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Présentation du récipiendaire. Monsieur Marcel Masse

Présentation du récipiendaire. Monsieur Marcel Masse

 

par Pierre Nora de l’Académie Française

 

Présentation des insignes

Crédit : Georges Poirier

Cher Marcel Masse, que vous m’ayez demandé, à moi, de vous remettre les insignes de Commandeur dans l’Ordre des Palmes Académiques est un grand honneur, et une marque d’amitié à laquelle je suis très sensible – Que cette cérémonie tout amicale se déroule ici, aux Archives nationales, dans le salon ovale du palais de Soubise, la charge pour moi d’un sens plus fort, car c’est là que m’a été remise, il y a sept ans, mon épée d’académicien.

La première chose à vous dire, et qui pourrait être la seule, est que cette distinction, décernée, à titre exceptionnel, à des étrangers qui ont particulièrement contribué au rayonnement de la culture française, vous revenait de droit et qu’elle aurait dû vous être remise depuis longtemps. Car depuis que, à trente ans, en 1966, vous vous êtes retrouvé ministre de l’Éducation – le plus jeune des ministres du Québec –, vous n’avez cessé, dans toutes les hautes fonctions politiques que vous avez exercées, tant au Québec qu’à la Chambre des communes du Canada, de vous faire l’avocat, le défenseur, le promoteur de la langue et de la culture françaises, un de ces « passeurs d’océan » que nos amis Geneviève et Philippe Joutard célèbrent si bien dans leur livre sur La Francophilie en Amérique.

Vous avez eu la responsabilité du suivi des sommets de la Francophonie. Vous avez été président du Conseil de la langue française du Québec, délégué du Québec en France. Quand, au niveau fédéral, vous avez été ministre de la Défense, vous avez bataillé pour imposer le français. Et j’allais oublier de rappeler que ministre délégué à l’accueil des chefs d’État en 1967, c’est vous qui avez accueilli le général de Gaulle et assisté à la fameuse exclamation « Vive le Québec libre! ». Cette Défense et illustration de la langue française, pour reprendre le titre du livre de Joachim du Bellay, c’est presque le fil rouge de votre carrière, si riche; sans parler de la « Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs » ni de l’« Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française », vos deux grandes créations personnelles auxquelles, bien entendu, je vais arriver.

 

Marcel Masse remercié

Crédit : Gilbert Pilleul

Mais auparavant, je voudrais vous dire le souvenir si chaleureux, si généreux, que je conserve de l’accueil que vous m’avez réservé à Québec, il y a une douzaine d’années, quand vous avez organisé le premier séminaire sur le projet des « lieux de mémoire » et quand j’y suis revenu pour recevoir le doctorat honoris causa de l’Université Laval, dont je suis si fier. Vous m’avez initié au Québec, fait rencontrer, avec mon ami le professeur Bogumil Koss, des historiens avec lesquels je suis resté en rapport, comme Jacques Mathieu. Et surtout, surtout, vous m’avez entraîné, avec Jacques Revel, dans une virée inoubliable pour aller voir au Cap Tourmente le fameux envol des oies, qui étaient toutes au rendez-vous, avec retour commenté par le Chemin du Roi.

Il y a chez vous un enthousiasme permanent, une chaleur communicative, un pouvoir d’entraînement qui ont dû faire merveille pour les causes que vous avez défendues, à commencer par celle qui motive votre distinction et qui nous rapproche l’un de l’autre : la cause de l’histoire et de la mémoire.

Vous êtes, à votre manière, un « homme-mémoire », attaché à sauver ce que Philippe Joutard – encore lui – appelle un « héritage ambigu ». Vous remontez le courant d’oubli, vous exhumez en archéologue les couches successives de la mémoire française en Amérique. Vous vous attachez à la ressusciter, à en inventorier les marques et les traces.

C’est pourquoi votre projet le plus ambitieux – en attendant un autre, encore plus ambitieux, dont vous m’avez parlé, sur les mots clés de la démocratie – est bien la mise en œuvre de cette « Encyclopédie du Patrimoine culturel de l’Amérique française » que vous avez lancée en 2008, comme président-fondateur de la société « Héritage de Champlain », dont on a célébré l’année dernière le 400e anniversaire de la fondation de Québec.

