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Bulletin n°34, août 2012

Samuel de Champlain de Brouage ou de La Rochelle ? – Les deux !

Samuel de Champlain
de Brouage ou de La Rochelle ? – Les deux !

 

Par Marcel Fournier, AIG
Historien et généalogiste
Coordonnateur du Fichier Origine

 

Portrait de Samuel de Champlain

Faux portrait de Samuel de Champlain
Crédit : Bibliothèque et Archives Canada, n° C-006643

La découverte par le généalogiste français Jean-Marie Germe de l’acte de baptême de Samuel de Champlain daté du 13 août 1574 dans le registre pastoral du temple Saint-Yon de La Rochelle  constitue une donnée inédite pour l’histoire de la ville de Québec et de la Nouvelle-France. Bien que le nom du père de Samuel soit Chapeleau au lieu de Champlain dans l’acte, il s’agit selon moi d’une variante orthographique courante dans les actes anciens. Grâce à cette trouvaille, on peut maintenant écrire que Champlain avait 34 ans lorsqu’il fonde la ville de Québec en 1608, 36 ans lorsqu’il épouse Hélène Boulé à Paris en 1610 et 61 ans à sa mort à Québec en décembre 1635.

Le fait que Champlain soit de confession protestante ne surprend pas. Son prénom d’inspiration biblique, fréquent chez les protestants, et la période de sa naissance dans les provinces d’Aunis et de Saintonge, fiefs du protestantisme dans l’ouest de la France, confirment ses origines religieuses bien que par la suite, il fut un fervent catholique. Quant au lieu de la naissance de Champlain, on ne peut affirmer qu’il soit né à La Rochelle. Selon moi, le fondateur de Québec est né à Brouage et baptisé à La Rochelle. Voici les arguments qui tendent à justifier cette opinion :

Champlain est dit de Brouage dans ses écrits de 1632 (Œuvres de Champlain).

Dans le testament de son oncle Guillaume Allène rédigé à Cadix en Espagne en 1601, Allène dit de Champlain : « J’ai beaucoup d’affection pour Samuel de Champlain ici présent, Français natif de Brouage dans la province de Saintonge ». À moins que la traduction de l’espagnol au français du mot « natif » ne soit pas analogue à celui « d’origine », Allène, un contemporain et un parent de Champlain, le fait naître à Brouage.

Dans un acte notarié de décembre 1573, Antoine Chappelain (Champlain), père de Samuel, possédait une propriété à Brouage, propriété que Samuel de Champlain a vendue en 1630 (contrat Gouyn, 27-09-1630).

Il est donc possible et même probable que Samuel de Champlain soit né à Brouage à l’été 1574 et qu’il ait été baptisé à La Rochelle le 13 août 1574 d’autant plus que chez les protestants il peut s’écouler de quelques jours à quelques semaines entre la naissance d’un enfant et son baptême. Comme Brouage se trouve à 55 km de La Rochelle, que les parents de Samuel de Champlain possédaient aussi une propriété à La Rochelle, il est donc normal que Samuel de Champlain ait été baptisé à La Rochelle puisqu’il n’existait pas de temple protestant à Brouage, le temple le plus près étant celui de Marennes.

Il ne sera donc pas nécessaire, pour le moment du moins – texte de l’auteur en date du 16 avril 2012 –, de corriger les informations inscrites sur les monuments et les plaques commémoratives qui rendent hommage au père de la Nouvelle-France.

Acte de baptême de Samuel de Champlain à La Rochelle

Acte de baptême de Samuel de Champlain à La Rochelle (Temple Saint-Yon)
13 août 1574 (Recherche inédite du généalogiste Jean-Marie Germe)

Le 16 avril 2012 — Captation de l’acte dans les archives de la Charente-Maritime par Denise Gravel

Le vandredy treziesme Jour daougst mil cinq centz SoySente et quatorze a este baptize Samuel filz de Anthoynne chapeleau et de m (mot rayé) margerite Le Roy p[a]rain estienne pare, marrenne marye Rousseau
 
Denors              N Girault (paraphe)

Acte paléographié par Marie Gagné

Fichier Origine

Fiche de Samuel de Champlain par Marcel Fournier

La 3e des 10 journées qui ont fait le Québec La Grande Paix de Montréal de 1701

La 3e des 10 journées qui ont fait le Québec
La Grande Paix de Montréal de 1701

 

Par Gilles Durand

 

Plaque sur La Grande Paix de Montréal, installée sur la place de la Grande-Paix-de-Montréal.

Plaque sur La Grande Paix de Montréal, installée sur la place de la Grande-Paix-de-Montréal.
Source : Commons wikimedia

Denys Delâge, professeur associé à l’Université Laval, est le conférencier invité pour entretenir l’auditoire de la 3e des 10 journées qui ont fait le Québec, le 4 août 1701, date de la signature d’un traité de paix entre les Français et leurs alliés amérindiens d’une part, et la Ligue iroquoise des Cinq Nations d’autre part. Comme ses prédécesseurs, le conférencier, historien et sociologue spécialiste de l’histoire des Premières Nations, fait salle comble dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque le 11 janvier 2012.

Pourquoi un traité de paix en 1701

Le traité de paix de 1701 marque un point fort dans l’alliance des Français avec les Amérindiens. Par le passé, des ententes sont faites. De gré à gré, par exemple celle de Champlain avec les Montagnais qui, en 1603 à Tadoussac, lui donnent leur accord pour la fondation de Québec; en retour le fondateur de Québec se laisse entraîner dans leur guerre contre les nations iroquoises. De force, comme le traité qui fait suite à l’expédition punitive du régiment de Carignan-Salières en territoire iroquois en 1667. Une autre forme de rapprochement entre Français et Premières Nations a lieu par la création de réserves : réserve de Laprairie puis du Sault-Saint-Louis (Kahnawake); à partir de 1676, réserve de La Montagne, en faveur d’Iroquois convertis au catholicisme ou de captifs amérindiens intégrés aux Cinq Nations à la suite de guerres intertribales. En retour, les Iroquois des réserves créées à proximité de l’agglomération de Montréal contribuent à la protection des colons français contre les attaques des Cinq Nations, mais ils ne forment pas toujours des appuis indéfectibles face à leurs anciens frères de l’Iroquoisie.

Un traité qui se démarque

Le traité de Montréal du 4 août 1701 se démarque par le nombre des acteurs qu’il rassemble, 1 300 ambassadeurs, et des nations qu’il engage aux côtés des Français, une quarantaine habitant un territoire s’étendant de l’Acadie aux Prairies et du bassin de la Baie James au Missouri. Cette fois, les Iroquois sont partie prenante d’une paix durable. Depuis 1697, la France et l’Angleterre ont signé la paix dans le cadre du traité de Ryswick. Ne pouvant plus compter sur l’aide des Treize Colonies et affaiblis par des épidémies et par des guerres répétitives, les Iroquois ont tout avantage à devenir amis des Français et de leurs alliés autochtones. L’entente durera, non sans quelques accrocs cependant, jusqu’à la défaite française, et même au-delà entre les anciens alliés des Français de 1701.

Pour en savoir davantage

Les personnes, tout particulièrement intéressées par les acteurs de la Grande Paix, les causes qui l’ont amenée et ses suites, peuvent consulter pour leur plus grand profit le texte intégral de la causerie du conférencier.

La signature du traité de Paris le 10 février 1763 Une des « Dix journées qui ont fait le Québec »

La signature du traité de Paris le 10 février 1763
Une des « Dix journées qui ont fait le Québec »

 

Gilles Durand

La 4e conférence de la série des « Dix journées qui ont fait le Québec » a pour titre « Le 10 février 1763. Le traité de Paris : La France peut être heureuse sans Québec ». Elle est tenue le 23 février 2012 à l’Auditorium de la Grande Bibliothèque. Les organisateurs, la Fondation Lionel-Groulx de concert avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec et le canal de télévision Vox, choisissent comme conférencier un historien et éditeur bien connu, Denis Vaugeois. Encore une fois, celui-ci fait salle comble.

Les acteurs en présence

La reddition de Montréal en 1760

La reddition de Montréal en 1760
Source : Wikipedia

Le traité de Paris, signé le 10 février 1763, consacre la cession à l’Angleterre de la Nouvelle-France qui capitule le 17 septembre 1760. Il met en cause, parmi les belligérants impliqués, deux métropoles détentrices de colonies en Amérique du Nord dont les intérêts divergent, Paris et Londres. Pour la métropole française, les fourrures n’occupent plus la même importance sur le marché français et européen; la priorité doit être donnée aux pêcheries, assurant la formation de marins qualifiés, et au sucre très en demande. Or, les premières ne nécessitent qu’un droit de pêche et un pied à terre sur le littoral terre-neuvien pour le séchage du poisson, tandis que le second prête plus de valeur aux possessions antillaises qu’à la Nouvelle-France, un territoire peu peuplé. Pour Londres au contraire, les territoires occupés par la France en Amérique du Nord sont tout désignés pour combler, entre autres, les besoins de terres à cultiver de ses Treize Colonies, seize fois plus peuplées que la Nouvelle-France mais confinées jusque-là à une bande de terre entre l’Atlantique et les Appalaches.

Les conséquences pour le Québec du traité de Paris

Avec le traité de Paris, c’est toute la Nouvelle-France qui passe à la métropole londonienne, entraînant avec elle le Québec qui tombe dans le giron de l’empire britannique et en devient la quinzième colonie. Les conséquences sont importantes : une partie de l’élite retourne dans l’Hexagone, l’immigration qui en provient se tarit. L’avenir se dessine bien différemment des siècles précédents.

Les personnes intéressées par le sujet pourront consulter le texte complet du conférencier disponible en ligne sur le portail de la Fondation Lionel-Groulx

Fides fête en 2012 son 75e anniversaire

Fides fête en 2012 son 75e anniversaire

Par Gilles Durand

 

 Fides fête son 75e anniversaire

 

Un peu d’histoire
Fides, l’une des plus anciennes maisons d’édition québécoise, est fondée en 1937 par le père Paul-Aimé Martin de la Congrégation des pères de Sainte-Croix, des acteurs incontournables de la vie culturelle québécoise depuis 1847. Elle a pour préoccupation l’édition d’ouvrages à caractère religieux, sans pour autant négliger la littérature, l’histoire, les ouvrages de référence et ceux destinés à la jeunesse. La maison s’adresse tant au grand public qu’à une clientèle plus spécialisée. Elle prend aussi en main l’impression de sa production de même qu’elle en assure la diffusion en opérant un réseau de librairies à travers le pays. À la suite des difficultés que connaissent les éditeurs à compter du milieu des années 1970 et des intérêts changeants du lectorat, la maison doit revoir ses champs d’activités et son programme éditorial. En 2011, l’entreprise est vendue par la Congrégation de Sainte-Croix aux Éditions Saint-Martin, dont les actionnaires sont la Fédération québécoise des coopératives scolaires (Coopsco) et Stéphane Lavoie, l’actuel directeur général de l’entreprise connue maintenant sous le nom de Groupe Fides inc.

Pour mieux connaître l’histoire de la relation franco-québécoise

Retracer l’histoire de Fides, c’est retracer une partie de la relation franco-québécoise. Fides compte dans son catalogue plusieurs publications qui retracent l’aventure commune vécue par les Québécois et les Français, par exemple les ouvrages publiés dans la prestigieuse collection historique « Fleur de lys ». L’historien Marcel Trudel avoue même que Fides joue à ses débuts le rôle de presse universitaire.

