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Le Couvent de la Providence de La Rochelle et les Filles du Roy

Le Couvent de la Providence de La Rochelle et les Filles du Roy

Par Romain Belleau
Chercheur en généalogie,
membre associé de la CFQLMC et
membre de la Société d’Histoire des Filles du Roy.

L’histoire de la fondation du couvent des Filles de Saint-Joseph de La Rochelle n’est guère différente de celles de multiples autres sociétés, congrégations séculières (ou régulières) créées à la même époque pour des motifs sociaux : aide aux pauvres, aux mendiants, aux malades, ici aux orphelines, entreprises dévotes.

Dans un article publié en 1874 par la Société des Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, on lit : « C’est à la Congrégation de Saint-Joseph, notamment aux maisons de Paris et de La Rochelle, que le gouvernement civilisateur de Louis XIV, désireux d’établir ses colonies sur des bases solides, demandait les jeunes filles « sages et pieuses » qu’il envoyait au Canada, à la Guadeloupe, etc., pour en faire des mères de famille modèles. Grâce à cette conception élevée, nos anciennes possessions françaises, le Canada surtout, conservent, même encore aujourd’hui, une pureté de mœurs et de foi qu’on chercherait vainement parmi nous, et qui rappellent les merveilleuses traditions du grand siècle. »

On oubliera l’idéologie exprimée dans ces lignes pour retenir qu’à l’époque, 1874, il est connu que le couvent des Filles de Saint-Joseph de la Providence de La Rochelle a eu affaire avec les Filles et Femmes envoyées en Nouvelle-France pour se marier. Malheureusement, comme dans de trop nombreux documents du XIXe siècle, il manque toujours les sources et les références des informations données.

Au moyen d’actes notariés trouvés, je vais évoquer brièvement l’histoire, l’évolution du couvent de La Rochelle; j’attirerai l’attention sur les liens entre le couvent et diverses personnalités, et j’évoquerai le rapport du couvent avec les Filles du Roy.

L’histoire du Couvent de la Providence
Marie Delpech de l’Étang crée à Bordeaux la communauté séculière de la Société de Saint-Joseph pour le gouvernement des filles orphelines, et une maison pour soulager la misère des orphelines pauvres et abandonnées; la communauté est « érigée » par l’évêque de Bordeaux en 1638. En mai 1641, une maison est créée à Paris. D’autres établissements suivent à Rouen, Agen, Toulouse, Limoges…

En 1658, l’évêque de La Rochelle autorise Isabeau de Mauriet, compagne de la première heure de Marie Delpech et chargée depuis quelques années de la maison de Bordeaux, à s’établir à La Rochelle… Isabeau de Mauriet vient à La Rochelle et loge chez Olivier Papineau, conseiller du roi, juge, garde royal de la monnaie de cette ville. Le 9 décembre 1658, une première femme se présente pour être engagée comme novice, Marie Gonet. Elle est la fille d’un avocat en parlement de La Rochelle.

Août 1661, la « Société des Filles de Saint-Joseph de La Rochelle » établies pour l’institution et éducation des filles orphelines » reçoit ses lettres patentes du roi, c’est-à-dire l’écrit, émanant du roi, qui établit un privilège ou un droit. La Communauté peut accepter toutes sortes de legs pieux, donations et testaments qui seraient faits en sa faveur, acheter les biens et possessions nécessaires pour sa subsistance, nourriture et « entretiennement ». En février 1662, la maison de La Rochelle est reconnue comme maison de fondation royale, “étant de grande nécessité”; ses buts sont « empêcher la perversion des filles abandonnées par la mort de leurs parents, et donner moyen aux filles religionnaires de travailler à leur conversion ». Le premier acte (notarié) dans lequel j’ai trouvé l’appellation « couvent des filles Saint-Joseph de la Providence de la maison de La Rochelle » date d’octobre 1662.

En septembre 1663, la communauté demande de pouvoir prononcer les trois vœux : pauvreté, chasteté et obéissance, plus un quatrième: instruire, nourrir et élever les pauvres orphelines en gardant clôture. La demande est acceptée en août 1664. Les sœurs deviennent donc cloîtrées. Les actes notariés qui concernent le couvent indiquent bien à partir de ce moment qu’ils sont passés « au parloir et grille du monastère et couvent des dames religieuses de la congrégation Saint-Joseph établie en cette ville » (19 juin 1665). Seule la supérieure, Isabeau de Mauriet reste séculière pour s’occuper des autres maisons des Filles de Saint-Joseph.

