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Les Indiens et la cartographie : « Ils marquent le vrai nord »

Les Indiens et la cartographie : « Ils marquent le vrai nord »

 

par Denis Vaugeois
Historien et éditeur

Désireux de commercer, les Européens ne se sont pas questionnés longtemps sur les connaissances géographiques des Amérindiens. Il était évident que ceux-ci s’orientaient avec facilité et pouvaient se déplacer sur de longues distances. « Ces sauvages, écrivait l’intendant Raudot au début du XVIIe siècle, sçavent les routes des bois et les connoissent comme nous savons les ruës d’une ville. » Sans hésiter, les Français les recrutèrent comme guides et adoptèrent leurs moyens de transport. « Dans les forêts les plus épaisses & dans les temps les plus sombres, écrit le père Lafitau, ils ne perdent point, comme on dit, leur Étoile. Ils vont droit où ils veulent aller, quoique dans des païs impratiqués, & où il n’y a point de route marquée. »

Les Européens, eux, avaient besoin de cartes. Ils questionnaient les Indiens et leur demandaient de tracer des cartes ou du moins de faire des dessins. À la demande de Jacques Cartier qui aurait voulu s’engager à l’ouest d’Hochelaga, ses jeunes guides iroquoiens posèrent sur le sol des bâtonnets pour représenter la rivière et placèrent par dessus des petites branches pour indiquer les sauts ou rapides, raconte Richard Hakluyt dans une note accompagnant le récit du troisième voyage.

Cette pratique de « faire des dessins »aux Européens devint coutumière. Les Indiens en prirent l’habitude. « Ils tracent grossièrement sur des écorces, ou sur le sable, des Cartes exactes auxquelles il ne manque que la distinction des degrés », écrit un Lafitau enthousiaste. Les premiers explorateurs ne se privent pas de les questionner.

Champlain interroge constamment ses guides indiens. Il les apprécie de même que leur étonnante embarcation. « Mais avec les canots des sauvages l’on peut aller librement & promptement en toutes les terres, tant aux petites rivières comme aux grandes. Si bien qu’en se gouvernant par le moyen des dits sauvages & et de leurs canots, l’on pourra voir tout ce qui se peut, bon & mauvais, dans un an ou deux », commente-t-il en 1603 en face de rapides toutefois infranchissables. Heureusement, « un homme peut porter aisément » un canot, d’où son optimisme. Il veut tout de même savoir ce qui l’attend au-delà. « Nous interrogeames les Sauvages que nous avions, de la fin de la rivière, que je leur fis figurer de leurs mains, & de quelle partie procédait sa source. » Habile cartographe, il indique sur ses cartes ce que lui apprennent les Indiens.

En 1691, le récollet Chrestien Le Clerc notait dans sa Nouvelle relation de la Gaspésie : « Ils ont beaucoup d’industrie pour faire sur de l’écorce une espece de carte, qui marque éxactement toutes les rivières & ruisseaux d’un Païs dont ils veulent faire la description : ils en marquent au juste tous les endroits ». Pour les Indiens du Centre-Ouest, Lahontan l’avait affirmé sans hésitation en 1702 : « Ils font les Cartes du Monde les plus correctes des Païs qu’ils connoissent, auxquelles il ne manque que les latitudes & les Longitudes des lieux. Ils marquent le vrai Nord selon l’Etoile Polaire […] en contant les distances par journées, demi-journées de guerriers; chaque journée valant cinq lieuës. Ils font ces Cartes Chorographiques particulières sur des écorces de Bouleau […]. »

Malgré leurs mérites, les informateurs indiens ont été oubliés ou ignorés tandis que leurs copistes ont été célébrés. Sauf exception bien entendu. C’est le cas de l’Indien Ochagach, un Cri dont la carte, copiée par La Vérendrye, guidera Jacques-Nicolas Bellin pour la réalisation d’une carte de l’Amérique septentrionale publiée en 1755. Philippe Buache est dans la même situation, lui qui place en haut de sa « Carte physique des terreins les plus élevés de la partie occidentale du Canada » (1753) une « Réduction de la Carte tracée par le Sauvage Ochagach et autres ».

 

indiens cartographie

Description : Carte de la région à l’ouest des Grands Lacs, d’après celle tracée par le sauvage Ochagach, copie datée de 1750 d’une carte originale dressée vers 1729, carte manuscrite.
BSHM, Recueil 67, n°16
Source : Les Éditions Septentrion

Tracées sur la neige ou sur le sable, parfois dans les cendres d’un feu, les cartes préparées par les Indiens étaient rapidement effacées. D’autres tracées sur une écorce de bouleau, une peau tannée ou un rocher pouvaient résister plus longtemps, mais pas assez pour se rendre jusqu’à aujourd’hui. Des copies ont survécu, elles témoignent de la contribution des Amérindiens à l’exploration de leur continent.

Le lecteur intéressé est invité à consulter les pages 205-209 de La mesure d’un continent dans lesquelles l’auteur développe plus amplement le sujet (Presses de l’Université Paris-Sorbonne – Septentrion, 2007).

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