 

L’entreprise consiste à suivre, à partir du présent, le parcours des biens patrimoniaux de toute nature et leur mise en valeur dans le temps; l’adaptation progressive des éléments français aux milieux autochtone, britannique, américain ; leur acculturation, en quelque sorte, sans négliger les apports québécois ou canadiens à la France, comme, par exemple, cet arbre emblème offert par le Québec au château de Versailles après la tempête de 1999. Plus de cinq cents articles de deux à huit pages (cinq cents à deux mille mots) rédigés par des spécialistes des deux continents et complétés par un ensemble de documents textuels, sonores, visuels, audiovisuels, dans un montage attrayant. Le tout – c’est là l’originalité – diffusé sur un site web bilingue, avec une section interactive spécialement conçue pour un public jeune. Et même accompagné de projets originaux, comme un concours de la chanson française proposé aux élèves de la fin du secondaire. Les sujets sont d’une extraordinaire variété, touchant tous les aspects de la vie sociale, tous les acteurs de l’histoire, tous les domaines du savoir : architecture, économie, ethnologie, muséographie, tourisme. Autant de foyers de mémoire dans une mise générale en réseau.

L’entreprise est d’envergure. Pour la réaliser, vous avez su trouver des capitaux, l’essentiel venant du Patrimoine canadien. Vous avez su aussi trouver l’équipe de collaborateurs, avec pour directeur le professeur Laurier Turgeon et M. Martin Fournier comme coordinateur. Et le succès est au rendez-vous, puisqu’au printemps prochain deux cents articles seront en ligne et que déjà cinquante mille personnes ont consulté le site. L’affaire est bien partie.

Mais ce qui motive plus précisément encore la distinction qui vous est aujourd’hui remise et qui nous a donné l’occasion de nous rencontrer, c’est cette commission bi-nationale des lieux de mémoire communs qu’en décembre 1996 vous avez créée quand vous étiez délégué général du Québec en France, et que vous avez présidée pendant près de dix ans, conjointement avec M. Henri Réthoré, ancien consul général de France au Québec, que je salue ici bien amicalement – commission aujourd’hui présidée par MM. André Dorval et Pierre-André Wiltzer.

Le « Monsieur lieu de mémoire » ici, chacun le sait sans doute, c’est moi. Et nous n’avons pas tout à fait la même idée de cette notion. Mais il faut bien reconnaître que la plasticité même de la notion, qui a fait son succès, permet les interprétations et les adaptations les plus diverses, puisqu’en France même, et par la voix de Jack Lang, alors ministre, c’est la défense de la piscine Molitor et du Fouquet’s convoité par un Japonais ou un Arabe qui a popularisé l’expression – va donc pour les lieux de mémoire franco-québécois, qui sont, en fait, les lieux d’une histoire commune, les repères culturels qui, depuis quatre cents ans, subsistent au niveau local, régional, national, d’une histoire imbriquée.

Il faut dire que le Québec était véritablement prédisposé à voir naître une initiative de cet ordre : un pays saturé de mémoire historique, jusqu’aux plaques automobiles et leurs inscriptions « je me souviens » ; un « pays-mémoire » dont la France a été, précisément, la cellule souche. Mais il fallait un Marcel Masse pour se livrer à ce travail d’animateur, ou plutôt de réanimateur, qui a su, des deux côtés de l’Atlantique, regrouper plus d’une cinquantaine de membres, mettre sur pied des comités thématiques selon les sujets : musées, commémorations, toponymie, généalogie ; un immense travail d’exhumation et de résurrection des traces et des liens, oubliés et inattendus, que la Vieille et la Nouvelle France ont tissés entre elles.

C’est ainsi que la commission a su organiser tous les ans, tantôt à La Rochelle, tantôt à Québec, des colloques à thèmes spécialisés et en assurer la publication ; constituer un portail informatique sur les musées de l’Amérique française ; animer un réseau d’archives et d’archivistes ; poursuivre une vaste enquête toponymique.

Je pourrais continuer longtemps à disserter sur les mérites de Marcel Masse et de son œuvre. Je crois en avoir dit assez pour justifier l’octroi des Palmes académiques dont je vais maintenant vous remettre les insignes de Commandeur.

 

Archives nationales de France
Chambre et salon ovale du Prince
Hôtel de Soubise
Paris

Mardi, 13 octobre 2009

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