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Marine et marins de France au temps de Champlain

Marine et marins de France au temps de Champlain1

 

 

par Raymonde Litalien
Conservateur honoraire des Archives du Canada

Lors des premières explorations de Samuel Champlain, la France était loin d’être une grande puissance maritime. Malgré les efforts de Henri II (roi de France 1547-1559) qui avait créé un embryon de législation maritime et fait construire une cinquantaine de galères et autres bâtiments de mer, il n’existait, à la fin du XVIe siècle, aucune véritable gestion étatique de l’activité maritime, qu’elle soit militaire ou civile. Pourtant, la pêche côtière et le cabotage étaient pratiqués par une large portion de la population du littoral français. De plus, les voyages au long cours, notamment vers Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent, attiraient quelques centaines de navires et des milliers de marins qui, chaque année, s’affairaient à la pêche à la morue et à la chasse à la baleine.

 

 

I. La Marine royale

D’une Marine royale, on attend la capacité de défendre le territoire ainsi que l’État et d’effectuer des missions diplomatiques ou scientifiques. Aucune de ces fonctions ne peut être exercée à la fin du XVIe siècle. Dépourvue de flotte, la France est incapable de lutter contre les corsaires et les pirates qui sèment la terreur sur ses côtes ou attaquent les navires marchands en haute mer. Pour certains voyages officiels comme le déplacement d’ambassadeurs, le Roi fait appel à des navires vénitiens ; pour défendre Marseille, en 1597, Henri IV obtient l’assistance d’une escadre turque. Dans d’autres cas, l’Angleterre et les Provinces-Unies apportent leur secours à la France.

En 1598, le traité de Vervins rétablit la paix avec l’Espagne et l’édit de Nantes met fin aux guerres de religions. La priorité de la France est alors de se reconstruire, laissant encore en attente la constitution d’une véritable Marine royale. Ce sont alors des initiatives privées, parfois soutenues par le pouvoir royal, qui assurent la présence française sur les océans. En novembre 1600, un groupe de marchands de Saint-Malo, Vitré et Laval, forment une société destinée à commercer avec l’Extrême-Orient mais l’entreprise échoue lamentablement l’année suivante. D’autres tentatives visant la création de compagnies de commerce, sur le modèle de la Compagnie hollandaise des Indes, n’arrivent pas à prendre forme. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces projets ne sont guère soutenus pas l’entourage du Roi, dont la reine Marie de Médicis et le conseiller Sully, qui considère que les entreprises outre-mer sont « trop éloignées […] et […] disproportionnées au naturel et à la cervelle des Français ». L’absence de volonté politique ferme, l’indifférence des milieux financiers et commerciaux, la poursuite des conflits religieux sont les principaux facteurs qui écartent la France des grandes entreprises maritimes, laissant la place à des concurrents mieux armés, les Hollandais, les Anglais et les Espagnols. Ainsi, quand certaines initiatives françaises se manifestent, elles se heurtent aux puissances déjà installées, les Hollandais à Java et Sumatra, en 1617, les Espagnols aux Antilles en 1599 et les Anglais qui s’emparent de Port-Royal (Acadie) en 1610.

À partir de 1624-1625, Richelieu prend des mesures afin de reconstruire une Marine royale, de mettre fin à la dépendance envers l’étranger, aussi bien pour la marine de guerre que pour la marine marchande. Nommé Grand Maître, chef et surintendant général de la navigation et du commerce de France, Richelieu choisit Isaac de Razilly, marin chevronné, chef d’escadre en 1624, comme principal conseiller. C’est à son instigation qu’est créée, en 1627, la Compagnie de la Nouvelle-France. En 1632, il chasse les Anglais de Port-Royal et de Pentagouet et reprend possession de l’Acadie, y installe des colons avant de mourir à La Hève le 2 juillet 1636.

Champlain

L’arrivée de Champlain à Québec,
Fonds Henri Beau
Crédit

Richelieu ébauche enfin un budget en 1626 et réorganise l’administration. Son Règlement de 1631 codifie la vie maritime. Une flotte royale est constituée d’abord par l’achat de navires à l’étranger, puis par un programme de constructions. Des chantiers se développent dans les ports normands et bretons et en 1635, dans la flotte du Ponant, on dénombre déjà trente-cinq vaisseaux, douze navires de soutien, trois frégates et six brûlots, sans compter les bâtiments qui sont fabriqués en Méditerranée. Des corps d’officiers sont recrutés soigneusement, sur la base de la compétence et de la formation dans les écoles d’hydrographie. Les ports se développent avec la création de magasins, de corderies, de forges et de fonderies. Des arsenaux sont créés et progressivement mis en place. Rochefort est retenu pour devenir le grand arsenal du Ponant, à vocation essentiellement coloniale.

La situation de la Marine royale a bien changé dans le cours de la vie de Champlain. À peu près inexistante lorsqu’il vint au monde, elle se trouve, lors de sa mort, enfin dotée de tous les éléments indispensables à son existence et à son activité. En 1635, la France possède enfin une flotte permanente relevant de la seule autorité royale.

