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Pionniers et pionnières de Touraine en Nouvelle-France

Pionniers et pionnières de Touraine en Nouvelle-France *

 

 

par Françoise Deroy-Pineau1

 

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Françoise Deroy-Pineau lors d’une conférence donnée au campus de Longueuil le 13 mars 2008
Crédit : Gilles Durand

Statistiquement, la Touraine ne représente que 1,5% des pionniers fondateurs, pères et mères de la Nouvelle- France. C’est peu par rapport au Perche, à la Normandie et au Poitou-Charentes. Cependant, la proximité avec le pouvoir royal de l’époque en a fait le lieu d’origine de personnalités marquantes dans l’histoire de la Nouvelle-France.

La Touraine (actuel département d’Indre-et-Loire) est à l’ouest de la région Centre de la France. Elle est arrosée par la Loire et trois de ses affluents : le Cher, l’Indre et la Vienne. Ce sont les principales voies de circulation jusqu’à l’époque contemporaine.

Tours est la capitale de la Touraine. Sa richesse remonte au roi Louis XI qui en fit, au XVe siècle, la capitale de la France. Il reste de cette période de très belles maisons et églises. Au XVIe siècle, le roi François 1er réside souvent en son château d’Amboise (à l’est de Tours) où il fait venir Léonard de Vinci. Un natif de cette ville est le premier Tourangeau en Nouvelle-France : il faisait partie de l’équipage de Jacques Cartier dont Rabelais (de Chinon) connaissait l’un des capitaines. Tourangeaux et Tourangelles, au XVIIe siècle, celui de la fondation de la Nouvelle-France, demeurent proches de la cour et du pouvoir. Ils sont bien informés des nouveautés et du Nouveau Monde. Mais le Canada a mauvaise réputation et la province ne manque de rien. Donc, ses natifs ne sont pas portés à émigrer. Toutefois, un certain nombre d’intrépides compteront parmi les pères et mères de la Nouvelle-France.

Qui est pionnier ou pionnière ? Selon le critère choisi, le nombre des colons partis de Touraine vers le Canada peut varier de 33 à plus de 200. Nous en avons repéré environ 150, sans compter les dizaines partis en Acadie et introuvables, car les registres d’état civil n’y existent plus depuis le « Grand Dérangement ». L’ensemble des pionniers de Touraine vient principalement de Tours, Loches, Chinon et Amboise et autres lieux le long des rivières. Ils se répartissent – grossièrement – en six vagues d’émigration correspondant à des dates-clés de la fondation de la Nouvelle-France.

  1. 1632 : plusieurs dizaines de futurs Acadiens, menés par le commandeur de Razilly, de Chinon (1587-1635), le controversé Menou-d’Aulnay et Nicolas Denys, de Tours.
  2. 1639 : Marie Guyard de l’Incarnation et sa suite arrivent à Québec.
  3. 1650 : la fameuse famille Simon Denys débarque à Québec via l’Acadie.
  4. 1653 : sept membres de la « Grande recrue » viennent conforter la fondation de Montréal.
  5. 1665 : onze soldats + un officier du régiment de Carignan-Salières (26 autres soldats au cours du temps).
  6. 1665-1673 : quatre « Filles du Roi » viennent se marier et s’installer dans la vallée laurentienne. La plus fertile est Jeanne Languille d’Artannes, ancêtre des Allard. Elle aura 8 enfants et 26 481 descendants mariés au seuil du XXe siècle.

Gervais (ou Gervaise), de Souvigné et Perthuis dit Lalime, d’Amboise l’ont surpassée. Chrétien de Loches, Chagnon de (La Haye)-Descartes, Bénard de Villiers-au-Bouin, Chouinard de Beaumont-la-Ronce, Danis, de Montlouis, Testu du Tilly, de Panzoult, Marie dit Sainte-Marie sont aussi des Tourangeaux prolifiques qui ont participé à la naissance du nouveau pays.

D’autres pionniers ont été moins prolifiques, mais leur œuvre a compté, car ils furent des administrateurs de talent. Louis Rouer de Villeray (Amboise, 1629 – Québec, 1700), soldat, puis procureur et premier membre du conseil souverain, se distingue par sa carrière et son goût d’apprendre, tout au long de sa vie, le commerce, l’agriculture et le droit. Sa vaste bibliothèque, chose rare à l’époque, en a fait foi. Thomas-Jacques Taschereau de Sapaillé (Tours, 1680 – Québec, 1749), secrétaire de l’intendant Bégon en 1726, a développé la Beauce québécoise.

