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Les manuels scolaires du Québec oublient-ils la France?

Les manuels scolaires du Québec oublient-ils la France?

 

Manuels

Élèves et professeurs
brandissant leurs
manuels à la fin
de l’année scolaire
à l’école Edward VII
Crédit

Jusqu’au 27 mai prochain , Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) présente l’exposition, 300 ans de manuels scolaires au Québec. Annoncé dans le bulletin de liaison À rayons ouverts (no 69, automne 2006), l’événement est accompagné d’un catalogue publié sous le même titre, qui tout en se signalant par la qualité de la recherche effectuée et de sa mise en forme assure la mise en contexte des 319 artefacts exposés. Douze auteurs nous font revivre en 180 pages les grandes lignes de l’histoire du manuel scolaire québécois.

Une réflexion en partenariat

Le catalogue arrive à point. La Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) entame la réflexion sur une catégorie particulière de manuels scolaires, le livre de lecture, lors de son dernier colloque sur La Capricieuse organisé en octobre 2005. Patrick Cabanel fait une communication sur ce thème, dont le texte est publié sous le titre L’autre province perdue : le Canada dans les livres de lecture scolaires sous la Troisième République dans les actes du colloque (La Capricieuse (1855) : poupe et proue. Les relations France-Québec 1760-1914). L’auteur y démontre que le livre de lecture scolaire véhicule à l’époque un attachement aux grandeurs de la France contemporaine, sur le continent et outre-mer, comme aux gloires de la France passée, sur le continent, les provinces maintenant perdues d’Alsace-Lorraine, et outre-mer, le premier empire colonial en Amérique du Nord. La publication présentée aujourd’hui par BAnQ permet d’approfondir cette fois nos connaissances, sur nos propres manuels scolaires, et de poursuivre la réflexion sur leur rôle à partir de l’expérience vécue en France.

Le manuel scolaire vu sous plusieurs angles

Par le biais de 11 chapitres, le catalogue aborde les différentes dimensions des manuels scolaires québécois depuis la Nouvelle-France jusqu’à nos jours : la problématique générale (en introduction, chapitre 1, Michel Allard, Paul Aubin, Soraya Bassil et Monique Lebrun) ; les deux organismes détenteurs des principales collections, l’Université Laval et BAnQ (chap. 2, Claude Bonnelly) ; les clientèles auxquelles les manuels s’adressent, les élèves de religion catholique et de langue française bien évidemment, sans pour autant que ceux-ci soient toujours la priorité dans l’ensemble du système scolaire, mais aussi les groupes minoritaires, autochtones (chap. 4, Anne-Marie Baraby) et anglo-catholiques (chap. 5, Mélanie Lanouette), ces derniers plus attachés aux valeurs anglo-saxonnes, enfin les maîtres eux-mêmes (chap. 9, Marcel Lajeunesse) qui peuvent compter dans le passé sur un manuel de pédagogie genre « de marque, unique pour une période donnée »; les formes de manuels (chap. 3, Paul Aubin), c’est-à-dire les manuels eux-mêmes et les outils complémentaires, tels les cartes murales de type géographique et informatif, les affiches, les tableaux, etc. ; trois des matières dont ils ont pour but d’assurer l’apprentissage, la lecture (chap. 6, Monique Lebrun), celle à haute voix, compréhensive, etc. ; le dessin (chap. 7, Suzanne Lemerise avec la collaboration de Soraya Bassil) sous son angle utilitaire, c’est-à-dire géométrique, et artistique, dans ce dernier cas faisant plus de place à la créativité de l’élève; le catéchisme ou message religieux (chap. 8, Brigitte Caulier), autant sous sa forme plutôt rébarbative, de type « mémorisation, questions et réponses » que sous une apparence plus séduisante pour l’élève; les exportations et les emprunts (chap. 10, Paul Aubin), c’est-à-dire les importations pures et simples, les traductions, les adaptations, les emprunts partiels, le manuel étranger considéré comme une source d’inspiration; enfin, le manuel comme véhicule (chap. 11, Alain Choppin) pour transmettre les valeurs de la société québécoise, aussi bien religieuses que morales ou nationales.