L’année 1664 voit la publication de L’Institut et la Règle ou Constitutions des Filles de la Trinité dites religieuses de la Congrégation de Saint-Joseph, instituées pour l’éducation des filles orphelines dans la ville de La Rochelle. Le décret portant confirmation des statuts de la nouvelle communauté sous le nom de Filles de Saint-Joseph et de la Providence date de juillet 1664. Il est indiqué qu’on recevra les enfants d’une condition aisée dans un pensionnat. On donnera [aux jeunes filles orphelines], avec « une éducation conforme à leur état, tout le nécessaire pour la vie et le vêtement, sans jamais les faire souffrir, et si elles-mêmes doivent contribuer à leur entretien, que ce ne soit nullement par un travail qui excède leurs forces et ruine leur santé ». À cet objectif s’ajoute celui de recevoir et « travailler à la persévérance des nouvelles catholiques», jeunes filles protestantes tirées de leur famille et destinées à être élevées dans la foi catholique.

Isabeau de Mauriet achète d’abord un modeste domaine, « une petite maison consistant en quatre petites chambres sur terre, sans plancher, couverte en thuilles, et ses appartenances, cour et appentis et deux petits jardins situés en la rue de la Vieille Fontaine, paroisse de Cougnes ». En août 1659, elle achète une partie d’une cour rue Vieille Fontaine d’Alexandre Landaz, « écuyer seigneur du Bignon conseiller du roy en ses conseils, lieutenant général enquesteur et commissaire examinateur au siege presidial » de La Rochelle. Est aussi témoin à ces actes Olivier Papineau, chez qui Isabeau de Mauriet a logé en 1658.

En janvier 1665, la communauté acquiert « trois petites maisons se joignant consistant chacune en une chambre basse et une haute et un petit jardin au derrière ainsi que le tout se poursuit et comporte de présent situées en cette ville près de la vieille fontaine rue de Clerambaud dans le fief Saint-Louis ». L’établissement touche à la maison et jardin d’Alexandre Landaz et d’un autre côté aux maison et jardin de Pierre Mousnier, procureur au dit siège présidial.

Je reviendrai sur ces noms.

En avril 1666, Isabelle de Mauriet signe avec un maître maçon et tailleur de pierres de la ville un marché pour achever les « murailles » de l’enclos du couvent des orphelines. Elle reçoit également des rentes perpétuelles en faveur de la communauté.

On peut donc suivre au moyen d’actes notariés l’établissement de la communauté dans la ville et la présence des mots « de la Providence », pas toujours attachés au nom du couvent.

En 1667, le couvent se composerait donc au moins de la petite maison achetée en 1659 comportant quatre chambres, et des trois maisons achetées en 1665, de chacune deux chambres.

Les sœurs.
On connaît aussi par les minutes notariales les noms des nouvelles religieuses, que leurs familles dotent et pour lesquelles elles assurent la pension le temps du noviciat.

Nous pouvons énumérer les sœurs qui ont certainement accueilli les Filles qu’on trouvera au couvent en 1667 :

  • Bénigne de Gommis ou de Gommier entrée en 1665 à l’âge de 28 ans,
  • Louise de Lachaussée, entrée aussi en 1665, à l’âge de 27 ans,
  • Françoise Mallet, toujours en 1665, à 28 ans,
  • Françoise Ballon, en 1666, âgée de 15 ans,
  • Catherine de Lachaussée, âgée de 40 ans, en 1666, sœur de Louise entrée l’année précédente.
  • Il y a également Jeanne de Villepontoux, originaire du Périgord, entrée au couvent en 1656, auquel cas elle serait d’abord entrée au couvent de Bordeaux, et qui en 1671, rédige son testament et prononce ses vœux. Elle précise dans son testament que sa mère s’est remariée avec un gentilhomme de la religion prétendue réformée, un protestant, dont elle ne sait pas le nom, qu’elle a fait part à sa mère de son intention d’entrer au couvent, qu’elle n’en a pas eu de nouvelles, et que sa mère n’a pas payé sa pension pendant toutes ces années.
  • Il y a aussi Marie Ranconnet, majeure, de religion protestante et qui a abjuré.
  • Il y a Marie Tharay, 15 ans, toujours en 1666.
  • Et il y en aura d’autres bien sûr plus tard.


