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vendredi 26 avril 2024

Commission de la mémoire franco-québécoise

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Molière

memoires vives

Le milieu familial de Marie Guyard l’avait-il préparée à sa destinée?

 

Idelette Ardouin-Weiss
Présidente d’honneur du Centre Généalogique de Touraine
Académicienne de Touraine


En 1999, lors du colloque consacré à Marie de l’Incarnation pour le 400ème anniversaire de sa naissance, le Centre Généalogique de Touraine avait présenté une communication intitulée “le milieu familial de Marie Guyard”. Cette étude était le fruit d’un travail de trois années mené par une équipe de six personnes. Il avait fait aussi l’objet d’une publication séparée1.

C’est un sujet qui est donc maintenant bien connu, et si je le reprends aujourd’hui, ce n’est pas pour répéter ce qui a déjà été publié à cette occasion, ni pour apporter de nouvelles informations. Malheureusement les questions que nous nous posions il y a neuf ans, comme par exemple la parenté éventuelle de Marie2 avec les BABOU de La Bourdaisière, sont restées sans réponses. Je voudrais simplement souligner ce qui, dans l’éducation de Marie et dans son environnement familial, a pu lui donner cet esprit d’ouverture, voire d’aventure, qui l’a menée jusqu’au Québec.

Ses parents

Rappelons que Marie Guyard est baptisée à l’église Saint-Saturnin de Tours le 29 octobre 1599. Elle est le cinquième enfant et la deuxième fille de Florent GUYARD, maître boulanger, et de Jehanne MICHELET. Sur les neuf enfants de ce couple, cinq seulement parviendront à l’âge adulte, un garçon et quatre filles. Marie a passé toute sa jeunesse à Tours. Sa famille habite d’abord dans la paroisse Notre-Dame-la-Riche, puis dans celle de Saint-Saturnin, et enfin, à partir de 1607 au plus tard, dans celle de Saint-Pierre-des-Corps (aujourd’hui Saint-Pierre-Ville). Marie a alors huit ans. Comme tout le monde, elle suit les offices religieux et en grandissant, les conférences des moines missionnaires qui la font peut-être déjà rêver des terres lointaines3.

Les GUYARD

La famille Guyard habitait à Saint-Etienne-de-Chigny (37), mais était en fait originaire de Luynes (37).C’est le grand-père paternel de Marie, Florent I GUYARD, qui quitta Luynes pour Saint-Etienne, où il était notaire de la châtellenie d’Andigné. Son autre fils, Hiérémie, était greffier de la même châtellenie.

Imaginons alors cette petite fille sensible qui assiste à la messe, que ce soit dans l’église de ses parents ou dans celle de Saint-Etienne-de-Chigny, chez ses grands-parents. Son esprit est un peu distrait, il est attiré par la décoration de ces églises, par les vitraux, en particulier par celui de la Crucifixion à Saint-Etienne. Peut-être son imagination l’entraîne-t-elle vers ces pays extraordinaires qui y sont représentés.

Marie rapporte que son grand-père et une de ses tantes avaient une grande dévotion pour Saint François de Paule4. En effet un de leurs ancêtres aurait fait partie de la délégation tourangelle envoyée par Louis XI au Pape pour ramener Saint François de Paule à Tours. Cet ancêtre aurait été un trisaïeul de Marie. Mais elle ne précise pas s’il s’agit d’un ascendant paternel ou maternel. Cette mission avait forcément laissé des traces dans l’histoire familiale, on racontait l’aventure de cet ancêtre glorieux, peut-être même en l’enjolivant un peu. Marie n’aura sans doute pas été insensible à cet échange de croyants d’un pays à un autre.

Les MICHELET

Jeanne MICHELET, la mère de Marie, était aussi fille d’un boulanger de Tours, Paul MICHELET, et de Marthe MILLET. Nous n’avons rien trouvé de particulier sur ce couple. Sans doute n’était-elle pas originaire de Tours. Notons seulement qu’un grand-oncle de Marie, Roze MILLET, était un marchand assez aisé de Saint-Symphorien.

Les frère et sœurs de Marie

Son frère Hélye était maître boulanger à Tours comme son père. Ses deux sœurs cadettes ont épousé l’une un maître boulanger (Catherine), l’autre un maître d’école (Jeanne). Mais c’est Claude, de sept ans son aînée, qui va jouer dans la vie de Marie le plus grand rôle et contribuer, sans s’en douter, à sa formation.

Claude épouse à 18 ans environ, en premières noces, Paul BUISSON, qui n’a jamais été voiturier par eau, comme on l’a dit parfois, mais voiturier par terre ou roulyer, comme le démontrent tous les documents retrouvés. En 1630, il est capitaine des charroys de l’artillerie du roi. En fait, il est à la tête d’une grosse entreprise de transports terrestres, qui travaille naturellement avec les mariniers qui circulent en grand nombre sur la Loire à cette époque. Trois ans après le décès de Paul BUISSON, Claude se remarie en 1634 avec un marchand bourgeois de Tours, Antoine (de) LAGUIOLLE, et ce mariage consacrera la fin déjà bien amorcée de l’entreprise de transport.

Or en 1621, Marie, veuve et chargée d’un fils, est appelée à travailler chez les BUISSON et même à s’installer chez eux. Elle y sera d’abord domestique pour les tâches les plus dures et les plus ingrates, et aussi infirmière pour le personnel. Mais peu à peu, sa personnalité se révèle, ses qualités de femme d’affaires apparaissent et on va lui confier finalement en 1624 un rôle de chef d’entreprise. Elle avait, dit-elle, “le soin de tout le négoce”.