L’ancêtre de la Librairie du Québec à Paris

Pendant 19 ans, de 1949 à 1968, Fides Montréal s’implante en France et installe une librairie à Paris, en quelque sorte l’ancêtre de l’actuelle Librairie du Québec à Paris. Durant la Second Guerre mondiale, Fides Montréal avait publié des auteurs français, mais au retour de la paix les contrats prennent fin, les éditeurs français reprenant leurs auteurs. L’idée de départ est alors de publier en France la production d’auteurs canadiens et français vendue sur place, et de faire de sa librairie un véritable centre d’information et de documentation sur le livre canadien où des lancements d’ouvrage auraient lieu et où seraient organisées des conférences à l’intention des Canadiens de passage et des Français intéressés au Québec. Fides Montréal crée alors Fides SARL (Société à responsabilité limitée). Après 1955, Fides se concentre surtout sur la distribution afin d’accroître la vente des livres qu’elle publie à Montréal. Au total, Fides SARL publie une vingtaine de titres destinés au public français dont des œuvres de Félix Leclerc. L’aventure de Fides à Paris prend fin en 1968. La maison joue pendant un certain temps un rôle semblable à celui de l’actuelle Librairie du Québec à Paris – mise sur pied en 1995 et, depuis 2000, propriété des Éditions Hurtubise HMH.

Pour en savoir davantage

Voir le Site Internet de Fides Actualités

Tocqueville et Beaumont, deux Français au Bas-Canada 21 août 3 septembre 1831 Lettres et journal de voyage de Beaumont

Tocqueville et Beaumont, deux Français au Bas-Canada
21 août 3 septembre 1831
Lettres et journal de voyage de Beaumont

Mémoires vives a publié dans les bulletins précédents la correspondance que Tocqueville adresse aux siens concernant le projet de voyage puis le séjour au Bas-Canada ; le texte du second bulletin présentait les notes prises par Alexis dans ses carnets de voyage, selon sa pratique habituelle ; dans ce numéro Jean-Louis Benoit présente les lettres et les extraits du journal de Gustave de Beaumont, qui accompagne Alexis de Tocqueville dans son voyage au nouveau monde.

 

Par Jean Louis Benoit

Le lecteur découvrira que le contenu des textes de Beaumont n’est pas d’une nature très différente de ceux de Tocqueville. Quel est donc l’intérêt de les présenter ici ? Il est double, question de publication et de point de vue.

Question de publication : alors que les textes de Tocqueville ont déjà donné lieu, ainsi que nous l’avons indiqué, à plusieurs publications, la correspondance familiale de Beaumont et les extraits de son journal de voyage n’ont été publiés qu’une fois et dans une édition quantitativement limité [1], si bien que ces textes sont quasiment introuvables. Il nous a donc semblé judicieux de les mettre à disposition du lecteur.

Question de point de vue : si le contenu des textes et notes de Beaumont et de  Tocqueville est globalement identique, les variantes et différences existant nous offrent une sorte de vue stéréoscopique qui donne du relief à certaines questions particulières. Tocqueville et Beaumont relèvent l’existence et l’importance du métissage, mais pour ce dernier,  ce thème constituera la problématique centrale de son roman Marie ou de l’esclavage aux Etats-Unis qui paraît la même année que La démocratie en Amérique. Les deux amis avaient renoncé à publier un ouvrage commun [2] sur les Etats-Unis ; ils avaient signé leur traité de Tordesillas : Tocqueville traiterait des institutions américaines et Beaumont des mœurs.

Gustave de Beaumont

Gustave de Beaumont
Source Wikepedia

Son roman de mœurs, que la publication de ses textes, ici, doit inciter à lire, est l’histoire de l’amour impossible d’une jeune femme – qui porte le même prénom, Marie, que la maîtresse, puis la femme de Tocqueville – blanche d’apparence, mais d’origine métissée puisque du sang noir coule dans ses veines…une petite quantité, mais dans une société raciste et racialiste, une goutte de sang noir constitue une tache indélébile. Le héros-narrateur, venu d’Europe la convainc cependant d’accepter de l’épouser, à New York, où une telle alliance est théoriquement possible. Mais le mariage est rendu impossible par une émeute raciste.

Dans les états du Sud, les Noirs et métis n’ont aucun droit civique ; ces droits qu’ils possèdent théoriquement dans les Etats du Nord-Est, non esclavagistes. Mais ils ne peuvent les faire valoir sans risquer leur vie ! Ils ont le droit de vote, mais ils ne sortiraient pas vivants du bureau de vote…

James Buchanan, 15° Président des Etats-Unis

James Buchanan, 15° Président des Etats-Unis
Source : wikepedia

Tocqueville et Beaumont disent leur admiration pour la démocratie américaine, mais l’un et l’autre dénoncent qu’elle se soit établie sur un double crime contre l’humanité [3]. Tocqueville est le premier à dénoncer l’esclavage en ces termes dans le courrier qu’il adresse à ses amis américains, en janvier et avril 1857, lorsque le président Buchanan étend l’esclavage aux nouveaux Etats de l’Union.

Pour Tocqueville, comme pour Beaumont, la société américaine ne sera réconciliée avec elle-même, pour former une démocratie véritablement juste et digne de ce nom que le jour où elle sera vraiment capable d’admettre le métissage. Entre l’abolition de l’esclavage et la reconnaissance des droits civils des Noirs, il fallut attendre exactement un siècle et cent soixante-dix-sept ans se sont écoulés entre le voyage de Beaumont et l’élection du premier président métis des Etats-Unis.

A leur retour des Etats-Unis, Tocqueville et Beaumont dénoncent ce double crime contre l’humanité mais ne peuvent savoir ni quand, ni comment, un terme pourra être mis à cette ignominie ; mais les deux sont assurés que cela prendra beaucoup de temps et coûtera une quantité de sang et de larmes. Et, sur ce point, les textes de Beaumont apportent un complément remarquable aux textes de Tocqueville.

Au lecteur de découvrir, s’il le souhaite, le texte du roman de Beaumont désormais accessible sur internet.

Fragment d’une lettre à son frère Achill

 

 Carte du détroit entre le lac Supérieur et le lac Huron avec le sault Sainte Marie et le poste de Michillimakinac

Carte du détroit entre le lac Supérieur et le lac Huron avec le sault Sainte Marie et le poste de Michillimakinac / dressé sur les manuscrits du Dépôt des cartes et plans de la marine par N.B.
Crédit BNF

A bord du Supérieur, lac Michigan, 11 août 1831

(…) A mesure qu’on avance dans le Nord, on trouve un plus grand nombre d’Indiens ou, pour mieux dire, les sauvages sont en grand nombre partout où les Européens ne sont pas encore. Il y a du côté du Saut Sainte-Marie certaines contrées dans lesquelles les Indiens resteront encore longtemps. Les terres y sont presque stériles ; ce ne sont que des rochers qui formeront toujours un obstacle à la culture. Du reste, il suffit que l’Européen paraisse dans un endroit pour que l’Indien fuie ; et ce n’est pas chez ce dernier une affaire de sentiment : il fuit parce que le gibier dont il a besoin pour vivre a fui le premier. –

Beaucoup de personnes croient que les races indiennes sont presque anéanties et qu’il ne reste plus que quelques tribus errantes dans les forêts du Nord : c’est une erreur. Il y a encore trois ou quatre millions de sauvages dans le Nord seul des Etats-Unis. Il est assez difficile de juger des mœurs et du caractère de ces sauvages par les Indiens qui se rencontrent aux environs des villes : ceux-ci ont déjà un vernis de civilisation qui leur ôte leur originalité primitive. Il paraît que le caractère du sauvage qui vit tout à fait éloigné des Européens est très remarquable.

Quand nous sommes arrivés près du Saut Sainte-Marie, il était tard. Nous sommes donc restés dans notre vaisseau jusqu’au lendemain matin. Le lieu où nous stationnions était charmant et pendant toute la soirée nous avons eu concert et bal ; l’écho de la forêt était tel qu’il répétait entièrement ce que jouait le cor anglais. Pour la curiosité du fait, j’ai voulu faire aussi de l’harmonie dans les forêts vierges d’Amérique et à minuit j’ai joué sur le pont les variations de di tanti palpiti [4]. Rien n’égale la beauté d’une pareille nuit. Le ciel était étincelant d’étoiles qui toutes se réfléchissaient au fond de l’eau et on apercevait de loin en loin sur le rivage des feux d’Indiens dont un bruit insolite avait frappé l’oreille et qui, pour la première fois sans doute, entendaient les airs de Rossini et d’Auber.

Le 6 août, de bon matin, nous sommes entrés dans le village qui porte le nom de Saut Sainte-Marie ; on lui a donné ce nom parce que la rivière qui passe près de là et qui joint le lac Supérieur au lac Huron, descend en cet endroit en pente assez rapide au milieu des rochers et semble ainsi sauter d’un lieu à un autre.

Sainte-Marie a été fondée par les Français de même que tous les autres établissements européens qui se trouvent de ce même côté ; il faut observer que Sainte-Marie est sur la rive gauche du fleuve et que la rive droite est celle du Canada qui autrefois appartenait à la France. Tout le monde à Sainte-Marie parle français ; il y a là autant d’Indiens que de Canadiens. Chaque jour les deux populations se mêlent entre elles : cette population moitié européenne moitié indienne n’est point désagréable. Il y a dans les physionomies indiennes quelque chose de farouche que ce mélange adoucit ; les yeux du sauvage ont une vivacité naturelle que je n’ai vue chez aucun blanc ; leur défaut est d’être en même temps durs et sévères, mais ce feu qui brille dans leur regard est d’une grande beauté, lorsque sans cesser d’être aussi vif, il perd quelque chose de sa rudesse primitive : c’est ce qui arrive par l’union de l’Indien et de l’Européen. Les Canadiens appellent métiches (métis) ceux qui sortent de cette double origine. J’ai vu des jeunes filles métiches qui m’ont paru d’une beauté remarquable [5].(…)

Nous sommes allés jusqu’à un endroit qui est appelé la Pointe-aux-Pins et où se trouve le commencement du lac Supérieur.

Ce lac ressemble beaucoup à tous les autres. Je crois cependant que ses eaux sont les plus pures de toutes. Outre son immense étendue, il a encore de commun avec la mer d’avoir un flux et reflux. J’ai été enchanté de cette promenade ; les bateliers qui nous conduisaient étaient des Canadiens d’une gaieté charmante ; ils n’ont pas cessé de nous chanter en ramant une foule de vieilles chansons françaises dont certains couplets sont tout à fait drôles. Le peu de temps que j’ai passé avec les Canadiens m’a prouvé combien le caractère national, et surtout le caractère français, se perd difficilement ; la gaieté française qu’ils ont conservée tout entière contraste singulièrement avec le sang-froid glacial des Américains. Il est aussi à remarquer que les Français du Canada sont plus gais que nous ne le sommes maintenant en France ; la raison en est simple : leur situation a moins changé que la nôtre ; ils n’ont point passé à travers notre Révolution qui a tant influé sur la nouvelle direction que notre caractère national a pris ils n’ont point comme nous leur attention fixée sur des intérêts politiques qui les préoccupent exclusivement. Il est donc vrai de dire que, quant au caractère antique de la nation, ils sont plus Français que nous ne le sommes…

FRAGMENTS  DU   JOURNAL

Québec, 26 août 1831, [entretien avec] M. Nelson [Neilson], membre du Parlement provincial à Québec, l’un des commissaires envoyés à Londres il y a trois ans pour porter la réclamation des Canadiens contre le gouvernement britannique

« Nous avons déjà obtenu le redressement de quelques griefs. Quelques-uns existent encore. Mais il faudra bien que le gouvernement anglais fasse ce que nous voulons, il n’oserait pas nous refuser.

