour accueillir, sourire aux lèvres, ces filles de France qui ensoleillent le pays neuf en attendant d’être demain les compagnes de nouveaux foyers et plus tard les mères de nombreux enfants. »6

 

On les accueille aussi à Montréal :

[Vers 1665] « Il arriva environ dix-sept filles du roi, que j’allai quérir au bord de l’eau. […] Notre maison était petite. Nous fîmes accommoder [une maison voisine] et je demeurai avec elles […] à cause que c’était pour faire des familles. » (Marguerite Bourgeoys, Écrits autographes)

 

Représentations et portrait socio-économique

Elles en ont fait fantasmer plus d’un ! Leurs pittoresques aventures ont donné lieu à bien des romans. Elles se distinguent par leur vie éprouvée, leur courage et les nombreux enfants qu’elles ont élevés. Tout Québécois « pure laine » en compte plusieurs dizaines dans son ascendance.

 

Ce ne sont pas des anges…

[Chez les ursulines de Québec] « Vous ne sauriez croire les dégâts que ces bonnes créatures y font, sans compter qu’elles y ont déjà [failli] mettre le feu par deux ou trois fois qui a mis en danger de brûler tout notre monastère à raison de certaine cabane et clôture de pieux qui joignent [leur] bâtiment au nôtre. » (Marie de Saint-André, ursuline de Québec née à Magny-en-Vexin, dans la Correspondance de Marie de l’Incarnation)

 

… ni des filles de mauvaise vie :

« Il n’est pas vrai qu’il vienne ici de ces sortes de filles. Et ceux qui en parlent de la façon se sont grandement mépris et ont pris les îles de Saint-Christophe et la Martinique pour la Nouvelle-France. S’il en vient ici, on ne les connaît point pour telles, car avant de les embarquer, il faut qu’il y ait quelques-uns de leurs parents ou amis qui assurent qu’elles ont toujours été sages. Si par hasard il s’en trouve quelques-unes de celles qui viennent qui soient décriées, ou que pendant la traversée elles aient eu le bruit de se mal comporter, on les renvoit en France. » (Pierre Boucher, 1664, p. 155-156)

 

Origine et enracinement des Filles du Roi

Elles portent, comme les autres pionnières, les prénoms à la mode du XVIIe siècle : Marie, Anne, Catherine, Barbe, Perrine ou Jacquette, comptent – pour 50% d’entre elles – de 18 à 25 printemps et ont quitté – pour 64 % des 800 qu’elles étaient – l’orphelinat de Paris ou de Rouen, où un triste destin les attend pour partir épouser un colon ou un militaire en Nouvelle-France. Elles y débarquent de 1663 à 1673. Quelques-unes sont arrivées veuves. D’autres, venues avec un parent sur le port d’embarquement, profitent de l’occasion pour tenter l’aventure. Certaines (très peu) sont retournées en France.

 

Brièveté des fréquentations

La plupart se marient dans les semaines qui suivent leur arrivée (en moyenne cinq mois entre l’arrivée et le premier mariage). Ce qui réduit beaucoup le risque de naissances illégitimes.

 

La vie au quotidien

Elles prennent le relais des hommes pour cultiver le jardin, ramasser les récoltes et tenir maison (mieux vaudrait dire cabane) le mieux possible : conserver les aliments; fabriquer son savon; se préserver du froid ou des insectes, selon la saison; élever des volailles, une vache et un cochon; faire le beurre et les salaisons; le tout hors d’atteinte des ratons laveurs, loups, mouffettes (blaireaux), renards et autres fouines. Elles trouvent aussi le temps et l’énergie de mettre au monde une famille et de l’élever.

 

L’adaptation au nouvel environnement : mission accomplie

Finalement, ces jeunes femmes se sont très bien adaptées à leur nouvelle vie. Elles s’avèrent plus fécondes que les Françaises de leur époque, mais moins que leurs filles qui seront mieux nourries. Les Filles du Roi vivront plus longtemps que la moyenne des Françaises de leur temps, car elles sont plus robustes, comme tous les pionniers qui ont réussi la première sélection et survécu à la traversée.

 

 


 

  1. Conférence prononcée par Françoise Deroy-Pineau devant les membres de la Société de généalogie Saint-Hubert le 17 mars 2010.

    Plan de la causerie :

    1. Sources (bibliographiques, démographiques, géographiques)
    2. Le départ et la traversée
    3. L’arrivée et ses représentations
    4. L’urgence des problèmes à résoudre
    5. Formation, notaire et mariage
    6. Départ et installation
    7. Travail
    8. Naissances : mission accomplie
  2. Un coin du voile sera levé sur une saga féminine peu connue dans la vallée laurentienne. Pendant ces temps héroïques, des femmes ont transformé les petits comptoirs (masculins) de fourrures en société de familles, aidées par des institutions créées par de grandes figures marquantes : Marie Guyard de l’Incarnation, Madeleine de La Peltrie, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys. Ainsi est né un nouveau pays, alliant énergie et culture venues de France à la nature de l’Amérique du Nord et de ses Premières Nations.

  3. Ce qualificatif est emprunté à Marie Guyard de l’Incarnation qui, dans ses lettres à des correspondants de France, désigne ainsi la première génération d’enfants nés en Nouvelle-France « autrement dit Canada ».

  4. Nombreuses furent les simples « habitantes », prolongeant le rôle de leur mère, aventurières anonymes, luttant contre la dureté du climat, les difficultés de l’agriculture et de l’élevage; développant une grande inventivité pour tirer partie de tous les (rares) objets, élevant leurs (nombreux) enfants. Certaines personnalités, Jeanne Leber, Charlotte de Ramezay, Marguerite d’Youville, entre autres, se sont distinguées par des qualités hors du commun et montrent, par leur vie, les multiples caractéristiques de la « féminitude » en Nouvelle-France, mélange de charme, d’intelligence et de « fierté sauvage » selon l’observateur suédois Pehr Kalm. Sans oublier l’indispensable débrouillardise.

  5. Le texte qui suit a puisé son information de base dans :

    LANDRY, Yves, 1992, Orphelines en France, pionnières au Canada. Les Filles du roi au XVIIe siècle. Montréal, Léméac.

    Nous avons aussi consulté :

    BOUCHER, Pierre, 1664, Histoire véritable et naturelle des mœurs du pays de la Nouvelle-France vulgairement appelée Canada, réédition de la Société historique de Boucherville, 1964.

    Marie de l’Incarnation, réédition d’avril 1985, Correspondance, par dom Guy Oury, Ursulines de Québec/Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, 1075p.

    SIMPTON, Patricia, 1999, Marguerite Bourgeoys et Montréal,1640-1665, traduction de Simone Poissant, Montréal, McGill-Queen’s University Press.

  6. Gustave Lanctôt,1934, Le Canada d’hier et d’aujourd’hui, Montréal, Albert-Lévesque. On peut supposer qu’elles n’étaient pas aussi pimpantes que dans l’imagination de Lanctôt.

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