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vendredi 26 avril 2024

Commission de la mémoire franco-québécoise

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Molière

memoires vives

Pionniers et pionnières de Touraine en Nouvelle-France
Introduction au colloque du 26 avril 2008

Françoise Deroy-Pineau
Présidente de Touraine-Canada


En ouvrant ce colloque, nous tenons spécialement à remercier les personnalités qui ont bien voulu se déplacer en ce bel auditorium : merci à notre député et conseiller municipal, Jean-Patrick Gille, à madame Monique Maupuy, adjointe au Maire, chargée des archives, des affaires publiques, de l’administration générale et de plusieurs autres dossiers.

Merci à la Ville de Tours, spécialement à monsieur Porhel , directeur des Archives, à mesdames et messieurs les présidents des associations participantes (Daniel Godefroy, président de Touraine-Québec, Jean-Mary Couderc, président de l’Académie de Touraine, Marie Diane Picard, présidente de l’association Marie Guyart, Émile Verderi, président du Centre généalogique de Touraine, Alain Jacquet, président de la Société archéologique de Touraine).

Merci aux parisiennes qui se sont déplacées pour la circonstance : madame la représentante de France-Canada et madame Ménissez, directrice honoraire de l’école HEC (jeunes filles).

Merci à Monsieur Ouvrard, Proviseur du Lycée Descartes, de permettre la tenue de cet événement en la prestigieuse salle Léopold Senghor.

Ce lieu plus que nul autre évoque la francophonie et cela tombe fort bien car la circonstance qui nous réunit vient rappeler, comme le souligne le très honorable Stephen Harper, Premier Ministre du Canada, dans son introduction au programme du 400e anniversaire de la fondation de Québec, que « la langue française est la langue fondatrice du Canada » et que « la survivance du français en terre d’Amérique du Nord depuis quatre siècles n’est pas un accident de l’histoire ». Il ajoute qu’« on parle encore français au Canada aujourd’hui à cause du courage, de la ténacité et de la créativité des générations de francophones qui ont enraciné et nourri dans le Nouveau Monde des valeurs et des espoirs venus de l’ancien continent[1].» Or il se trouve que l’enseignement systématique du français et la première grammaire française sont arrivés à Québec en 1639 avec les ursulines conduites par la Tourangelle Marie Guyard considérée aujourd’hui comme le troisième personnage historique de la Nouvelle-France, après Jacques Cartier et Samuel de Champlain.

Il paraît que l’on doit aux femmes – mères de famille et éducatrices – la sauvegarde de notre langue en Amérique du Nord. On leur doit aussi d’être créatrices de liens. Cela suffit sans doute pour expliquer les liens toujours actuels entre Touraine et Canada (restauration par Touraine-Canada en 1964 de la Chapelle Saint-Michel, lieu de mémoire de Marie Guyard de l’Incarnation, jumelage (1987) entre les Villes de Tours et Trois-Rivières, création (1987) d’un centre franco-québécois interuniversitaire à l’Université François-Rabelais, présence de plusieurs associations franco-québécoises et franco-canadiennes à Tours et en Touraine, échanges et nombreuses visites culturelles ou sportives de Canadiens et Québécois à Tours).

Mais nous avons un peu oublié comment et en quoi la Touraine est présente en Canada dès son origine. D’où l’idée de dépasser la simple commémoration par une mise en perspective historique. Avant de laisser la parole à nos conférenciers historiens, généalogistes ou littéraires, il n’est pas sans intérêt de situer brièvement ce courant migratoire dans un cadre général [2].

Statistiquement, la Touraine ne représente que 128 (1,5%) des pionniers fondateurs, pères et mères « officiels » de la Nouvelle-France[3]. C’est peu par rapport au Poitou-Charentes (20%), à la Normandie (incluant le Perche, 14%). Cependant la proximité de Tours et de la Touraine avec le pouvoir royal de l’époque en a fait le lieu d’origine de personnalités marquantes dans l’histoire de la Nouvelle-France.

Déjà, en 1534, un natif d’Amboise est le premier Tourangeau en Nouvelle-France : il faisait partie de l’équipage de Jacques Cartier dont Rabelais connaissait bien l’un des capitaines. Tourangeaux et Tourangelles, au XVIIe siècle, celui de la fondation de la Nouvelle-France, demeurent proches de la cour et du pouvoir. Ils sont relativement bien informés des nouveautés et du Nouveau Monde. Mais le Canada a mauvaise réputation et la Touraine n’est pas inconfortable pour son temps. Donc ses natifs ne sont pas portés à émigrer. Toutefois un certain nombre d’intrépides compteront parmi les pères et mères de la Nouvelle-France.

Selon le critère choisi, le nombre des pionniers partis de Touraine vers le Canada peut varier de 33 à plus de 200. Nos listes en repèrent environ 150, sans compter les dizaines d’entre eux partis en Acadie et introuvables car les registres d’état civil n’y existent plus depuis le « Grand Dérangement » (conquête par l’Angleterre) de 1713.

L’ensemble des pionniers de Touraine vient principalement de Tours, Loches, Chinon, Amboise et autres lieux le long des rivières. Ils se répartissent – grossièrement – en six vagues d’émigration correspondant à des dates-clés de la fondation de la Nouvelle-France.

1 - 1632 : départ de plusieurs dizaines de futurs Acadiens, menés par le commandeur de Razilly, de Chinon (1587-1635), Menou d’Aulnay, de Charnizay, et Nicolas Denys, de Tours. L’Acadie commence à être mise en culture.

