Pourquoi commémorer Pierre-Stanislas Bédard ?
par Gilles Durand
De g. à d. Gilles Gallichan, historien
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Le 28 mai 2010 est jour de commémoration à l’hôtel du Parlement. La Société du patrimoine politique du Québec rappelle la mémoire de Pierre-Stanislas Bédard par la tenue d’un colloque, le dévoilement d’une statue et la présentation d’une exposition. L’ensemble de ces activités se veulent une commémoration du 2e centenaire de l’emprisonnement du député de la Chambre d’assemblée élu en 1792, de la saisie de la presse servant à l’impression du journal Le Canadien et de la prorogation par le gouverneur Craig de la session d’une Chambre qui réclame justice de l’administration coloniale britannique.
Le contexte dans lequel évolue Pierre Bédard
Pierre Bédard est un avocat de formation. Il se lance en politique dans un climat à la fois nouveau et difficile. Par la loi constitutionnelle de 1791, la Province de Québec est divisée en deux sections, le Bas-Canada majoritairement francophone, le Haut-Canada majoritairement anglophone. En même temps, le gouvernement britannique accorde une Chambre d’assemblée à l’un et à l’autre. Des élections sont tenues en 1792 et Bédard est élu à la Chambre du Bas-Canada. En 1806, le député bas-canadien se donne une 2e tribune en lançant le journal Le Canadien à titre de cofondateur et de corédacteur. Le contexte de l’époque est loin d’être facile. La minorité britannique utilise trois leviers à sa disposition pour faire obstacle à la Chambre d’assemblée : l’administration coloniale, composée du gouverneur et des conseils législatif et exécutif, qui ne se reconnaît pas responsable devant la Chambre; la magistrature dont les juges peuvent se faire élire et siéger comme députés; un journal, le Quebec Mercury, défendant les intérêts des marchands britanniques.
Pierre Bédard donne un levier à la société bas-canadienne pour prendre la place qui lui revient
Pierre Bédard prend fait et cause pour les Canadiens qui, selon lui, devraient jouir des mêmes libertés que les Britanniques sous la monarchie constitutionnelle anglaise. Il contribue à la définition des pouvoirs de la Chambre et au plein exercice de son rôle. S’appuyant sur les écrits des philosophes anglais et français dont Montesquieu, il réclame avec opiniâtreté et acharnement le contrôle du budget et la responsabilité du « ministère » – c’est-à-dire de gouvernement – devant les parlementaires, la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire de même que le paiement de subsides aux députés des circonscriptions éloignées pour faciliter leur présence en Chambre. Il joue un rôle dans la naissance des partis politiques en ralliant autour de lui une majorité de députés sous la bannière du Parti canadien et en s’en faisant le porte-parole.
Bédard est élargi sans procès par le gouverneur James Craig en avril 1811. Comme pour le dédommager, mais aussi pour éloigner un adversaire gênant des centres de décision, le successeur de Craig, George Prévost, le nomme juge du district de Trois-Rivières avec juridiction en matière de délits mineurs – fonction que Bédard exerce jusqu’à son décès en 1829. Dorénavant, Bédard, qui avait défendu l’inéligibilité des juges en Chambre, est tenu au devoir de réserve.
Pierre Bédard apporte une contribution durable à la création d’un espace public dans lequel les Canadiens peuvent s’exprimer.
Pierre Bédard se donne une 2e tribune pour exprimer et défendre les droits accordés aux Bas-Canadiens, dont l’exercice leur est refusé par le pouvoir colonial. Il destine le journal Le Canadien, qu’il lance en 1806, à l’éducation de ses compatriotes à la politique, aux institutions et à une meilleure connaissance de leur propre héritage. Par là, il permet l’émergence d’une opinion publique qui peut faire sentir son influence et soutenir les demandes du parti majoritaire en Chambre. À ce chapitre, Bédard fait œuvre durable. Deux fois Le Canadien disparaît, deux fois il renaît de ses cendres, en 1817 sous l’impulsion de son neveu Laurent Bédard, et en 1831 sous la plume d’Étienne Parent.
Pierre Bédard donne droit de cité au principal marqueur identitaire de la société bas-canadienne, la langue française
Un des premiers gestes posés par Pierre Bédard au lendemain de son élection est de réclamer une place plus grande pour le français. Il obtient une victoire partielle : l’usage du français est accepté dans les débats parlementaires et comme langue de traduction des textes de loi édictés en langue anglaise. Un tel gain n’en donne pas moins droit de cité au principal marqueur identitaire de la société bas-canadienne, la langue française. Il n’est pas sans être associé à l’éclosion du sentiment national.
Pour un compte rendu des événements du 28 mai 2010, incluant le colloque, et pour en savoir davantage sur Pierre Bédard :
- Gilles Gallichan, « Commémorations à l’Assemblée nationale : Pierre Bédard (1810-2010) », dans le Bulletin de l’Amicale des anciens parlementaires du Québec, vol 10, no 2, automne-hiver 2009-2010, p.62-65;
- Id., « Journée de commémoration dédiée à Pierre Bédard », Ibid., vol 11, no 2, automne 2010, p. 48-52;
- Brochure de l’exposition par Gilles Gallichan, Pierre-S. Bédard : L’honneur et la justice, présentée à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2010, 20 p.
- Id., « Pierre Bédard, le devoir et la justice : 1re partie – La liberté du Parlement et de la presse », dans Cahiers des dix, no 63, 2009, p. 101-160;
- Diffusion sur la canal de l’Assemblée nationale d’une émission de la série Figures de la démocratie consacrée à Pierre Bédard