Dans les activités de cette entreprise, Marie voit donc passer, en plus des productions tourangelles, les textiles de Lyon et d’Italie, les fourrures de Nouvelle-France, le sucre et les épices des Antilles, et toutes sortes de produits exotiques. Elle est amenée à discuter avec les patrons des bateaux qui lui racontent ce qu’ils voient dans le port de Nantes. Son horizon ne se bornait donc pas à la ville de Tours et à ses environs immédiats. Grâce à son travail et à ses relations avec les mariniers, elle avait, bien plus que la majorité de ses contemporains, une bonne perception de ce qu’était alors le vaste monde. C’est pourquoi l’appel à partir au Canada, qu’elle ressentit dès 1633, ne la surprit sans doute pas outre mesure et a trouvé en elle un terrain favorable.

Son mari

Revenons un peu en arrière. Vers 1618, Marie épouse Claude MARTIN, maître ouvrier en soie, fils de Georges MARTIN et de Philippes MOREAU. Il leur naît en avril 1619 un fils Claude, qui sera bénédictin, et dont la vie est bien connue. Ce sera leur seul enfant, puisque Claude MARTIN décède quelques mois plus tard.

Prêtre et religieux dans l’entourage de Marie

On connaît une dizaine de prêtres ou religieux dans l’entourage de la famille GUYARD. Il est évident qu’ils ont pu avoir une influence sur la vie spirituelle de Marie. Mais ils n’étaient pas non plus sans se préoccuper de la mission et leurs conversations sur ce sujet ont pu aussi sensibiliser Marie sur l’annonce de l’Evangile dans les pays lointains.

Déjà le père de Marie avait un grand-oncle et un parrain prêtres. Parmi les stricts contemporains de Marie, citons René JOUANNE et Jehan FETIS, prêtres à Tours, témoins en 1621 au mariage d’une nièce de Paul BUISSON, Sébastien CHAILLY, chanoine prébendé de l’Eglise de Tours, cité en 1634 comme ami d’Antoine (de)LAGUIOLLE, Jehan (de) LAGUIOLLE son frère, entré chez les Carmes réformés de Touraine en 1635, et les trois filles de Jehan CHAUSSÉ, le parrain de Marie, qui seront religieuses.

Une vocation prévisible

Que Marie ait décidé d’être religieuse ne constitue pas une rupture avec son milieu familial. Dans toutes ses générations connues, la famille GUYARD était familière de l’institution ecclésiastique et pratiquait la religion catholique certainement davantage que la moyenne des tourangeaux. Mais Marie a voulu être missionnaire, s’est intéressée à l’enseignement des jeunes filles, avant de devenir supérieure d’un monastère. Quelles sont donc les qualités nécessaires à un tel destin ?

D’abord l’intelligence, qui lui a été donnée par le hasard de sa naissance, et l’amour du prochain, qui lui était inné.

Mais il fallait aussi être capable de voir plus loin que la proximité tourangelle, d’imaginer la vie des habitants des autres continents et savoir prendre des risques pour affronter, en étant femme au XVIIème siècle, la traversée de l’Atlantique et l’installation dans un pays lointain encore mal connu.

Cet esprit d’ouverture, cette attention bienveillante aux autres et ses qualités de gestionnaire ont forcément été forgés dans son jeune âge.

D’abord par les métiers des membres de sa famille. Boulangers, marchands, maîtres ouvriers en soie, voituriers par terre, petits notaires, ces hommes avaient de nombreux contacts avec leurs contemporains, bien plus que s’ils avaient été laboureurs ou vignerons. Assez aisés, ils pouvaient donner de l’instruction à leurs enfants ; tous, hommes et femmes, même jeunes, savaient signer (sauf Paul BUISSON), souvent avec assurance et élégance.

Il est probable que c’est son expérience de chef d’entreprise aux côtés de Paul BUISSON qui aura été déterminante dans la formation de Marie. Elle lui aura fait prendre conscience de ses capacités et lui aura révélé ce don d’administratrice qu’elle a mis en application par la suite au Québec.

Marie n’a pas eu une jeunesse facile, elle a connu les deuils, les difficultés matérielles, le dur travail dans une entreprise composée essentiellement d’hommes. Mais ce fut sans doute sa chance aussi, car elle s’y est forgé les qualités et les compétences qui lui furent nécessaires par la suite. Thucydide ne disait-il pas déjà : “N’imaginez pas qu’un être humain puisse être différent d’un autre. La vérité, c’est que l’avantage reste à celui qui a été formé à la plus rude école5.

1- Atelier du Centre Généalogique de Touraine; “Le milieu familial de Marie Guyard, Marie de l’Incarnation. 1599-1672.”. Tours, 1999. [ retour au texte ]
2 - Dans tout ce qui suit, le prénom Marie employé seul se rapporte évidemment à Marie de l’Incarnation. [ retour au texte ]
3- Les détails de la vie de Marie sont tirés de l’ouvrage suivant : Deroy-Pineau (Françoise). Marie de l’Incarnation, Marie Guyart, femme d’affaires, mystique, mère de la Nouvelle-France, 1599-1672. Paris, éditions R. Laffont, 1989. [ retour au texte ]
4 - Lettre de Marie à son fils du 16 septembre 1661. Correspondance de Marie de l’Incarnation. Nouvelle édition par Dom Oury. Solesmes, 1971, 1077 pages. [ retour au texte ]
5 - Thucydide. La guerre du Péloponèse. Traduction Roussel. Paris, éditions Gallimard, 1966. [ retour au texte ]
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