Un nouveau dictionnaire du français : Le français vu du Québec
par Hélène Cajolet-Laganière
Professeure, codirectrice du projet
Université de Sherbrooke
Un groupe de recherche multiuniversitaire et multidisciplinaire, centré à l’Université de Sherbrooke, travaille présentement à la préparation d’un dictionnaire général du français qui réponde aux besoins de communication des francophones du Québec et du Canada, c’est-à-dire qui prenne en compte le contexte référentiel québécois et nord-américain, tout en assurant les liens avec le reste de la francophonie.
L’essentiel des travaux du groupe de recherche consiste à décrire le français contemporain d’usage public, représentatif de l’activité sociale, culturelle, économique, politique et scientifique au Québec, incluant le vocabulaire que nous partageons avec l’ensemble de la francophonie.
Pourquoi ce nouveau dictionnaire?
Parce que les dictionnaires usuels disponibles actuellement au Québec sont conçus et élaborés en France. Ces ouvrages rendent compte de réalités sociales, historiques, géographiques, administratives et culturelles avant tout françaises et européennes et accueillent avec parcimonie les spécificités linguistiques et culturelles d’ici et du reste de la francophonie, en les marquant comme des régionalismes (de Suisse, de Belgique, du Québec, d’Afrique, des Antilles, etc.).
Or le Québec a un environnement naturel (une faune et une flore) nord-américain particulier, des institutions politiques, sociales, culturelles, scolaires, qui diffèrent de celles de l’Europe; il possède également une expertise reconnue dans des domaines diversifiés (acériculture, aluminerie, avionnerie, hydroélectricité, etc.). Aussi, des milliers de mots, de sens et d’expressions traduisent ces spécificités, mais sont absents des dictionnaires; il en va de même pour les citations des textes de nos meilleurs écrivains et journalistes reconnus, pour nos sigles et acronymes, nos gentilés, nos proverbes et locutions, etc. Il nous revient donc de procéder à une description du français vu d’ici, en établissant des ponts avec toute la francophonie, et de contribuer ainsi à la modernité et à l’enrichissement du français.
La langue au quotidien : lexique et norme
L’objectif du projet consiste à décrire le français standard en usage au Québec dans un contexte canadien et nord-américain et à le mettre à la disposition du grand public.
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Les Québécois attendent d’un dictionnaire général qu’il les informe sur le bon usage. Ils veulent connaître, d’une part, les emplois « acceptés », et d’autre part, les emplois « critiqués », de même que les emplois qui peuvent varier selon la situation de communication. Ils souhaitent également que les mots et les emplois caractéristiques du Québec, et ceux caractéristiques de la France, soient clairement identifiés. Cette description des spécificités linguistiques québécoises et nord-américaines, en lien avec les usages en France, est primordiale pour la modernisation du français et l’enrichissement de toute la francophonie.
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L’ouvrage est particulièrement important pour le personnel enseignant, à qui l’on demande de placer la culture au centre de son enseignement et de juger de la qualité de la langue des élèves selon un standard d’ici, auquel il n’a pas accès. Les enseignants et les élèves y trouveront des descriptions et des citations correspondant à ce qu’ils lisent dans les œuvres littéraires, dans les journaux et les revues, dans les textes techniques et scientifiques, etc., tout en étant à même de faire le lien avec le français utilisé par les autres francophones.
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Cet outil est également essentiel pour tous les nouveaux arrivants, qui ne trouvent nulle part ailleurs, du moins en un lieu concentré et facile d’accès, les éléments qui définissent la référence culturelle de leur terre d’accueil. En fournissant ce soutien à la sensibilisation et à l’apprentissage du français ayant cours au Québec, en France et dans la francophonie, ce dictionnaire devient un puissant facteur d’intégration.
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Cette description de la langue d’ici est aussi urgente dans l’optique des outils informatiques modernes. Au regard des logiciels de correction orthographique et de reconnaissance vocale, un nombre important de mots, de gentilés, de féminins de titre ou de fonction, de sigles ou d’acronymes, etc., ne sont pas pris en compte actuellement par les dictionnaires-machines intégrés dans les traitements de texte. Ils soulignent donc en rouge, comme s’il s’agissait d’une erreur, des mots tout à fait standard au Québec et au Canada. Cela engendre de la confusion chez l’utilisateur de ces outils.
Un ancrage nord-américain
Le Dictionnaire de la langue française, Le français vu du Québec, décrit avec précision les réalités propres à l’Amérique. Il rend compte de notre ancrage nord-américain; il offre une description du monde à laquelle les Québécois et les Nord-Américains peuvent s’identifier. Nous appartenons sans réserve à la francophonie, mais nous sommes intrinsèquement ancrés en Amérique du Nord et souhaitons une cohabitation des points de vue européen et nord-américain dans un dictionnaire usuel du français. L’ouvrage reflète la réalité nord-américaine dans tous les domaines.