Le Canada, qui s’efforce de devenir aussi libre que possible, ne vise pas cependant et n’a pas intérêt à se séparer de l’Angleterre. Il n’est pas assez puissant pour former une nation isolée et il tomberait immédiatement sous la domination des Etats-Unis dans lesquels il se trouverait absorbé. Le patronage seul de l’Angleterre peut le préserver de ce malheur. L’Angleterre n’a peut-être pas un intérêt aussi certain à la conservation du Canada. Cette possession est pour elle un moyen d’entrer en Amérique par le fleuve Saint-Laurent, ce qui lui serait d’un grand secours en cas de guerre avec les Etats-Unis ; de plus, le Canada lui fournit d’excellents bois de construction pour sa marine et ces bois lui manqueraient si elle était en guerre avec les puissances du Nord de l’Europe. Otez ces deux avantages et je ne vois dans la possession du Canada aucun profit pour l’Angleterre. Elle dépense chaque année 25 000 livres sterling pour l’entretien des troupes qui y sont, etc. Et il y a des années, comme par exemple l’année dernière, où cette somme est doublée par des dépenses accidentelles. Elle ne tire aucun profit de la taxe de 2 % mise sur les marchandises venues d’Angleterre ; ce droit est établi au profit de la colonie elle-même. C’est le seul impôt indirect qui soit payé et il a pour objet de couvrir les frais d’administration. Du reste, le caractère du gouvernement anglais est de prendre le plus qu’il peut et de n’abandonner jamais, quoi qu’il lui en coûte. On aurait tort de penser que la conservation du Canada est favorable à son commerce. Quand bien même il n’y aurait pas pour le Canada nécessité de se fournir chez les marchands anglais, il le ferait tout de même, parce que les marchandises anglaises sont meilleur marché que toutes les autres. C’est ainsi que l’Angleterre n’a rien perdu sous ce rapport à l’émancipation des Etats-Unis. Il est de fait, au contraire, que, depuis que les Etats-Unis sont libres, leur commerce avec la Grande-Bretagne s’est considérablement accru.

Le Canada est dans un état de prospérité manifeste et croissante. L’instruction publique et primaire y a enfin, depuis trois ans, pris un essor qui ne fera qu’augmenter. Sur 600 000 habitants du Bas-Canada, il y a 60 000 enfants dans les écoles. Nous avons pour cela fait de grandes dépenses : partout on a fait construire des édifices pour servir d’institutions et nous mettons un maître d’école dans chaque paroisse.

La culture des terres, la construction des routes et en général l’amélioration matérielle du pays font aussi de rapides progrès : cela est dû en grande partie à la conduite du gouvernement anglais vis-à-vis de la population. Ce gouvernement a abandonné les habitants à eux-mêmes, à leur propre industrie, à leurs propres forces ; autrefois, sous le gouvernement français, rien ne se faisait sans la direction de l’autorité ; chacun comptait ainsi sur l’appui du gouvernement pour des choses où véritablement le gouvernement ne saurait être bon juge. Tout alors se faisait mal et à grands frais. L’intérêt individuel livré à ses inspirations personnelles comprend bien mieux ce qu’il doit faire et ici son succès est complet ; l’administration ne se mêle de rien, chaque paroisse se gouverne comme elle l’entend. Elle n’a du reste ni officiers publics, ni magistrats, ni conseils, etc. La grande autorité parmi les habitants de la campagne, c’est l’opinion publique : c’est une force à laquelle chacun se soumet sans murmures et elle règne sur la population en souveraine. La seule personne qui, dans la paroisse, ait un caractère public, est le commandant de la milice, auquel on a conféré quelques attributions de police judiciaire; ainsi il arrête les coupables d’un crime en cas de flagrant délit ou bien sur un mandat des magistrats. II remplit en plus l’office de constable.

Habit de milice sédentaire francophone de 1812/1813

Tiré du site de la société de reconstitution du Bas-canada

Il a peu d’occasions d’exercer ces dernières fonctions, car la population des campagnes est honnête et singulièrement morale ; elle est toute canadienne ; en cela, elle diffère beaucoup des Canadiens appartenant a la classe moyenne et qu’on trouve dans les villes. Chez ceux-ci les mœurs sont très relâchées; dans les campagnes, au contraire, la pureté des mœurs est générale. Je ne sache pas qu’il n’y ait jamais existé un enfant naturel ; rien n’est plus rare que d’y voir commettre un vol ou un délit d’une autre nature. Celui qui s’en rend coupable est à jamais repoussé de la société canadienne. II n’a ni indulgence ni pardon à espérer. On conçoit quelle doit être la puissance de ce lien formé par l’opinion publique.

Cette société, la plus morale peut-être qui existe, est aussi la plus heureuse: on lui reproche d’être stationnaire, de s’agglomérer dans un même lieu, sans songer qu’un jour le terrain lui manquera. On a raison de lui faire ce reproche. Mais cet état stationnaire est un des éléments de son bonheur présent: chacun est attaché au lieu qui l’a vu naître. Ce n’est plus cette société américaine, errante, vagabonde, courant d’un lieu à un autre, allant partout où l’intérêt l’appelle et abandonnant le sol natal, sa famille, ses amis, pour un gain de quelques dollars. Ici le fils tient à la terre que ses pères ont possédée; rien ne peut le décider à l’aliéner. Tous veulent rester au sein de la famille; aucun ne songe à gagner de l’argent; on travaille pour vivre, mais on considère surtout que la vie consiste dans les relations de famille, dans les souvenirs, dans l’estime de vieux amis. A vrai dire, chaque paroisse est une famille. Il ne faut point chercher ici l’esprit mercantile et industriel des Etats-Unis. Dans  ce  dernier pays,  les premiers  arrivés  servent  d’aubergistes  aux nouveaux venus et se font bien payer. Ici on ne connaît point une pareille industrie ; et celui qui vient trouve, non des aubergistes, mais des hommes hospitaliers. Les Canadiens vivent entre eux comme des frères. L’un d’eux perd-il un de ses bestiaux ? Tout le monde se cotise pour l’indemniser. Un autre a-t-il besoin d’un outil pour travailler?  On le lui donne à frais communs. Le feu consume-t-il la maison de celui-ci ? Tout le monde se met à l’ouvrage et, en quelques jours, la maison est rebâtie. Lorsque je vois ces mœurs antiques chez un peuple sorti de France, il me semble que la vieille France, c’est le Canada, tandis que votre France, c’est la nouvelle. Le voisinage des villes dans lesquelles la corruption est si grande a  peu d’influence sur nos campagnes.  Voici pourquoi : l’habitant des campagnes peut se passer entièrement de la ville ; il trouve dans les produits de la terre de quoi se nourrir ; et, quant à ses vêtements, il les fabrique tous lui-même. Chaque cultivateur est en même temps tisserand, fabricant d’étoffes (j’ai vu moi-même, G. B., dans la maison d’un Canadien,  des  couvertures,  des  habits,  des tapis  que  le  cultivateur avait fabriqués lui-même ainsi que ses souliers).

La  population  canadienne  est très religieuse ; le  clergé catholique a sur elle une grande influence. Il est très respecté et mérite de l’être. Je suis protestant, mais il ne m’en coûte nullement de rendre cette justice aux ministres catholiques.  Ils sont du reste entièrement dévoués aux intérêts de la population ; et, comme cette population est composée des vaincus, comme elle a toujours une sorte de lutte à soutenir contre le gouvernement qui lui accorde ou lui refuse ce qu’elle demande, le clergé la soutient de tout son pouvoir contre l’autorité ; ici, les prêtres catholiques sont les libéraux, les démocrates. Il n’y a du reste aucune animosité entre les deux religions : j’ai été élu membre du parlement provincial par des catholiques, bien que je sois protestant.

Le clergé catholique contribuera beaucoup à maintenir la langue française parmi la population, si toutefois elle se maintient, ce que je ne pense pas (moi, je pense le contraire). La langue qui, en définitive, restera la dernière est celle dont on a un besoin positif pour toutes ses affaires et les relations sociales; or le commerce ne se fait qu’en langue anglaise. Cette nécessité de parler, d’écrire l’anglais pour toutes les choses d’intérêt réel, finira par donner à la langue anglaise la prééminence (les raisons à y opposer sont que les neuf dixièmes de la population parlent français et  que c’est un besoin pour les neuf dixièmes de parler une langue qu’ils savent ; qu’ils n’entendront jamais une autre langue dans leurs églises; qu’ils ont des écoles où on leur apprendra à lire et à écrire en français ; que, lorsqu’ils seront instruits et feront le commerce concurremment avec les Anglais, ils formeront une immense majorité éclairée dans laquelle la langue de la minorité s’absorbera).

Les Canadiens tiennent beaucoup à leur langage; une motion faite il y a quelque temps par un membre du parlement anglais avait pour objet d’imposer la langue anglaise au Canada, par exemple dans les tribunaux, etc. Les Canadiens ont vivement réclamé et la proposition n’a pas eu de suite [6].

On parle quelquefois de la société canadienne comme d’une société chez laquelle s’est réfugiée l’ancienne féodalité française dans toute sa pureté. Cette opinion n’a aucune espèce de fondement. Il n’y a de féodal que les mots. Un individu qui possède 90 arpents de terre paie 8 francs chaque année de redevance à celui de qui il tient cette terre : voilà tout le droit du seigneur.

 

Moulin de Beaumont

Moulin de Beaumont
crédit: Paul St-Arnaud

Chacun porte son grain à moudre au moulin du seigneur qui prend chaque quatorzième minot pour prix de la mouture. Mais chacun y trouve un profit ; car, aux Etats-Unis par exemple, le meunier prend non la quatorzième, mais bien la douzième partie du grain. Ajoutez à cela que le seigneur est forcé de construire un moulin pour ses tenanciers dans quelque pays que ce soit, avantage très grand dans un pays nouveau. Malgré cet état de choses, et quoique le peuple soit dans le fait très content de sa position, il y a dans son esprit un souvenir très vif de la féodalité et on le verrait se lever en masse s’il croyait que cette féodalité est son état actuel. Quand un habitant des campagnes parle d’une chose qu’il considère comme un grand malheur, comme une affreuse calamité, il prononce le mot de taille [7].

L'auteur sur le site du manoir de Beaumont

L’auteur sur le site du manoir de Beaumont
Crédit Jean Louis Benoit

Il n’y a plus rien de féodal dans les lois. Nos lois sont françaises et anglaises : nous avons le droit civil français, l’ancienne coutume de Paris, et les lois criminelles d’Angleterre, le jury en matière criminelle et les juges en matière civile. En général nos juges sont des Anglais. L’un d’eux à Québec est canadien ; il y a trois Anglais pour un Canadien. Les habitants concourent presque tous à l’élection des membres du parlement provincial ; il suffit pour être électeur de jouir d’un revenu foncier de 40 francs environ. Les Canadiens se montrent en général très jaloux d’exercer ce droit politique et on voit quelquefois une élection contestée pendant quinze jours sans que le zèle des électeurs se refroidisse ; la majorité dans le parlement provincial est, sans aucune contradiction, canadienne.

Comme nous nous promenions avec M. Neilson dans un village habité par des Indiens (Hurons), à Lorette, à deux lieues de Québec : Ces Indiens, nous a-t-il dit, quoique vivant à côté des Européens, conservent leurs mœurs et leurs anciennes habitudes ; ils se croient bien supérieurs aux Européens ; ils considèrent le travail comme déshonorant ; ils vivent de chasse et de pêche ; quelques-uns font un peu de commerce ; mais aucun ne se plie à des habitudes de travail régulier. Du reste, leur race se mêle chaque jour avec la race blanche (les métis sont appelés bois-brûlés). Très jolie Indienne vue à Québec et retrouvée à Lorette. Visite à leur chef. Ses médailles ; portrait du roi d’Angleterre donné par lui-même en 1826 ou 1827.

Les Indiens n’ont d’autre défaut que de s’enivrer (le chef indien à qui nous rendons visite complètement ivre).

