Une découverte majeure sur un site de Cap Rouge
Le lieu d’établissement de Cartier et de Roberval
Cinquante ans d’efforts récompensés
Depuis les débuts de la Nouvelle-France, l’embouchure de la rivière Cap Rouge est connue comme le lieu de la première tentative de colonisation française en Amérique; celle-ci s’y est déroulée entre le 23 août 1541 et le 22 juillet 1543 sur une période presque continue d’environ 23 mois. Le lieu et l’événement ont été perpétués dans la mémoire grâce surtout aux récits officiels des expéditionnaires, Cartier et Roberval, même s’il ne subsiste aujourd’hui aucune copie originale de leurs manuscrits. Plus de quatre cents ans plus tard, les archéologues ont commencé à rechercher les traces de cet établissement sur les hauteurs du Cap Rouge à l’arrière de l’actuelle marina, et ce n’est qu’une cinquantaine d’années plus tard que leurs efforts furent récompensés soit le 20 octobre 2005.
L’âge du site est corroboré : entre 1540 et 1550
Artefacts découverts et leur position
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Cette journée mémorable, l’archéologue, Yves Chrétien, mandaté par la Commission de la capitale nationale du Québec, mit au jour à quelques dix-huit centimètres de profondeur un tesson d’une faïence très inusitée dont il s’empressa de vérifier, le soir même, l’origine culturelle de même que l’âge. La bonne fortune était de son côté car un fragment similaire trouvé sur le site Internet du musée de la Floride portait des motifs similaires ce qui lui permit d’estimer que le fragment était de style Istoriato et pouvait être d’origine italienne, plus particulièrement d’une production datée entre 1540 et 1550.
Aujourd’hui, sept datations au carbone-14 donnant des résultats dans la première moitié du 16e siècle (probabilité de 68%) viennent corroborer l’âge du site. Aussi, plusieurs fragments de poterie des Iroquoïens du Saint-Laurent trouvés en association avec le matériel européen constituent un marqueur chronologique compatible puisque cette population amérindienne avait disparu des basses terres du Saint-Laurent au début du 17e siècle.
Il n’en fallait pas plus pour que tous les autres éléments de la découverte prennent leur juste signification. Ainsi, il était permis de croire que la grande quantité de charbon de bois et d’argile cuite associée à cette faïence et aux objets de fabrication européenne tels que clous forgés à tête large et aplatie, céramiques diverses, perle de verre de forme cylindrique et de couleur noire, fragment d’un bol en bois, etc. pouvait représenter les ruines des établissements de Cartier et/ou de Roberval.
L’hypothèse de la présence de Cartier et de Roberval se confirme en 2006
Des fouilles furent entreprises en juillet 2006 afin de compléter l’évaluation de la découverte. À cette fin, la direction des interventions fut accordée à une équipe d’archéologues, composée de Yves Chrétien, Richard Fiset et Gilles Samson. Les résultats ainsi que plusieurs avis d’experts québécois et étrangers permirent de confirmer hors de tout doute que les archéologues avaient non seulement mis au jour une occupation du 16e siècle mais également les restes carbonisés d’une construction de bois qui pouvait fort bien représenter un élément architectural des forts de Cartier et de Roberval. Aussi, tout laissait croire qu’un incendie majeur s’y était produit pour réduire en cendres un édifice sur la frange sud du site, et par le fait même altérer par sa chaleur intense l’ensemble des objets qui s’y trouvaient.
Parmi les objets notables, outre la faïence de style Istoriato aux couleurs orangées et aux motifs de dauphins et de feuilles stylisées, on retrouva une magnifique hache utilisée pour l’abattage des arbres, des creusets de terre cuite réfractaire généralement associés à l’exploration minière, et plusieurs fragments probables d’une assiette ou d’un plateau de verre translucide; ce dernier élément, s’il s’avérait exact, ainsi que la faïence, sont considérés des produits de luxe qui auraient fort bien pu appartenir à des gentilshommes ou à Roberval lui-même.
Le site archéologique est la résultante de deux hommes, deux œuvres aux parcours très distincts, et il sera intéressant par les fouilles d’y déchiffrer si possible leur marque respective. Cartier, le marin et l’explorateur catholique, fort d’un voyage probable au Brésil en 1524, se fait connaître auprès de François 1er par l’abbé Jean Le Veneur, évêque de Saint-Malo. Il en résulte l’obtention de subsides pour deux voyages au Canada (1534 et 1535-36) dont les succès lui permettent d’en proposer un troisième axé sur l’établissement d’une colonie, ce qui lui est encore une fois accordé en octobre 1540. Ainsi, il peut envisager de compléter son œuvre, réaliser sa grande ambition qui est aussi celle de son roi, soit découvrir un passage vers l’Asie et mettre la main sur les richesses, or et épices du royaume du Saguenay.
Cartier et Roberval, des pères fondateurs qui se succèdent
Toutefois, c’était pas sans compter sur les intentions d’un personnage de la cour, Jean-François de la Roque, sieur de Roberval. Ce dernier, un militaire et courtisan huguenot, très proche du roi, s’interposa pour lui ravir le mandat de diriger cette première entreprise de colonisation française en Amérique qui survient après celle des Vikings à Terre-Neuve vers l’an mille et celle non localisée du Portugais, Joao Alvares Fagundez au Cap Breton en 1521. Donc, en janvier 1541, ce seigneur de Picardie, criblé de dettes mais partageant les ambitions de découverte des Indes et surtout de ses ressources, reçut du roi les pleins pouvoirs de l’aventure américaine qui lui apparaissait sans doute comme un moyen de se refaire financièrement.