Les emprunts

À travers l’ouvrage que nous présente BAnQ, l’influence de la France est présente d’une façon soutenue quel que soit l’angle d’observation. Tout en gardant à l’esprit au point de départ la communauté de langue et de culture, d’autres motifs interviennent. Pour combler les carences de la production québécoise, par exemple le premier manuel québécois, un catéchisme, étant une réimpression en 1765 d’un titre paru en France. En raison de la présence en sol québécois de Français immigrés qui mettent leur motivation, leurs connaissances et leur savoir-faire au service de l’enseignement et de la pédagogie. De même, par la présence de nombreuses communautés religieuses enseignantes masculines qui peuvent négocier plus facilement des ententes avec leurs confrères d’outre-mer; fondés en France, ces ordres religieux ont quitté leur pays à la suite de la Révolution française et des mesures anticongréganistes dont ils ont été l’objet.

Le catalogue présente aussi les types d’emprunt fait : une importation de France pure et simple; une reprise intégrale après avoir remplacé le lieu d’édition et le nom de l’éditeur ou bien encore la couverture ou la page titre; une réimpression de manuels ayant déjà traversé la frontière pour combler l’impossibilité d’acheter les manuels français à jour en raison des guerres coupant les approvisionnements; une réimpression avec adaptations pour « québéciser », par exemple pour passer des mesures métriques aux mesures anglaises utilisées à l’époque, pour remplacer les plantes qui ne croissent qu’en France par celles qui poussent en sol québécois, ou bien encore pour ajouter des chansons d’artistes québécois à des recueils français; des modifications pour « catholiciser » en faisant disparaître le vocabulaire correspondant à la montée du laïcisme en France. Les manuels français peuvent être aussi une source d’inspiration pour les auteurs québécois qui ont l’occasion de visiter les expositions universelles, de prendre connaissance ainsi d’ouvrages français et de s’en inspirer.

L’image de la France dans le manuel scolaire québécois

Enseignants et pédagogues québécois ont emprunté, mais ils ont aussi créé et laissé aux jeunes générations des produits du cru. Le catalogue introduit sur la vision de l’étranger transmise, par exemple cette correspondance au printemps 1838 du directeur des Frères des Écoles chrétiennes de Montréal avec son supérieur de Paris :

J’ai fait part à Mr le Supérieur de St Sulpice, des raisons qui vous empêchaient de nous envoyer la Géographie; il ne les trouve pas suffisantes pour priver nos jeunes Canadiens d’un aussi précieux livre; en conséquence, il m’a prié de faire une nouvelle demande en feuilles, on supprimera avant de la faire relier, ce qui regarde la France et il fera imprimer une ou deux feuilles pour le remplacer, où il sera parlé avec développement de l’Angleterre et de ses possessions Américaines, Africaines, etc., ainsi que des États-Unis voisins du Canada (Catalogue, p. 122-123).

Une vision qui ne surprend pas de la part de communautés qui dans le passé doivent émigrer en passant par l’Angleterre et qui sont laissées en pleine possession de leurs biens en Amérique du Nord par la couronne britannique. Mais qu’en est-il de l’image de la France elle-même transmise, au-delà des emprunts de textes d’auteurs français dans les manuels d’apprentissage québécois? Un ouvrage qui se veut un tour d’horizon complet sur une période de 300 ans ne peut tout donner, mais il faut reconnaître qu’il présente le grand mérite de poser avec clarté la dimension de la transmission des valeurs identitaires aux jeunes générations et de nous fournir la matière pour aller plus loin. En plus de la liste des artefacts en montre actuellement à la Grande Bibliothèque, il renferme une bibliographie des manuels scolaires et une bibliographie générale d’études déjà réalisées sur ceux-ci. Il nous donne d’autres pistes pour aller plus loin, entre autres la banque de données MANSCOL hébergée sur le serveur de l’Université Laval. La recherche et la réflexion méritent d’être poursuivies sur la vision de la France et la fierté d’être ses descendants, présentées par les manuels scolaires dans le contexte québécois, mais aussi dans une approche plus large en partenariat avec nos compatriotes du pays d’en face.

Gilles Durand

 

 

Crédit :
Conrad Poirier
Montréal, 1942
Photographie, reproduction numérique
Collection Bibliothèque et Archives nationales du Québec
06M – P48,S1,P7504
Avec le soutien du gouvernement du Québec
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