M. Neilson, de qui nous tenons tous ces détails, est tout dévoué à la population canadienne. Il passe même aux yeux des Anglais et du gouvernement pour un démagogue. Cependant il est Ecossais de naissance et ce fait rend sa position incomplète. Il ne peut désirer que les Canadiens forment une nation à part, car il n’en serait pas. Il ne pourrait en être qu’en reniant la sienne. Du reste, c’est probablement à raison de cette situation mixte qu’il a été choisi par les Canadiens pour leur servir d’organe auprès du gouvernement auquel il devait inspirer plus de confiance.

Les Indiens conservent une grande vénération pour le souvenir des Jésuites. Voici le lieu qu’ils habitaient à Lorette : ce lieu est pour les Indiens un lieu sacré. Si les Jésuites n’avaient jamais fait nulle part dans le monde plus de mal que dans le Canada, tout le monde devrait bénir leur mémoire.

D. — Le gouvernement anglais laisserait-il des Français venir s’établir dans le Canada ?

R. — Oui. Autrefois cela n’eût pas été possible, on n’y recevait point les étrangers. L’année dernière, une loi a passé, par laquelle tous les étrangers sont reçus et obtiennent au bout de sept ans de résidence des lettres de naturalisation. Des Français qui viendraient ici trouveraient facilement à s’y établir : ou ils achèteraient des terres à 3 francs l’arpent, ou ils obtiendraient de quelque seigneur la concession de vastes étendues de terrain moyennant la redevance dont j’ai parlé plus haut.

Il y a, dans les habitants des campagnes, les germes de tous les sentiments qui conduisent un peuple à secouer le joug. Nous nous sommes mis en rapport avec eux (promenades à cheval, conversations sous divers prétextes…).

D. — Pourquoi restez-vous si serrés au lieu de vous étendre dans le pays ?

R. — Nous avons tort, nous sentons bien que nous finirons par être enveloppés par les Anglais ; il y a déjà là tout près des bas de soie (Irlandais et Ecossais émigrants) qui viennent d’arriver [8]. Mais que voulez-vous ? Nous sommes nés là ; on a ses parents, ses amis, son champ, dans un endroit, on ne saurait aller ailleurs.

D. — Mais ceci n’est pas raisonnable. Avant tout, il faut vivre. Vous êtes heureux aujourd’hui ; mais le champ qui vous suffit aujourd’hui sera insuffisant lorsque votre famille sera doublée ou triplée. Alors vous voudrez avancer dans les terres, mais déjà elles seront prises. Vous voyez bien qu’il faut vous en emparer les premiers, sans quoi votre bonheur n’a point d’avenir.

R. — C’est vrai, nous avons tort, nous serions mieux en faisant comme vous dites. Mais pourquoi que vous gardez votre femme, quoique celle de votre voisin soit plus jolie ? Et puis, voyez-vous, le gouvernement n’est pas canadien, les Anglais sont les maîtres. Il donne tout à ses favoris. Heureusement nous avons dans la chambre des hommes solides qui nous défendent ; ceux-là sont des bons.

Parlez-moi de M. Neilson ; oh ! le brave homme ! il a sacrifié pour nous plus de 600 louis (long éloge de M.  Neilson).

D. — Pourquoi au lieu d’aller, vous, jeune homme, travailler à la ville comme ouvrier à la journée, n’allez-vous pas dans les terres cultiver celles qui vous seraient concédées ?

R. — Je ferais mieux en agissant ainsi. Il y en a quelques-uns qui ont agi de la sorte et, à présent, ils sont riches. Mais, moi, je suis là et j’y reste. Je crois que nous avons peur de nous enrichir.

D. — Est-ce que vous avez peur de payer le droit du seigneur ?

R. — J’aimerais mieux être seigneur que de payer le droit. C’est bien commode de se promener la canne à la main et de toucher tous les ans 5 ou 600 louis sans rien faire (comme M. Duchesnay [9], seigneur du lieu). Et puis, il faut que nous allions porter notre blé à son moulin, sans quoi nous payons l’amende. Il y a aussi le curé, à qui il faut donner la vingt-quatrième partie de la récolte, sans compter que, pour un service, il vous a bientôt gagné 5 ou 6 piastres (25 ou 30 francs).

D. — Ce n’est pas la question : vous voudriez être seigneur, vous ne l’êtes pas. Ne vaudrait-il pas mieux être propriétaire que d’être ouvrier ?

R. — C’est vrai, car, après tout, le seigneur n’est rien. Si on m’ôte son chapeau, je lui ôte le mien ; il a son banc dans l’église, moi, j’ai le mien aussi. Je ne lui dois rien. (Il est évident que ce qui froisse l’esprit des habitants dans le seigneur, c’est l’idée qu’il est riche sans rien faire, sans compter le souvenir de la féodalité qui est encore dans toutes les têtes et qu’on pourrait exploiter avec beaucoup de succès, si on voulait faire de la Révolution dans le Canada.)

Il y a sur la rive droite du Saint-Laurent une paroisse considérable du nom de Beaumont, fondée par un seigneur de ce nom, et aux Trois-Rivières il existe encore des Salaberry3. Tous ces noms de paroisses sont ceux d’officiers français qui, lors de la conquête, se sont emparés du sol.

Il y aurait au Canada un grand rôle à jouer tout à la fois noble, honorable et dangereux. Ce serait celui d’un homme se consacrant tout entier à la population canadienne, vivant pour ses intérêts, excitant ses passions pour conserver son existence, se constituant le conseil désintéressé et gratuit de tous ses membres, se mêlant entièrement parmi eux ; l’adversaire du gouvernement, chaque fois que l’occasion de l’attaquer se présenterait, obtenant mille concessions des gouvernants ; demandant toujours davantage et, quand les passions du maître et des sujets seraient irritées, lorsque le peuple serait éclairé sur ses véritables intérêts, prononçant à haute voix les mots d’indépendance et de liberté !!!

Lettre à son père

Albany, 5 septembre 1831.

Avant de vous raconter, mon cher père, les détails de mon voyage dans le Canada et ceux de mon retour à Albany, il faut que je vous exprime de suite toute la joie que j’ai éprouvée en arrivant dans cette dernière ville. J’y ai trouvé une lettre de vous, dans laquelle Eugénie avait écrit une page, une autre lettre de Jules et une troisième d’Achille. Je vois qu’à cette époque (mois de juin) tout le monde allait bien, sauf les anxiétés que vous éprouviez tous sur l’avenir politique de la France. Vous ne pouvez avoir une idée du bonheur que font éprouver des lettres à celui qui est si loin de tous ceux qu’il aime. Quoique frères et sœur se joignent à vous pour m’écrire de bonnes lettres, je trouve toujours qu’on ne m’écrit pas assez. Du reste, il y a à cet égard un peu de ma faute : je vois par la lettre d’Achille que vous êtes dans la persuasion qu’il ne part du Havre que deux paquebots par mois, l’un le 15, l’autre le 1er. Cela était ainsi, il y a quelques mois. Mais j’aurais dû vous répéter mille et mille fois que maintenant il part régulièrement tous les mois trois paquebots, l’un le 1er du mois, l’autre le 10, le troisième le 20. Alors même qu’il n’en partirait que deux et même qu’un seul, ce ne serait pas une raison pour n’écrire qu’une ou deux fois dans le cours du mois. Si, lorsqu’on omet d’écrire un certain jour, on faisait le jour suivant une lettre longue en proportion, j’admettrais volontiers ce calcul. Mais c’est ce qui n’arrive pas ; en général, les lettres se remplissent de tout ce qui dans le moment excite l’intérêt et l’attention. Un événement qui aujourd’hui fait quelque impression et paraît digne d’une mention n’est plus huit jours après qu’un passé sans couleur et dont on conserve à peine le souvenir. Cependant le moindre des intérêts qui vous occupent, tout ce qui se passe dans notre arrondissement, dans notre petite commune de Beaumont-la-Chartre, me touche plus vivement que les destinées de l’Amérique et je vous assure que je suis plus curieux de savoir si vous êtes content de votre sous-préfet, de votre juge de paix et de votre cuisinière que d’apprendre le résultat de la querelle des Russes et des Polonais. J’avoue cependant que dans ce moment la politique extérieure est de nature à nous préoccuper vivement.

Dans deux jours nous serons à Boston. Mais avant de vous parler des villes où je dois aller, il faut que je vous dise quelques mots de celles que j’ai déjà visitées. Ma dernière lettre est partie de Montréal au moment où j’y arrivais. Nous avons fort peu séjourné dans cette ville. Elle est grande, située dans une île au milieu du fleuve Saint-Laurent. Elle contient de 25 à 30 000 habitants ; c’est la plus grande ville du Canada ; ce n’est cependant pas la capitale.

Nous avions une lettre pour le supérieur du séminaire de Montréal [10] : nous avons trouvé un Français très aimable et fort distingué ; c’est un ecclésiastique venu il y a quatre ans de Saint-Sulpice. Il nous a fort bien accueillis et nous a donné sur le Canada beaucoup de renseignements précieux. Ce pays excitait vivement notre intérêt : sur 900 000 habitants, plus de 800 000 sont Français3 ; soumis à la domination anglaise depuis que le honteux traité de 1763 a cédé le Canada à l’Angleterre, les Canadiens n’ont pas cessé de former une population à part, entièrement distincte de la population anglaise qui cherche à s’introduire parmi eux. Ils conservent leur langage, leurs mœurs et leur nationalité. Le gouvernement anglais est très doux et n’a rien de tyrannique, mais son tort est d’être celui du vainqueur sur le vaincu. Celui-ci ne saurait oublier sa défaite alors même que le premier ne se souviendrait plus de sa victoire.

Il y a au Canada des germes de mécontentement, de malaise, d’hostilité contre l’Angleterre. Le peuple proprement dit ne se rend pas bien compte de ce qu’il sent ; mais la classe éclairée qui n’est pas encore très nombreuse prend le soin de le diriger et de fournir des raisonnements à ses passions.

Il est impossible d’imaginer une population plus heureuse que celle des campagnes dans le Canada. Il règne dans tous les villages une pureté de mœurs qu’on croirait fabuleuse si on en parlait dans nos villes d’Europe. Là, c’est chose inconnue que l’existence d’un crime ou un outrage aux bonnes mœurs. Il n’y a dans la paroisse d’autre fonctionnaire public que le curé ; sa morale fait toute la police de l’endroit ; il y a unité de religion, tous sont catholiques. Il reste encore parmi eux quelques traces de la féodalité : les terres sont toutes divisées en seigneuries et chaque tenancier est obligé de payer une redevance au seigneur. Cette redevance est minime ; c’est par exemple 5 ou 6 francs pour une étendue de 90 arpents. Le seigneur a un banc privilégié à l’église ; excepté cela, le seigneur ne l’est que de nom et il n’a absolument aucun privilège. Le curé reçoit la dîme de la récolte : elle consiste dans la vingt-sixième partie. Cet état de choses est tout entier dans l’intérêt des habitants qui n’ont aucun impôt à payer. Nous en avons visité quelques-uns. Il règne dans leur habitation et dans tout ce qui les environne un air d’aisance et de bien-être qui annonce un état tout à fait heureux. Mais leur bonheur n’aura peut-être pas une longue durée. Chaque année, il arrive d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse, une foule d’aventuriers qui viennent chercher en Amérique des terres à bon marché. Le gouvernement anglais, qui a intérêt à ce que la population anglaise s’accroisse dans le Canada, les dirige tant qu’il peut de ce côté, de sorte qu’aux premiers jours les pauvres Canadiens seront, s’ils n’y prennent garde, enveloppés de toutes parts par une majorité étrangère, dans laquelle ils seront bientôt absorbés. Ce qui augmente le danger, c’est que la classe riche au Canada est tout anglaise : les Anglais y tiennent entre leurs mains le haut commerce et l’industrie ; ils remplissent les deux grandes villes de ce pays, Québec et Montréal. Ils font tous leurs efforts pour écraser la population canadienne dont ils méprisent la pauvreté et dont ils ne comprennent pas le bonheur.

