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Bulletin n°29, décembre 2009

Ces villes et villages de France,… berceau de l’Amérique française : trois nouveaux livres-guides invitant à la découverte de villes et villages et à la connaissance de ceux qui les habitent

Ces villes et villages de France,…
berceau de l’Amérique française :
trois nouveaux livres-guides
invitant à la découverte de villes et villages
et à la connaissance de ceux qui les habitent

Chemins de la Mémoire

 

Janine Giraud-Héraud
Déléguée France-Québec aux lieux de mémoire communs
France

 

Abbaye de Loc-Dieu

L’Abbaye de Loc-Dieu située à quelques km
de Villefranche-de-Rouergue où Gabriel de Thubières
de Lévis de Caylus, fondateur du 1er séminaire St Sulpice
de Montréal, était Abbé dans son jeune temps.
Crédit photo : L’Abbaye de Loc-Dieu
Crédit : Bernard et Janine Giraud-Heraud

Douze ouvrages présentant des « Lieux de Mémoire » entre France et Amérique française, répertoriés sur l’ensemble de nos régions de France, sont publiés ou sont en cours de publication. A ce jour, onze d’entre eux sont publiés (cf. liste ci-après). Plus de 4500 noms de communes et plus de 8000 noms de pionniers sont rassemblés dans « Ces villes et villages de France, berceau de l’Amérique française ».

 

Liant histoire, mémoire à territoires, comme constitutifs, de par leurs potentialités locales, des caractères régionaux, dont ont été porteurs jusqu’en territoire Nord-Américain les fondateurs de la Nouvelle-France, inscrite dans l’histoire collective, cette collection s’est attachée à resituer avec précision dans leurs « Pays d’origine », tous ceux qui aux 17e et 18e siècles, ont découvert, construit, peuplé, administré et défendu la Nouvelle-France : le Canada et les Etats-Unis d’aujourd’hui réunis.

 

Dans chacun des douze (12) ouvrages (voir liste dans le bon de commande) de 150 à 270 pages, pour chaque ville ou village présenté en tant que lieu géographique d’origine des pionniers, des références sont données quant à l’histoire de ces lieux, patrimoine, caractéristiques naturelles et vie locale actuelle. Ces livres sont clairs, à la présentation agréable et de qualité, aux textes faciles d’accès, bien documentés ; contrairement à nombre d’ouvrages à la thématique mémorielle centrée sur l’histoire individuelle et filiations familiales des personnages, ceux de cette collection concilient profondeur et rigueur historique quant à la biographie des pionniers, aux particularités multiples de chacun de ces territoires régionaux français.

 

Ancrer chaque pionnier dans un contexte : son territoire d’origine mis en valeur par de nombreuses photos et cartes couleurs ; articuler le passé au présent touristique en donnant des repères cartographiques précis, en un mot rendre cette histoire commune accessible au plus grand nombre, milieux scolaires mais aussi grand public, ces publications associent avec habileté, dimensions culturelle et éducative à la dimension économique, réalité d’aujourd’hui qui n’est pas oubliée.

 

Wissembourg (Alsace)

Wissembourg : Place forte de l’Alsace située à la frontière
avec l’Allemagne, région d’où sont partis nombre de soldats
pour défendre la Nouvelle-France.
Crédit: Edith et Christophe Eschbach

Réalisée sous l’égide de la CFQLMC section France par un peu plus d’une centaine de membres bénévoles de l’Association France-Québec depuis bientôt huit (8) années, loin d’être passéiste, cette collection, par cet autre regard attentif porté sur nos villes mais aussi et surtout sur cette France profonde aux paysages méconnus et richesses oubliées, crée une dynamique nouvelle, met en synergie, outre l’ensemble des partenaires inconditionnels de cet exceptionnel projet ( historiens, universitaires et bénévoles du terrain « les porteurs de mémoire »), nombre d’organismes publics ou privés, qui y trouvent de nouveaux centres d’intérêts.

 

Point de départ modeste, à ce jour, ces publications semblent avoir des retombées importantes dépassant largement nos espérances qui, selon nous, augurent pour demain la concrétisation d’actions franco-québécoises nouvelles insoupçonnées1.

 

La collection de 12 livres et ses chemins de la Mémoire

  1. Champagne-Ardenne, Alsace, Lorraine (épuisé)
    Champagne-Ardenne (4,3 Mo)
    Alsace (1,9 Mo)
    Lorraine (1 Mo)
  2. Aquitaine et Midi-Pyrénées (épuisé)
    Aquitaine (12,9 Mo)
    Midi-Pyrénées (19,8 Mo)
  3. Basse et Haute-Normandie (épuisé)
    Basse-Normandie (15,9 Mo)
    Haute-Normandie (16,6 Mo)
  4. Bourgogne et Franche-Comté (épuisé)
    Bourgogne (8,5 Mo)
    Franche-Comté (7,9 Mo)
  5. Bretagne (épuisé)
    Bretagne (26,8 Mo)
  6. Centre (épuisé)
    Centre (21,6 Mo)
  7. Ile de France (épuisé)
    Ile de France (17,8 Mo)
  8. Nord-Pas-de-Calais et Picardie (épuisé)
    Nord-Pas-de-Calais (9,2 Mo)
    Picardie (19,1 Mo)
  9. Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon (épuisé)
    Provence-Alpes-Côte d’Azur (8,1 Mo)
    Languedoc-Roussillon (10,9 Mo)
  10. Pays de la Loire (épuisé)
    Pays de la Loire (4,8 Mo)
  11. Poitou-Charentes (épuisé)
    Poitou-Charentes (10,7 Mo)
  12. Rhône-Alpes, Auvergne et Limousin (épuisé)
    Rhône-Alpes (17,5 Mo)
    Auvergne (18,1 Mo)
    Limousin (4,8 Mo)

 

Principaux partenaires ayant soutenu les 6 premières publications

 

Conseils Régionaux

Provence-Alpes- Côte d’Azur
Rhône-Alpes
Basse-Normandie
Pays de la Loire
Champagne-Ardenne
Aquitaine.

Conseils Généraux

10, 13, 24, 42, 43
69, 72, 76, 83.

Organismes Nationaux

Assemblée Nationale
Réserve Parlementaire
Comité Culture France 400è

 

Ainsi qu’une cinquantaine de Communes (France entière)

 

Gouvernement du Québec : Délégation générale du Québec à Paris.

 

Organismes au Québec : Intérêt manifesté et commandes effectuées par :

  • Les musées : Pointe-à-Callières de Montréal et de la Civilisation de Québec;
  • Les universités: UQAM et Laval à Québec;
  • Bibliothèque centrale Montréal;
  • Bibliothèques et Archives nationales du Québec;
  • La fondation Lamy Ile d’Orléans;
  • Plusieurs sociétés d’histoire et associations de généalogie du Québec.

 

1. Les « Chemins de la Mémoire » : chaque ouvrage propose plusieurs circuits touristico-culturels à la thématique originale, organisés pour touristes, milieux scolaires et amateurs de randonnées, qui, bien que chemins de la mémoire, n’en demeurent pas moins inscrits dans les loisirs culturels de demain.

Alexis de Tocqueville une histoire partagée

Alexis de Tocqueville une histoire partagée

 

par Michèle Marcadier
France

Alexis TocquevilleDans le cadre d’une mission aux États-Unis pour étudier le système pénitentiaire américain, Tocqueville se rend au Canada avec son ami et collaborateur, Gustave de Beaumont. Au cours de la courte visite effectuée dans le Bas-Canada du 20 août 1831 au 2 septembre 1831, il observe et laisse une description du Québec et de ses habitants dont plusieurs éléments constituent des repères d’une histoire partagée entre Français et Québécois.

Les dernières années témoignent d’un intérêt grandissant pour l’œuvre de Tocqueville. Du côté québécois, le professeur Jean-Louis Benoît, professeur agrégé, prononce une série de conférences pour expliquer ce renouveau d’intérêt – voir le sommaire et le texte au long de la conférence prononcée au Département de sociologie de l’Université Laval le 8 octobre 2009. Du côté français, le professeur Carl Grenier de l’Université Laval prononce aussi une conférence à Tours pour rappeler les liens que la France entretient avec le Bas-Canada par le biais de ce penseur politique, historien, sociologue qu’est Tocqueville.

Pour des informations additionnelles, consulter une conférence prononcée en 2007 par le professeur Simon Langlois de l’Université Laval

De même que les sites Web suivants :
http://www.tocqueville.culture.fr/fr/,
http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/ancien_regime/ancien_regime.html
http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-2/Alexis_de_Tocqueville_et_le_Bas-Canada_en_1831.html

Lire aussi :
http://cfqlmc.org/bulletin-memoires-vives/bulletins-anterieurs/bulletin-nd-24-mars-2008/43-le-sociologue-alexis-de-tocqueville-de-la-memoire-savante-a-la-memoire-collective

Tocqueville un destin paradoxal

Tocqueville un destin paradoxal

 

Alexis TocquevilleJean-Louis Benoît, agrégé de l’Université, docteur ès Lettres, professeur des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles, a participé à de nombreux colloques consacrés à ce Tocqueville et a publié plusieurs ouvrages, dont les principaux sont « Tocqueville moraliste », « Tocqueville un destin paradoxal » et « Comprendre Tocqueville ». Le professeur Benoît a résumé ci-dessous, pour nos lecteurs, son exposé. L’intégralité du texte peut être consultée sur le lien suivant : http://jeanlouisbenoit.hautetfort.com/

 

Tocqueville est, avec Montesquieu, l’un des deux plus grands penseurs politiques français et le plus fameux analyste de la démocratie moderne, de sa nature, de ses risques et de ses enjeux, dont les problématiques demeurent d’une parfaite actualité géopolitique dans tous les pays dont l’état social devenant démocratique permet d’envisager le passage à une démocratie réelle1.

 

 

Nul n’est prophète en son pays

Tel est le premier paradoxe du destin de Tocqueville : on accorde beaucoup plus d’importance à son œuvre, aujourd’hui, dans nombre de pays étrangers que dans son propre pays. En 2005, année du bicentenaire de sa naissance, les chaines de télévision françaises à vocation culturelle, ne consacrèrent pas une seule minute à l’évocation de cet anniversaire !
Deux articles seulement, cette même année, dans la presse nationale : le 29 mai, Nicolas Weil posait dans Le Monde la question : Peut-on encore être tocquevillien aujourd’hui ? A quoi l’ancien directeur du journal, André Fontaine, répondait quelques semaines plus tard : « Adieu Tocqueville ».