 

 

II. La marine marchande

Pas plus que la Marine royale, l’activité maritime marchande ne jouit d’une gestion centralisée au début du XVIIe siècle. Par contre, elle possède plusieurs atouts comparativement à la Marine royale : ses bâtiments sont en très grand nombre, les ports actifs sont répartis sur tout le vaste littoral français dont la population est riche de marins bien entraînés. Sachant que les déplacements et les transports, au XVIIe siècle, sont effectués en grande partie par eau, il n’est pas étonnant qu’un territoire comme la France ait une forte activité maritime et fluviale puisqu’il est bien pourvu de voies navigables. De plus, ses rivages bordant la Manche, l’océan Atlantique et la Méditerranée couvrent environ les trois quarts de ses frontières.

Le commerce méditerranéen est aussi ancien que les États donnant sur la mer et remonte à la plus haute antiquité. Il porte sur le mouvement des marchandises et des personnes et s’étend bien au-delà de la Méditerranée. Giovanni Caboto, marin italien recruté par le roi d’Angleterre pour chercher, de Bristol, une voie occidentale vers la Chine et Giovanni Verrazzano, Lyonnais originaire de Florence, mandaté par François 1er pour naviguer, au départ de Dieppe vers les « terres neufves », sont deux exemples éloquents, parmi tant d’autres, des capacités des navires et de leurs équipages et de l’envergure de la vie maritime au XVIe siècle.

En fait, les marins européens à la barre de leurs voiliers ont appris à connaître les vents et les courants marins facilitant leur navigation soit vers les Antilles et l’Amérique du Sud, soit vers Terre-Neuve. Là encore, le cas de Jacques Cartier est révélateur : en 1534, avec son équipage de pêcheurs bretons, il parcourt en vingt jours la distance entre Saint-Malo et la baie Sainte-Catherine à Terre-Neuve. Chaque année, c’est par centaines que des bateaux de 30 à 100 tonneaux se retrouvent dans les havres de Terre-Neuve et du golfe du Saint-Laurent. Par dizaines de milliers, les pêcheurs de morue et de baleine font la traversée, séjournent le printemps et l’été sur les rivages laurentiens, le temps de remplir leur bateau de poisson pour ensuite le rapporter aux propriétaires et avitailleurs qui en effectuent la distribution par cabotage et par les fleuves et rivières. À la fin du XVIe siècle, une bonne cinquantaine de ports français possèdent les structures, les équipements et les compétences nécessaires à la pratique du commerce de la pêche hauturière. Dieppe, Rouen, Le Havre et Honfleur, Saint-Malo, Nantes, La Rochelle et Bordeaux sont des places économiques et financières où se traitent des affaires internationales. Ces villes et ports sont prêts à s’investir dans une entreprise plus stable et de plus longue durée au Nouveau Monde.

C’est donc cette marine de commerce qui s’engage dans un projet de colonisation, à l’instigation du gouverneur de Dieppe et amiral du Ponant, Aymar de Chaste. C’est un gentilhomme de la Chambre du Roi, Pierre Dugua de Mons qui, avec le monopole de commerce en Nouvelle-France, obtient en 1603, l’autorisation de fonder une colonie en Acadie. Ce sont des bateaux d’Honfleur et de Dieppe qui transportent les premiers colons. Et c’est Samuel Champlain un marin saintongeais de Brouage, centre de production du sel, qui saura explorer le Saint-Laurent et y fonder la ville de Québec. La Marine royale est totalement absente de l’entreprise, sauf par l’encouragement moral de l’amiral du Ponant. La volonté royale ne finance pas l’opération mais lui donne l’impulsion nécessaire. Ce sont donc les marins et autres acteurs du commerce maritime qui vont assumer totalement les premières étapes de l’entreprise d’exploration et d’implantation française en Amérique du Nord. Ce n’est que plus tard, avec le cardinal de Richelieu, que la Marine royale commencera à intervenir activement dans la vie de la Nouvelle-France.

 

Bibliographie

Buchet (Christian), Meyer (Jean), Poussou Jean-Pierre, dir., La puissance maritime, Coll. « Histoire maritime », Paris, PUPS, 2004.
Duteil (Jean-Pierre) et Villiers (Patrick), dir., L’Europe, la mer et les colonies XVIIe – XVIIIe siècle, Paris, Hachette Supérieur, 1997.
Litalien (Raymonde) et Vaugeois (Denis), dir., Champlain. La naissance de l’Amérique française, Paris/Québec, Nouveau monde/Septentrion, 2004.
Mollat (Michel), dir., Histoire des pêches maritimes en France, Paris, Bibliothèque historique Privat, 1987.

 

 

1 – Ce texte reprend, en très grande partie, « La marine royale au temps de Champlain » d’Etienne Taillemite, dans Raymonde Litalien et Denis Vaugeois, dir., Champlain. La naissance de l’Amérique française, Paris/Québec, Nouveau monde/Septentrion, 2004, p. 19-22. [ Retour au texte ]
 
Crédit : Bibliothèque et Archives Canada, no d’acc 1989-517-15
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