Ce mouvement d’émigration de la Grande-Bretagne continuera à moins que la paix de l’Europe ne soit troublée. Les Canadiens en sont déjà alarmés ; déjà on s’efforce de répandre parmi eux les lumières de l’instruction, afin de les mettre plus à même de comprendre leurs intérêts politiques. Le clergé est tout entier opposant au gouvernement : il est curieux de voir de bons curés de campagne dans le genre du curé de Marçon ou de celui de Beaumont-la-Chartre faisant du libéralisme et parlant comme des démagogues. Il est probable que tout cela finira par une lutte violente ; mais il serait difficile de prévoir quelle est celle des deux populations (anglaise ou canadienne) qui l’emportera sur l’autre.

Le 24 août, nous avons quitté Montréal et nous sommes embarqués sur le John-Molson, très beau bateau à vapeur qui nous a conduits à Québec en moins de vingt-quatre heures (il y a environ 60 lieues).

Il est impossible d’imaginer un fleuve plus beau que le Saint-Laurent. Au fait, c’est le plus grand qu’on connaisse : à 10 lieues de Québec, il prend 7 lieues de largeur et les conserve pendant 50 lieues, après quoi il s’étend encore davantage jusqu’à ce qu’il se confonde entièrement avec la mer. La situation de Québec est très pittoresque ; elle est bâtie sur le Cap Diamant ; les Français, qui en sont les fondateurs, l’avaient fortifiée ; le gouvernement anglais fait travailler encore chaque jour à la citadelle qui nous a paru très forte. Québec est la capitale du Canada et le siège de l’administration anglaise. Il y reste constamment une garnison nombreuse ; c’est l’Angleterre qui en paie les frais. La conservation du Canada lui coûte chaque année plus de 6 millions : mais elle le conserve néanmoins parce que cette colonie lui est d’une grande utilité politique, notamment à raison des bois de construction qu’elle lui fournit en tout temps pour ses vaisseaux.

Le pays que j’ai vu au Canada m’a paru avoir un caractère particulier. Ordinairement les pays fertiles, ceux où la culture des terres est la plus productive, sont peu agréables à voir et, par compensation, les pays très pittoresques sont ordinairement ceux dont on tire le moins de profit réel. Les bords du Saint-Laurent ont le double avantage d’être d’une fertilité rare et de présenter le plus grand et le plus magnifique spectacle qu’on puisse imaginer : à droite et à gauche on voit des plaines couvertes de moissons, au milieu desquelles le fleuve promène ses vastes eaux et de chaque côté de hautes montagnes, au pied desquelles s’arrête la culture, forment dans le lointain une grande ombre au tableau.

Nous nous sommes mis particulièrement en rapport à Québec avec tous les hommes distingués du pays. Ils nous ont reçus à bras ouverts : tous se réjouissaient de voir des Français de la vieille France. L’un d’eux, M. Neilson, nous a témoigné surtout beaucoup d’intérêt ; il nous a promenés de côtés et d’autres et a mis une complaisance extrême à nous montrer tout ce qu’il y a d’intéressant à voir. J’ai visité avec lui et mon ami Tocqueville une paroisse considérable qui porte le nom de Beaumont ; elle est située à trois lieues de Québec, c’est le centre d’une seigneurie fondée sous le siècle de Louis XIV par un Monsieur de Beaumont, venu de France, on ne sait de quelle province.

Le « pain de sucre » en hiver aux pieds des chutes Montmorency

Le « pain de sucre » en hiver aux pieds des chutes Montmorency
Source : wikipedia

L’histoire de ce Beaumont m’aurait intéressé beaucoup si je n’avais cru me rappeler qu’au temps dont je viens de parler les Beaumont auxquels j’ai l’avantage d’appartenir étaient encore des Bonnin ou tout au plus des Bonninière1 ; on ne m’en a pas moins traité comme le seigneur de l’endroit [11].

Une autre course non moins intéressante est celle que nous avons faite pour voir le lieu où la Rivière de Montmorency tombe dans le fleuve Saint-Laurent ; la chute est de 240 pieds. Quoiqu’elle soit très belle, elle ne saurait être comparée à celle du Niagara. C’est la différence qu’il y a entre un fleuve et un ruisseau : la chute de Montmorency est jolie, celle de Niagara est grande et magnifique.

J’ai encore vu bien des choses à Québec, par exemple le couvent des religieuses parmi lesquelles j’ai, vu des femmes très distinguées et qui toutes ont des parents en France. J’ai vu un juge, Monsieur Taschereau, dont la famille est de Touraine [12] ; d’après ce qu’il m’a dit, il est parent de nos Taschereau de La Chartre. Il est à Québec le seul Canadien auquel le gouvernement anglais confie un emploi public ; c’est du reste pour lui une bonne affaire, car il a 25 000 francs de traitement. J’ai dîné avec lui chez un de ses parents. J’ai retrouvé dans ce dernier Canadien la gaieté française et les vieilles coutumes de nos pères. Depuis que je suis en Amérique, je n’ai vu rire qu’au Canada ; au dessert, il faut que chacun chante sa chanson. Bonhomie, cordialité, on est sûr de trouver ces sentiments chez les Canadiens.

La religion est très puissante sur la société ; le clergé catholique est universellement respecté ; il n’y a pas un philosophe qui ne soit en même temps un homme religieux ou du moins qui ose paraître le contraire. Je me promenais un jour avec l’un des démocrates de Québec : il ne passait jamais devant une église sans faire le signe de la croix.

A propos d’églises, celles des campagnes sont remarquablement jolies ; il y règne surtout un goût extraordinaire. J’en ai vu un très grand nombre et je n’en ai pas rencontré une seule qui ne figurât très bien dans une grande ville.

Nous sommes partis de Québec le 31 août ; nous avons remonté le Saint-Laurent jusqu’à Montréal dans le bateau à vapeur, le Richelieu. Nous sommes arrivés à Montréal le 2 septembre et sommes repartis immédiatement de cette ville pour nous rendre à Albany. Un bateau à vapeur (le Voyageur) nous a conduits à La Prairie ; là, nous avons pris une voiture qui nous a conduits à Saint-John où nous nous sommes embarqués sur le lac Champlain dans un bateau à vapeur, le Phénix. Le 4 septembre, nous sommes arrivés à Whitehall et là nous avons pris une voiture dans laquelle nous sommes venus aujourd’hui à Albany. Pendant cette traversée je n’ai vu de remarquable que le pays au milieu duquel le lac Champlain est situé ; les montagnes du Vermont qui se voient dans le lointain sont très élevées.

J’ai vu aujourd’hui à Albany quelques personnes ; on nous traite toujours avec la même bienveillance. Nous partons ce soir pour Boston où nous allons recommencer le système pénitentiaire un peu oublié depuis un mois. Nous y resterons quinze jours ou trois semaines après quoi nous nous rendrons à Philadelphie.

Adieu…

[1] – In Publications de la Sorbonne, série « Documents », sous le titre : Gustave de Beaumont, Lettres d’Amérique 1831-1832, Presses Universitaires de France, texte établi par André Jardin et George W. Pierson, Paris 1973.

[2] – Ils avaient déjà rédigé en commun leur rapport : Du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France, en 1833, qui leur avait valu un double prix Montyon de l’Académie Française.

[3] – Dans son livre Tocqueville and Beaumont in America, 1938, Pierson considère les réactions de Tocqueville et Beaumont dénonçant l’esclavage et le génocide de Indiens comme la réaction de deux jeunes Français romanesques et maladroitement sensibles. Aujourd’hui encore cette dénonciation qui occupe le quart de la première Démocratie, (le chapitre X de la seconde partie) demeure quasi totalement ignorée des analystes français dont certains n’hésitent pas à charger Tocqueville des crimes qu’il condamne. J’ai traité ce sujet afin de rétablir la vérité lors du symposium sur Tocqueville organisé par Liberty Fund à Saint Jacques de Compostelle, sous la direction d’Eduardo Nolla, en 2008, dans ma communication : The Planned Extinction of the American Natives and the slavery of the African-Americans as the Main Issues of Tocqueville’s Reflections on a Democratic Antinomy.

[4] – Di tanti Palpiti, cavatine de l’opéra Tancrède de Rossini (1813).

[5]  – A la Nouvelle Orléans, Tocqueville et Beaumont noteront également la beauté des jeunes femmes métissées que leur métissage condamne à la prostitution, elles n’ont d’autre possibilité que de devenir les maîtresses des planteurs. C’est la raison pour laquelle l’héroïne du roman de Beaumont, Marie, a dû quitter la Nouvelle Orléans, même si elle semble Blanche, de par son apparence extérieure.

[6]  – Edward Ellice, parlementaire britannique, avait proposé que l’anglais devienne l’unique langue administrative du pays, en 1822, Neilson et Papineau déposèrent alors une pétition de protestation pour faire échouer le projet.

[7]  – Dans L’Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville rappelle comment le mot « taille » était exécré par les paysans qu’il avait rencontrés au Canada, en 1831, bien que cet impôt y eût été aboli depuis plus d’un demi siècle.

[8]  – Les immigrants à Québec – sans compter les entrées clandestines – passèrent de quelques centaines à 12 700 en 1727, 28 000 en 1830, 66 000 en 1832. On calcule qu’avant même la grande famine Irlandaise, 626 000 immigrants entrèrent au Canada de 1825 a 1846 (d’après une note d’André Jardin, op. cit . p. 136.)

[9]  – Seigneur de Beauport.

[10]  – Joseph-Vincent Quiblier, 1796-1852, originaire de Lyon, directeur du séminaire de Montréal 1831-1846.

[11]  – Voir photo.

[12]  – Jean-Thomas Taschereau (1778-1832) après avoir été journaliste, député, avocat, était depuis 1827 juge au banc du roi. En Touraine, Beaumont fréquentait  Jules Taschereau, 1801-1874, républicain anticlérical et député, administrateur de la Bibliothèque nationale, qui se rallia à l’Empire.

La Fondation Lionel-Groulx et la Coalition pour l’histoire lancent un appel pour la promotion de l’histoire nationale du Québec

La Fondation Lionel-Groulx et
la Coalition pour l’histoire lancent
un appel pour la promotion de l’histoire nationale du Québec

 

Par Gilles Durand

La Fondation Lionel-Groulx et la Coalition pour l’histoire, cette dernière initiée en 2009 par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, lancent un appel en faveur de la promotion et d’une meilleure connaissance de l’histoire nationale du Québec, de même que du fait français en Amérique du Nord. La démarche se présente sous forme d’un Appel, signé par une cinquantaine de personnalités, et fait suite à deux rapports résultant d’enquêtes sur l’enseignement de l’histoire : l’information transmise, le temps consacré, l’approche et le découpage chronologique ou thématique du programme, la formation dispensée aux enseignants de même que la recherche et l’enseignement universitaire dans les départements d’histoire.

  • http://www.fondationlionelgroulx.org
  • http://www.fondationlionelgroulx.org/IMG/pdf/l-enseignement-de-l-histoire-du-quebec-rapport-d-etude-mars-2012.pdf
  • http://www.coalitionhistoire.org/sites/default/files/une-histoire-javellisee-au-service-du-present.pdf

Quelle histoire enseigner et diffuser?

La Fondation et la Coalition s’accordent sur la dimension politique de l’histoire de la nation québécoise de même que sur les événements marquants et les personnages-clés qui la sous-tendent. Ils doivent obtenir la place qui leur revient à côté de l’histoire économique, sociale et culturelle. Les moments cruciaux et fondateurs de même que les acteurs majeurs qui dans le passé se sont investis pour faire avancer la cause de leurs compatriotes, composent notre tissu identitaire et constituent notre héritage collectif. Ils racontent notre « grande aventure » et, à ce titre, doivent conserver leur plein droit de cité. Ce sont eux en effet qui permettent aux jeunes générations et aux citoyens venus d’ailleurs de s’insérer pleinement dans l’histoire du Québec.