Au moment du départ, à Saint-Malo, le 15 avril 1541, cette expédition conjointe de Cartier et de Roberval, composée de cinq navires avec des approvisionnements pour deux ans, fait face à un obstacle de taille : Roberval n’a pas pu réunir à temps son armement et son artillerie, ce qu’il juge crucial pour la réussite de l’entreprise. Cartier devra donc partir seul le 25 mai et espérera l’arrivée de son chef tout au long de son séjour au Cap Rouge. Un an plus tard, en juin 1542, il décidera de mettre les voiles n’ayant pu trouver de passage du côté de Hochelaga mais, espère-t-il, avec ses cales chargées de barils d’or et de diamants. À l’escale de Saint-Jean, Terre-Neuve, les deux hommes se croisent mais Cartier, à l’encontre du désir de son chef, refuse de revenir prétextant le harcèlement des Stadaconiens. L’huguenot devra donc vivre seul son séjour au Canada avec ses cent cinquante colons, hommes et femmes.
À son arrivée, à l’instar de Cartier, il édifie lui aussi un fort sur le promontoire du Cap Rouge et un second au bas de la falaise. Il décrit celui d’en haut comme étant composé de : « deux Corps de logis, une grosse Tour, et une autre de la longueur de quarante ou cinquante pieds, où il y avait diverses Chambres, une Salle, une Cuisine, des Chambres d’office, des Celliers, haut et bas, et proche d’iceux il y avait un Four et des Moulins, aussi un Poêle pour y chauffer les gens, et un Puits au devant de la maison ». C’est cet ensemble architectural de même que celui indéterminé de Cartier, qui feront l’objet des recherches archéologiques, constituant le site connu par son code Borden, CeEu-4, attribué par le ministère de la Culture et des Communications dans son Inventaire des sites archéologiques du Québec. Ce site est aujourd’hui protégé par la Loi sur les biens culturels du gouvernement du Québec.
La sauvegarde du site malgré l’usure du temps
Vue du site archéologique Cartier-Roberval
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Maintenant, nous savons que le site du moins en partie a survécu miraculeusement au temps. En effet, il en subsiste au moins environ cinq cent mètres carrés malgré l’installation, au XIXe siècle, de la villa « Redcliffe », de William et Henry Atkinson, avec ses écuries, ses jardins, son boulingrin et sa tourelle d’observation. Ensuite, vers 1906, le pont ferroviaire de la compagnie Canadien National, communément appelé le « tracel » de Cap Rouge par les gens de Québec, est venu empiéter une seconde fois sur une portion encore indéterminée de cet ensemble patrimonial qui est maintenant devenu la propriété de la Commission de la capitale nationale du Québec. C’est d’ailleurs cet organisme qui eut la maîtrise d’œuvre des recherches initiales sur le site et qui poursuivra son œuvre au cours des prochaines années en espérant clôturer le tout par un projet de mise en valeur à proximité du lieu de la découverte.
Tous les espoirs sont permis pour la mise en valeur
Quelle sera la contribution du site archéologique à l’histoire? Déjà, on peut envisager la production effervescente d’idées et d’hypothèses nouvelles sur l’existence ou non de forts distincts pour les deux épisodes de colonisation de même que des réponses à des questions déjà posées sur les relations entre les deux hommes ou de nouvelles avenues de recherche sur les fortifications de campagne et l’armement du XVIe siècle ou sur la Renaissance en général.
Aussi, on pourrait assister à une certaine revitalisation de la recherche biographique sur Cartier et Roberval de même que sur leurs péripéties au Canada, en Amérique et en Europe comme cela s’est produit au moment de la période du 400e anniversaire de Cartier au Canada (1934-42). Enfin, un regard nouveau se portera sur de nombreux petits détails de l’histoire à partir des archives ou des résultats de recherche archéologique dont la culture matérielle et l’organisation de leurs installations à Cap Rouge.
Un des sites archéologiques les plus importants en Amérique du Nord
La littérature historique à propos des voyages de Cartier est astronomique. Elle lui confère une place de choix dans l’histoire des découvreurs du Nouveau-Monde. Le site archéologique pourra espérer quant à lui se ranger parmi les plus importants de l’histoire de l’Amérique du Nord à côté de ceux de l’Anse-aux-Meadows, Red Bay, Jamestown, l’Habitation de Champlain, l’Île Sainte-Croix, Port-Royal, Cupids, etc. Toutefois, il lui reste à continuer à produire ses fruits dont des infrastructures militaires et résidentielles, ses limites, et d’une façon générale, après fouilles et analyses, à nous renseigner plus abondamment encore sur cette expérience européenne longtemps perçue comme une tentative de colonisation mais aussi, faut-il le rappeler, d’enrichissement personnel. Car, lors de ces voyages en Canada, ne se confondaient-ils pas la soif du savoir et l’appât du gain et, en réalité, la colonie n’était-elle pas que le moyen légal de s’approprier le territoire dit « fabuleux »?
Gilles Samson, archéologue, Ph.D., membre du Groupe de direction du Projet archéologique Cartier-Roberval, Commission de la capitale nationale du Québec et ministère de la Culture et des Communications du Québec, Québec, novembre 2006
(lu et commenté par Yves Chrétien, Ph. D., et Richard Fiset, Ph. D., archéologues du Groupe de direction du Projet archéologique Cartier-Roberval, Commission de la capitale nationale du Québec ainsi que Nicolas Giroux, historien , responsable du Projet archéologique Cartier-Roberval, Commission de la capitale nationale du Québec ).
Autres textes : http://www.capitale.gouv.qc.ca/
Tracel de Cap-Rouge :
http://www.netrover.com/~capaigle/Ponts/CAPROUGE.htm