Le couvent et les Filles du Roy.

En décembre 1666, un édit royal ordonne que les communautés établies depuis trente ans représentent les lettres patentes en vertu desquelles elles ont été établies aux Juges des lieux. Le roi a observé que depuis quelques années se sont créées des « maisons régulières et des communautés » sans lettres patentes « par la connivence ou négligence, écrit-il, que nos Officiers ont apportées à faire garder lesdites ordonnances ». L’édit est enregistré au Parlement de Paris le 31 mars 1667.

En septembre 1667 le lieutenant général, c’est-à-dire Alexandre de Landaz, commence l’enquête. La communauté possède bien les fameuses lettres patentes exigées; les religieuses comparaissent mais refusent de donner à autre que l’évêque l’état de leurs revenus et charges. En octobre le roi demande donc à l’évêque de procéder à l’enquête. Cet évêque s’appelle Monseigneur de Laval, ce serait un cousin du vicaire apostolique pour l’Amérique du Nord, et futur premier évêque de Québec, lorsque l’évêché sera créé en 1674. Monseigneur de Laval s’acquitte de sa tâche en visitant le couvent et il établit un rapport dont on trouve des éléments dans des livres.

Le rapport conclut que l’établissement est pauvre, qu’il s’y trouve « soixante filles desquelles quinze ont fait leur abjuration de l’hérésie, et les autres de pauvres petites filles orphelines tirées la plupart de leurs parents religionnaires qui les faisaient aller au presche et les instruisaient dans la religion prétendue réformée, six autres que les curés des paroisses ont tirées des mains de leurs parents qui menaient une vie scandaleuse afin d’empescher leur perte, et quatre demoiselles bien sages [que les sœurs] ont receues depuis peu par les mains des Pères de l’Oratoire et Jésuites pour les instruire et eslever avec cinq autres dans le Canada au premier embarquement ».

On n’a aucune liste des pensionnaires du couvent.

La visite de l’évêque aurait eu lieu le 3 novembre. Si le couvent héberge à cette date des filles en attente de partir pour le Canada, elles ne se sont pas embarquées en 1667, elles sont certainement parties en 1668.

Tout se passe bien pour le couvent. Son statut et ses lettres patentes sont enregistrés par le Parlement en janvier 1668. En 1671, à la mort de Marie Delpech de l’Etang, Isabeau de Mauriet devient supérieure de l’établissement parisien, et une de ses nièces sans doute supérieure de celui de La Rochelle. Le 25 août 1672, dix sœurs prononcent leurs vœux solennels.

Je ne parle pas de l’histoire du couvent après 1673, le temps manque et déborde du sujet de mon intervention et des commémorations.

Aujourd’hui, une partie des bâtiments du couvent de La Rochelle est occupée par l’établissement scolaire Fénelon-Notre-Dame.

Liens avec Bordeaux, La Rochelle…
J’ai signalé la présence de certaines personnes lors des contrats et actes divers signés par les religieuses du Couvent Saint-Joseph. J’y reviens pour signaler ou évoquer des liens.

Les évêques de Laval : liens familiaux, et bien sûr liens « de religion ».

Marie Delpech : elle fonde la congrégation des Filles de Saint-Joseph, et son nom apparaît aussi dans le registre du Couvent du Refuge à Rouen, où deux Filles du Roy ont d’ailleurs été recueillies avant leur départ de France. En 1645 entre dans le Couvent du Refuge une fille dont le nom n’est pas donné dans le registre, amenée par force par la marquise de Senesé; elle avait d’abord été mise dans la maison du Refuge de Paris; elle ne reste pas longtemps au couvent de Rouen; le registre indique : « Lon la renvoiee peu  apres a paris avec madamoiselle de letant quy est de St joseph de Paris ». Par ailleurs, Marie Delpech, comme me l’a indiqué Jean-Paul Macouin, est témoin au mariage de Catherine Desnaguets, épouse du sieur Petit, l’accompagnatrice des Filles de 1667 qui signent un acte de protestation contre les conditions qui leur sont faites à leur arrivée à Dieppe. Catherine Desnaguets, orpheline, est pensionnaire du Couvent de Paris.

