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L’acte de baptême de Samuel de Champlain n’a pas été retrouvé

L’acte de baptême de Samuel de Champlain n’a pas été retrouvé1

NDLR – La question de l’acte de baptême de Champlain constitue un débat d’idées et l’opinion émise dans le présent texte n’engage que son auteur.

 

Par Éric Thierry
Historien
Source : Québecensia, volume 31, n° 2, novembre 2012

La découverte du généalogiste Jean-Marie Germe
Le 13 avril 2012, le quotidien français Sud-Ouest a révélé la découverte par le généalogiste poitevin Jean-Marie Germe de « l’acte de baptême pastoral de Samuel Champlain » à La Rochelle2. Cette publication a marqué le début d’une semaine d’intense agitation médiatique au Québec. Sous la conduite de Marcel Fournier, un consensus s’est hâtivement dégagé en faveur de l’authenticité de cette découverte3. Dès le début, j’ai été un des rares à émettre des doutes. Je remercie non seulement la Société historique de Québec de m’avoir proposé de présenter mon point de vue, mais aussi la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs de le faire connaître à son lectorat.

Le document découvert par Jean-Marie Germe peut être consulté aisément puisque le registre où il se trouve a été numérisé et qu’il est visible sur le site des Archives départementales de la Charente-Maritime4. Au verso du folio 49 de ce recueil d’actes de baptêmes célébrés dans le temple rochelais Saint-Yon de 1573 à 1575, on peut lire : « Le vandredy treziesme jour daougst mil cinq centz soysente et quatorze a esté baptizé Samuel filz de Anthoynne Chapeleau et de m [mot rayé] Margerite Le Roy, p[a]rain Estienne Paris, mayrenne Marye Rousseau. Denors N Girault [paraphe] ».

L’année de naissance et la religion de Champlain
1574 est une année de naissance de Champlain tout à fait vraisemblable. Dans un article publié en 1978, Jean Liebel a proposé « vers 1580 », en s’appuyant sur l’acte de baptême de François Gravé daté du 27 novembre 1560 et sur un passage des Voyages de 1632 de Champlain dans lequel celui-ci affirmait que l’âge de François Gravé l’incitait à le respecter comme son père5. Plus récemment, en 2010, Conrad Heidenreich a préféré le milieu des années 1570, car, selon lui, Champlain ne devait plus être un jeune adolescent pour être admis comme aide du maréchal des logis Jean Hardy en 15956.

Le protestantisme des parents de Champlain n’est pas non plus invraisemblable. On le suppose depuis longtemps car Samuel est un prénom biblique rarement porté par des catholiques7. Cela n’est pas incompatible avec le catholicisme que Champlain a toujours professé : la frontière entre les deux confessions n’est devenue hermétique que progressivement au XVIIe siècle, au fur et à mesure que la plupart des décisions du concile de Trente ont été imposées en France. Jusque-là, le passage d’une religion à l’autre était fréquent. En témoignent les cas du roi Henri IV et de beaucoup de ses contemporains qui n’ont cessé de croire à la possibilité de réconcilier tous les chrétiens8.

Chapeleau ou Champlain ?
Ce qui permet de douter de l’authenticité de la découverte de Jean-Marie Germe, c’est surtout le nom Chapeleau. Certes, on peut, comme l’a fait Marcel Fournier, rappeler que les graphies des noms propres varient beaucoup dans les documents anciens9, mais la forme Chapeleau, ou une autre phonétiquement proche, ne se rencontre jamais dans des actes passés par le fondateur de Québec. On ne trouve que les variantes Zamplen (1601), Camplain (1610), Champelain ou Champellain (1613, 1625, 1630 et 1633), Champlin (1618), Champlein, Champlaine, Shamplin et Champlayne (1629-1632)10.

À propos des parents de Samuel de Champlain, le seul document sûr est ce passage du contrat de son mariage avec Hélène Boullé passé le 27 décembre 1610 : il y est dit « filz de feu Anthoine de Camplain [Champlain] vivant cappitaine de la Marine et de dame Marguerite Le Roy ses père et mere »11. Samuel de Champlain s’est toujours montré fier de son patronyme et de la particule l’accompagnant. On les retrouve dès 1595, dans un état des sommes qu’il a reçues lorsqu’il servait dans l’armée du roi en Bretagne. Ils y apparaissent sous les formes « Samuel de Champlain » et même « sieur de Champlain »12, ce qui atteste que le fondateur de Québec a prétendu très tôt porter un nom de terre et vivre noblement.

Une découverte déjà ancienne faite dans les archives d’un notaire de Marennes est utilisée par ceux qui voient dans Chapeleau une variante possible de Champlain. Il s’agit d’un acte daté du 23 décembre 1573 qui concerne la vente d’une moitié de navire par un pilote de Brouage se nommant Antoine Chappelain ou Chappelin. Il est aujourd’hui courant de considérer cet homme comme le père du fondateur de Québec. Dès lors, on peut dire que seul le son final distingue Chappelain ou Chappelin de Chapeleau, et que c’est finalement bien peu de chose. On oublie les réserves formulées non seulement par celui qui a découvert le document13 mais aussi par ceux qui ont été les premiers à le publier : « Aucune preuve ne permet d’affirmer avec une certitude absolue que cet homme est le père de Champlain »14. Chappelain ou Chappelin n’est pas une variante certaine de Champlain, ce qui rend très hasardeux le rapprochement avec Chapeleau.