Rien dans les hebdomadaires qui prétendent assurer un relais culturel et médiatique : Le Point, Le Nouvel Observateur, L’Express2; pour eux, la cause était entendue, seul Marianne publia une recension de Tocqueville un destin paradoxal, paru au mois de mai.

 

« Nul n’est prophète en son pays », ce n’est pas nouveau, mais il est choquant que Tocqueville demeure quasiment inconnu de la majorité des citoyens français alors qu’aux Etats-Unis il figure désormais pratiquement au rang des Pères Fondateurs, et que les analystes politiques américains jugent encore, en ce début de millénaire, de la santé de la démocratie américaine, à l’aune du diagnostic posé sur les forces et faiblesses, les vertus et les vices du système dans De la démocratie en Amérique – 1835 –3.

 

Légitimiste de cœur, démocrate par raison

Le second paradoxe n’est pas moindre, Tocqueville disparut de l’horizon intellectuel et politique français pendant trois-quarts de siècle, à partir des années 1870-75, où une partie de ceux qui instaurèrent et affermirent la IIIe République (bien que venant d’horizons différents) se référaient encore à lui.

Cette disparition tient à notre historiographie républicaine qui entendait mettre en place un substrat idéologique simple, facile à enseigner, fait d’oppositions entre l’Ancien Régime et la République, l’aristocratie et le peuple, le bien et le mal ; conception manichéenne qui persiste dans la mentalité de la majorité des citoyens, et plus encore des idéologues qui opposent démocratie et République ; impossible pour eux d’admettre que Tocqueville, véritable aristocrate issu d’une famille de légitimistes ait pu se revendiquer des valeurs de 1789, devenir le penseur de la démocratie moderne, et un authentique républicain, un « émigré de l’intérieur » opposant sans faille à Napoléon III qu’il ne cessa de considérer comme un despote, alors même qu’il reconnut lors des élections d’avril 1848, n’être qu’un « républicain du lendemain ».

 

Malesherbes, l’illustre bisaïeul

Pour comprendre ce paradoxe d’un Tocqueville, légitimiste de cœur mais démocrate par raison, il faut en revenir à l’une des clés qu’il nous donne lui-même quand il affirme : « C’est parce que je suis le petit-fils de Malesherbes que j’ai écrit ces choses »…
Toute sa vie durant, il se référa, dans les moments les plus graves de son existence, à son illustre bisaïeul4 ; directeur de La Librairieet en charge du contrôle des publications, il était en même temps l’ami des philosophes des Lumières. C’est à lui que l’on doit l’édition française de L’Emile, c’est lui qui sauva La Grande Encyclopédie qu’il était chargé de retrouver et de détruire ; c’est également lui qui devenu président de la Cour des Aides, multiplia les Remontrances contre l’absolutisme royal de Louis XV, ce qui lui valut d’être exilé.

Rappelé par Louis XVI, deux fois ministre, il s’efforça en vain de mettre en place les réformes qui auraient pu sauver le régime. Arrêté en 1793, avec les siens, il demanda à être l’avocat du roi devant le peuple, comme il avait été celui du peuple devant le roi, ce qui lui valut d’être guillotiné avec cinq des siens, destin inévitable mais accepté par avance !

Malesherbes était donc un singulier personnage, Janus Bifrons, aristocrate, défenseur des libertés mais opposé aux fureurs révolutionnaires ; tel fut l’homme que Tocqueville se donna comme modèle humain, moral et politique quand il entreprit d’instaurer « une science politique nouvelle » afin que la raison préside à la vie politique dont il voulait croire qu’elle pût être rationnelle.
La suite des événements lui prouva qu’en politique la passion l’emporte souvent sur la raison, et il se heurta à la résistance du monde sans pouvoir en venir à bout, sans réussir, par exemple, à convaincre Pie IX de donner une constitution libérale à ses Etats (lorsque Tocqueville était ministre des Affaires Etrangères en 1849, en charge de la question romaine), sans réussir à dissuader Louis-Napoléon Bonaparte de faire un coup d’Etat contre la République dont il était le premier Président élu au suffrage universel.

 

Tocqueville retrouvé

Signalons pour terminer un dernier paradoxe concernant, celui-ci, la réception actuelle de Tocqueville en France5. On admet généralement, et l’on répète à l’envi, que l’on devrait au seul Raymond Aron la redécouverte de Tocqueville dans – et par – l’université française.

En 1967, il publie chez Gallimard Les étapes de la pensée sociologique, dans lesquelles il consacre cinquante pages à Tocqueville (mais quatre-vingts à Marx) ; en 1979, il écrit dans le premier numéro de The Tocqueville Review/La revue Tocqueville, un article d’une vingtaine de pages au titre significatif : Tocqueville retrouvé !

La cause est entendue, à Aron, seul, reviendrait tout le mérite… Il est vrai qu’en ces années de Guerre Froide, Aron engage Tocqueville dans le combat idéologique du moment comme héraut (et héros) d’un libéralisme dont la dernière page de la première Démocratie devient le Credo :
« Il y a aujourd’hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s’avancer vers le même but: ce sont les Russes et les Anglo-Américains.(…)
L’Américain lutte contre les obstacles que lui oppose la nature; le Russe est aux prises avec les hommes. L’un combat le désert et la barbarie, l’autre la civilisation revêtue de toutes ses armes: aussi les conquêtes de l’Américain se font-elles avec le soc du laboureur, celles du Russe avec l’épée du soldat.
Pour atteindre son but, le premier s’en repose sur l’intérêt personnel, et laisse agir, sans les diriger, la force et la raison des individus.
Le second concentre en quelque sorte dans un homme toute la puissance de la société.
L’un a pour principal moyen d’action la liberté; l’autre, la servitude.
Leur point de départ est différent, leurs voies sont diverses; néanmoins, chacun d’eux semble appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans ses mains les destinées de la moitié du monde ».

Voici donc Tocqueville baptisé prophète alors qu’il est plus exactement un analyste très rationnel, doué de cet esprit de finesse cher à son maître Pascal.

Il est vrai qu’en ces temps, toute l’intelligentsia française élabore ces « Marxismes imaginaires » que dénonce Aron ; tous les normaliens supérieurs du temps sont de religion althussérienne6 et vouent Tocqueville aux gémonies ! Si bien qu’aujourd’hui la double vulgate tocquevillienne et anti-tocquevillienne opère bien à tort une identification Tocqueville/Aron, comme si Tocqueville se réduisait à la lecture qu’en aronienne, comme si cette lecture était totale et indépassable, comme si – depuis les années 70 – aucun travail de recherche n’avait donné lieu à des approches nouvelles et très importantes aux Etats-Unis ou en France.
Depuis peu, un courant d’extrême gauche se livre, au nom de ce principe réducteur, à une critique virulente contre un « tocquevillisme » imaginaire ! D’ailleurs, pour les mêmes, « Tocqueville n’existe pas » ! Pour les tenants de cette mouvance idéologique, n’existe, en guise de Tocqueville, que ce que les tocquevilliens ou pseudo-tocquevilliens ont pu en écrire ; et, au bout du compte, tous ces pseudo-tocquevilliens ne sont tous que des figures spectrales, des échos de Raymond Aron !
La rationalité souffre bien un peu de cet avatar néo-structuraliste, la solidité historique du propos également, comme le souligne Pierre Vidal-Naquet, dans son dernier texte relatif à l’ouvrage d’un de ces auteurs :
« Dommage que ce livre, à la fois boursouflé et hâtif, ne puisse pas vraiment faire la preuve des bonnes intentions dont il est pavé. Nous sommes trop foncièrement anticolonialistes pour nous en réjouir. Il reste que l’air du temps de la dénonciation médiatique ne suffit pas à arrimer à la science des convictions et à faire d’OLCG un historien plausible7 ».

 

Mayer, Aron, Lefebvre, Soboul, Furet, Lefort et quelques autres…

Ce paradoxe concernant la réception de Tocqueville se trouve renforcé pour deux raisons complémentaires : l’incapacité de la droite traditionnelle8de comprendre la portée de l’œuvre de Tocqueville et le fait que, horresco referens, la quasi totalité de ceux qui ont redécouvert Tocqueville depuis la seconde guerre mondiale étaient de formation marxiste et/ou avaient une bonne connaissance du marxisme !

René Rémond souligne à juste titre la triple origine des droites françaises, mais, par-delà cette distinction pertinente, il existe un fond idéologique de la vieille droite française qui de Barrès à Maurras, de l’Action Française au maréchalisme et/ou au pétainisme, en passant par les protecteurs de Touvier et Bousquet, ne peut voir en Tocqueville qu’un « criminel », « un quarante-huitard en peau de lapin »9, ou plus simplement un homme d’opinions, du juste milieu, un Joseph Prudhomme de la politique.

Le titre du livre publié par Antoine Rédier, membre de l’Action Française, est à lui seul tout un programme : Comme disait M. de Tocqueville…

Et pourtant Rédier entendait rendre hommage à Tocqueville en tentant d’établir comment il aurait pu, ou dû, faire un antidémocrate raisonnable !

En revanche on oublie de rappeler qu’en 1938, c’est un Juif Allemand, spécialiste de Marx, réfugié en Angleterre qui propose à Gallimard d’entreprendre l’édition des œuvres complètes de Tocqueville. Les deux premiers volumes ont été publiés en 1951, vingt-sept autres ont été édités depuis, les trois derniers volumes, devraient, espérons-le, paraître sous peu.

Raymond Aron, qui succéda à Mayer dans l’édition des Oeuvres Complètes, fut certes celui qui mena le combat du libéralisme contre le marxisme, est lui-même un très bon connaisseur de Marx ; il se qualifiait parfois, non sans ironie, de “marxien”, et il écrit : « Je suis arrivé à Tocqueville à partir du marxisme, de la philosophie allemande et de l’observation du monde présent (…). Je pense presque malgré moi prendre plus d’intérêt aux mystères du Capital qu’à la prose limpide et triste de La Démocratie en Amérique ».