Enfin, des célébrités n’ont pas fait souche outre-Atlantique, mais y ont laissé trace dans l’Histoire :

  • le chevalier Huault de Montmagny (Tourangeau par son grand-père d’Azay-le-Rideau), premier gouverneur après Champlain ;
  • Pierre Le Voyer d’Argenson (de Mouzay), 3e gouverneur ;
  • Jacques du Chesneau, intendant, de Tours ;
  • Jacques de Meulles (intendant, Tourangeau par sa mère) ;
  • Jean Bochart (intendant dont l’épouse est Tourangelle) ;
  • François Bigot, le dernier intendant qui souleva le scandale ;
  • les marchands François Hazeur et Denis Riverin ;
  • les missionnaires Claude Trouvé et Jean-Mandé Sigogne.

Le cas de Paul-Joseph Lemoyne de Longueuil, né à Longueuil, près de Montréal, et militaire à la triste destinée mérite une mention : il a été chargé de veiller sur les familles des officiers français rapatriés en Touraine après la conquête anglaise de 1760.

Aucun (ou presque) de ces premiers colons n’aurait pu survivre sans l’aide apportée par les ursulines de Québec, fondées par la Tourangelle Marie Guyard de l’Incarnation considérée comme le troisième personnage de la Nouvelle-France après Cartier et Champlain. Dès le début de la colonie, elle s’est avérée une personne pivot essentielle. Lors d’une période critique à la suite de l’incendie du premier monastère construit par elle (sur le modèle de celui qui est actuellement une école de musique et qu’elle avait vu construire), les principaux habitants de Québec ont décidé, en 1651, de placer la reconstruction du monastère en priorité nationale. Même les conquérants anglais ont gardé les ursulines à Québec (comme les autres religieuses) et confié leurs filles à leur éducation. La manière dont Marie Guyard a mobilisé ses réseaux sociaux est typique de la détermination des personnes-clés parmi les pionniers lors de la naissance de la population de Nouvelle-France.

La première grammaire française est arrivée à Québec avec les ursulines. On dit que c’est en Touraine que l’on parle le meilleur français et que ce sont les femmes – mères de famille et enseignantes – qui ont gardé la langue française en Amérique du Nord. Cette coïncidence n’est peut-être pas fortuite et suffirait à elle seule pour expliquer les liens toujours actuels entre Touraine, Québec et Canada (jumelage entre les Villes de Tours et Trois-Rivières, centre franco-québécois interuniversitaire à l’Université François-Rabelais de Tours, présence de plusieurs associations franco-québécoises et franco-canadiennes en Touraine).

* Résumé d’une conférence prononcée au Campus de Longueuil de l’Université de Montréal, le 13 mars 2008.

 

1Sources :
  • H.Charbonneau, B. Desjardins et al., 1987, Naissance d’une population. Étude de démographie historique, Paris, PUF. Et précisions du Programme de démographie historique de l’Université de Montréal (PRDH).
  • F.Deroy-Pineau
  • 1992, Madeleine de La Peltrie, amazone du Nouveau Monde, Montréal, Bellarmin.
  • 1999 (1re éd. Robert Laffont, Paris, 1989), Marie de l’Incarnation, femme d’affaires, mystique, mère de la Nouvelle-France, Montréal, Bellarmin.
  • 2000 (coord.), Marie de l’Incarnation, un destin transocéanique, Paris, L’Harmattan. Spécialement les articles de Brigitte Maillard, Idelette Ardouin et Pierre Leveel.
  • Dubé, J.-C., 1984, Les intendants de la Nouvelle-France, Montréal, Fides, coll. Fleur de Lys.
  • Dictionnaire biographique du Canada en ligne
  • Fichier origine
  • Marie de l’Incarnation, Correspondance (1971) et Écrits spirituels et historiques (1985), Ursulines de Québec.
  • M. Trudel
  • 1976, Montréal, la formation d’une société 1642-1663, Montréal, Fides
  • 1983, Histoire de la Nouvelle-France, III-2, Montréal, Fides
  • 1999, Les écolières des Ursulines de Québec 1639-1686, Montréal, Hurtubise HMH
  • 2001, Mythes et réalités dans l’histoire du Québec (tome 1), Montréal, Hurtubise HMH, Biblio. québ.
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