Olivier Papineau : il est conseiller du roi, juge, garde royal de la monnaie de La Rochelle. Le 9 décembre 1658, lorsqu’elle vient pour la première fois à La Rochelle, Isabelle Mauriet loge chez lui. Il est témoin à certains actes passés par la Communauté. En février 1668, il reconnaît avoir prêté son nom à Isabelle Mauriet en août 1659 dans les actes concernant « la maison et couvent et appartenances des dites religieuses », il l’a toujours fait, écrit-il, pour les religieuses; il n’a aucune prétention « en l’étendue du dit emplacement en fond rente ou autrement ».

Alexandre Landaz : le 21 août 1659, Alexandre Landaz, « écuyer seigneur du Bignon conseiller du roy en ses conseils, lieutenant général enquesteur et commissaire examinateur au siege presidial » de La Rochelle, cède à Elizabeau (sic) Mauriet « supérieure des filles orphelines de Saint-Joseph » de cette ville une partie d’une cour rue Vieille Fontaine. Je rappelle que les maisons acquises par la communauté en janvier 1665 jouxtent celle d’Alexandre Landaz, et celle de Pierre Mousnier. Enfin c’est lui, Landaz, qui est chargé en 1667 de l’enquête sur le couvent. Mais il agit là dans le cadre de ses fonctions.

Pierre Mousnier : Procureur au siège présidial de La Rochelle. Voisin du couvent.

Jacques Mousnier : il est le frère de Pierre et il apparaît dans plusieurs actes liés à la Nouvelle-France.

Il est marchand et bourgeois de la ville de La Rochelle. Le 18 juin 1652, au nom de Jérôme Le Royer de la Dauversière, il engage trois ouvriers pour Montréal. Je rappelle que Le Royer de la Dauversière de La Flèche est l’initiateur de Ville-Marie (Montréal). Et je note que ces engagements ne sont pas relevés par Gervais Carpin dans son ouvrage Le réseau du Canada. En mai et juin 1659, c’est dans la maison de Jacques Mousnier que Jeanne Mance engage des serviteurs et ouvriers pour Ville-Marie (Montréal). C’est à lui qu’elle emprunte l’argent nécessaire pour le transport des engagés, somme qu’elle remboursera en 1664. Elle loge chez lui. En juin Jacques Mousnier engage lui-même des ouvriers pour Ville-Marie ou Québec.

Ce que je veux faire remarquer, c’est l’existence d’une sorte de petit réseau lié à la Nouvelle-France. Un historien a parlé d’un réseau de cette sorte autour de Jeanne Mance, réseau fait tout à la fois de ramifications familiales : les cousins évêques de Laval, les Mousnier; de fidélités politiques, ici peut-être des liens déterminés par la situation sociale : Papineau à la Monnaie, Landaz lieutenant du présidial, les Mousnier l’un procureur, l’autre marchand; et d’entreprises dévotes : Mousnier, Le Royer de la Dauversière pour Ville-Marie, madame de l’Etang., Jeanne Mance…, les Jésuites, les prêtres de l’Oratoire fondés par Olier, curé de Saint-Sulpice…

Il m’a paru intéressant de souligner ces « proximités »…

Nous connaissons l’histoire du couvent : il est pris dans un réseau de personnes et personnalités liées de manière directe ou indirecte à l’aventure de la Nouvelle-France; en 1667 des Filles y sont logées avant leur embarquement pour le Canada; elles ont été confiées au couvent par les Jésuites et les Pères de l’Oratoire. Mais nous n’avons pas de renseignements sur la présence de Filles du Roy à un autre moment.

C’est peu ? Peut-être.

Mais tout ce qui permet de mieux connaître l’histoire des Filles du Roy est utile.

Sources
Archives départementales de Charente-Maritime, greffes Combaud, Demontreau, Michelon, Raffet.

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