En 1953, c’est un marxiste, Georges Lefebvre qui rédige une intéressante introduction à l’édition Gallimard de l’Ancien Régime et la Révolution, en 1968, Albert Soboul, marxiste lui aussi, et titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, rédige pour l’Encyclopaedia Universalis l’article « Révolution » dans lequel il consacre un développement important sur Tocqueville et son « histoire philosophique de la Révolution ». Certes François Furet, marxiste lui aussi, mais « apostat », critique la lecture de ses deux « ex-coreligionnaires » en marxisme, mais cela n’ôte rien au fait que leur culture marxiste, comme celle d’un Lefort10, qui anime la revue Socialisme ou Barbarie avec Castoriadis, a joué un rôle majeur dans leur capacité à appréhender l’œuvre de Tocqueville.

 

Mais au-delà du paradoxe il convient d’en revenir à Tocqueville lui-même et de relire, par exemple, l’introduction de la première Démocratie, L’Etat social et politique de la France avant et depuis 1789, L’Ancien régime et la Révolution pour comprendre comment et pourquoi des historiens marxistes, ou connaissant bien l’œuvre de Marx ont lu avec grand intérêt le cheminement de l’Histoire décrit par Tocqueville, la montée économique de la bourgeoisie et le déclin de la puissance des grands féodaux dont la richesse reposait sur le fief – la terre -, et le passage de l’aristocratie à la démocratie à partir d’un système de classes-castes. Mais il faut également relire l’ensemble des textes de Tocqueville concernant l’économie pour comprendre qu’il n’est pas possible de faire de lui, comme l’a fait Hayek, un théoricien du (néo)-libéralisme économique11.

Dans la période troublée qui est la nôtre, après les multiples errances de la démocratie, au siècle dernier et aujourd’hui encore, la lecture de Tocqueville demeure un exercice salutaire.

Tocqueville n’est pas un maître penseur mais un maître à penser, qui ne nous propose pas un ensemble de réponses idéologiquement marquées mais une méthode qui repose sur un volontarisme éthique du politique.

 

  1. Tocqueville est l’un des premiers à utiliser le concept d’« état social », et sans doute le premier à employer celui d’ « état social démocratique », mais contrairement à ce qu’écrivent bien des analystes, la démocratie n’est pas réductible à l’ « état social démocratique » qui suppose une relative égalité des conditions, une mobilité sociale et une montée en puissance de l’opinion publique; mais cet « état social démocratique » peut précéder la démocratie, lui survivre quand elle est renversée par un coup d’Etat comme celui de Napoléon III ou celui des colonels grecs : l’ « état social démocratique » ne coïncide pas nécessairement avec l’existence d’un régime politique authentiquement démocratique. Voir à ce sujet : http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/tocqueville_et_la_presse/tocqueville_et_la_presse.html
  2.  Editions Bayard, mai 2005.
  3. Robert D. Putnam : Bowling Alone: America’s Declining Social Capital, Simon & Schuster, New York, 2000. Sous le même titre : De la Démocratie en Amérique, Tocqueville a rédigé deux livres différents et complémentaires, le premier publié en 1835 et le second en 1840 ; mais il s’agit bien, pour lui, d’un seul ouvrage dont les deux parties, de nature différente, constituent un diptyque.

  4. Tocqueville était l’arrière-petit-fils de Malesherbes. En 1794, ses parents, jeunes mariés, enfermés avec les six autres membres de la famille à Port-Libre, n’échappèrent à la guillotine qu’en raison de la chute de Robespierre.
  5. Je reprends ici des éléments développés dans ma conférence du 15 octobre à l’Uqàm, à l’invitation d’Yves Couture.
  6. Dont bien sûr Bernard Henry Lévy, qui n’a aucune raison de faire exception !

  7. ESPRIT, nov 2005, p. 165-177.

  8. J’entends celle qui précède Raymond Aron qui, lui, n’appartient d’ailleurs pas, à mon sens, à la droite traditionnelle par la formation, les valeurs et une certaine tradition antisémite de celle-ci…

  9. J.Y. Cousteau, le frère de l’illustre commandant, écrivit en 1942, dans Je suis partout (dont il était rédacteur en chef), un article intitulé : Alexis de Tocqueville, un quarante-huitard en peau de lapin. Avant lui, un autre penseur réactionnaire notoire, Léon de Montesquiou avait commis, en avril 1903, dans L’Action française, un article titré : Monsieur de Tocqueville, vous êtes un criminel.

  10. Lefort a été professeur de sociologie à l’Université de Caen pendant plusieurs années et il a eu notamment pour étudiant Marcel Gauchet ; l’un et l’autre ont fait une vive critique du communisme et de l’Union soviétique. La lecture que Lefort fait de l’œuvre de Tocqueville présente un intérêt certain dans la mesure où il est plus soucieux d’en dégager la vérité et le caractère propre que de l’intégrer de force dans une perspective qui ne serait pas la sienne.

  11. Le lecteur pourra se reporter à Tocqueville, textes économiques, anthologie critique, que nous avons publié, Eric Keslassy et moi, et qu’il pourra consulter en ligne sur : http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/textes_economiques/textes_economiques.html

La Ville de Trois-Rivières célèbre le 375e anniversaire de sa fondation

La Ville de Trois-Rivières célèbre le
375e anniversaire de sa fondation

 

par Gilles Durand

 

Des activités pour commémorer le 375e anniversaire de fondation de Trois-Rivières

 

Second monument Laviolette inauguré en 1934 en remplacement de celui inauguré en 1886
Crédit :
ministère de la Culture, des Communications
et de la Condition féminine
, Christian Lemire,
2005.

La Ville de Trois-Rivières fête, en cette année 2009, le 375e anniversaire de sa fondation. La fierté anime les Trifluviens comme en témoigne le 5e couplet de la chanson thème : « Tant d’éléments de fierté qu’on ne doit pas oublier1 ». Des activités diversifiées ont été mises au programme, dont le lancement par la Corporation de développement culturel de Trois-Rivières et les Éditions d’art Le Sabord d’un livre commémoratif Rencontrer Trois-Rivières : 375 ans d’histoire et de culture2. De leur côté, des Trifluviens de naissance ou de résidence ont prêté leur concours à l’équipe de rédaction de la revue Cap-aux-Diamants pour la préparation d’un numéro spécial (no 98) intitulé Bonne fête Trois-Rivières, 1634-2009.

 

Face à la capitale nationale et à la métropole qui retiennent le plus souvent l’attention, cet événement est important pour la deuxième ville française à être fondée en Nouvelle-France, après Québec, mais avant Montréal. Il apporte une plus grande notoriété à cette agglomération qui ne peut compter sur le même rythme de croissance que les deux autres pour changer sa réputation de « mi-chemin entre Québec et Montréal3 ».

 

 

Société et économie dans la ville naissante

L’histoire sociale et économique de Trois-Rivières présente des similarités avec celle de Québec et de Montréal. Il est possible que celui qui pourrait être considéré comme le véritable fondateur de la ville, Théodore Bochart du Plessis, ait été mis de côté au profit d’un personnage « dont on ignore jusqu’au prénom4 », Laviolette, en raison de son appartenance à la communauté huguenote5; un cas qui pourrait ressembler fort à celui de Dugua de Mons, un protestant, paraissant pour cette raison avoir été laissé dans l’ombre face à un Champlain longtemps considéré comme le seul fondateur de Québec. Les bâtisseurs de Trois-Rivières ont partagé le rêve des Québécois et des « Montréalistes » : créer une société franco-amérindienne, étendre leur territoire d’influence, commercer avec les populations amérindiennes, échanger les fourrures contre des produits manufacturés importés de France, faire fortune. Ils n’hésitent pas à se faire aventuriers, à se déplacer vers l’intérieur lorsque les Amérindiens cessent de fréquenter ce lieu de foire au confluent du Saint-Maurice et du Saint-Laurent : « Les plus grands coureurs des bois provenaient d’ici, Les plus grands découvreurs sont tous partis d’ici, Merci La Vérendrye6 ». À Trois-Rivières comme à Québec et Montréal, le système seigneurial constitue le moyen privilégié pour permettre aux premiers Français de s’enraciner plus facilement dans la vallée du Saint-Laurent.

Par contre, la ville fondée par Laviolette se démarque par une industrie bien à elle, les Forges du Saint-Maurice : « La première industrie de toute l’Amérique, Nous l’avons baptisée les Forges du St-Maurice, Trois-Rivières tu manipules les métaux7 ».

 

Dès 1730, des forges sont mises sur pied. Le minerai de fer de la région, des ressources forestières abondantes et facilement accessibles et les besoins urgents de la métropole pour renforcer sa marine font contrepoids aux restrictions nées du contexte mercantiliste. Le coup d’envoi est donné, les forges sont en opération durant plus de 150 ans, fermant définitivement leurs portes en 1883.

 

La mission et la paroisse

 

Les bâtisseurs de Trois-Rivières ont aussi partagé les rêves des Québécois et des « Montréalistes » d’implanter solidement le catholicisme en Amérique du Nord, de sédentariser les Amérindiens et de les intégrer aux colons français, de fournir aux uns et aux autres les services spirituels dans le cadre de la paroisse, de les éduquer et de soigner les corps. Malgré cette similitude dans les fins poursuivies, la vie à Trois-Rivières n’en présente pas moins des traits qui lui sont spécifiques. Côté paroissial, Québec profite de la présence des communautés religieuses, Jésuites et Récollets, et des prêtres séculiers auprès de ses habitants. Montréal est pris en charge par les Sulpiciens. Trois-Rivières, de son côté, bénéficie d’une implication marquée des Récollets comme pasteurs de la paroisse de Trois-Rivières et des villages riverains durant plus de 100 ans, de 1671 à 1776. Quant aux volets éducation, soins de santé et services sociaux, Québec peut compter sur les Ursulines pour l’enseignement, de même que sur les Augustines pour les services de santé (Hôtel-Dieu) et pour les secours à apporter aux indigents (Hôpital-Général). À Montréal, ces trois missions sont partagées entre les religieuses de Sainte-Croix, les religieuses Hospitalières de Saint-Joseph (Hôtel-Dieu) et les Sœurs Grises (Hôpital-Général). Fait à signaler pour Trois-Rivières, les Ursulines cumulent à la fois l’éducation et les soins de santé (Hôtel-Dieu de Trois-Rivières). Elles assument cette dernière mission durant près de deux siècles, jusqu’en 1886, année de l’ouverture de l’Hôpital Saint-Joseph et de sa prise en charge par les Sœurs de la Providence.

