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Les convictions d’Henri Bourassa et la relation franco-québécoise

Les convictions d’Henri Bourassa et
la relation franco-québécoise

 

par Gilles Durand

 

Michel Lapierre

Michel Lapierre, conférencier, 6 mars 2010
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

 

Le DEVOIR

1er numéro du Devoir, 10 janvier 1910
Crédit : Collection Archives Le Devoir

Le Devoir, journal d’opinion indépendant fondé en 1910, s’est toujours démarqué par distance face au monde politique et aux acteurs de la vie économique, et par son engagement en faveur des marqueurs identitaires du milieu. Pour célébrer son centenaire en 2010, différentes activités sont mises de l’avant, rencontres, émissions télévisées, publications, expositions, conférences, etc. Toutes ont en commun de mettre en valeur le directeur-fondateur et rédacteur du quotidien pendant plus de vingt ans, Henri Bourassa, également député fédéral pendant 22 ans et député provincial pendant 4 ans.

 

Deux organismes, la Société historique de Montréal (SHM) et le Petit Musée de l’impression, ont apporté leur contribution. Le samedi le 6 mars 2010, dans le cadre de ses rencontres mensuelles, la SHM organise une table ronde consacrée à deux collaborateurs du Devoir, Henri Bourassa et Jacques Ferron : pour entretenir l’auditoire du premier, elle donne la parole à Michel Lapierre, rédacteur en chef de sa revue faisant peau neuve (auparavant un bulletin), Montréal en tête – également collaborateur au journal Le Devoir. Le conférencier est également invité par le Petit Musée de l’impression à prendre la parole sur le même sujet le vendredi 30 avril 2010 dans le cadre d’un séminaire consacré à la « naissance de la presse de masse et création du Devoir : 1841-1915 ».

 

Un libéral teinté de conservatisme

Henri Bourassa est un libéral au sens du 19e siècle, teinté de conservatisme. Il défend la liberté individuelle et l’initiative privée. Il vante l’agriculture, prend parti contre l’intervention de l’État en matière d’assistance publique et de pensions de vieillesse. Parfois certaines prises de position présentent des pointes progressistes, telles son acceptation des syndicats catholiques et ses manifestations de sympathie pour James Shaver Woodsworth, le fondateur d’un parti social démocrate canadien devenu l’ancêtre du Nouveau Parti démocratique actuel.

 

Un nationaliste pancanadien

Henri Bourassa demeure attaché au Canada, qu’il conçoit comme une nation biculturelle résultant d’un pacte entre deux races fondatrices, les Canadiens français et les Canadiens anglais. Son nationaliste demeure circonspect. Il rejette l’Action française de France dirigée par Charles Maurras, dont la pensée est empreinte de chauvinisme et d’antisémitisme, prônant la puissance de la nation et l’épuration du catholicisme de ses origines hébraïques. Malgré les atteintes portées aux droits des minorités catholiques et francophones hors Québec, Bourassa s’écarte également des nationalistes canadiens-français regroupés autour de Groulx et de l’Action française de Montréal, qui envisagent un État français indépendant, une Laurentie séparée du reste du Canada – malgré tout, en 1902, Bourassa considère le projet d’indépendance comme un rêve légitime et attrayant à laisser au travail des siècles. Il ne cesse de croire au nouvel État fédéral créé en 1867 pour assurer l’épanouissement des Canadiens français, des associés avec droits égaux aux Canadiens anglais.

 

Un opposant à l’impérialisme et au colonialisme

Francophones et anglophones doivent réserver leur allégeance première au Canada. Continuellement, Bourassa prêche l’indépendance : indépendance face à la Grande-Bretagne et à ses engagements militaires, même au nom de l’ancienne mère patrie qu’est la France; indépendance face aux États-Unis et à leur civilisation matérialiste qui pénètre de plus en plus en territoire canadien. Il se méfie des anciennes puissances coloniales, même de la France. Bourassa défend l’héritage qu’elle nous a légué, mais c’est celui de l’Ancien Régime, d’avant 1789. Il regarde les liens politiques comme rompus depuis un siècle et demi avec la France de son époque, républicaine et laïcisante. Les Canadiens français ne doivent pas se sentir obligés de contribuer à sa défense, elle qui les a laissés à leur sort et qui a d’abord pensé à rapatrier les représentants du pouvoir royal à la fin de la guerre de Sept Ans.