Des mesures à adopter pour améliorer l’enseignement de l’histoire de la nation québécoise

La Fondation et la Coalition s’entendent pour proposer un certain nombre de mesures pour améliorer l’enseignement de l’histoire du Québec dont voici grosso modo les principales : consacrer un plus grand nombre d’heures en classe; redonner toute sa place à l’histoire politique y compris les grands moments, événements et personnages qui la sous-tendent; privilégier l’approche diachronique plutôt que thématique pour toutes les périodes y compris le 20e siècle; accroître la formation universitaire des enseignants; faire de la recherche et de l’enseignement de l’histoire du Québec une priorité dans les départements d’histoire des universités.

Deux guides pour mieux connaître et apprécier l’empreinte française dans le Vieux-Québec

Deux guides pour mieux connaître et apprécier l’empreinte française dans le Vieux-Québec

 

Par Gilles Durand

 

Québec Ville du patrimoine mondial

Source : Éditions Sylvain Harvey
Québec Berceau de l'Amérique française

Source : La Commission de la capitale nationale du Québec

En collaboration avec la Commission de la capitale nationale du Québec, les Éditions Sylvain Harvey ont fait paraître deux guides, le 1er en 2009 sur la Haute-Ville, intitulé Québec Ville du patrimoine mondial, 128 p. ; le 2e en mai 2012 sur la Basse-Ville intitulé Québec Berceau de l’Amérique française, 144 p. Les productions sont l’œuvre de David Mendel, fin connaisseur de l’architecture et de l’histoire du Vieux-Québec, et de Luc-Antoine Couturier, maniant l’art de la photographie avec une habileté consommée. Pour dévoiler les richesses patrimoniales de cet arrondissement historique, ceux-ci font appel au pouvoir évocateur d’images actuelles et anciennes de même qu’à la concision d’un texte qui en livre toute la signification. Précédés d’une carte du Vieux-Québec et d’un résumé succinct de l’histoire du Québec dans son ensemble, les guides se veulent des compagnons pour l’exploration visuelle de parties anciennes de la ville, tant dans le confort de sa résidence que dans le cadre d’une visite touristique.

Caractéristiques communes aux deux guides

Les deux guides se signalent par le choix judicieux des biens patrimoniaux, par la qualité des images et des commentaires explicatifs sur l’emplacement, le créateur, la date de production, construction ou de modification, les propriétaires successifs, leur intérêt particulier, etc. Ils se veulent des témoignages forts du fait français, sans négliger pour autant l’empreinte des périodes historiques qui ont marqué l’arrondissement à la suite de la conquête britannique. Tous deux démontrent aussi l’habileté de l’auteur, David Mendel, à s’en tenir aux informations essentielles : par exemple, pour la période de la Nouvelle-France, dans le cas de la Haute-Ville, les activités religieuses, éducatives et administratives qui expliquent la présence de la basilique Notre-Dame, du Vieux-Séminaire, du couvent des Ursulines, du monument à Champlain et des vestiges archéologiques du fort et château Saint-Louis; dans le cas de la Basse-Ville, les activités commerciales liées au port dont témoignent les résidences de marchands et la place du commerce, aujourd’hui dénommée la place Royale.

Traits spécifiques à chacun des guides

Tout comme les bâtiments, les deux guides reflètent l’influence des principaux acteurs et des fonctions qu’ils ont exercées. Plusieurs édifices de la Haute-ville, en particulier ceux destinés au culte et à l’éducation, se démarquent par la qualité de leur architecture et de leur ornementation; aussi le guide de cette partie du Vieux-Québec attire-t-il l’attention à la fois sur l’extérieur et sur l’intérieur des bâtiments. Le guide de la Basse-Ville quant à lui met surtout l’accent sur l’extérieur des bâtiments. Étant liés pour beaucoup au port, ils sont plus modestes et se ressemblent, destinés à servir de lieu de résidence et d’échanges pour les marchands. De même, compte tenu que ces constructions ont souvent connu plusieurs propriétaires – à la différence des propriétés des communautés religieuses –, l’ouvrage développe davantage le processus de patrimonialisation, c’est-à-dire les changements connus par les bâtiments à travers le temps : modifications, restauration, reconstruction par des propriétaires différents, incluant l’intervention du gouvernement du Québec lui-même, dans les années 1960 et 1970, pour redonner à la place Royale une image des 17e et 18e siècles.

Brève histoire du régime seigneurial par Benoît Grenier

Brève histoire du régime seigneurial
auteur Benoît Grenier

 

Par Gilles Durand

 

Brève histoire du régime seigneurial

Source : Les Éditions du Boréal, 2012

L’auteur, Benoît Grenier, invite à revenir aux sources du fait français en Amérique. Il présente aux Éditions du Boréal le fruit d’une recherche d’une dizaine d’années sur l’histoire du régime seigneurial dans la vallée du Saint-Laurent depuis son implantation au 17e siècle jusqu’à son abolition en 1854 – près de 60 ans plus tard qu’en France – et la disparition de ses dernières traces en 1940. Dans un peu plus de 200 pages, il livre une synthèse accessible à tous, grand public comme historiens spécialisés, dont la lecture et la consultation sont encore facilitées par la présence d’un glossaire, d’une bibliographie des principales publications sur le sujet et d’un index onomastique. L’ouvrage brosse, en six chapitres, un tableau du régime seigneurial dans la vallée du Saint-Laurent, qui évite la vision idyllique tout comme l’approche d’un instrument d’oppression.

Une vision d’ensemble du régime seigneurial

La seigneurie sur le continent européen, tout particulièrement en France, fait l’objet du 1er chapitre. Ses détenteurs sont au nombre d’environ 40 000 dans la France de l’Ancien Régime. Au fil des siècles, la seigneurie se transforme, perdant ses pouvoirs politique et militaire face à la centralisation monarchique, pour ne conserver qu’un pouvoir local sur les détenteurs de censives. Par contre, elle n’en demeure pas moins un régime inégalitaire, fondé sur la supériorité d’individus sur d’autres. Les détenteurs de lopins, les censitaires, demeurent des propriétaires imparfaits. Ils ont des obligations face à leurs maîtres, soit le versement du cens, impôt non amortissable de nature symbolique, et de la rente, impôt onéreux, perpétuel et inamovible.

Le 2e chapitre cerne les contours et l’implantation de la seigneurie dans la vallée du Saint-Laurent. À la différence du vieux continent, la Nouvelle-France est un pays à coloniser et, de ce fait, donne à la seigneurie des couleurs quelque peu différentes. Le seigneur se présente comme un entrepreneur distribuant des terres pour faire mettre son fief en valeur. Compte tenu de la faiblesse des infrastructures et des maigres ressources dont il dispose, il s’adapte à la géographie en découpant sa seigneurie en bandes étroites et allongées de façon à ce que les censitaires puissent communiquer par voie d’eau; en effet, la forme rectangulaire n’est pas une caractéristique inhérente au système ni ne découle de la volonté du roi. Le seigneur a bien des obligations face à ses subordonnées, les censitaires, telle la construction de routes et d’un moulin à farine, mais celles-ci doivent plutôt être vues comme des conditions à la mise en valeur de sa seigneurie, dont il est le premier bénéficiaire.

C’est la diversité du monde seigneurial que le 3e chapitre nous fait connaître. Les seigneurs se présentent sous les visages les plus divers : ils peuvent être d’origine française ou, plus rarement, amérindienne, ecclésiastiques ou laïcs, nobles, commerçants ou roturiers, canadiens ou britanniques, hommes ou femmes, résidents ou absents sur leur fief. Ce dernier trait fait en grande partie l’originalité du chapitre. En effet, pour un très grand nombre, les seigneurs n’habitent pas leur seigneurie; le nombre de ceux qui y habitent atteint un sommet au milieu du 19e siècle avec moins de 40 %. Comment expliquer cette situation? L’obligation de tenir feu et lieu sur la seigneurie n’implique pas la résidence, mais la construction d’un manoir habité où les censitaires peuvent se rendre pour payer leurs redevances. L’auteur évite de généraliser la figure du seigneur-défricheur mettant lui-même la main à la charrue. Souvent, les seigneurs, tant laïcs qu’ecclésiastiques, font appel à des intermédiaires, fermiers à bail, régisseurs, etc., et ce d’autant plus qu’il y a cumul de fiefs.

Les trois derniers chapitres sont respectivement consacrés au régime seigneurial après la conquête britannique, aux relations seigneurs-censitaires et enfin à l’abolition et disparition définitive du régime. Ils dévoilent plusieurs facettes de grand intérêt, dont les facteurs qui ont mené à son abolition. Face au développement de l’industrie et du commerce et à la valorisation de l’esprit d’entreprise qui l’accompagne à la fin du 19e siècle, les hommes d’affaires, pour beaucoup des Britanniques, en viennent à regarder les droits et les monopoles seigneuriaux comme autant d’entraves à leurs activités. Bien qu’il y a nécessité de témoignages et de recherches additionnels sur les relations entre seigneurs et censitaires, plusieurs parmi ces derniers ont dénoncé les abus et la mauvaise administration seigneuriale, particulièrement lors de la révolte des patriotes de 1837-1838. Enfin, des législations de grande importance sont adoptées outre celle de 1854 mettant fin aux droits et devoirs seigneuriaux. L’Acte constitutionnel de 1791, en limitant l’application du régime au territoire déjà concédé et en introduisant ailleurs la tenure en franc et commun soccage[i], libre de droits seigneuriaux et caractérisée par le mode des cantons, signe l’arrêt de mort du régime. De même une loi du Québec de 1940, en transformant la rente constituée, encore payée par plusieurs censitaires, en une taxe spéciale dorénavant à verser à la municipalité pour une période maximale de 41 ans, fait disparaître la dernière trace du système.

L’empreinte du régime seigneurial, une institution au cœur du développement de la Nouvelle-France

Les marques du régime seigneurial constituent une partie substantielle du patrimoine culturel des Québécois. Elles se retrouvent dans la toponymie et leur tiennent compagnie dans leur vie quotidienne. Tantôt elles prennent la forme de paysages aux rectangles étroits et allongés; tantôt celle de bâtiments, manoirs et moulins; tantôt celle de plaques et monuments constituant autant de rappels mémoriels; tantôt encore celle de sources imprimées comme les Anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé, de manuscrits tels les aveux et dénombrements, ou de témoignages oraux relatant des traditions et des façons de faire transmises par la parole de génération en génération. Tantôt enfin les traces peuvent se dégager de personnages, lieux ou événements introduits ou réintroduits par les historiens dans la mémoire collective. Le legs du régime seigneurial est à l’heure actuelle inventorié, recueilli de plus en plus (dans le cas du patrimoine immatériel vivant qui se transmet de génération en génération – voir le Musée de la Mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli ) et mis en valeur. Les guides touristiques, des travaux de devanciers comme les Vieux manoirs, vieilles maisons de Pierre-Georges Roy, les musées, les bibliothèques et les archives invitent à reprendre contact avec ces témoins d’une époque disparue, mais qui n’en constituent pas moins une partie importante des caractères identitaires des Québécois en Amérique du Nord au même titre que la langue et la culture.

  • http://inventairenf.cieq.ulaval.ca:8080/inventaire/oneTheme.do?refTheme=39
  • http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/RPCQ/resultatRecherche.do?methode=afficherResultat

[i] Franc et commun soccage : Régime de propriété foncière en vigueur dans les townships au Canada sous le régime britannique et caractérisé par l’absence de droits seigneuriaux. Tiré de Benoît Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, p. 221.

Les immigrants français au Canada à l’époque de la grande migration transatlantique (1870-1914)

Les immigrants français au Canada à l’époque de la grande migration transatlantique (1870-1914)

 

Par Gilles Durand

 

Les immigrants français au Canada à l'époque de la grande migration transatlantique (1870-1914).