 

Un anniversaire à célébrer

 

La chanson thème rappelle aux Trifluviens l’importance de se souvenir – « On l’oublie, mais ils sont venus ici, Que sans eux nous ne vivrions pas ainsi, Trois-Rivières célébrons, Ce premier pan de vie…8 » –, d’être fiers de leurs origines, de les commémorer et célébrer. Toutes ces activités prennent appui sur la recherche et la diffusion de l’histoire. Comme la capitale et la métropole, Trois-Rivières compte aussi ses historiens hors pair, prolifiques. Ces personnages hors de l’ordinaire ont ouvert de nouvelles pages de l’histoire de leur coin de pays et ont compris toute l’importance de la faire connaître au grand public. Benjamin Sulte, un employé du ministère fédéral de la Milice durant une bonne partie de sa vie professionnelle, jusqu’à sa retraite en 1903, est un de ceux-là. À l’occasion du 375e anniversaire de la fondation de Trois-Rivières, la revue Cap-aux-Diamants a jugé digne d’intérêt pour ses lecteurs de le faire sortir de l’ombre. Dans le portrait que Patrice Groulx trace, il ne manque pas d’introduire quelques phrases de cet historien, journaliste et écrivain engagé, écrites en 1884 à l’occasion du projet d’inauguration d’une statue à Laviolette : « Les livres ont parlé. Que le ciseau travaille! Peuplons nos places publiques des figures de ces grands hommes. Il est beau et fortifiant de saluer chaque jour les patriotes d’un autre âge9 ».

 

Benjamin Sulte prêche non seulement par la parole, mais aussi par l’exemple. En 1884, il s’implique à fond dans les célébrations du 250e anniversaire de fondation de sa ville natale. Le peu de visibilité qu’il en retire n’est pas dû à de la tiédeur de sa part, mais à un conflit avec Mgr Louis-François La Flèche qui demande au conseil municipal de le rayer de la liste des invités d’honneur, sans quoi il ne serait pas présent aux fêtes. Blessé par la décision du conseil, Sulte n’assiste pas aux cérémonies10.

 

Faut-il tout raconter sur l’histoire de Trois-Rivières au point de médire?

 

Les commémorations et les célébrations suscitent la fierté, mais piquent aussi la curiosité. Elles peuvent constituer des occasions de découvrir certains côtés et travers de notre histoire qui nous sont inconnus. Jacques Lacoursière en donne l’occasion en nous laissant le soin de juger s’ils constituent des choses à révéler ou à garder sous le boisseau. Par exemple, cette remarque du baron de Lahontan qui écrit en 1684 : « …il faut être de la nature du chien pour y habiter, ou du moins se plaire à gratter sa peau, car les puces y sont en plus grand nombre que les grains de sable11 ». Ou bien encore le départ, en 1667, du gouverneur de Trois-Rivières, Pierre Boucher, pour les îles Percées (Boucherville), en raison, semble-t-il, de l’implication de personnes de sa famille et de son entourage immédiat dans le commerce illicite de l’eau-de-vie avec les Amérindiens. À vous de lire et de répondre.

  1. http://www.375tr.com/pdf/chanson_theme_paroles.pdf
  2. Rencontrer Trois-Rivières : 375 ans d’histoire et de culture / direction historique René Beaudoin, Trois-Rivières, Éditions d’art Le Sabord, 2009, 225 p. + un disque son. numérique
  3. Cap-aux-Diamants, no 98 : Bonne fête Trois-Rivières, 1634-2009, p. 9
  4. Patrice Groulx, « Benjamin Sulte, trifluvien pour toujours » dans Cap-aux-Diamants, no 98 : Bonne fête Trois-Rivières, 1634-2009, p. 39
  5. Yannick Gendron, « L’énigmatique La Violette » dans Rencontrer Trois-Rivières : 375 ans d’histoire et de culture, p. 58-72
  6. Extrait de la chanson thème Trois-Rivières 2009 : 375 ans de vie, 5e couplet
  7. Ibid.
  8. Extrait de la chanson thème Trois-Rivières 2009 : 375 ans de vie, 3e couplet
  9. Patrice Groulx, « Benjamin Sulte, trifluvien pour toujours » dans Cap-aux-Diamants, no 98 : Bonne fête Trois-Rivières, 1634-2009, p. 39
  10. Jacques Lacoursière, « De quelques Trifluviens de la diaspora » dans Rencontrer Trois-Rivières : 375 ans d’histoire et de culture, p. 94
  11. Jacques Lacoursière, « Trois-Rivières, victime de médisances et de calomnies? » dans Cap-aux-Diamants, no 98 : Bonne fête Trois-Rivières, 1634-2009, p. 27

Conférence au Salon du livre de Blois Jeanne Mance De Langres à Montréal, la passion de soigner

Conférence au Salon du livre de Blois
Jeanne Mance De Langres à Montréal, la passion de soigner
1

 

par Françoise Deroy-Pineau *

 

Jeanne Mance - Françoise Deroy-Pineau

Crédit : BQ

Langres, 1606 – Montréal, 1673. Entre ces deux dates s’inscrit le destin de Jeanne Mance. Un parcours hors du commun. Rien ne pouvait laisser supposer que la seconde fille de Charles Mance, modeste procureur, pousserait l’esprit d’autonomie jusqu’à outrepasser les normes d’une femme de son temps2 pour franchir le terrible océan; aller à la rencontre de ceux qu’on appellera les Premières Nations d’Amérique du Nord et devenir co-fondatrice de Montréal. Pourtant, la vie l’y avait préparée. Entre 1606 et 1639, Langres voit mourir presque la moitié de sa population, conséquences conjuguées de la peste et de la guerre. Les hommes se tiennent jour et nuit sur le pied de guerre. Les femmes doivent savoir soulager et soigner le flot continu des blessés. Jeanne s’y illustre.

Le départ pour Paris

Curieuse femme, qui n’a pas fini de susciter les interrogations dans son entourage. Bonne volonté, certes, et efficace, à la réputation bien établie de soignante, mais pas du genre à imiter autrui. Vers sept ans, elle décide en son for intérieur de se consacrer à Dieu par le vœu de chasteté. À quinze ans, elle refuse de devenir religieuse. À seize ans, elle tombe gravement malade. Les médecins la sauvent et lui prédisent une santé fragile pour le reste de ses jours. À vingt-neuf ans, elle fait preuve de piété exceptionnelle en entrant dans l’exigeante Confrérie du Saint-Sacrement, mais ne rêve en secret que de partir rendre service dans le lieu estimé le plus redoutable et le plus démuni au monde, où seuls les hommes peuvent aller, dit-on : la Nouvelle-France. Mi-avril 1640, elle apprend par un cousin parisien l’aventure de Marie Guyard de l’Incarnation et, surtout, celle de sa bailleuse fonds, Madeleine de La Peltrie, première femme laïque et célibataire à partir en Nouvelle-France. C’est un précédent. Le 30 mai 1640, Jeanne part à Paris pour trouver les moyens d’aller en Canada. À Langres, on pense qu’elle va en cette grande ville « pour s’y faire voir », comme bien d’autres.

De Paris à La Rochelle


Dans la capitale, après examen sérieux des propos inouïs de Jeanne – provinciale ni noble, ni religieuse, ni fortunée – elle est encouragée par des jésuites et un récollet à poursuivre son projet. Son charme lui attire partout des amis. Angélique Faure, veuve de Claude de Bullion richissime surintendant des finances, s’engage à financer pour elle un hôpital en Nouvelle-France et lui donne tout de suite ce qu’il faut pour prouver sa bonne volonté. Munie d’espèces sonnantes et trébuchantes, Jeanne file à La Rochelle et y rencontre le promoteur d’une expédition qui se prépare, Jérôme Le Royer de La Dauversière et son jeune chef, Paul de Chomedey. Elle est immédiatement recrutée comme « femme de vertu assez héroïque et de résolution assez mâle pour venir dans ce pays prendre le soin de toutes les denrées et marchandises nécessaires à la subsistance de ce monde et pour servir en même temps d’hospitalière aux malades ou blessés ». Ce départ fait grand bruit. La Gazette de Théophraste Renaudot du 9 mai 1641 signale : « Aujourd’hui par le soin du sieur de Saint-Christofle, s’est fait l’embarquement de Canada et de l’isle de Montréal […]. La demoiselle Mance, originaire de la ville de Langres […] qui mène une vie exemplaire [ ] y est aussi. »

L’arrivée à Québec

 

Après les affres de la traversée, Jeanne débarque à Québec complètement épuisée le 8 août 1641. Elle y rencontre Madeleine de La Peltrie, hébergée dans la plus belle maison de Québec où elle est aussi invitée. La guérilla iroquoise menace. La situation est problématique. Le projet de fondation de Montréal s’avère une folle entreprise. Un hiver passe à la préparer avec les gens de Québec convertis au « montréalisme ».
Le 17 mai 1642, Monsieur le gouverneur de Québec met immédiatement et officiellement Paul de Chomedey en possession de l’Île. Des Amérindiens amis viennent planter leurs tipis non loin. Leur chef prononce un beau discours en haut de la Montagne : « Mon grand-père […] a cultivé la terre en ce lieu-ci. Les blés d’Inde y venaient très bien; le soleil y est très bon ». Prenant de la terre avec ses mains : « regardez, dit-il, la bonté de la terre. Elle est excellente. » Mais il décline l’offre de se sédentariser près des Français.

La vie à Montréal

En avril 1643, une escarmouche survient avec une bande ennemie d’Agniers (Mohawks). C’est la première d’une longue série qui ne cessera guère du vivant de Jeanne. Louis XIII et Richelieu sont morts. Qui soutiendra la nouvelle colonie ?
Jeanne réussit à fonder un Hôtel-Dieu et soigne les blessés des combats, qu’ils soient Français ou Amérindiens. Elle s’avère aussi la conseillère écoutée du gouverneur de Montréal, Paul de Chomedey de Maisonneuve, et des habitants qui la sollicitent comme marraine. À toutes fins pratiques, son aventure personnelle se confond désormais avec celle de la colonie, qu’elle va sauver à plus d’un titre. Lorsqu’on entend la cloche d’alarme, les assaillis se replient en vitesse. Quelques-uns sont atteints par les flèches ou les arquebuses ennemies. Jeanne va au-devant des blessés et soigne leurs plaies, comme elle faisait à Langres dans sa jeunesse. Trois fois, elle devra partir en France, laissant l’hôpital à des assistantes, pour mener des démarches financières qui épargneront la colonie. Grâce à elle, la « recrue de 1653 » (cent hommes) viendra prêter main-forte à Montréal. En 1659, trois religieuses hospitalières de La Flèche viennent l’aider. L’une d’elles, Judith Moreau de Brésolles, née à Blois, est une remarquable apothicairesse.
En juin 1672, Jeanne pose la première pierre de la nouvelle église paroissiale de Montréal, mais à partir du printemps 1673, elle ne quitte plus sa chambre et finalise son testament3. Le 18 juin1673, dans la soirée, elle rend l’âme. Marguerite Bourgeoys, mère de la Nouvelle-France (conjointement avec Marie de l’Incarnation), la veille.