 

Un ultramontain d’abord et avant tout : priorité à la religion sur la nation

En début de carrière, Bourassa combat pour la langue et la foi catholique, mais c’est la langue gardienne de la foi, par la suite il donne préséance à cette dernière, plaçant les intérêts de la religion au-dessus de ceux de la nation. Le nationalisme peut mener à des excès, abandon des minorités francophones, guerre civile, etc., et il est contraire au catholicisme, universel par sa nature et destiné à être partagé par tous les peuples de quelque nationalité qu’ils soient. Cette conviction profonde l’amène à prendre parti contre les Franco-Américains sentinellistes, réclamant des services religieux dans leur langue. Il les exhorte à se rallier au Vatican et à l’épiscopat catholique américain d’origine irlandaise, désirant faire de la langue anglaise le véhicule de communication du catholicisme.

 

Bourassa, un personnage complexe, intransigeant et paradoxal

Le conférencier Michel Lapierre fait ressortir des traits majeurs de Bourassa. Celui-ci est un intransigeant au service de l’idée. L’idée, contraire à l’intérêt, doit primer sur tout : sur la politique, l’argent, etc. C’est pour la faire triompher qu’il fonde en 1910 Le Devoir, un journal indépendant, c’est encore pour elle qu’il s’investit en politique provinciale et fédérale, la majorité du temps comme indépendant. Il déteste le compromis : il se sépare du premier ministre Laurier, son chef, sur la question de la contribution du Canada à la guerre des Britanniques contre les Boers, pour devenir député indépendant; il condamne les sentinellistes pour la préséance qu’ils donnent à la nationalité sur la religion. C’est un résistant continuel, formulant des critiques à ses compatriotes pour leur manque de ténacité et par là n’avoir pas su empêcher la pendaison de Riel. Le directeur et fondateur du Devoir fait aussi à l’occasion figure de personnage paradoxal. Tout en donnant la primauté aux enseignements du pape, il n’hésite pas à se distancer du clergé et à lui adresser des reproches pour son trop grand attachement à l’argent. Bourassa avoue n’avoir rien des idées de son grand-père maternel, Louis-Joseph Papineau, qui se disait incroyant mais pratiquant, ce qui amène le conférencier, Michel Lapierre, à ajouter que le petit-fils était le contraire de son grand-père, croyant mais à l’occasion anticlérical.

 

Sur des écrits de Michel Lapierre et d’autres sites Web et publications en rapport avec le sujet

Pour en savoir davantage sur le fondateur du Devoir, les intéressés sont invités à consulter les sites Web et les publications suivantes :

  • Lapierre, Michel, « Le Devoir : 100 ans déjà – La personnalité complexe d’Henri Bourassa, le fondateur », dans Montréal en tête, Revue de la Société historique de Montréal, no 61, automne 2010, p. 6-9;
  • Le Devoir : un siècle québécois/ sous la direction de Jean-François Nadeau. Montréal, Éditions de l’Homme, 2010, renferme une contribution de Michel Lapierre;
  • Pourquoi j’ai fondé Le Devoir : Henri Bourassa et son temps/Mario Cardinal. Montréal, Libre Expression, 2010, 395 p.;
  • Fais ce que dois : 60 éditoriaux pour comprendre Le Devoir sous Henri Bourassa, 1910-1932/réunis et commentés par Pierre Anctil avec la collaboration de Pierrick Labbé, Québec, Septentrion, 2010, 383 p.;
  • Les comptes rendus de ces deux derniers ouvrages par le conférencier Michel Lapierre : « Les beaux paradoxes d’Henri Bourassa », dans Le Devoir, 13 mars 2010 et « Henri Bourassa, le résistant incompris » dans Le Devoir du 10 avril 2010 », accessibles sur le site du Devoir dans la Liste des articles de Michel Lapierre;
  • Le Devoir 1910-2010 : 100 ans, cahier du centenaire en Devoir virtuel;
  • La brochure d’une exposition « Le Devoir : témoin de la vie politique québécoise » sur les 100 ans du Devoir, présentée à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du 17 février au 1er octobre 2010, accessible en ligne sur le site de l’Assemblée nationale
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