Source : Colloque international organisé par Françoise Le Jeune

La présente publication électronique, un numéro de la revue E-Crini du Centre de recherche sur les identités nationales et l’interculturalité de l’Université de Nantes, découle d’un colloque tenu en mars 2011 à l’Université de Nantes. Préparée sous la direction de Françoise Le Jeune, assistée d’un comité de direction composé de Yves Frenette (Université d’Ottawa), Paul-André Linteau (Université du Québec à Montréal) et Didier Poton (Université de La Rochelle), elle forme un collectif provenant de 21 des 24 communications présentées sur différents aspects de la participation des Français venus au Canada à l’occasion de la grande migration transatlantique des années 1870-1914. Plusieurs des conférenciers sont des collaborateurs ou administrateurs de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, dont le président du comité de commémoration de la section Québec, Marcel Fournier. L’ensemble livre une information d’une grande richesse et à l’occasion inédite.

Les grandes divisions de l’ouvrage

L’ouvrage se divise en sept chapitres vers chacun desquels une table des matières nous oriente. Ceux-ci présentent tour à tour le contexte de la présence française dans le cadre de la grande migration, différents types de migrants, des expériences vécues collectivement ou individuellement, enfin des régions d’accueil excentriques au Québec. Deux introductions font le point sur les recherches en cours et facilitent la lecture des différents exposés.

Ce que révèle la grande migration au sujet de la relation franco-québécoise

Les deux premiers chapitres montrent que les Français viennent peu dans les Amériques. De plus, parmi l’ensemble des immigrants qui se rendent au Canada, les Français représentent moins de 1%; ils sont tout de même au minimum 29 510 à être venus au Canada entre 1881 et 1914, dont 12 000 à 13 000 au Québec. La politique généreuse de concession des terres des gouvernements canadien et québécois et l’assistance fournie par les compagnies de colonisation, telle la Compagnie nantaise de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est, ne peuvent suppléer au manque de support apporté par le gouvernement français. Celui-ci n’est pas aux prises avec un surplus de population, bien au contraire, et il oriente ses ressortissants vers ses colonies d’Afrique de préférence à un pays comme le Canada à mi-chemin entre une colonie et un royaume. Il est vrai que les gouvernements québécois et canadiens, mènent une propagande sur le territoire français par l’intermédiaire d’agents recruteurs, mais il s’agit d’une activité qui ne reçoit pas l’appui de la France et qui n’est pas menée en concertation avec elle. Le Consulat général de France qui déménage de Québec à Montréal reflète cette position partagée également par la Chambre de commerce française de Montréal. Parmi les incitations à la venue des Français au Québec et au Canada, la politique laïcisante en matière d’éducation poursuivie par le gouvernement français – laïcisation du personnel enseignant en France, interdiction aux communautés religieuses d’enseigner – compte pour beaucoup.

Les chapitres III et IV sont consacrés à différentes catégories de migrants français au Québec. Les travailleurs culturels tels les comédiens, artistes, journalistes, enseignants religieux et laïcs, scientifiques, demeurent des passeurs de connaissances et d’expériences importants. En matière de formation et d’enseignement à la jeunesse, les membres des communautés religieuses occupent une place à part : en raison du nombre important qui sont venus au Québec – soit 2 600 représentant 20 % de l’immigration française au Québec de 1880 à 1914 – pour échapper à la laïcisation de l’enseignement; mais aussi pour la qualité de leur engagement et leur méfiance face à l’intrusion de l’État dans le monde de l’éducation – la création d’un ministère de l’Éducation doit attendre 1964. Quant aux hommes d’affaires français opérant à Montréal, il importe de signaler deux traits à leur sujet : étant plus importateurs que producteurs de biens, ils appuient le Consulat contre l’émigration de travailleurs français au Québec; ils privilégient, pour soutenir leurs activités d’importation, une chambre de commerce française capable de les renseigner sur l’état des marchés et sur la conjoncture économique en France. D’ailleurs une entreprise nantaise orientée vers la mise en valeur des ressources forestières de la région du lac Mégantic et vers la colonisation plutôt que vers l’importation de produits français, la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est, doit fermer ses portes en 1893, une douzaine d’années après sa création.

Le chapitre V est consacré à trois parcours particuliers, celui de migrants nantais dans la région du lac Mégantic, celui de Vendéens dans l’Ouest canadien, enfin celui d’un jeune Français du Dauphiné en Alberta. Outre les péripéties liées à l’ouverture de régions neuves, les textes attirent notre attention sur trois points qui méritent d’être soulignés. Le clergé et les religieux apportent une contribution non seulement à l’éducation, mais aussi à la colonisation. De leur côté, les compagnies de colonisation ne connaissent pas de succès : la fermeture de la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est et de la Société foncière n’est pas sans rappeler l’échec de la Compagnie des Cent Associés en 1663. Enfin les données sérielles, tels les recensements, listes de passagers, demandes de passeport, ne sont pas les seules pour approfondir la grande migration, les sources qualitatives comme les correspondances de migrants français à leur famille demeurée dans la mère patrie sont prometteuses pour la découverte d’un espace mental commun de part et d’autre de l’Atlantique. Les études débouchent en effet sur le phénomène de l’acculturation, c’est-à-dire sur la mesure dans laquelle le migrant français reste fidèle à sa culture d’origine, sa famille, ses amis, sa religion tout en intégrant la vision et le rêve nord-américain de s’enrichir dans le pays d’accueil.

Les deux derniers chapitres 6 et 7 sont consacrés à la présence française au Canada, mais en dehors du Québec, soit l’Ontario, la Colombie britannique et les provinces des Prairies. La grande migration des années 1880-1914 donne lieu à l’implantation de communautés francophones. Parmi les facteurs qui y contribuent, mentionnons une publicité accrocheuse, une politique généreuse de concession des terres par le gouvernement canadien, l’encadrement apporté par une communauté de même langue, culture et religion déjà établie de même que le soutien offert par les religieux n’hésitant pas au besoin à effectuer des missions en France pour y ramener des compatriotes. En revanche la politique du gouvernement provincial de Colombie britannique de vendre les terres et de tenir compte de la connaissance de l’anglais pour accorder la naturalisation de même que l’absence de soutien aux Français désirant s’établir dans cette province éloignée explique leur présence furtive au cours des années 1880-1914.

La Colonie nantaise de Lac-Mégantic : Une implantation française au Québec au XIXe siècle, par Marcel Fournier. Septentrion, 2012, 324 p.

La Colonie nantaise de Lac-Mégantic :
Une implantation française au Québec au XIXe siècle,

par Marcel Fournier. Septentrion, 2012, 324 p.

 

Par Gilles Durand

 

Salon du livre de Québec 2012.

Salon du livre de Québec 2012 : au centre l’auteur, Marcel Fournier, à sa g. Robert Trudel et sa conjointe, à sa d. Denis Racine, président de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, Jacques Fortin de l’Office québécois de la langue française
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Le Salon du livre de Québec 2012 est une belle occasion pour Marcel Fournier de faire connaître davantage son dernier ouvrage, La Colonie nantaise de Lac-Mégantic, et de procéder à une séance de signature. Les intéressés ne manquent pas, car l’auteur nous entraîne dans cette aventure unique qu’est la relation franco-québécoise au cours des années 1870-1910. Des membres du clergé et des professions libérales de chaque côté de l’Atlantique conçoivent et mettent à exécution le projet d’attirer des Français, en particulier ceux de la région Pays de la Loire, pour coloniser une région encore passablement vierge, celle du lac Mégantic.

Un projet pour implanter des Français dans la région du lac Mégantic

La conjoncture s’y prête. La France sort perdante de la guerre franco-allemande de 1870. Le Québec tente de conserver et d’augmenter sa population en ouvrant de nouvelles régions à la colonisation par le biais de sociétés de colonisation. Plusieurs intérêts sont en cause : la conservation et le développement de la culture héritée de France et la propagation de la foi catholique, l’espoir de réaliser des profits de la part des investisseurs français par l’ajout de l’opération d’une scierie et d’un magasin général au support apporté à l’établissement des colons – construction de routes, défrichement minimal des lots, abri temporaire pour les nouveaux arrivants.

Pour réaliser le projet, une compagnie de colonisation, appelée Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est ou bien encore Compagnie nantaise, est mise sur pied en 1881 grâce entre autres à l’engagement inconditionnel de deux individus qui se démarquent, le père Eugène-Marie Peigné, missionnaire dans le diocèse de Nantes et héritier de la fortune paternelle, et l’avocat et rédacteur en chef du journal Le Pionnier de Sherbrooke, Jérôme-Adolphe Chicoyne. L’entreprise est un demi-succès. Elle disparaît en 1893 pour plusieurs raisons : pauvreté du sol, difficulté pour les colons français de s’adapter à une région en voie de développement, faiblesse du marché local et difficulté à trouver des marchés extérieurs. Par contre, la Compagnie conserve le mérite d’avoir contribué à la traversée de 40 % des quelque 150 migrants français venus s’établir dans la région du lac Mégantic au cours de la période 1870-1910, de même qu’à leur enracinement. Leur présence et leur contribution au développement de la région sont encore bien visibles aujourd’hui. Les patronymes en témoignent.

Le contenu de la publication

L’ouvrage développe les tenants et aboutissants de cette belle aventure. Il est articulé en deux axes. Le premier traite d’histoire, celle de la région du lac Mégantic et de la Compagnie nantaise, qu’il complète par des données statistiques et sociodémographiques sur les familles françaises immigrantes; sont également joints des documents d’époque faisant revivre la vie d’autrefois sans passer par le filtre de l’histoire. Le deuxième axe présente des biographies et des généalogies des 45 familles françaises venues dans la région au cours des années 1870-1910, incluant une description de leur village d’origine. Enfin, trois index facilitent l’utilisation du volume : selon les noms de personnes de la partie historique, selon les noms de personnes et de lieux de la partie biographique.

Une source de renseignements sur la relation franco-québécoise

L’ouvrage de Marcel Fournier se signale sous plusieurs aspects. Abondamment illustré, il repose sur des sources de première main, registres de l’état civil, recensements, actes notariés, documents d’émigration, archives privées, journaux d’époque. Il constitue une excellente source de renseignements sur les liens qui subsistent entre le Québec et la France à la suite de la Conquête anglaise de 1760. Dans le dernier quart du 19e siècle, les relations se poursuivent au niveau de la société civile en l’absence d’échanges directs de gouvernement à gouvernement. Les élites québécoises et françaises se rencontrent et mettent sur pied des projets. Les gouvernements assurent malgré tout leur présence dans le pays d’en face : Paris met sur pied un consulat en 1859, Québec nomme, en 1882, un agent commercial en la personne d’Hector Fabre.

Un guide touristique

Là ne réside pas seulement l’intérêt de la publication. L’auteur prend soin de nous entretenir des pionniers et de leur région d’origine en France, photographies à l’appui : physionomie du village, église paroissiale, paysage, etc. Par là, il suscite de l’intérêt pour un voyage de retour aux sources pour les migrants français devenus des Québécois. De leur côté, les Français demeurés en permanence dans le pays d’origine y trouveront sûrement un motif pour visiter le lieu dans lequel leurs descendants ont pris racine et sur lequel ils ont imprimé leur marque.

D’autres présentations de l’ouvrage

La publication est aussi présentée par l’auteur lui-même au dos de la couverture, accessible sur le site des Éditions du Septentrion. Le journal quotidien des Cantons-de-l’Est, La Tribune, d’où est originaire l’auteur, fait également l’éloge de la publication

Frédéric Smith rappelle la relation franco-québécoise lors de la Deuxième Guerre mondiale

Frédéric Smith rappelle la relation franco-québécoise lors de la Deuxième Guerre mondiale

Par Gilles Durand

La France appelle votre secours.