Des rappels mémoriels

Le souvenir de Jeanne Mance survit jusqu’à nos jours, incarné par des statues, des tableaux, des vitraux, des rues, des écoles, des édifices, une circonscription électorale, des timbres. Notons, entre autres, l’érection, en 1909, d’un monument de bronze à sa mémoire, Place d’armes à Montréal. En 1973, les Postes canadiennes impriment un timbre commémoratif du tricentenaire de sa mort. En 1976, un bâtiment gouvernemental porte pour la première fois le nom d’une femme, celui de Jeanne Mance. Il s’agit du siège social du ministère de la santé à Ottawa. Désormais, Jeanne Mance est considérée comme fondatrice de la ville de Montréal, à égalité avec Paul Chomedey de Maisonneuve.
Auteure de Jeanne Mance – De Langres à Montréal, la passion de soigner (Bibliothèque québécoise – 2009 http://www.livres-bq.com/ ) donne une conférence sur cette infirmière « sans frontières » dont la passion de soigner lui fit traverser l’océan pour venir fonder l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1645.

 

  1. Pour les dates précises et plus de détails, se reporter à notre biographie de Jeanne Mance, 2009 (1e ed, 1995), Jeanne Mance. De Langres à Montréal, la passion de soigner. Montréal, Bibliothèque Québécoise.
  2. cf dictionnaire de Furetière : « Celle qui conçoit et qui porte les enfants dans son ventre […] (être) lâche, oisif […]» (cité par François Lebrun, 2000).
  3. Ce testament est conservé aux archives des religieuses hospitalières de la Flèche à Montréal qui animent aussi un très beau musée de la médecine et des soins.

Les mythes fondateurs de la Nouvelle-France : conférence et lancement d’une publication Ils l’appelaient Nouvelle-France de Bernard Émont

Les mythes fondateurs de la Nouvelle-France :
conférence et lancement
d’une publication Ils l’appelaient Nouvelle-France
de Bernard Émont

 

par Gilles Durand

 

Trois organismes se joignent pour procéder au lancement

 

Lancement Ils l'appelaient Nouvelle-France 8 oct 2009

de g. à d. Donald Fyson, Robert Laliberté, Bernard Émont
et André Dorval
Crédit : Gilles Durand

Le jeudi, 8 octobre 2009, la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) se joint à l’Association internationale des études québécoises (AIEQ) et au Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) pour procéder au lancement d’un ouvrage préparé sous la direction de Bernard Émont, chargé de mission au ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche en France. Intitulée « Ils l’appelaient Nouvelle-France… » : introduction à la Nouvelle-France et actes des journées d’étude sur les mythes et rêves fondateurs de l’Amérique française, la publication découle de deux rencontres tenues à la Maison de la recherche de la Sorbonne les 21 et 24 mai 2008. Comme son titre l’indique, elle réunit les contributions de 26 spécialistes traitant des visions, parfois plus belles que la réalité, qui ont animé et guidé ceux qui ont jeté les bases du visage français de l’Amérique et du Québec.

 

La rencontre se déroule à l’Université Laval. Elle rassemble une trentaine d’historiens, professeurs, chercheurs, membres des milieux associatifs intéressés à la relation franco-québécoise. L’auteur, Bernard Émont, donne le coup d’envoi en entretenant l’auditoire du sujet de son ouvrage, les rêves et les mythes des fondateurs de la Nouvelle-France. Par la suite, les participants profitent de l’occasion pour échanger sur leurs préoccupations en regard du thème à l’ordre du jour.

 

Les rêves de quelques fondateurs

 

Quels sont les rêves qui animent quelques artisans de la fondation de la Nouvelle-France : côté politique, Champlain, Talon, Frontenac, Cavelier de La Salle; côté religieux, Le Royer de La Dauversière, Paul de Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance, les religieuses Hospitalières de Saint-Joseph? La lecture de l’ouvrage suggère que tous voient grand, mais qu’il existe des divergences sur la position de la capitale, Québec, et l’importance à lui donner comme point d’appui de l’expansion française en Amérique du Nord.

 

Les autorités civiles

Champlain voit l’Amérique du Nord comme un continent à exploiter commercialement pour ses matières premières, mais aussi comme un territoire à traverser pour atteindre l’Orient. De par sa situation, Québec demeure un lieu d’arrivée vers la Chine et les Indes et un port de départ vers la mère patrie. Pour ce, la ville doit être considérée comme un point d’appui solidement implanté. Talon, l’un des intendants qui lui succède, demeure convaincu du potentiel du continent, mais, à la différence du premier, la ville de Québec n’est plus tellement tête de pont que pointe d’un triangle, rempli de promesses pour un commerce florissant, reliant l’Amérique aux Antilles et à la France. Frontenac, quant à lui, reconnaît la position privilégiée de Québec pour asseoir la mainmise de la métropole sur l’ensemble du continent, mais il compte beaucoup sur la multiplication de forts, à la fois moyens de défense et comptoirs de traite. Cavelier de La Salle l’appuiera dans cette entreprise, poussant les explorations à leur extrême limite au sud et jetant les bases de la Louisiane.

 

Les autorités religieuses

De leur côté, les missionnaires fondateurs de l’Amérique française misent sur un rapprochement des populations amérindiennes. Ils entendent s’implanter en dehors de la capitale pour soigner autant les corps que les âmes. C’est dans ce sens qu’il faut voir l’entreprise de Montréal et de l’Hôtel-Dieu par Paul de Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance et les religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, de même que les premières réticences des autorités politiques et religieuses de Québec à des départs pour Montréal. Le gouverneur général Charles Huault de Montmagny tente d’abord de dissuader Maisonneuve et Jeanne Mance de se rendre à Montréal. Ceux-ci n’abandonnent pas la partie, le premier faisant même appel à une nouvelle communauté religieuse. En 1657, il mande les Sulpiciens pour prendre charge de la paroisse de Montréal, les Jésuites étant déjà bien implantés à Québec et au service de l’évangélisation des Amérindiens. À leur arrivée de La Flèche, les hospitalières de Saint-Joseph sont aussi invitées à se fusionner avec les augustines hospitalières de Québec par Mgr de Laval, celui-ci étant d’abord réticent à une nouvelle communauté à Montréal. Tous poursuivent leur rêve. L’Église et les services de santé et les services sociaux prennent racine dans ce qui est aujourd’hui la métropole et se déploient au rythme des nouveaux besoins et des priorités.

 

Une invitation à retourner aux sources originales et à les interroger sous l’angle des rêves et des mythes

Les rêves et les mythes ont la vie dure. Lors de la guerre de Sept Ans, Montcalm ne s’oppose-t-il pas à Vaudreuil quant à l’étendue du territoire sur lequel seront déployées les forces françaises, le premier privilégiant une concentration des ressources dans la vallée du Saint-Laurent, le second un déploiement sur toute l’étendue du territoire exploité par les Français1. Plus près de nous, lors du 250e anniversaire de la fondation de Trois-Rivières en 1884, n’est-ce pas pour avoir reproché à Mgr de Laval et aux jésuites d’avoir trop mis l’accent sur les missions amérindiennes au détriment des services aux colons, que le trifluvien Benjamin Sulte s’est vu rayé de la liste des invités d’honneur sous l’influence de Mgr Louis-François Laflèche2. La publication, préparée sous la direction de Bernard Émont, possède le grand mérite de nous inviter à relire les écrits anciens sous un nouvel angle, non plus pour y chercher des faits et des dates, mais pour y déceler les mobiles des pionniers à la base de la relation franco-québécoise.

 

  1. Voir Jacques Lacoursière et Hélène Quimper, Québec ville assiégée d’après les acteurs et les témoins, 1759-1760.
  2. Voir Patrice Groulx, « Benjamin Sulte, trifluvien pour toujours » dans Cap-aux-Diamants, Bonne fête Trois-Rivières, 1634-2009, no 98, p. 38.

Publication phare Combattre pour la France en Amérique : les soldats de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, 1755-1760

Publication phare
Combattre pour la France en Amérique : les soldats
de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, 1755-1760

par Gilles Durand

 

Combattre pour la France en Amérique

Crédit : Memodoc

 

Plusieurs événements ont rappelé le 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham et de la mort de Montcalm : lancements de publications, dévoilement de mémorial et de plaque souvenir, marche, rassemblements, dépôts de gerbes de fleurs, colloque et journée d’études, conférences, visites d’expositions, etc. Parmi toutes ces activités commémoratives, le lancement de la publication Combattre pour la France en Amérique : les soldats de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, 1755-1760 aura constitué un moment fort.

 

Le Projet Montcalm

L’ouvrage est le fruit de plus de trois années de recherche dans les dépôts d’archives d’Amérique et d’Europe. Il découle des travaux d’une équipe de généalogistes et d’historiens rassemblés dans le cadre du Projet Montcalm sous la direction de Marcel Fournier.

 

La publication découlant du Projet

La publication bien illustrée comprend plus de 629 pages. Le corps principal est constitué d’une courte biographie de chacun des 7 500 officiers et soldats français des troupes de Terre venus combattre en Nouvelle-France, tant ceux établis au pays à la suite du conflit que décédés ou retournés en France. Ce répertoire est précédé d’études sur le contexte de la guerre et sur chacun des régiments d’infanterie dont faisaient partie les soldats, de données statistiques sur ceux-ci, de listes de départs et d’arrivées de navires de transport des troupes, de même que d’une description des grandes séries de documents d’où les informations ont été tirées. Même si le volume ne traite pas des soldats de troupes relevant du ministère de la Marine, il n’en renferme pas moins une étude de nature à orienter pour poursuivre les recherches dans les archives. Les généalogistes et les chercheurs ont maintenant à leur portée un outil pour remonter leur lignée et peut-être découvrir un soldat de la guerre de Sept Ans parmi leurs ancêtres.

