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Commission de la mémoire franco-québécoise

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Journée d'études sur l'histoire orale au Département d'histoire de l'Université de Sherbrooke avec la participation de Florence Descamps, maître de conférences à l'École pratique des hautes études de Paris, le vendredi 10 avril 2015

Par Gilles Durand


Le vendredi 10 avril 2015 est tenue à l'Université de Sherbrooke une journée d'études sur les possibilités offertes par les archives orales. Les organisatrices de l'événement sont rattachées au Département d'histoire comme professeure, Louise Bienvenue, ou comme candidates à la maîtrise, Myriam Alarie et Christine Labrie.

Après l'accueil et le mot d'introduction de Louise Bienvenue, Florence Descamps de l'École pratique des Hautes Études, donne la conférence d'ouverture. Elle souligne l'importance de bien faire la distinction entre différentes notions. L'histoire orale s'entend de récits d'interviewés, recueillis par des chercheurs dans le contexte d'un projet spécifique. Elle est destinée, par des extraits ou des fragments de ces témoignages, à confirmer les conclusions d'une recherche préparée à partir de sources traditionnelles. Les archives orales se distinguent de l'histoire orale en ce sens qu'elles sont rassemblées à des fins plus larges, par exemple pour documenter et enrichir la mémoire d'une organisation. Comme elles doivent alimenter la recherche future en histoire et en sciences sociales, elles sont recueillies selon une ingénierie rigoureuse. Elles sont destinées à une conservation permanente, appelées à devenir partie composante d'un patrimoine immatériel toujours en mouvement, formé de continuités et de ruptures.

Trois séances laissent ensuite la parole à des chercheurs en histoire contemporaine. La 1re traite des sources orales comme outils pour l'étude du processus de patrimonialisation. Les éléments du patrimoine matériel et immatériel, styles architecturaux, savoirs, savoir-faire, croyances, échelles de valeurs ne sont pas immuables, mais évoluent avec le temps et en fonction des communautés qui les portent. Tour à tour sont abordés la pratique et la croyance religieuses catholiques au Québec, leurs effets d'entraînement depuis 1945 (Catherine Foisy, professeure UQAM), l'évolution des paysages bâtis dans la région de Lanaudière au cours des années 1760-1930 (Jean-René Thuot, professeur UQAR), les comportements des milieux minoritaires francophones aux États-Unis (Serge Dupuis, stagiaire postdoctoral Université Laval), les récits collectifs des Innus de Nutashkuan à propos de la réserve (à distinguer du village de Natashkuan) mise sur pied en 1950 (Aude Maltais-Landry, candidate à la maîtrise Université Concordia). La 2e séance présente les sources orales comme éléments d'information pour compléter, préciser ou suppléer à l'absence des sources traditionnelles. Différents contextes sont abordés : histoire de la Tribune de la presse à l'Assemblée nationale depuis 1960 en recueillant la parole de journalistes, caméramans, conseillers politiques, députés, etc. (Jocelyn Saint-Pierre, historien Assemblée nationale), mise en application des lois spéciales au Québec telle que vécue par d'anciens syndiqués (Martin Petitclerc, professeur UQAM), profils, parcours et échelle de valeurs de Québécoises sans enfant (Christine Labrie), récits de vie et perceptions de missionnaires de Notre-Dame-des-Anges au Brésil au cours des années 1961-2006 comme compléments aux chroniques écrites de la mission (Myriam Alarie). La 3e et dernière séance aborde deux cas particuliers : l'importance des témoignages des membres de la communauté juive de Sherbrooke pour l'étude de celle-ci (Sharon Gubbay Helfer et Marie Lavorel, chercheures indépendantes), l'intérêt de joindre la caméra au magnétophone dans le cadre d'interviews au cours desquels les acteurs-témoins interprètent leur propre histoire à la lumière des événements vécus (Stéphanie Lanthier, chargée de cours Université de Sherbrooke).

La journée se termine par une table ronde à laquelle participent quatre chercheurs rompus à l'utilisation des sources orales : Denyse Baillargeon (professeure Université de Montréal), Louise Bienvenue, Florence Descamps et Steven High (codirecteur du Centre d'histoire orale et de récits numérisés de l'Université Concordia). L'expérience acquise par les chercheurs en histoire contemporaine dans le champ de l'histoire orale est prometteuse pour le futur. Les sources orales sont utiles pour l'histoire officielle des organisations. Elles demeurent également incontournables une meilleure connaissance d'individus, de groupes et de communautés, absents de l'histoire officielle, qui ont laissé peu ou pas de traces dans la documentation écrite : leur attitude face à la réglementation, aux normes et aux procédures qu'ils ont dû appliquer, leurs façons de faire, les contraintes qui leur ont été occasionnées, etc. En même temps, le recueil de la parole des acteurs demeure exigeant. Il exige de faire appel à des méthodes élaborées avec rigueur et de tenir compte de la subjectivité du témoin : la place qu'il se donne dans le déroulement des événements, l'évolution de ses valeurs entre le moment où les faits se sont déroulés et celui où il les raconte à un intervieweur. La critique des témoignages recueillis demande aussi la rencontre d'un minimum de témoins, par exemple une trentaine, pour pouvoir faire la part des choses. Probablement que l'obstacle le plus grand réside dans la dimension humaine de l'interview : le chercheur ne travaille pas avec des documents inertes dans un centre d'archives, mais il doit composer avec un individu qu'il devra aborder avec délicatesse et mettre en confiance; il devra faire montre d'écoute et de disponibilité pour amener l'interviewé à s'abandonner à des souvenirs remontant parfois à plusieurs années. Mais le défi est relevable et il mérite de l'être.

Pour en savoir davantage sur l'histoire orale, ses méthodes, son intérêt, les lecteurs sont invités à consulter l'ouvrage de Florence Descamps L'historien, l'archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2001, 2005, accessible en ligne.

champlain vague