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Victor Morin : héraut du patrimoine canadien-français

Victor Morin :
héraut du patrimoine canadien-français

 

Par Diane Joly
Art, histoire et patrimoine


Victor Morin est surtout reconnu pour être l’auteur du code Morin régissant les assemblées délibérantes. Sa contribution au patrimoine est méconnue. Pourtant, il s’agit d’une des figures marquantes de la première moitié du XXe siècle dans ce domaine alors qu’il se retrouve à l’origine d’activités publiques d’envergure mettant en valeur le patrimoine canadien-français1.

Victor Morin.

Victor Morin (détail)
Photographie : Dupras & Colas – Vers 1910
Crédit photo : BAnQ, centre de Québec, fonds P1000,S4,D83,PM122-2

Victor Morin (1865-1960) naît à Saint-Hyacinthe dans une famille de cinq enfants qui décèdent tous à la naissance ou en bas âge. Il devient orphelin à huit ans. Quelques années plus tard, sa mère se remarie et le jeune Victor connaît enfin les joies d’avoir un frère et des sœurs. Il fait sa formation classique au collège de Saint-Hyacinthe et il s’inscrit ensuite à l’Université Laval à Montréal pour entreprendre des études en notariat. Il fait sa cléricature au cabinet Marin et Papineau. En 1888, il retourne dans sa région natale exercer sa profession. Deux ans plus tard, les partenaires de son ancien cabinet le relancent et l’invitent à se joindre à eux. Morin s’installe à Montréal. Ambitieux, il adhère à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM) où il devient rapidement un membre influent.

Au tournant du XXe siècle, ceux qui s’intéressent au patrimoine ont peu de ressources. Il y a la Société d’archéologie et de numismatique de Montréal (SANM) pour les monuments anciens et la Société historique de Montréal (SHM) pour l’histoire. À cette époque, la SHM peine à recruter et elle manque de dynamisme. Quant à la SANM, elle réunit des personnes influentes des deux groupes culturels. Elle est dynamique, offre un bal annuel réunissant le gratin montréalais et elle possède un musée ouvert au public.

Alphonsine et Victor Morin, bal annuel de la SANM, 1937.

Alphonsine et Victor Morin, bal annuel de la SANM, 1937
Photographie : Conrad Poirier, 9 décembre 1937
Crédit photo : BAnQ, centre de Montréal, fonds P48,S1,P1778

Morin s’inscrit donc à la SANM en 1898. Mais, ce n’est qu’en 1908 qu’il s’engage sur le conseil d’administration. Il demande ensuite à être admis à la SHM qui attire maintenant un grand nombre de personnes et il est toujours à la SSJBM.

L’un des premiers gestes publics de Victor Morin envers le patrimoine a lieu en 1912 lorsque la Ville projette d’ouvrir le boulevard Saint-Laurent. Cette décision nécessite la destruction de l’église Notre-Dame-de-Pitié. Morin fait appel aux journaux pour critiquer les élus. Il suggère, sans succès, de créer un îlot et que le bâtiment devienne un musée.

En 1915, Victor Morin est président de la SSJBM. L’année suivante, il est admis à la Société royale du Canada et il accède à la présidence de la SHM. Morin, qui a surtout agi à ce jour comme un défenseur du patrimoine, redirige ses actions vers la diffusion. Il veut ainsi amener les Canadiens français à percevoir certains objets comme faisant partie d’un legs des ancêtres, leur héritage collectif. Sa contribution la plus significative est sa capacité à faire appel à son vaste réseau pour l’exécution de mise en scène du patrimoine au moyen d’activités publiques à grand déploiement.

Qu’est-ce que le patrimoine à compter de 1915? D’abord les monuments anciens surtout s’ils datent du Régime français. Paradoxalement, au Québec, une loi protégeant le patrimoine immatériel vient d’être adoptée. Pourtant, dès cette période, des chercheurs comme Édouard-Zotique Massicotte et Marius Barbeau affirment que des objets tels que chants populaires, croix de chemin, ceintures fléchées et savoir-faire font partie de l’héritage québécois.