 

Cet ouvrage est édité et diffusé au prix de 65 $ incluant la taxe par :

 

La Société généalogique canadienne-française
3440, rue Davidson
Montréal, (Qc ) Canada H1W 2Z5
514-527-1010
info@sgcf.com
Bon de commande : http://www.sgcf.com/

 

Il est disponible également au Musée de la Civilisation du Québec et à la Librairie du Nouveau Monde, 103 rue Saint-Pierre, Québec, (QC) G1K 4A3 (418) 694-9475

 

En France : disponible sur le site Archives et Culture

 

La médaille du Service historique de la Défense au directeur du Projet

 

Remise de la médaille du Service historique de la Défense à Marcel Fournier par le général Gilles Robert.

Remise de la médaille du Service historique
de la Défense à Marcel Fournier par le général
Gilles Robert.
Crédit : Commission des champs de bataille nationaux

Le directeur du Projet Montcalm et de la publication, Marcel Fournier, a vu la qualité de la contribution de son équipe reconnue. Il a été invité à présenter le contenu de l’ouvrage dans le cadre d’activités commémoratives. Il a aussi reçu la médaille du Service historique de la Défense des mains de son chef, le général Gilles Robert. Toutes nos félicitations pour ce magnifique apport à la mémoire franco-québécoise.

Tocqueville, la Touraine et le Bas-Canada

Tocqueville, la Touraine et le Bas-Canada1

 

Carl Grenier
Professeur associé
Département de science politique de l’Université Laval

 

Alexis de Tocqueville

Alexis de Tocqueville
Source : Wikipedia L’encyclopédie
libre

L’année 2009 marque le cent-cinquantième anniversaire de la mort d’Alexis de Tocqueville, penseur et homme politique français, dont le souvenir et l’œuvre restent bien vivants aux États-Unis, alors que son orientation ‘libérale’ lui vaudra une longue éclipse dans son propre pays. Ce n’est que vers la fin des années 1960, sous l’influence de François Furet et de Raymond Aron, que la France redécouvre Tocqueville, qu’Aron place résolument au rang des fondateurs de la sociologie.

Le voyage aux États-Unis

 

C’est en 1831 que Tocqueville, alors âgé de 26 ans, et son ami Gustave de Beaumont, qui occupent alors l’un et l’autre des postes mineurs au tribunal de Versailles, vont effectuer (à leurs frais!) un voyage de dix mois aux États-Unis pour y observer le système pénitentiaire américain dans la perspective d’une réforme du système correctionnel français. Ce n’est pourtant pas leur rapport (publié en 1832) sur ce sujet qui valut une célébrité quasi-instantanée à Tocqueville mais bien son ouvrage majeur De la démocratie en Amérique (1835) qui le propulse entre autres honneurs à l’Académie française dès 1841.

 

La découverte du fait français

Un voyage d’étude comporte souvent un volet ‘touristique’ : Tocqueville, peut-être inspiré par son célèbre petit-cousin Chateaubriand, tient à pénétrer la partie plus sauvage des États-Unis, et c’est à l’occasion d’une excursion dans la région des Grands-Lacs qu’il est surpris de rencontrer des francophones : « Toute la population de [Sault] Sainte-Marie est française. Ce sont de vieux Français gais et en train comme leurs pères et comme nous ne le sommes pas. Tout en conduisant nos canots, ils nous chantaient de vieux airs qui sont presque oubliés maintenant chez nous. Nous avons retrouvé ici le Français d’il y a un siècle, conservé comme une momie pour l’instruction de la génération actuelle »2.

Tocqueville est surpris car il croyait comme la plupart de ses contemporains français que les descendants des colons français, abandonnés par la France lors de la cession de ses colonies d’Amérique du Nord quelque soixante-dix ans auparavant, avaient été assimilés par leurs nouveaux maîtres. Du coup, il décide de visiter le Bas-Canada, essentiellement Montréal et Québec, où il fera, toujours avec son ami Beaumont un court séjour du 20 août au 2 septembre 1831.

Les observations de Tocqueville sur le Bas-Canada

Cette rapide ‘excursion’ au cœur de l’ancienne Nouvelle-France est loin d’être aussi bien planifiée que le séjour aux États-Unis, et Tocqueville ne rassemblera pas ses notes ou la substance des quelques lettres rapportant ses observations à des proches en un tout cohérent. Malgré la brièveté de son séjour, l’acuité de perception et la profondeur d’analyse manifestes de ses œuvres subséquentes sont bien présentes dans le regard qu’il porte sur ce qui deviendra le Québec quelques années plus tard.

La domination des Britanniques sur tout ce qui touche l’économie le frappe; il trace un portrait assez flatteur du caractère du peuple canadien: « Somme toute, ce peuple-ci ressemble prodigieusement au peuple français(…) Gais, vifs, railleurs, aimant la gloire et le bruit, intelligents, éminemment sociables, leurs mœurs sont douces et leur caractère serviable. Le peuple est en général plus moral, plus hospitalier, plus religieux qu’en France. Il n’y a qu’au Canada qu’on puisse trouver ce qu’on appelle un bon enfant en France. L’Anglais et l’Américain est ou grossier ou glacé ».

Au plan politique, Tocqueville constate que ses interlocuteurs voient très bien que « la race anglaise s’étend autour d’eux d’une manière alarmante » et qu’ils « finiront par être absorbés », mais « ils ne voient pas clairement le remède ». Après avoir observé le fonctionnement d’un tribunal civil à Québec, Tocqueville conclut sombrement « que le plus grand et le plus irrémédiable malheur pour un peuple c’est d’être conquis ». Sans être complètement pessimiste, il regrette l’absence apparente de leadership : « Au total cette population nous a paru capable d’être dirigée quoique encore incapable de se diriger elle-même. Nous arrivons au moment de la crise. Si les Canadiens ne sortent pas de leur apathie d’ici à vingt ans, il ne sera plus temps d’en sortir. Tout annonce que le réveil de ce peuple approche. Mais si dans cet effort les classes intermédiaires et supérieures de la population canadienne abandonnent les basses classes et se laissent entraîner dans le mouvement anglais, la race française est perdue en Amérique. Et ce serait en vérité dommage car il y a ici tous les éléments d’un grand peuple ».

Le retour en France

À son retour en France, Tocqueville va continuer à s’intéresser de loin à ce qui se passe en Amérique du Nord. Il va porter un jugement assez sévère sur l’effort colonisateur de la France, qui pâtit d’une comparaison avec l’effort colonisateur des Anglais, notamment au chapitre de la grande tendance française à tout régler à partir du centre. Lorsqu’éclate en 1837 la révolte qu’avait pressentie Tocqueville au moment de son passage au Bas-Canada, il refuse à son ami et traducteur anglais Henry Reeve, qui occupe également la haute fonction de greffier du Conseil privé, de conseiller le gouvernement britannique sur la politique à suivre… Il citera plus tard le Rapport Durham dans une intervention de son siège de député pour critiquer la politique coloniale française : « Ce rapport jette de grandes lumières, non seulement sur la question du Canada, mais sur celle de l’Algérie (…) Ce sont les mêmes fautes produisant les mêmes malheurs ».

Vingt ans après son voyage en Amérique, le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte met fin à la carrière politique de Tocqueville. Sur les conseils de ses médecins, il séjourne à Tours pendant près d’un an, pour mieux soigner sa tuberculose. C’est là, en dépouillant systématiquement les archives que Tocqueville achève de rédiger sa dernière grande œuvre L’Ancien Régime et la Révolution.

 

  1.  Résumé d’une conférence prononcée devant les membres de l’Association Touraine-Canada à Tours le 18 juin 2009
  2.  Notes : les citations proviennent toutes soit de l’ouvrage de Jacques Vallée Tocqueville au Bas-Canada, Éditions du Jour, 1973, ou du choix de textes commentés de Claude Corbo Regards sur le Bas-Canada, d’Alexis de Tocqueville, paru chez TYPO en 2003.

Le 150e anniversaire de l’établissement du Consulat général de France à Québec

Le 150e anniversaire de l’établissement du
Consulat général de France à Québec

par Gilles Durand

 

Le 8 septembre 2009, la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) célèbre le 150e anniversaire de l’établissement du Consulat général de France à Québec. Pour rappeler cet événement fondamental dans la relation Québec-France, elle met à l’œuvre un comité formé de neuf de ses membres avec le mandat d’organiser un colloque d’envergure sur l’histoire de ce poste diplomatique. L’activité n’aurait pu voir le jour sans le concours indispensable de plusieurs collaborateurs, tout particulièrement celui de l’Association Québec-France.

De concert avec l’équipe de production de Cap-aux-Diamants, la CFQLMC s’entoure aussi de ses membres, d’acteurs et témoins, d’historiens pour assurer la préparation d’un dossier spécial dans le numéro 99 de la revue http://www.capauxdiamants.org/

 

Le colloque du 8 septembre 2009

Les deux coprésidents Pierre-André Wiltzer et André Dorval à l’ouverture
Crédit : Amélie Breton, photographe

Le colloque du 8 septembre 2009


Plus de 170 participants sont accueillis au Musée de la civilisation du Québec par les deux coprésidents de la CFQLMC, André Dorval et Pierre-André Wiltzer, en compagnie de la Consule générale de France à Québec, Hélène Le Gal. Dès leur entrée, de même qu’à la clôture du colloque, les participants sont à même de réaliser pleinement la contribution incontournable de la CFQLMC à la connaissance et à la diffusion de l’héritage partagé par le Québec et la France : plus de quinze ouvrages, traitant des liens historiques et culturels plus que quadricentenaires entre les deux peuples sont mis en montre; deux nouvelles publications sont aussi lancées pour l’occasion, un numéro spécial (no 99) de la revue Cap-aux-Diamants consacré en partie aux 150 ans du Consulat général de France à Québec de même qu’un répertoire sur support électronique des actes de baptême, mariage et sépulture des membres de la communauté française en sol québécois enregistrés au Consulat.