Une prise en compte de la variation géographique
Ce Dictionnaire de la langue française se distingue des autres dictionnaires, tant québécois que français, dans la manière de traiter les emplois caractéristiques de la France et du Québec pour rendre compte de la variation géographique du français dans le contexte québécois et nord-américain. L’ouvrage cerne le tronc commun du français et identifie, dans la mesure du possible, à la fois les emplois qui caractérisent l’usage québécois du français et ceux qui caractérisent son usage en France. Les spécificités du Québec et de la France sont indiquées par des marques et indicateurs géographiques qui permettent de faire le pont entre les usages respectifs. La marque UQ indique un emploi caractéristique de l’usage du français au Québec; la marque UF, quant à elle, indique un emploi caractéristique de l’usage du français en France. Dire d’un emploi qu’il est caractéristique d’un usage n’implique pas nécessairement qu’il lui soit exclusif. Un mot peut continuer à être perçu comme caractéristique de l’usage européen même si un certain nombre de Québécois commencent à l’utiliser, et vice versa.
Un apport culturel primordial
Par les mots, les sens et les exemples qu’il contient, le dictionnaire reflète le monde dans lequel vit une nation. Si les Français et les Québécois partagent la même langue, ils n’utilisent pas toujours les mêmes mots et ils donnent à certains mots des sens différents. Des milliers de mots et de sens font état de notre manière d’être, de penser et de vivre, des mots et des sens dont nous avons besoin dans le cadre de notre vie sociale, politique, économique, culturelle, sportive, etc.; il importe de les décrire adéquatement. Ces spécificités se rencontrent dans tous les domaines de la vie courante et professionnelle : nos institutions politiques, juridiques, économiques et administratives; notre faune, notre flore et notre environnement; nos spécificités sportives; nos spécificités dans le domaine de l’éducation; nos spécificités médicales; la féminisation des titres de fonction, etc. L’ouvrage fait en outre une place de choix pour nos auteurs littéraires, nos journaux, revues et magazines; nos gentilés (dénomination des habitants par rapport au lieu où ils habitent), nos sigles et acronymes; nos proverbes, dictons et locutions. Enfin, quelque 80 articles thématiques signés par des spécialistes reconnus décrivent nos réalités linguistiques, culturelles, sociales et géographiques.
Un outil pédagogique incomparable
Le Dictionnaire de la langue française, Le français vu du Québec, se prête bien sûr aux utilisations conventionnelles : vérification de l’orthographe, du sens des mots, recherche de synonymes et d’antonymes, de particularismes, etc. Il est aussi un guide en matière de bon usage ou d’usage légitime accepté et reconnu de la francophonie d’Amérique, en fournissant des précisions quant aux contraintes régissant certains emplois : registres de langue, connotations particulières, emplois critiqués ou recommandés, etc. Il est enfin, grâce notamment à son système de renvois, un instrument privilégié pour l’apprentissage et l’enrichissement du lexique ainsi que de la culture d’expression française, tant québécoise que francophone. L’ouvrage présente clairement l’ensemble des propositions des rectifications orthographiques, de même que les autres variantes et les pluriels de tous les mots et fait le pont avec l’enseignement de la grammaire nouvelle.
L’équipe
Le Dictionnaire de la langue française, Le français vu du Québec, est le fruit d’un travail multiuniversitaire et multidisciplinaire, sous la direction éditoriale d’Hélène Cajolet-Laganière et de Pierre Martel, et sous la direction informatique de Chantal-Édith Masson. Mener à terme un tel projet nécessite un travail d’équipe constant et des collaborations dans différents domaines de la linguistique et de l’informatique. Il importe en premier lieu de souligner le travail intensif de l’équipe de recherche : quelque 30 professionnels et professionnelles de recherche et professeurs de l’Université de Sherbrooke et de l’Université Laval. Le travail également de plusieurs professeurs et chercheurs de l’Université du Québec à Montréal et à Trois-Rivières, des universités de Montréal, de Moncton, d’Ottawa, et de Mc Gill, ainsi que tous les membres du comité scientifique chapeautant le projet. Il faut également mentionner l’aide inestimable du Trésor de la langue française de Nancy, de l’Office québécois de la langue française (OQLF), du Conseil supérieur de la langue française (CSLF), de l’Union des écrivains du Québec (UNEQ), etc. Le projet a été financé par le gouvernement du Québec, l’Université de Sherbrooke, notamment la Faculté des lettres et sciences humaines, la Fondation de l’Université de Sherbrooke et le Conseil régional de développement de l’Estrie.
La version préliminaire du dictionnaire en ligne comprend :
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Plus de 60 000 mots traités.
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Plus de 20 000 articles complets.
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Quelque 20 000 articles (en révision), présentant néanmoins la vedette, les variantes orthographiques, les informations lexicogrammaticales, la prononciation, l’étymologie, de même qu’un tableau des formes.
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Quelque 5000 tableaux de conjugaison.
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Plus de 60 articles thématiques.
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Une petite grammaire du verbe.
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Un lexique d’acadianismes.
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Quelques milliers de sigles, d’acronymes et d’abréviations.
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Quelques milliers de gentilés et de toponymes.
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Quelques centaines de proverbes, locutions latines, dérivés de noms propres.
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Une série de fonctionnalités très conviviales, permettant d’exploiter l’ensemble des contenus de l’ouvrage.
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Cette version préliminaire en ligne sera enrichie au fur et à mesure de la révision des articles et sera complétée en 2009.
Pour la lecture des articles, nous renvoyons le lecteur au site : http://franqus.usherbrooke.ca/.