Plaque commémorative à Brouage

Plaque commémorative à Brouage
Crédit photo : Gaston Deschênes

La question du lieu de naissance de Champlain
J’aimerais enfin examiner la question du lieu de naissance de Champlain. Contrairement à ce que Marcel Fournier n’a pas hésité à laisser entendre15, il n’y a aucun document qui atteste que les parents de Champlain aient eu une propriété à La Rochelle. On ne peut même pas supposer, comme l’a pourtant fait Jean-Marie Germe16, qu’ils aient logé, en août 1574, dans la maison rochelaise des Quatre-Vents que possédait le capitaine Guillaume Allene : à cette date, celui-ci était marié à Guillemette Gousse ; il n’avait pas encore épousé une sœur de Marguerite Le Roy17. Les parents de Champlain étaient installés à Brouage. En effet, les biens immobiliers qu’ils possédaient et qu’ils ont transmis à leur fils unique s’y trouvaient tous. Il s’agit de trois maisons qui ont été vendues par le fondateur de Québec en 1626 et 163018.

De toute façon, un document conforte la thèse de la naissance de Samuel de Champlain à Brouage : il s’agit de la donation faite en sa faveur par Guillaume Allene à Cadix le 26 juin 1601. Rédigé en espagnol, l’acte présente « Samuel Zamplen » comme « natural del bruaze », c’est-à-dire « naturel de Brouage ». Par « naturel », on peut comprendre « natif » car, à l’époque, c’est un sens courant du mot19. Un extrait du même document confirme cette interprétation : « Yo Guillermo Elena, de nascion marselles, natural que soy de la ciudad de Marsella »20, c’est-à-dire, « Moi, Guillermo Elena [Guillaume Allene], de la nation marseillaise, naturel [natif] que je suis de la cité de Marseille ». Ce lieu de naissance de Guillaume Allene est aussi donné par son contrat de mariage avec Guillemette Gousse daté du 17 novembre 1563 : rédigé en français, l’acte précise qu’il est « natif de Marseille, fils de feu Anthoine Allenne et de Gassin Andriou ses père et mère demeurant audit lieu de Marseille »21.

Contrairement à Marcel Fournier, je ne crois pas que Champlain soit né à Brouage et que ses parents soient allés à La Rochelle pour le faire baptiser dans la foi protestante22. Certes, l’existence d’un temple à Brouage n’est pas attestée en 1574, mais il y avait au moins un pasteur dans ce port de Saintonge alors occupé par les troupes huguenotes23. Il s’agit de Nicolas Folion, dit La Vallée. Sa biographie est relativement bien connue : pasteur successivement à Marseille, à Toulouse et à La Rochelle, il a exercé cette fonction à Brouage de 1572 à 157624. En août 1574, il aurait pu baptiser sur place le fils d’Antoine de Champlain et de Marguerite Le Roy.

Acte de baptême de Samuel Chapeleau tiré de Wikipedia

Acte de baptême de Samuel Chapeleau tiré de Wikipedia

 

Alors que ces derniers semblent installés à Brouage, Antoine Chapeleau et son épouse, appelée aussi Marguerite Le Roy, paraissent implantés à La Rochelle. Ce sont les parrain et marraine mentionnés dans le document découvert par Jean-Marie Germe qui peuvent le laisser penser. En 1574, un Rochelais appelé Etienne Paris investissait dans les navires de course : il était le seul propriétaire et armateur du Lion, un navire de 70 tonneaux, et prêtait environ 12 000 livres à la grosse aventure sur 11 autres vaisseaux, dont la Florissante25. Quant à Marie Rousseau, elle était peut-être la mère du futur historien rochelais Amos Barbot né en 1566 et l’épouse de Jean Barbot, sieur du Treuil-Gras, pair et échevin de La Rochelle26.
   
Pour conclure
Est-il bien utile de rappeler que je ne pense pas que Samuel de Champlain ait été baptisé au temple Saint-Yon de la Rochelle le 13 août 1574 et qu’il soit le fils d’Antoine Chapeleau et de Marguerite Le Roy ? Selon moi, Jean-Marie Germe n’a pas découvert l’acte de baptême du fondateur de Québec : trop de doutes subsistent. Les chercheurs doivent encore fouiller les dépôts d’archives et les bibliothèques. Avec la découverte de Jean-Marie Germe, Samuel Chapeleau a été mis en pleine lumière, mais Samuel de Champlain a conservé ses zones d’ombre.