Dès neuf heures et pour le reste de la journée, douze conférenciers, diplomates, hauts fonctionnaires, historiens, professeurs, représentants engagés de la société civile, journaliste, se succèdent pour témoigner des débuts du Consulat, de ses périodes fastes et des intermèdes plus difficiles qu’il a vécus, de même que du contexte dans lequel ses actions ont été posées.
Voir le programme : http://www.cfqlmc.org/images/stories/feuillet_colloque_09_150.pdf

 

De la fondation de Québec à la visite de la corvette La Capricieuse

De la fondation de Québec en 1608 à la conquête anglaise en 1760, point n’est besoin de consul ou d’ambassadeur : deux peuples, un même gouvernement, une même aventure entre Français de France et Français d’Amérique. Le traité de Paris de 1763 les éloigne l’un de l’autre sans briser totalement le lien qui les relie. Les Québécois doivent attendre des modifications au contexte international – une plus grande liberté commerciale sur les mers et un rapprochement de leur ancienne mère patrie avec l’Angleterre consécutif à la guerre de Crimée – pour une reprise de contacts plus suivis et soutenus. C’est ainsi qu’en 1855, ils accueillent dans l’enthousiasme le plus complet le commandant Paul-Henry Belvèze de la corvette française La Capricieuse. Pourtant, Belvèze n’est chargé alors que d’une mission commerciale. N’importe, les Québécois ne cachent pas leur affection pour leur ancienne mère patrie. Les bases sont maintenant jetées pour des relations plus suivies.

Plus de 100 années de relations prudentes entre la France et le Québec

 

Des publications qui suscitent l'intérêt

Des publications qui suscitent l’intérêt
Crédit : Gilles Durand

Au cours des 100 années qui suivent la mission de la Capricieuse, la France fait régulièrement montre de prudence. Elle doit tenir compte de ses intérêts et de la situation de son ancienne colonie, le Québec, d’abord comme partie de l’empire britannique, puis, à compter de 1867, comme État fédéré rattaché à un État central chapeautant des provinces à majorité anglophone. Pour se conserver les bonnes grâces de son alliée, la Grande-Bretagne, elle choisit des consuls qui connaissent bien les institutions britanniques. Au 20e siècle, les consuls en poste au Québec doivent rester à l’écart des revendications des nationalistes du Québec et de celles provenant des minorités de langue française des autres provinces pour ne pas froisser le gouvernement canadien. Ils doivent éviter des conflits ouverts avec la droite et le clergé canadien-français qui dénoncent les mesures anticléricales de la France républicaine. Ils doivent surveiller leur attitude face à des interlocuteurs qui divergent d’opinion à l’égard d’une France tombée sous le joug allemand.

Durant cette période, les relations du Québec avec la France demeurent modestes. Elles sont surtout de nature économique et culturel. En 1882, le Québec répond en nommant à Paris Hector Fabre comme agent commercial et financier. Au 20e siècle, les échanges universitaires, éducatifs et culturels se développent et se multiplient.

Les années 1960 et la visite de de Gaulle

Au début des années 1960, de nouveaux événements se produisent. Du côté européen, le chef de l’État français, le général de Gaulle, refuse l’entrée de la Grande-Bretagne, trop liée aux États-Unis, dans la Communauté économique européenne. Cherchant des appuis, de Gaulle se tourne tout naturellement vers des États qui possèdent une affinité de langue et de culture avec la France. Le Québec, les « Français du Canada » comme il aime les appeler, est tout désigné. En même temps, le Québec entre dans sa révolution tranquille. D’une province timide dans l’exercice de ses compétences notamment en matière d’éducation – laissées en grande partie aux mains du clergé et des communautés religieuses –, il assume davantage son rôle d’État, soucieux d’améliorer le sort des Québécois tout en protégeant leur langue et leur culture. Dans le but de profiter de l’expertise et de l’expérience acquises par son ancienne mère patrie, il met tout en œuvre pour établir des contacts directs avec celle-ci dans ses champs de compétence, sans avoir à passer par Ottawa. En 1961, il établit la Maison du Québec à Paris qui devient en 1964 la Délégation générale du Québec à Paris.

C’est dans un tel contexte que le général de Gaulle profite de l’exposition universelle de 1967 pour faire une visite au Québec. Pour éviter d’arriver d’abord à Ottawa, il fait le voyage par bateau jusqu’au port de Québec. Il est accueilli triomphalement le long de son parcours sur le chemin du Roy entre Québec et Montréal. Croyant que le Québec accédera un jour ou l’autre à la souveraineté, il lance du balcon de l’hôtel de ville de Montréal le fameux « Vive le Québec libre ».

L’après de Gaulle jusqu’à aujourd’hui

 

André Dorval, Hélène Le Gal, Pierre-André Wiltzer

De g. à d. André Dorval, Hélène Le Gal, Pierre-André Wiltzer
Crédit : Gilles Durand

Le chef de l’État français, le général de Gaulle, ne s’en tient pas qu’aux mots. Des gestes concrets sont posés à la suite de sa visite. Le Consulat de France à Québec est élevé au rang de quasi-ambassade. Il acquiert une fonction politique. Il est doté de services complets de presse, d’information et de coopération. Dégagé de la tutelle de l’ambassade française à Ottawa, il peut communiquer directement avec le Quai d’Orsay et le gouvernement québécois. En 1980, un personnel plus nombreux emménage dans un nouvel édifice pour l’exercice de son mandat élargi, la maison Kent1; tour à tour habitée par Marie-Barbe de Boulongue, veuve du gouverneur Louis d’Ailleboust, la famille Chartier de Lotbinière, Nicolas-Roch de Ramezay et Edward-Auguste, duc de Kent, cette résidence témoigne de l’aventure du peuple québécois en terre d’Amérique. L’élan est donné. La venue au Québec du général entraîne de nombreux accords de coopération, notamment en matière d’éducation et de formation des jeunes et de la main-d’œuvre. Les accords sont signés directement par le gouvernement français et celui du Québec, sans l’intermédiaire d’Ottawa. Des organismes de coopération et d’échanges voient le jour, notamment l’Office franco-québécois pour la jeunesse. D’autres organismes contribueront ultérieurement à la vitalité de ces échanges : les Associations Québec-France et France-Québec, la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoires communs, le Conseil franco-québécois de coopération universitaire et son ancêtre, le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise, etc. Le Québec peut aussi compter sur le support de la France pour établir des liens directs, sans intermédiaire, avec les gouvernements étrangers dans ses domaines de compétence et pour devenir un acteur central de la francophonie.

La présence du Consulat général de France à Québec

 

Les conférenciers reconnaissent les effets bénéfiques pour le Québec de la présence du Consulat général de France : celui-ci est un acteur incontournable de la coopération franco-québécoise. La nouvelle Consule générale en poste depuis août 2009, Hélène Le Gal, assure les participants qu’à l’exemple de ses 34 prédécesseurs, elle continuera d’être à l’écoute du gouvernement du Québec et des Québécois. Tous pourront compter sur son appui de même que sur celui du personnel du Consulat pour se rapprocher de la France et partager ce qu’ils ont en commun avec celle-ci.

 

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Le colloque sur le 150e anniversaire du Consulat général de France à Québec
(1859-2009) a été un franc succès.

Les « Actes du colloque » seront disponibles vers la fin du mois de septembre 2010.

Si vous voulez en être informés,
inscrivez-vous à notre bulletin Mémoires vives si ce n’est déjà fait:
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Ou surveillez la page d’accueil de notre site Web
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Voir l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-242/Maison_Kent_à_Québec.html

Inauguration d’un vitrail à l’église paroissiale de La Flèche en souvenir du 350e anniversaire du décès du fondateur de la communauté, Jérôme Le Royer de La Dauversière

Inauguration d’un vitrail à l’église paroissiale de La Flèche en souvenir du 350e anniversaire du décès du fondateur de la communauté, Jérôme Le Royer de La Dauversière

 

 

par Michèle Marcadier
France

 

Pour la congrégation des religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, l’année 2009 fut marquée par des célébrations particulières célébrant le 350e anniversaire du décès de leur fondateur, Jérôme Le Royer de la Dauversière.

 

À La Flèche plusieurs temps forts ont jalonné cette année commémorative, dont le point d’orgue a été la pose du vitrail, dédié à la mémoire de Jérôme Le Royer de la Dauversière, à l’église Saint-Thomas, le dimanche 8 novembre.

 

Ce vitrail a été offert par la congrégation des Hospitalières de Saint-Joseph qui voulait ainsi « perpétuer la mémoire de ce chrétien engagé qui a promu les valeurs de la famille, de la solidarité avec les pauvres, du soin compétent, de la dignité et des valeurs spirituelles de tout homme».

 

C’est dans l’église où il fut baptisé, l’église Saint-Thomas de La Flèche, que le vitrail qui lui est dédié a été installé.

Ce vitrail retrace les moments forts d’un destin hors du commun.

 

Fondation des Hospitalières de Saint-Joseph

Jérôme est né le 18 mars 1597. Ce père de famille, chrétien engagé, fut aussi un grand mystique. En 1633, à l’issue d’une grave maladie, qu’il comprend comme un signe de Dieu, il entreprend de fonder une congrégation de femmes dédiée au service des pauvres et des malades. Le petit groupe qu’il réunit autour de lui et qui se nomme la confrérie de la Sainte-Famille deviendra par la suite la congrégation des Hospitalières de Saint-Joseph.

 

Création de Ville-Marie

Jérôme se consacre parallèlement à la seconde mission qu’il s’est fixée après 1633, celle d’établir en Nouvelle-France, un établissement destiné à christianiser les Amérindiens et à y faire vivre la vie chrétienne et ecclésiale des origines. Ce projet prend forme, suite à sa rencontre avec Jean-Jacques Olier, en 1639, à Paris. Ensemble, ils s’associent à un groupe de dévots et formeront la Société Notre-Dame de Montréal.

 

Les années suivantes seront occupées par les préparatifs pour fonder la mission : acquisition de l’île de Montréal, recrutement des personnes, dont Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance.

 

Malgré de nombreuses difficultés matérielles, financières et administratives, l’indifférence ou l’opposition violente des populations locales, le projet prend corps peu à peu et Ville-Marie est fondée en 1642. Resté en France, Jérôme de la Dauversière travaille avec acharnement à réunir les fonds nécessaires et à recruter les colons qui quittent chaque année par petits groupes la métropole pour le nouvel établissement.

 

Jérôme Le Royer meurt à La Flèche le 6 novembre 1659 après avoir accompagné à La Rochelle, les trois premières Hospitalières, Judith Moreau de Brésoles, Catherine Macé et Marie Maillet qui s’embarquent pour Ville-Marie afin d’aider Jeanne Mance à l’hôtel-Dieu de Montréal. Il s’est éteint sans jamais apprendre la nouvelle de leur arrivée à bon port!