Morin est à l’origine de trois activités publiques d’envergure et de plusieurs initiatives. En 1917, il conduit la première visite guidée dans le Vieux-Montréal au cours de laquelle il mentionne l’importance historique de monuments, critique des restaurations et souligne la perte de bâtiments anciens. Il éduque ainsi les participants à l’importance de l’authenticité et de la conservation de monuments.

En 1918, une équipe, dirigée par Morin, offre une soirée de folklore inaugurale où sont présentés des contes, des danses, des chansons et des légendes. À cette époque, on estime que le folklore patrimonial est constitué d’objets ayant au moins cinquante ans et qui ne sont plus pratiqués, du moins, qui sont en voie de cesser de l’être. Chaque séance est précédée d’un discours de Morin qui explique aux spectateurs l’importance du folklore pour les Québécois 2 et leur valeur patrimoniale.

En 1925, la SSJBM présente son défilé avec un thème jamais vu encore de toute l’histoire de la société. La procession met en valeur la culture canadienne-française. Parmi les objets exposés figurent des coutumes anciennes, du folklore, des objets comme les croix de chemin et des savoir-faire dont la fabrication du sirop d’érable. Des tableaux vivants montrent à la foule comment s’exécutaient des pratiques révolues. D’autres participants motivent les spectateurs à chanter les chansons populaires au passage des chars3.

Victor Morin donne aussi plusieurs conférences publiques à la radio sur les monuments et le folklore. Il rédige des articles sur le Vieux-Montréal. À la SSJBM, il favorise le lancement de concours littéraires mettant en valeur le patrimoine des croix de chemin et la coutume des corvées. L’une de ses contributions des plus visibles est la croix du Mont-Royal. Enfin, Morin est aussi l’instigateur d’une école pour les guides touristiques de Montréal.

En 1922, le gouvernement du Québec adopte une première loi de protection des monuments et elle crée la Commission des monuments historiques (CMH). Morin est nommé sur le comité fondateur.

À compter de 1925, Victor Morin se retire peu à peu de la scène publique. Il quitte la présidence de la SSJBM, accède à celle de la SANM en 1927; mais, cesse de diriger la SHM peu après. À la SANM, Morin se consacre au musée et à faire classer le château. En 1929, la CMH recommande la protection du bâtiment qui devient le premier monument historique classé au Québec.

Au cours des années 1930, Victor Morin est plus discret sans ralentir son implication dans le patrimoine. Il multiplie les conférences à la radio et il siège sur plusieurs comités de fondation de musées. En 1936, il est l’un des membres fondateurs de la Société des Dix.

Victor Morin décède le 30 septembre 1960 à 96 ans. Il avait épousé en première noce Fannie Côté, qui succombe à la naissance de leur fils. Sa seconde union avec Alphonsine Côté fut plus heureuse avec la naissance de douze enfants. Au cours de sa longue vie, il a été critiqué parfois pour ses bonnes relations avec les Anglophones, pour son œcuménisme, pour ses idées et sûrement par envie. Paradoxalement, il fut admiré pour ces mêmes raisons. Les activités lui rendant hommage soulignent un homme intègre, généreux, dévoué, organisé et toujours fidèle à lui-même.

__________

(1) Ce texte découle d’une thèse de doctorat portant sur l’émergence de la notion de patrimoine au Canada français en préparation pour publication. Les principales sources consultées sont : fonds Société Saint-Jean-Baptiste-de-Montréal (P82), BAnQ, centre de Montréal, fonds Société historique de Montréal (SHM22), Centre des archives de Montréal, et fonds Société d’archéologie et de numismatique de Montréal, centre d’archives musée du château Ramezay.
(2) Il serait plus juste d’utiliser le terme Canadien français qui perdure jusqu’aux années 1960.
(3) Un article sur l’histoire des défilés de la SSJB de même que la liste des chars allégoriques en 1925 peut être consulté à : Diane Joly, « Procession de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal »,  L’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française.
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