__________

(1) Historien français, Éric Thierry publie à Québec chez Septentrion une édition annotée et en français moderne des œuvres de Champlain. Trois volumes sont déjà sortis : Les fondations de l’Acadie et de Québec (2008), A la rencontre des Algonquins et des Hurons (2009) et Au secours de l’Amérique française (2011).
(2) Thomas Brosset « Samuel Champlain, le fondateur de Québec, avait été baptisé à La Rochelle », Sud-Ouest, 13 avril 2012 (http://www.sudouest.fr/2012/04/13/samuel-champlain-le-fondateur-de-quebec-avait-ete-baptise-a-la-rochelle-687379-1391.php).
(3) Olivier Parent, « Champlain serait né à La Rochelle », Le Soleil, 15 avril 2012.
(4) http://charente-maritime.fr/archinoe/visu_affiche.php?PHPSID=fo5rcdj20ptcsbkramv3uthih6&param=visu&page=1
(5) Jean Liebel, « On a vieilli Champlain », Revue d’histoire de l’Amérique française, XXXII, 2 (septembre 1978), p. 229-237.
(6) Conrad E. Heidenreich et K. Janet Ritch, Samuel de Champlain before 1604. Des Sauvages and Other Documents Relating to the Period, Toronto/Montréal et Kingston-Londres-Ithaca, The Champlain Society/Mc Gill-Queen’s University Press, 2010, p. 429-433.
(7) N. W., « Champlain était-il huguenot ? », Bulletin. Société de l’histoire du protestantisme français : études, documents, chronique littéraire, 6 (1912), p. 274-277.
(8) Thierry Wanegffelen, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile de Trente. XVIe-XVIIe siècles, Paris, PUF, 1999.
(9) Marcel Fournier, « Samuel de Champlain : de Brouage ou de La Rochelle ? Les deux ! », Québecensia. Bulletin de la Société historique de Québec, XXXI, 1 (mai 2012), p. 8.
(10) Conrad Heidenreich a fait un relevé à peu près exhaustif (Samuel de Champlain before 1604, p. 442-446). Il n’a omis que la variante Camplain présente dans le contrat de mariage du 27 décembre 1610.
(11) Emmanuel de Cathelineau, « La minute notariée du contrat de mariage de Champlain », Nova Francia, V, 3 (mai-juin 1930), p. 144.
(12) C. E. Heidenreich et K. Janet Ritch, Samuel de Champlain before 1604, p. 164, 166, 168 et 170.
(13) Marcel Delafosse, « L’oncle de Champlain », Revue d’histoire de l’Amérique française, XII, 2 (1958), p. 208, note 3 : « Un acte du 23 Décembre 1573 […] concerne bien un Antoine Chappelain pilote de navire à Brouage qui vend une barque, mais la signature est incontestablement “Chappelain” et non Champlain ».
(14) Robert Le Blant et René Baudry, Nouveaux documents sur Champlain et son époque, t. I : 1560-1622, Ottawa, Archives publiques du Canada, 1967, p. 10, note 1.
(15) M. Fournier, « Samuel de Champlain : de Brouage ou de La Rochelle? Les deux ! ».
(16) T. Brosset, « Samuel Champlain, Rochelais ? », Sud-Ouest, 14 avril 2012.
(17) M. Delafosse, « L’oncle de Champlain », p. 213-214.
(18) Eliane et Jimmy Vigé, Brouage. Capitale du sel et patrie de Champlain, Saint-Jean-d’Angély, 1990, p. 286-290.
(19) « Naturel », Dictionnaire du Moyen Français, version 2012. ATILF CNRS-Université de Lorraine (http://atilf.atilf.fr/scripts/dmfX.exe?IDF=dmfXdXrmXnf;ISIS=isis_dmf2012.txt;OUVRIR_MENU=2;s=s16583108;LANGUE=FR;AFFICHAGE=2;MENU=menu_dmf;;XMODE=STELLa;FERMER;;).
(20) C. E. Heidenreich et K. J. Ritch, Samuel de Champlain before 1604, p. 178. Ces auteurs ont publié le document espagnol, mais j’ai traduit moi-même en français les extraits.
(21) R. Le Blant et R. Baudry, Nouveaux documents sur Champlain et son époque, p. 2.
(22) M. Fournier, « Samuel de Champlain : de Brouage ou de La Rochelle ? Les deux ! ».
(23) La Noue s’était emparé de Brouage au printemps 1574 (J.-B Vincent, « Un grand port français oublié (Brouage, la ville morte, racontée par des documents) », Revue maritime, CXCIV (juillet-septembre 1912), p. 295.)
(24) Hippolyte Aubert, « Les débuts de l’Église de Marseille au XVIe siècle », Société de l’histoire du protestantisme français. Bulletin, 1917, p. 136-139.
(25) M. Delafosse, « Les corsaires protestants à La Rochelle (1570-1577) », Bibliothèque de l’École des chartes, CXXI (1963), p. 196-197.
(26) Denys d’Aussy, « Histoire de La Rochelle par Amos Barbot », Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, XIV (1886), p. 4-5.
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