 

La Société Notre-Dame se départira de sa mission de christianisation, quatre ans après le décès de Le Royer de la Dauversière. Sur le terrain, à Montréal, le négoce succédera à la ferveur missionnaire.

 

Pose d’un vitrail commémoratif

La rédaction remercie les religieuses Hospitalières de La Flèche de lui avoir fait parvenir
une animation présentant le vitrail dans chacun de ses détails

 

Le second document interprète chacun des quatre registres du vitrail

 

Les Religieuses Hospitalières de St Joseph

Crédit vitrail : Les Religieuses Hospitalières de St Joseph

Marcel Moussette et Monique C. Cormier reçoivent la plus haute distinction du gouvernement du Québec dans des disciplines qu’ils mettent à contribution pour enrichir la mémoire franco-québécoise

Marcel Moussette et Monique C. Cormier reçoivent
la plus haute distinction du gouvernement du Québec
dans des disciplines qu’ils mettent à contribution
pour enrichir la mémoire franco-québécoise

 

par Gilles Durand

 

La cérémonie du 3 novembre 2009

Le 3 novembre 2009, dans le cadre d’une cérémonie à la salle du Conseil législatif à l’Assemblée nationale du Québec, Marcel Moussette et Monique C. Cormier ont reçu la plus haute distinction du gouvernement du Québec dans leur domaine respectif, soit l’archéologie historique et la terminologie et lexicographie.

 

Marcel Moussette

Marcel Mousette

Crédit : Gouvernement
du Québec, Les Prix
du Québec, Rémy Boily

Marcel Moussette se voit récompensé du prix Gérard-Morisset pour la qualité exceptionnelle de ses réalisations en patrimoine. Intéressé au Régime français, il a consacré sa carrière à la recherche des vestiges matériels enfouis dans le sol, qui témoignent de la présence française en sol québécois et de son adaptation aux conditions prévalant de ce côté-ci de l’Atlantique. Le lauréat 2009 œuvre depuis 1968 non seulement à inventorier et à dater les sites et objets archéologiques mis au jour – site du Palais de l’intendant, installation de colons à l’Île aux Oies près de Montmagny, chauffage domestique, épingles, ciseaux, dés à coudre, etc. –, mais aussi à les interpréter. Dans ses travaux, il tient compte de l’environnement naturel et du contexte culturel et fait appel aux documents écrits et aux conclusions des chercheurs en sciences humaines et de d’autres disciplines dites « dures ».

Le récipiendaire du prix Gérard-Morisset s’implique non seulement dans le développement des connaissances en archéologie, mais aussi dans leur diffusion. Il conserve son statut de professeur à l’Université Laval et continue de former des étudiants et étudiantes à la recherche sur le terrain. Il a également à son crédit de nombreuses publications dont la plus récente parue en 2009 s’intitule Prendre la mesure des ombres : archéologie du Rocher de la Chapelle, Île aux Oies (Québec). Par sa production, Marcel Moussette dévoile des côtés jusque-là inconnus de l’aventure française en terre d’Amérique et ouvre de nouvelles pages de l’histoire commune aux Français et aux Québécois.

 

 

Monique C. Cormier

Monique C. Cormier

Crédit : Gouvernement
du Québec, Les Prix
du Québec, Rémy Boily

Monique C. Cormier est honorée du prix Georges-Émile-Lapalme pour son parcours exceptionnel qui contribue à la promotion et au rayonnement de la langue française dans la société québécoise. Comme terminologue et lexicographe, la récipiendaire s’implique à fond dans le rehaussement de la qualité du français dans le Québec d’aujoud’hui, tout en demeurant préoccupée par les fondements et l’évolution de notre langue par rapport à celle utilisée par les Français. En 2008, elle organise la journée des dictionnaires, des témoins du français tel qu’il se parle et s’écrit de même que des outils que nous utilisons tous les jours sans toujours en bien connaître le contenu et le contexte de production. Au cours de cette journée, des conférenciers québécois et français se succèdent pour démontrer ce que le français du Québec et celui de France ont en commun et en quoi ils se distinguent. L’ensemble des interventions donnent l’occasion aux participants d’en apprendre davantage sur les modifications apportées à une langue européenne semée en terre d’Amérique, sur les démarches donnant aux québécismes droit de citer dans les dictionnaires français – le Robert et le Larousse –, sur le rôle de l’Académie française, sur l’état actuel du français québécois, etc. Une publication accompagne l’événement, préparée sous la codirection de la lauréate et titrée Les dictionnaires de la langue française au Québec de la Nouvelle-France à aujourd’hui. Le titre de l’introduction « Fidélité et autonomie » qu’elle signe, résume bien le thème central développé au cours de la journée. Il annonce les tensions et les divisions que les efforts d’adaptation de notre langue ont suscitées et dont la suite de la publication témoigne.

 

Le cheminement de la lauréate, c’est toute une carrière consacrée à l’enseignement à l’Université de Montréal, à la formation d’étudiants et d’étudiantes à poursuivre son oeuvre de même qu’à la préparation de publications. Ces nombreuses responsabilités ne l’empêchent cependant pas de prendre position sur les mesures destinées à assurer le qualité du français lorsque l’occasion se présente. Elle ne manque pas non plus de rappeler ce que Québécois et Français ont en commun dans un domaine qui se situe au cœur de notre identité, la langue française, et qui constitue un des repères d’une histoire imbriquée.

Jacques Mathieu lance l’ouvrage L’Annedda, l’arbre de vie pour élargir la connaissance de la contribution des Premières Nations à l’Amérique française

Jacques Mathieu lance l’ouvrage L’Annedda, l’arbre de vie pour élargir la connaissance
de la contribution des Premières Nations à l’Amérique française

 

par Gilles Durand

 

Un peu d’histoire

 

Jacques Mathieu, Alain Asselin, André Juneau, Gilles Barbeau

Jacques Mathieu, historien et auteur, entouré
de collaborateurs : Alain Asselin, ethnobotaniste,
André Juneau, président de la Commission des champs
de bataille nationaux, et Gilles Barbeau, pharmacologue.
Crédit : Commission des champs de bataille nationaux

 

Lors de la guerre de Sept Ans en Amérique, les Amérindiens prêtent main-forte aux Français dans leur lutte contre les Britanniques. Jacques Mathieu rappelle un nouvel épisode de cette collaboration en lançant à l’été 2009 un ouvrage intitulé L’annedda : l’arbre de vie1. Voilà bien plus de deux cents ans, les autochtones sont là pour supporter Cartier dont l’équipage est aux prises avec la grave maladie du scorbut. Grâce à cet arbre dénommé annedda en langage amérindien ou arbre de vie – arbor vitae sous sa désignation latine –, les marins atteints sont en effet guéris en six jours. La commémoration du 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham est un moment bien choisi pour le rappeler. Des combattants sont aussi atteints par le scorbut. Montcalm et son bras droit Lévis se tournent vers les plantes pour y trouver un remède.

 

L’annedda, identifié à l’arbre de vie, c’est tout à la fois une longue histoire de rapprochement et de distanciation entre Amérindiens et Français, mais aussi d’incertitude face aux conclusions de savants quant à l’espèce concrète qu’il représente.

 

 

Le contexte européen

Au retour en France, en 1536, de son deuxième voyage, Cartier prend soin d’apporter des semences de cet annedda. Elles sont plantées dans les jardins du roi à Fontainebleau et suscitent progressivement l’intérêt des savants. Les botanistes français scrutent l’arbre de vie comme élément du monde végétal, mais non pour ses vertus antiscorbutiques et ses usages thérapeutiques. Ils le décrivent sans poser la question du pourquoi il porte ce nom. Partagés entre le désir de réconcilier leur savoir avec celui des Grecs et des Latins, ils effectuent des rapprochements de cet arbre avec d’autres espèces d’arbres, sans toutefois que les appellations retenues et les savoirs convergent d’un chercheur à l’autre. De son côté, le contexte ne pousse pas à accorder trop d’importance à la question. À l’époque, l’Europe est aux prises avec un mal très répandu provenant du Nouveau Monde, la syphilis, et d’autres remèdes, tels le sassafras et le bois de gaïac, ont la faveur pour l’enrayer.

 

Le contexte nord-américain

De ce côté-ci de l’Atlantique, le contexte n’aide pas à résoudre l’énigme de l’espèce d’arbre à laquelle correspond l’annedda. Entre les voyages de Cartier et l’arrivée de Champlain, plus de 50 années se sont écoulées au cours desquelles les détenteurs du savoir original, les Iroquoiens, sont disparus de la vallée du Saint-Laurent. Par la suite, l’approche des Amérindiens, fondée sur l’observation, l’expérimentation et la transmission orale – plutôt que théorique –, de même que l’intégration de superstitions à leur savoir, ne favorisent pas l’ouverture complète des nouveaux arrivants aux populations déjà en place.

 

La progression des connaissances

Malgré tout, des savants et des observateurs comme le botaniste français Duhamel du Monceau commencent à apporter des éléments de réponse à la grande question de savoir à quelle espèce correspond l’arbre de vie. Du Monceau étudie les usages thérapeutiques des conifères et découvre le caractère antiscorbutique de l’épinette, de la pruche et du sapin. Les études qui suivent à compter du 19e siècle, établissent avec encore plus de précision et de certitude les qualités et les vertus du sapin comme remède au scorbut et ainsi apportent leur contribution à l’identification du végétal, qui avait sauvé une partie de l’équipage de Cartier, aux conifères, plus particulièrement au sapin.

 

L’intégration du savoir amérindien au savoir français

L’ouvrage de Jacques Mathieu innove dans le champ des relations entre Québécois et Français. Jusqu’à maintenant, les historiens ont reconnu le support indispensable des Amérindiens à l’implantation des Français en Amérique du Nord. Lors du second voyage de Cartier, il y a transfert de connaissances, mais au niveau des soins apportés. Nous sommes en présence d’un événement ponctuel. L’ouvrage de l’auteur invite à examiner le transfert des connaissances des Amérindiens au développement des sciences de la santé, médecine, pharmacologie. Il y a là un champ de recherche négligé dans lequel l’engagement de chercheurs pourra éviter la perte d’éléments d’information.

Mathieu, Jacques avec la coll. de Alain Asselin et al., L’annedda : l’arbre de vie, Québec, Septentrion, 2009, 187 p.

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