Source : La France appelle votre secours

Le tableau de la résistance française au Québec

Le dernier ouvrage de Frédéric Smith, « La France appelle votre secours » : Québec et la France libre, 1940-1945 (Montréal, VLB, 2012, 296 p.) ouvre une nouvelle fenêtre sur la relation franco-québécoise à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. Les événements se déroulent surtout dans la ville de Québec. L’histoire débute en 1940 après la prise du pouvoir par le gouvernement collaborationniste du maréchal Philippe Pétain et l’appel à l’aide du général Charles de Gaulle, réfugié à Londres, lancé le 18 juin 1940 aux Français du Canada et aux sympathisants à la cause d’une France libre et non effritée. Divisée en sept chapitres, selon un ordre chronologique, elle redonne la parole à des membres de la communauté de Québec, tant française que québécoise, et relate les gestes qu’ils ont posés pour participer à la résistance : soutien à l’envoi de vivres et de médicaments aux combattants gaullistes, mise sur pied du Comité France libre de Québec, accueil de représentants de la France libre lors de leur passage, etc. Elle prend fin, entre autres, avec la reconnaissance par les Américains du gouvernement provisoire de de Gaulle en octobre 1944, la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en mai 1945.

Des protagonistes de la résistance française de premier plan

L’auteur fait revivre des protagonistes de la résistance de premier plan ayant en commun leur attachement profond pour la France, tout en insistant particulièrement sur deux de ceux-ci, Marthe Simard, Caillaud de son nom de fille, et Auguste Viatte.

La première, Marthe Simard, est une Française née en Algérie. Fille d’un juriste, Édouard Caillaud, devenu président du tribunal de Douai, elle est québécoise par adoption à la suite de son mariage avec André Simard, chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Québec et professeur à l’Université Laval. Elle se signale par son engagement à la suite de l’appel lancé par de Gaulle en juin 1940 : mise sur pied d’un premier comité France libre dans le monde, dont elle occupe la présidence, causeries à la radio sur l’état du conflit, déplacements à travers le Canada et visite des comités France libre pour entretenir le feu sacré, etc. Les services rendus à la cause de la France libre – avec l’aide de son mari le docteur André Simard – lui valent, en 1943, une invitation à occuper un poste politique exceptionnel, représentante de la résistance française au Canada à l’Assemblée consultative provisoire des Français, devenant ainsi la première femme parlementaire française. Par contre, lorsqu’arrive le temps des élections, Marthe Simard refuse la carrière politique que lui promet le général de Gaulle, préférant consacrer plus de temps à sa famille demeurée à Québec.

Le second, Auguste Viatte, est d’origine suisse, naturalisé français en 1934. Invité par l’Université Laval à donner des cours de littérature française, il s’établit à Québec, mais sans jamais perdre espoir d’obtenir une chaire d’enseignement dans une université de sa patrie d’origine. Maîtrisant aussi bien la plume – il est l’auteur en 1954 d’une Histoire littéraire de l’Amérique française – que l’enseignement et les causeries, il acquiert vite de la notoriété. Vivement intéressé par le devenir de la France, il participe au comité France libre de Québec avec d’autres compatriotes, tel le sociologue François Delos, dominicain. Pour plusieurs raisons, entre autres le penchant pétainiste de plusieurs Québécois, il garde une attitude réservée, pour ne pas dire mitigée, à l’endroit des deux chefs Philippe Pétain et Charles de Gaulle, mais il n’en est pas moins toujours consulté et exerce une grande autorité morale au sein du comité. En 1949, il voit ses vœux comblés par l’offre d’un poste de professeur de littérature à l’Université de Nancy. Il enseigne en France jusqu’en 1952, alors qu’il est invité à occuper, dans sa Suisse natale, la chaire de littérature française de l’École polytechnique fédérale de Zurich.

Quelques points forts de l’ouvrage de Frédéric Smith à signaler

L’ouvrage de Frédéric Smith constitue une étude fouillée sur les principaux acteurs de la résistance française lors du second conflit mondial. L’auteur a fait appel aux archives publiques, tant québécoise que française et suisse, de même qu’aux archives privées et à des interviews avec des témoins, qui peuvent même être acteurs à l’occasion, sans compter les documents imprimés. En s’appuyant sur des correspondances et des mémoires, tel le journal intime d’Auguste Viatte, il démontre tout l’intérêt des sources autres que sérielles – tels les recensements, listes de passagers, demandes de passeport – pour l’étude de la relation franco-québécoise. De plus, par son observation attentive et minutieuse de l’attitude des Français de Québec qui participent au mouvement de la résistance dirigée par de Gaulle, il apporte une contribution à l’hypothèse – de Leslie Choquette, professeure à l’Institut français du Collège Assomption, sur l’existence d’une véritable communauté transatlantique. Les migrants français en Amérique du Nord sont plutôt des transplantés que des déracinés. Les études menées à l’heure actuelle donnent à penser qu’il existerait des façons de sentir et de voir communes de part et d’autre de l’Atlantique, pouvant aller jusqu’à l’espoir de retourner un jour dans la mère patrie si les circonstances s’y prêtent.

Entre Québec et Canada : le dilemme des écrivains français De Gérard FABRE

Entre Québec et Canada : le dilemme des écrivains français

 

Par Gérard FABRE

Gérard Fabre,  est professeur et chercheur à  l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Sociologue, il est entre autres spécialiste de l’histoire intellectuelle croisée du Québec et de la France, il est membre de l’Association internationale des études québécoises.

Entre Québec et Canada : le dilemme des écrivains françaisDepuis plus de deux siècles, à chaque génération, des intellectuels français de tout horizon politique se tournent avec affection vers les territoires et peuples francophones d’Amérique du Nord, les prenant comme sujets de récits ou de réflexions. Cette sympathie peut altérer ou fausser leurs facultés de jugement, elle se trouve néanmoins à l’origine de leur désir de connaître un nouveau monde à la fois familier et étranger. Elle leur permet, dans un élan nostalgique, de conjuguer présent et passé. Si portés soient-ils à l’empathie envers l’ancienne colonie devenue province de Québec, les écrivains français ne développent pas pour autant une vision canadienne exempte de tensions : l’anglophilie, autre constante de cette période chez la majeure partie des élites françaises, vient fréquemment pondérer leur ardeur initiale. D’un côté, ils cultivent la nostalgie du passé de l’Amérique française. De l’autre, ils militent en faveur d’une alliance britannique amorcée sur le plan diplomatique dès les années 1830, au motif de ne pas compromettre le présent et l’avenir de la France. C’est pourquoi la plupart souhaitent concilier dans leur approche et réconcilier dans les faits « les deux Canada ». Ils sont généralement sensibles aux manifestations du nationalisme canadien-français ou québécois, si véhémentes soient-elles, tout en considérant recevables, voire irrécusables, les arguments sur lesquels repose l’unité canadienne.

Entre cœur et raison, entre nostalgie culturelle et réalisme politique, le dilemme des écrivains français n’aura jamais de cesse. Ce dilemme a souvent fait l’objet de constats lapidaires dans les travaux sur les relations entre la France et le Québec. Il reste cependant peu documenté et analysé en tant que tel. C’est à cette tâche que son auteur veut contribuer, en posant quelques jalons explicatifs, en confrontant certaines œuvres célèbres (Le Canada, les deux races ou Arcane 17) à d’autres, plus confidentielles (L’évolution du Canada français ou Canada), sans prétendre toutefois à un éclairage exhaustif. Il s’est demandé notamment si les hésitations et les tergiversations repérables au fil des textes sont les symptômes d’une impossible adéquation des représentations françaises à l’évolution du Québec ou d’une tentative toujours recommencée d’en comprendre les sens contradictoires.

(…)Le principe d’analyse de cette étude consiste à chercher les ressorts de ces œuvres en elles-mêmes, et à examiner comment ces ressorts s’articulent à des contextes et des logiques externes, par exemple l’anglophilie ambiante, sans toutefois s’y soumettre aveuglément.

Au XIXe siècle, Chateaubriand et Michelet ont donné leurs lettres de noblesse aux matrices idéologiques françaises susceptibles de nourrir la compréhension des événements entourant la perte de l’Amérique française : c’est la raison pour laquelle le premier chapitre leur est dédié. Ces matrices présentent certes des versions concurrentes de l’histoire nord-américaine, mais elles s’accordent sur de larges pans, partageant nombre d’interprétations, en particulier celles qui procèdent d’une commune déploration nostalgique. Ces visions voisines, sinon convergentes, ont été reprises presque littéralement par l’ensemble des écrivains et des courants politiques français, qu’ils se réclament de la monarchie ou de la république, de la pensée de droite ou de gauche.

Tous les autres chapitres de l’ouvrage sont consacrés au XXe siècle, jusqu’aux années 1980, à travers quelques générations successives d’intellectuels français : la plupart ont continué de vouer un culte nostalgique aux territoires et peuples francophones d’Amérique du Nord ; d’autres ont, tant bien que mal, pris leurs distances avec ce mode d’intellection. Il s’agit de dix auteurs, de sensibilité conservatrice ou progressiste, représentatifs des tendances les plus saillantes de ce siècle : Ferdinand Brunetière, André Siegfried, Jean-Charlemagne Bracq, Maurice Constantin-Weyer, Maurice Genevoix, André Breton, Jean-Marie Domenach, Michel Tournier, Philippe Meyer et Robert Marteau. La diversité de leurs parcours et des opinions qu’ils expriment à l’égard du Québec et du Canada constitue une garantie pour éviter le risque d’une exploration partielle ou partiale. La société québécoise a été largement révélée en France par ces auteurs. Or beaucoup sont négligés voire oubliés de nos jours. Ils ne pratiquent pas le même exercice : les uns sont chroniqueurs ou essayistes, les autres, romanciers ou poètes. Redonner vie à leurs analyses, c’est comprendre les différentes logiques qu’elles mettent en œuvre : avec le recul se dégagent alors plus nettement leurs forces et faiblesses.

Au regard de ces auteurs, et des voies de connaissance ou de méconnaissance qu’ils ouvrent, il apparaît que l’inclination nostalgique revêt divers aspects, parfois contradictoires : les prismes hexagonaux ne composent pas une image uniforme du Québec en gestation. On peut néanmoins essayer de capter certains traits récurrents. Parmi les représentations françaises du Québec qui dominent le XXe siècle, se détachent deux visions plus ou moins solidaires, où la nostalgie, jouant à la fois comme levier et comme cran d’arrêt, se conforte ce faisant d’un réalisme politique à toute épreuve : l’ancienne colonie est entrée dans une modernité qui échappe, au moins en partie, à sa définition européenne ; cette modernité américaine la place dans une situation de fragilité telle qu’il est vain et malvenu d’imaginer les Québécois se détacher du Canada, dont ils sont partie intégrante. C’est seulement dans la décennie 1970 que cette vision unitaire réaliste sera contestée par des écrivains de la revue Esprit ou appartenant à sa mouvance : ils se montreront non seulement sensibles mais ouvertement favorables à l’idée d’indépendance du Québec, sans se départir d’une certaine nostalgie, mais maniée de façon plus offensive que leurs prédécesseurs.

Pour saisir les conjonctions et les tensions dans les représentations des auteurs français convoqués, ainsi que leur évolution, le cadrage général de l’étude rassemble et recoupe les thématiques suivantes :

  • La nostalgie envers la Nouvelle-France et ses potentialités
  • La vision croisée du Canada et du Québec à travers le prisme européen
  • la perception du nationalisme et du catholicisme
  • la présentation des Amérindiens ou leur absence
  • les diverses façons de soupeser le poids de la tradition et de la modernité en Amérique du Nord, notamment au regard des États-Unis.

Entre Québec et Canada, Le dilemme des écrivains français

Gérard FABRE
Vlb éditeur, 2012, 176 pages

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