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La trajectoire du gouvernement local au Québec : un rapprochement avec l’expérience française?

La trajectoire du gouvernement local au Québec : un rapprochement
avec l’expérience française?1

 

par Guy Chiasson
Université du Québec en Outaouais

Ce texte veut présenter la trajectoire des municipalités au Québec en la mettant en rapport avec celle de la France. Ce projet, celui d’un « rapprochement » entre les trajectoires françaises et québécoises d’administration locale peut sembler assez curieux. Il est vrai que l’administration locale québécoise trouve sa source lointaine dans l’intendance de la Nouvelle-France et on peut donc la considérer comme un calque plus ou moins exact de l’intendance dans la métropole à la même époque. Par rapport à cette « source » commune, le 19e siècle marque le début d’une bifurcation importante pour les administrations locales françaises et canadiennes. Du côté français, l’administration locale va être travaillée par le modèle napoléonien, modèle qui se caractérise notamment par un fort encadrement des institutions locales par la structure déconcentrée de l’État français. Ce modèle sera plus tard caractérisé de régulation croisée par les travaux bien connus du sociologue Pierre Grémion (voir BNF, Catalogue Bn-Opale plus, Grémion, Pierre). Du côté canadien, les systèmes municipaux qui sont mis en place par les provinces (incluant celui du Québec) au milieu du 19e siècle seront fortement marqués par l’héritage de l’Empire britannique, mais également par une filiation avec la tradition nord-américaine. Comparée à l’expérience française, l’administration locale dans la tradition canadienne peut compter sur une certaine autonomie vis-à-vis des États provinciaux sur qui repose l’autorité constitutionnelle pour l’administration locale. Ici, il faut voir cette différence comme étant toute relative. Les acteurs locaux canadiens vous diront que cet espace d’autonomie est parfois bien mince!

La bifurcation France-Canada va également se faire au regard de la conception du rôle des administrations locales. Dans son récent livre (http://www.pulaval.com/catalogue/recherche.html?auteur=1937), Anne Mévellec va, par exemple, partir du principe que les institutions locales s’inscrivent dans une logique politique de représentation des citoyens alors que celles du Québec sont dans une logique gestionnaire et peuvent donc être vues comme principalement des « pourvoyeuses de services publics locaux ». Je reprendrai à mon compte cette distinction entre des institutions « politiques » françaises et des institutions « gestionnaires » québécoises. Le rôle gestionnaire des municipalités québécoises et le refus du politique s’observent à divers niveaux : tout d’abord en fonction du mode de fonctionnement (la quasi-absence des partis politiques, notamment) et, ensuite, en fonction d’une conception particulière du rayon d’action municipal qui se limite à certains services de proximité (infrastructures d’eau potable, égout, gestion des déchets) toujours avec en priorité l’efficacité de la desserte de ces services. Il va sans dire que cette compréhension du rôle municipal laisse aux paliers supérieurs de gouvernement les grands enjeux de société : le développement économique, la prise en charge des groupes démunis, la gestion de la diversité, etc.

Comme le laisse entendre mon titre, ce que je veux faire ici, c’est me pencher plus spécifiquement sur la trajectoire récente des municipalités québécoises. Je mets de l’avant une hypothèse un peu osée, celle que cette trajectoire, au moins depuis les années 2000, va dans le sens d’une politisation des institutions municipales au Québec. Cette trajectoire permet-elle de voir une convergence nouvelle?

Le moment charnière me semble être les fusions municipales décrétées par le gouvernement québécois au tournant des années 2000. Cette politique, qui a soulevé un débat passionné dans plusieurs villes, n’avait cependant pas l’objectif explicite de politiser la gestion municipale. Cette réforme changeait très peu la carte des compétences municipales et encore moins le financement. Elle s’est contentée, à peu de choses près, de redécouper les frontières municipales. Cependant, cela a eu bien des effets induits inattendus. Parmi ceux-ci, la création de nouvelles villes décrétée par la réforme a ouvert la porte dans bien des cas à une réflexion locale sur les priorités et sur le rôle des institutions municipales à créer. Dans le cas de Montréal, comme dans celui de Québec ou de Gatineau où j’habite, ce processus de réflexion s’est fait publiquement en faisant appel à l’apport des groupes de la société civile.

Ces exercices ont plus souvent qu’autrement débouché sur une version élargie du rôle des pouvoirs urbains. Dans les années qui vont suivre, les exemples ne manquent pas pour démontrer une volonté des grandes villes fusionnées de se positionner par rapport aux grands enjeux urbains contemporains : mise en place d’outils de gestion de la diversité ethnolinguistique, même dans les villes où il y a relativement peu de diversité; développement d’outils de lutte à l’étalement urbain, stratégies de développement économique régional, politiques familiales, etc. Ces tendances vers un élargissement du champ d’action municipal, si elles ne sont pas tout à fait nouvelles, seront sûrement renforcées par la dynamique mise en branle par les fusions de 2000. Tous ces signes sont autant de manifestations concrètes d’une politisation de l’appareil municipal au-delà du rôle gestionnaire.

En conclusion, je reviendrais à la question de départ, celle du rapprochement entre le modèle d’institutions locales québécois et français. Les fusions municipales québécoises contribuent-elles à la bifurcation ou à la convergence des modèles entre la France et le Québec? La réponse à apporter à cette question est nécessairement nuancée. Un héritage des fusions municipales, c’est d’avoir enclenché des processus qui ont remis en question le modèle de « pourvoyeur de services » pour favoriser une politisation qui ne va pas sans rappeler les gouvernements locaux français. Cette remise en question ne se fait évidemment pas sans résistances et sans reculs, comme en témoigne un certain essoufflement des réformes à la suite des élections municipales de 2005. La trajectoire québécoise, si elle donne des signes d’une certaine politisation, est à ce moment fort complexe et n’est sûrement pas linéaire. Pour l’instant, elle est marquée par la cohabitation de tendances contradictoires qui oscillent entre une plus grande politisation et la crispation du modèle gestionnaire. Donc, bien malin celui qui pourrait prédire jusqu’à quel point elle va s’inscrire dans un rapprochement avec celle des administrations locales françaises.

1. Une version de ce texte a été présentée au colloque « L’intendance aux sources de l’administration locale » à Châlons-en-Champagne en octobre 2008 et sera également publiée dans les actes de ce colloque.
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