2 - 1639 : Marie Guyard de l’Incarnation et sa suite arrive à Québec. Début de l’enseignement féminin.

3 - Vers 1650 : la famille de Simon Denys débarque à Québec via l’Acadie. Exemplaire, elle s’installe et fait souche malgré des conditions de vie très difficiles.

4 - 1653 : sept artisans tourangeaux de la « Grande recrue » viennent conforter la fondation de Montréal.

5 - 1665 : onze soldats et un officier intègrent le régiment de Carignan-Salières vers Québec et l’Iroquoisie (26 autres soldats connus viendront de Touraine au cours du temps).

6 - 1665-1673 : quatre « Filles du Roi » viennent se marier et s’installer dans la vallée laurentienne. La plus fertile est Jeanne Languille d’Artannes, ancêtre des Allard d’Amérique. Elle aura 8 enfants (ses propres filles en auront beaucoup plus) et 26 481 descendants mariés au seuil du XXe siècle.

D’autres Tourangeaux prolifiques ont participé à la naissance du nouveau pays. Notons Jean Gervais, maître boulanger de Souvigné ; Pierre Perthuis dit Lalime, soldat de Carignan, d’Amboise ; Michel Chrétien (nom prestigieux au Canada), de Loches ; François Chagnon dit Larose, soldat de Carignan, de (La Haye)-Descartes ; René Bénard, de Villiers-au-Bouin, Jacques Chouinard, carrossier, de Beaumont-la-Ronce, Honoré Danis, maître charpentier de Montlouis, Pierre Testu du Tilly, de Panzoult, Louis Marie dit Sainte-Marie, soldat de Carignan.

Certains pionniers ont été moins prolifiques, mais leur œuvre a compté car ils furent des administrateurs ou des missionnaires de talent. Comme ce colloque est limité dans le temps, nous devons sacrifier beaucoup de récits de vie passionnants. Seront présentés, en deux temps :

1 – Les Tourangeaux les plus notables dans la fondation du Canada avec les interventions de Brigitte Maillard (les administrateurs tourangeaux de la Nouvelle-France), Alain Jacquet (Razilly, l’amiral de France à l’origine du développement du Canada) et Guy de Bonnaventure (une famille de pionniers : celle de Simon Denys).

2 – Marie Guyard, mère de la Nouvelle-France, qui mérite une place de choix dans l’histoire de la Nouvelle-France et dans celle de Tours et de la Touraine : Robert Sauzet, Idelette Ardouin et Isabelle Landy souligneront trois des multiples facettes de sa riche personnalité : sa place dans les courants spirituels du XVIIe siècle, ses origines généalogiques, son œuvre littéraire transmise par son fils.

Bien sûr, nous pensons qu’un anniversaire – en l’occurrence, aujourd’hui, le 400e de Québec - n’est pas seulement la commémoration du passé mais un moyen présent pour continuer la construction de l’avenir. Ce colloque se veut dans une dynamique de bâtisseurs et l’ouvrage qui nous attend n’est pas moindre que celui entrepris par nos devanciers. Pour leur être fidèles, nous avons à continuer la construction d’un grand pont transatlantique multidimensionnel, qui, à l’heure actuelle de la mondialisation, est d’autant plus nécessaire.

Ce colloque, austère, est une étape ; suivra une autre étape, ludique, sur les bords de Loire, les 7 et 8 juin prochains.

 

[1] Introduction à Soyez de la fête ! Premier programme officiel du 400e anniversaire de Québec. Janvier-mai 2008. Québec. Ville de Québec. Canada. [ retour au texte ]
[2] Sources :
- H.Charbonneau, B. Desjardins et al., 1987, Naissance d’une population. Étude de démographie historique, Paris, PUF. Et précisions du Programme de démographie historique de l’Université de Montréal (PRDH).
- F.Deroy-Pineau
- 1992, Madeleine de La Peltrie, amazone du Nouveau Monde, Bellarmin, Montréal.
- 1999 (1e ed., Robert Laffont, Paris, 1989), Marie de l’Incarnation, femme d’affaires, mystique, mère de la Nouvelle-France, Bellarmin, Montréal.
-2000 (coord.), Marie de l’Incarnation, un destin transocéanique, Paris, L’Harmattan. Spécialement les articles de Brigitte Maillard, Idelette Ardouin et Pierre Leveel.
- Dubé, J.-C., 1984, Les intendants de la Nouvelle-France, Montréal, Fides, col. Fleur de Lys.
- Dictionnaire biographique du Canada en ligne
- Fichier origine
- Marie de l’Incarnation, Correspondance (1971) et Écrits spirituels et historiques (1985), Ursulines de Québec.
- M. Trudel
- 1976, Montréal, la formation d’une société 1642-1663, Montréal, Fides.
- 1983, Histoire de la Nouvelle-France, III-2, Montréal, Fides.
- 1999, Les écolières des Ursulines de Québec 1639-1686, Montréal, Hurtubise HMH.
- 2006, Mythes et réalités dans l’histoire du Québec (tome 1), Montréal, Fides, Biblio. québécoise. [ retour au texte ]

[3] Total de l’immigration observée entre 1608 et 1759 : 25 000 (305 000 des Iles britanniques vers les colonies américaines)
Total de l’immigration fondatrice : 8 500
Population au Canada en 1760 : 70 000 (1 270 000 dans les colonies américaines)
(D’après la présentation de Bertrand Desjardins, démographe, à l’Université de Montréal, le 19 mars 2008) [ retour au texte ]
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